Cette
année-là, la septième de son règne, Louis XI, quarante-cinq ans, se
rendit à Péronne, à l’invitation de son grand rival Charles dit le
Téméraire, trente-cinq ans, lequel avait hérité l’année précédente du
puissant duché de Bourgogne. Le rendez-vous était fort risqué.
Dauphin très turbulent, Louis XI avait succédé à son père Charles VII, l’ancien « petit roi de Bourges » qui, sacré par sainte Jeanne d’Arc, avait entrepris de redresser la France épuisée par cent ans de guerre. Pour continuer cet effort vital, Louis XI ne pouvait tolérer aucune agitation féodale dans son royaume, surtout pas celle du rejeton de cette maison de Bourgogne issue de Philippe le Beau, frère de Charles V, et dont les chefs de génération en génération, ayant ajouté à leur héritage la Flandre et plusieurs terres d’Empire, avaient oublié qu’ils étaient princes français : ils rêvaient de reconstituer, en amputant la France, un grand royaume « lotharingien », sorte de plate-forme économique européenne. Pour assouvir ces ambitions, ils n’avaient pas hésité à s’allier au roi d’Angleterre, et Philippe le Bon, père du duc Charles, avait été l’un des artisans du minable traité de Troyes (1421).
C’est dire combien entre Louis et Charles, l’arriéré de trahisons et de crimes pesait lourd. Dès le début de son règne, Louis XI avait vu se dresser contre lui une « Ligue du Bien public », vaste conjuration formée des grands vassaux de la Couronne dont le propre frère du roi, et, bien sûr, le jeune Téméraire qui n’était encore que comte de Charolais, furieux du rachat consenti par son père au roi de France de quelques villes des bords de Somme. Il y avait eu grand péril dans le royaume dont le sort, en 1465, s’était joué à quelques lieues de Paris, à Montlhéry, dans une bataille indécise, à la suite de laquelle le roi avait dû, par les traités de Conflans et de Saint-Maur, flatter ses vassaux par des cadeaux et des engagements qu’il n’avait nulle intention de tenir… On savait dès lors qu’il ne reculerait devant aucun scrupule, dès lors que serait en cause l’unité nationale.
C’était toutefois un roi de France vêtu d’étoffes grossières quelque peu étriquées, qui, en ce jour d’automne 1468, rendait visite à son cousin devenu duc de Bourgogne lequel, dans ses vêtements somptueux, se voyait déjà grand-duc d’Occident. L’entretien à peine commencé, Charles apprit que Liège se soulevait contre son autorité. Devinant que Louis soutenait les Liégeois, il fit aussitôt de son hôte son prisonnier. Pire, il obligea le roi à venir le regarder châtier sans ménagements cette population insoumise.
On ne pouvait imaginer pour Louis XI une pire situation. Il réussit toutefois à la retourner à son avantage ! Une fois de plus le rusé accepta de signer tout ce que demandait Charles, et même de donner la Champagne à son frère cadet, lui aussi prénommé Charles, et très peu sûr. Point dupe, le duc de Bourgogne sentit quand même qu’il ne pouvait aller plus loin : il relâcha Louis, reculant, dit Bainville, devant « la force morale que représentait le roi, le devoir qui liait le vassal, même le grand vassal, au suprême suzerain ».
Le Téméraire, dans cette affaire, avait grandement écorné son panache. Le fin Louis XI, pouvant compter sur l’armée permanente que lui avait laissée Charles VII, sut qu’il ne devait plus affronter directement cette tête brûlée, mais le laisser s’engager dans ses entreprises de plus en plus démesurées. Un jour de 1472, ne se contenant plus, Charles voulut envahir la Picardie, mais il fut rudement malmené par les femmes de Beauvais, Jeanne Laisné, dit Jeanne Hachette en tête. De son côté, Louis XI sut déjouer à Picquigny (1475) une tentative d’alliance entre le roi d’Angleterre et le Bourguignon (sinistre réminiscence…). À la suite de quoi, ce dernier, toujours plus avide au point de lasser même l’empereur, connut d’irrémédiables défaites dans les cantons suisses vers lesquels Louis XI l’avait habilement orienté, puis, pressé de marquer un grand coup d’éclat dans Nancy dont il rêvait pour capitale, il y rencontra en janvier 1477 une mort misérable, vaincu par les Lorrains qu’armait Louis XI !
Vraiment l’apparente humiliation de Péronne trouvait là, neuf ans plus tard, sa digne conclusion : le roi put récupérer aussitôt la Bourgogne, l’Artois, la Picardie. On touche ici assurément à un sommet de la subtilité et de la patience capétiennes : face au chêne trop sûr de lui, le roseau l’a emporté à force de plier.
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 15 mai au 4 juin 2008
Dauphin très turbulent, Louis XI avait succédé à son père Charles VII, l’ancien « petit roi de Bourges » qui, sacré par sainte Jeanne d’Arc, avait entrepris de redresser la France épuisée par cent ans de guerre. Pour continuer cet effort vital, Louis XI ne pouvait tolérer aucune agitation féodale dans son royaume, surtout pas celle du rejeton de cette maison de Bourgogne issue de Philippe le Beau, frère de Charles V, et dont les chefs de génération en génération, ayant ajouté à leur héritage la Flandre et plusieurs terres d’Empire, avaient oublié qu’ils étaient princes français : ils rêvaient de reconstituer, en amputant la France, un grand royaume « lotharingien », sorte de plate-forme économique européenne. Pour assouvir ces ambitions, ils n’avaient pas hésité à s’allier au roi d’Angleterre, et Philippe le Bon, père du duc Charles, avait été l’un des artisans du minable traité de Troyes (1421).
C’est dire combien entre Louis et Charles, l’arriéré de trahisons et de crimes pesait lourd. Dès le début de son règne, Louis XI avait vu se dresser contre lui une « Ligue du Bien public », vaste conjuration formée des grands vassaux de la Couronne dont le propre frère du roi, et, bien sûr, le jeune Téméraire qui n’était encore que comte de Charolais, furieux du rachat consenti par son père au roi de France de quelques villes des bords de Somme. Il y avait eu grand péril dans le royaume dont le sort, en 1465, s’était joué à quelques lieues de Paris, à Montlhéry, dans une bataille indécise, à la suite de laquelle le roi avait dû, par les traités de Conflans et de Saint-Maur, flatter ses vassaux par des cadeaux et des engagements qu’il n’avait nulle intention de tenir… On savait dès lors qu’il ne reculerait devant aucun scrupule, dès lors que serait en cause l’unité nationale.
C’était toutefois un roi de France vêtu d’étoffes grossières quelque peu étriquées, qui, en ce jour d’automne 1468, rendait visite à son cousin devenu duc de Bourgogne lequel, dans ses vêtements somptueux, se voyait déjà grand-duc d’Occident. L’entretien à peine commencé, Charles apprit que Liège se soulevait contre son autorité. Devinant que Louis soutenait les Liégeois, il fit aussitôt de son hôte son prisonnier. Pire, il obligea le roi à venir le regarder châtier sans ménagements cette population insoumise.
On ne pouvait imaginer pour Louis XI une pire situation. Il réussit toutefois à la retourner à son avantage ! Une fois de plus le rusé accepta de signer tout ce que demandait Charles, et même de donner la Champagne à son frère cadet, lui aussi prénommé Charles, et très peu sûr. Point dupe, le duc de Bourgogne sentit quand même qu’il ne pouvait aller plus loin : il relâcha Louis, reculant, dit Bainville, devant « la force morale que représentait le roi, le devoir qui liait le vassal, même le grand vassal, au suprême suzerain ».
Le Téméraire, dans cette affaire, avait grandement écorné son panache. Le fin Louis XI, pouvant compter sur l’armée permanente que lui avait laissée Charles VII, sut qu’il ne devait plus affronter directement cette tête brûlée, mais le laisser s’engager dans ses entreprises de plus en plus démesurées. Un jour de 1472, ne se contenant plus, Charles voulut envahir la Picardie, mais il fut rudement malmené par les femmes de Beauvais, Jeanne Laisné, dit Jeanne Hachette en tête. De son côté, Louis XI sut déjouer à Picquigny (1475) une tentative d’alliance entre le roi d’Angleterre et le Bourguignon (sinistre réminiscence…). À la suite de quoi, ce dernier, toujours plus avide au point de lasser même l’empereur, connut d’irrémédiables défaites dans les cantons suisses vers lesquels Louis XI l’avait habilement orienté, puis, pressé de marquer un grand coup d’éclat dans Nancy dont il rêvait pour capitale, il y rencontra en janvier 1477 une mort misérable, vaincu par les Lorrains qu’armait Louis XI !
Vraiment l’apparente humiliation de Péronne trouvait là, neuf ans plus tard, sa digne conclusion : le roi put récupérer aussitôt la Bourgogne, l’Artois, la Picardie. On touche ici assurément à un sommet de la subtilité et de la patience capétiennes : face au chêne trop sûr de lui, le roseau l’a emporté à force de plier.
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 15 mai au 4 juin 2008
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