samedi 4 février 2012

Le fédéralisme ethnique de Saint-Loup

« La jeunesse française qui, hier, vivait dans les ténèbres, à laquelle manquait un idéal, qui avait perdu la foi dans les destinées de la patrie, sera éblouie demain par la tâche qui l’attend : refaire l’Europe… « .
Pour la droite, du moins celle qui ne le méprise pas, Marc Augier dit Saint-Loup est le romancier des civilisations menacées et de l’Europe des patries charnelles… Deux thèmes qui jalonnent son œuvre depuis Solstice en Laponie, publié en 1939, où l’auteur expose déjà sa crainte de l’évangélisation et de la colonisation des peuplades lapones par les marchands de morale. Réflexion poursuivie sous l’Occupation, notamment dans des articles sur les Basques et les Bretons où Saint-Loup pose les premiers fondements du « fédéralisme ethnique » sur le principe duquel il veut organiser l’Europe . Soit dit par parenthèse, la défense des peuples menacés ne se limitait pas dans son esprit au seul territoire européen puisqu’il déclarait en 1941, dans un article sur l’avenir de l’Empire français : « Notre devoir en Afrique est de rétablir dans ses cadres historiques et raciaux une grande civilisation arabe et une grande civilisation noire ». Et c’est toujours l’Europe des ethnies que Saint-Loup, la foi gammée, est allé construire sur le front de l’Est en 1942.  Il est en effet convaincu, dès 1941, que l’Allemagne prépare une paix fondée sur un fédéralisme ethnique européen. A cette conviction s’ajoute encore l’idée, répandue autrefois dans  les milieux allemands révolutionnaires conservateurs, que l’avenir de l’Europe se trouve à l’Est, dans une Russie vaincue où elle pourra puiser des forces nouvelles: économiquement, racialement et spirituellement.
Avec le recul, on a bien entendu du mal à comprendre comment Saint-Loup a pu interpréter  — bien qu’il ne fut pas le seul à s’y méprendre — le pangermanisme hitlérien comme une tentative d’union de l’Europe sur la base de toutes les ethnies qui la composaient. Otto Strasser, qui manifestait dans les années trente la même intention de réorganiser l’Europe sur des fondements ethno-linguistiques était entré en dissidence du parti hitlérien. Chez Saint-Loup, cette méprise est plutôt à mettre sur le compte d’un anticommunisme fanatique forgé au contact des milieux de gauche de l’entre-deux-guerres.
« Nous voulons rester nous-mêmes »
Cependant, l’expérience du front russe imprime un infléchissement dans l’attitude de Marc Augier, qui ne se fait, dès lors, plus guère d’illusions sur les intentions allemandes. Ce que soulignent certains articles du Combattant Européen qui oscillent entre l’allégeance la plus complète et la prise de distance subtile à l’égard des Allemands. Ainsi écrivait-il à quelques mois d’intervalle, « Hitler, ça c’est un homme », et cette phrase qui montre son refus d’une Europe sous domination allemande: « Il ne s’agit pas de nous fondre dans une sorte de tout européen. Nous ne voulons pas plus être germanisés que russifiés. Nous voulons rester nous-mêmes, avec notre héritage national, tout en adoptant le style de vie moderne. Et nous voulons enrichir ce style de vie du génie français qui n’est pas un mythe ». La contradiction apparente entre ces deux propos est levée dès lors que l’on s’efforce de distinguer ce qui, d’un côté, relève de la fidélité inconditionnelle due aux siens et à un serment, et ce qui, d’un autre côté, se rapporte à la pensée propre de Marc Augier. C’est cette confusion entre le sentimental et le doctrinal qui a pu, après 1945, faire passer Saint-Loup pour un sectateur du national-socialisme alors même qu’il considérait l’Etat-nation comme un principe politique historiquement dépassé. On n’aura pas tort, toutefois, si l’on fait remarquer que ce trouble a été entretenu par Saint-Loup lui-même, qui s’est employé après la guerre à faire coïncider son expérience de la Waffen SS avec sa propre conception du monde. Dans Götterdämmerung, Les Volontaires et Les Hérétiques, Saint-Loup, rattrapé par son attachement quasi-viscéral aux siens, laisse en effet libre cours à ses phantasmes et conçoit l’existence d’une fraction oppositionnelle fédéraliste qui aurait tenté de s’emparer du pouvoir à l’intérieur du régime national-socialiste. Saint-Loup n’a jamais déposé l’uniforme.
Impératifs telluriques et patries charnelles
Refaire l’Europe! Mais pourquoi l’Europe des ethnies, des patries charnelles ? Parce que dans l’esprit de Saint-Loup, cette forme politique est la plus à même de résister aux idéologies dépersonnalisantes – libéralisme, christianisme, communisme —dissimulées sous les masques de l’universalisme et de l’internationalisme. Parce que les Etats-nations n’ont de contours qu’idéologiques. Parce que la patrie charnelle, la terre des pères, répond à une aspiration identitaire naturelle. « L’Europe doit donc être repensée à partir de la notion biologiquement fondée du sang (…) et des impératifs telluriques. (…) . Il ne peut exister que de petites patries charnelles nourries de cette double force. En effet, plus l’espace unifié s’étend, plus la réalité raciale se dilue par mélange et plus le territoire échappe à la propriété de l’individu au profit du groupe « . Saint-Loup fait de la race le moteur de l’histoire d’un peuple et du métissage la principale menace pesant sur une civilisation. Car l’homogénéité raciale est un élément de stabilité. La doctrine de Saint-Loup ne se manifeste donc pas sous la forme d’un nationalisme agressif et se rapproche bien davantage de l’ethno-différentialisme. Autrement dit, seul celui qui aime et défend son propre peuple est capable d’aimer et d’apprécier des peuples étrangers. L’affirmation d’un droit à la différence se substitue à l’impérialisme et Saint-Loup peut stigmatiser l’universalisme comme une idéologie raciste. C’est justement ce qui se joue dans La Nuit commence au Cap Horn, cet excellent livre aux allures de fresque gigantesque : les Indiens de la Terre de Feu sont victimes d’un méthodisme dangereux et d’un évangéliste plein de bonnes intentions mais incapable de concevoir un mode d’existence différent du sien. Un peuple succombe au colonialisme chrétien parce que le christianisme est inadapté à l’environnement dans lequel ce peuple évolue. Une civilisation meurt qui voit arriver des missionnaires, des fonctionnaires et des négociants. Cette thématique est aussi celle de La peau de l’aurochs publié pour la première fois en 1954 et qui vient enfin d’être réédité. Là encore une civilisation est menacée de disparition; une invasion dictatoriale, la conquête du machinisme se substituant peu à peu à la tradition agreste et catholique locale.
Socialisme de l’action et sources spirituelles de l’homme
Dans les ouvrages de Saint-Loup, la patrie charnelle apparaît tout à la fois comme une alternative politique, sociale et religieuse.
Politique d’abord, car elle est un rempart contre l’impérialisme.
Sociale ensuite, car elle vise à renforcer le sens de la communauté, qui est d’instinct purement ethnique. Elle repose sur ce que Saint-Loup appelle le « socialisme de l’action » qui est appelé à devenir la pièce maîtresse de la nouvelle Europe et qu’il définit comme un socialisme enraciné, une attitude du cœur, de la volonté, par opposition à la logique abstraite du marxisme-léninisme.
La patrie charnelle est enfin une alternative religieuse en ce sens qu’elle doit nous permettre de renouer avec nos racines païennes. Et avec une conception héroïque de la vie que le judéo-christianisme, religion du salut, avait étouffée. La patrie charnelle doit se concevoir en quelque sorte comme un retour aux sources spirituelles et sensorielles de l’homme. «Il s’agit pour l’individu de puiser aux sources de vie héroïques et esthétiques, de recevoir par conséquent l’enseignement du combat naturel et de tout ce qu’il implique : sélection des aristocraties par le combat de la vie, notion nouvelle du droit qui s’établit par l’action du plus fort et du meilleur, enfin recherche et application de la notion de beauté et de grandeur véritables». Le fédéralisme ethnique de Saint-Loup porte en fait une nouvelle conception de la société. Un paganisme héroïque et populaire qui renvoie à une image plus acceptable de la personne humaine.
En dépit des apparentes contradictions, l’itinéraire politique de Saint-Loup obéit à une logique parfaitement cohérente, où la volonté de s’affirmer chasse les crispations idéologiques. Se dessine un monde de grande santé physique et morale où tous les peuples ont le droit d’exister, pourvu qu’ils s’épanouissent dans leurs propres cultures. Au fil du temps, Saint-Loup a tissé une œuvre sincère au travers de laquelle s’exprime un esprit libre, qui a payé sa liberté de ton par la conspiration du silence dont on entoure son nom.
Jérôme MOREAU.
Notes :
(1) Marc AUGIER, « Jeunesse d’Europe, unissez-vous! », Causerie donnée le 17 mai 1941 sous les auspices du groupe Collaboration à la Maison de la Chimie – Paris.
(2) Marc AUGIER, « A la recherche des forces françaises », in La Gerbe, 4-9-1941 et 2-10-1941.
(3) Marc AUGIER, « La route de l’huile », in La Gerbe, 6-2-1941.
(4) Il faut toujours avoir à l’esprit, pour comprendre l’itinéraire politique de Saint-Loup, qu’il a fait ses premières armes au sein de la gauche « Front Populaire ». En effet, Marc AUGIER fut l’un des principaux animateurs et idéologues du mouvement des auberges de jeunesse (ajisme), il fut rédacteur en chef du Cri des Auberges de Jeunesse (revue du Centre Laïc des Auberges de Jeunesse), chargé de mission au cabinet de Léo Lagrange sous le gouvernement du Front Populaire en 1936 et proche de Jean Giono, son maître à penser, avec qui il participa à l’expérience pacifiste du Contadour. Pendant toute cette période de l’avant-guerre, c’est le pacifisme et la volonté d’unir la jeunesse européenne qui motivent son engagement. Représentant du CLAJ au Congrès Mondial de la Jeunesse qui eut lieu aux Etats-Unis en 1937, il se rendit cependant compte que les délégués communistes se livraient à une intense propagande belliciste contre l’Allemagne et l’Italie. De là date, de son propre aveu, ses premiers sentiments anticommunistes. A plusieures reprises, après 1941, Marc AUGIER considérera d’ailleurs la croisade européenne contre le bolchevisme comme le prolongement logique de son action passée au sein du mouvement ajiste.
(5) Marc AUGIER, « La fidélité des Nibelungen », in Le Combattant Européen, 30-9-1943.
(6) Marc AUGIER, « Ce siècle avait deux ans », in Le Combattant Européen, 15-6-1943.
(7) SAINT-LOUP,  « Une Europe des patries charnelles ? », in Défense de l’Occident, n°136, mars 1976.
(8) SAINT-LOUP, La Peau de l’aurochs. Paris : Editions de l’Homme libre, 2000.
(9) Marc AUGIER, Les Skieurs de la nuit. Paris : Stock, 1944, pp.16-17.
R.Steuckers

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