Le 2 février 962, à Rome, le Saxon Otton est couronné empereur d’Occident par le pape Jean XII. À 49 ans, il fonde ainsi le 1er Reich allemand.
Cette
tentative de reconstitution de l’empire de Charlemagne va perdurer
cahin-caha pendant huit siècles sous l’appellation de Saint Empire
romain germanique. Son titulaire sera appelé empereur d’Allemagne pour faire court.
Le 1er Reich sera aboli en 1806 par un autre prétendant à la succession de Charlemagne, Napoléon 1er !
André Larané.
Première poussée allemande vers l’Est
Otton
(ou Othon) a été sacré roi de Germanie à Aix-la-Chapelle, vingt-cinq
ans plus tôt, le 8 août 936, à la suite de son père Henri 1er l’Oiseleur (ainsi surnommé parce qu’il aimait la chasse au faucon).
Après
avoir brisé les révoltes des ducs et des grands féodaux allemands, il
octroie aux abbés et aux évêques de vastes possessions foncières,
s’érigeant de ce fait en protecteur de l’église allemande.
Il
fonde des évêchés dans les territoires enlevés à l’Est aux Slaves
païens : Oldenbourg, Brandebourg, Havelberg. Il installe aussi des
moines à Saint-Maurice de Magdebourg, sur l’Elbe, en vue d’évangéliser
ces territoires.
De la royauté à l’Empire
Otton
traverse les Alpes, soumet l’Italie et ceint en 951, à Pavie, près de
Milan, la couronne des rois lombards. Il contraint Bérenger II, marquis
d’Ivrée et roi d’Italie autoproclamé, à le reconnaître comme suzerain.
Par
la même occasion, il épouse Adélaïde (20 ans), déjà veuve de Lothaire,
le dernier roi carolingien d’Italie. Ce mariage le console de son
veuvage d’avec Édith, une princesse anglo-saxonne, et lui gagne la
reconnaissance de l’aristocratie italienne.
Peu après, en 955, la victoire d’Otton sur les Hongrois au Lechfeld,
au sud d’Augsbourg (Bavière), met un terme à la dernière invasion
barbare en Europe. Elle lui vaut un immense prestige auprès de ses
guerriers et des clercs d’Occident, qui songent à ressusciter pour lui
le titre impérial. Justement, Otton reçoit un appel du pape Jean XII,
dont les terres sont envahies par Bérenger II. Une bonne occasion pour
aller à Rome.
Un sacre tumultueux
Pour
protéger ses arrières, Otton fait reconnaître pour roi de Germanie le
fils qu’il a eu d’Adélaïde. Cet enfant lui succèdera sous le nom d’Otton
II (tous les futurs empereurs agiront de même avec leur fils à
l’instant d’aller en Italie chercher la couronne impériale).
L’infatigable guerrier redescend en Italie et restaure le pape dans ses possessions. Il peut enfin se faire couronner à Rome «Empereur et Auguste» («Imperator Augustus»).
Le
Saxon prétend restaurer l’empire carolingien dont le dernier titulaire,
Bérenger 1er de Frioul, était mort en 924 dans l’indifférence générale.
Comme son père et tous ses successeurs, il tient à s’asseoir sur le
trône de pierre de la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle, à la place de
Charlemagne.
Otton
est servi dans son projet par la personnalité proprement scandaleuse du
pape Jean XII : descendant d’un aventurier romain, ce jouisseur
invétéré a été porté par le peuple de Rome sur le trône de Saint Pierre,
sept ans plus tôt, à 18 ans, sur un ordre de son père !
Jean
XII couronne Otton pour le remercier de l’avoir sauvé des griffes de
Bérenger II et le nouvel empereur s’autorise en retour un droit
d’intervention sur les élections pontificales à venir. Mais à peine
a-t-il le dos tourné que le pape s’allie à son ancien ennemi, Bérenger
II ! Otton n’apprécie pas la plaisanterie et revient sur ses pas.
Le
6 novembre 963, il fait déposer le pape pour immoralité par un concile
d’évêques. C’est une première dans l’Histoire de l’Église ! Après
quelques nouvelles élucubrations, Jean XII meurt l’année suivante, sans
doute assassiné par un mari jaloux !…
Otton
n’en a pas pourtant fini avec Rome. Jusqu’à sa mort, l’aristocratie
romaine va lui disputer le droit de désigner le nouveau pape. Cette
querelle est symptomatique de la décadence de la papauté en ce milieu du
Xe siècle, à la veille de l’An Mil.
Pour
terminer son règne en beauté, Otton 1er unit son fils, le futur Otton
II, à une princesse byzantine, la belle Theophano, en vue de rapprocher,
voire d’unir, les deux empires chrétiens.
Le
mariage a lieu le 14 avril 972 à Rome mais il ne débouchera pas sur
l’union rêvée… C’est que Theophano n’est que la nièce de l’empereur
byzantin régnant, Jean Tzimiscès. Elle n’est pas «porphyrogénète», c’est-à-dire née dans la chambre de pourpre des empereurs.
Otton le Grand meurt l’année suivante, le 7 mai 973, à Memleben.
L’élection et la Diète d’Empire
Otton
le Grand et ses successeurs ne sont jamais arrivés à affermir leur
autorité. En l’absence de succession héréditaire, à chaque vacance du
trône, le choix du titulaire est resté soumis au vote des principaux
barons d’Allemagne, réunis en Assemblée d’Empire ou Diète.
D’une
élection à l’autre, le nombre d’électeurs habilités à choisir
l’empereur se réduit au fil des siècles à sept, nombre est fixé par la Bulle d’or
de l’empereur Charles IV de Luxembourg (1356) : les archevêques de
Trèves, Mayence et Cologne, le duc de Saxe, le roi de Bohême, le
margrave de Brandebourg (futur roi de Prusse) et le comte palatin du
Rhin.
Tirant
parti de leur très petit nombre, ces personnages ô combien influents
profitent des élections pour marchander un renforcement de leurs
privilèges et de leur autonomie.
Les
empereurs, une fois élus, comptent sur leurs belles et riches
possessions italiennes pour restaurer leurs finances ébréchées par
l’élection. Leur autorité en Allemagne même ne manque pas d’en souffrir.
Le comble des marchandages est atteint pour l’élection de Charles Quint
le 28 juin 1519 avec la complicité intéressée du richissime banquier
Jacob Fugger.
Affaiblie par ces élections «intéressées», l’Allemagne attendra 9 siècles avant de devenir un État national.
Un Empire virtuel
En
se faisant couronner par le pape à Rome, Otton le Grand a tenté de
suivre l’exemple de Charlemagne, qui avait choisi Aix-la-Chapelle pour
capitale, s’était fait couronner roi des Lombards et empereur
d’Occident… près de deux siècles plus tôt.
Mais sans infrastructures ni administration, le nouvel empire apparaît comme une pâle copie
de l’empire carolingien, lui-même copie de l’empire romain disparu
depuis près de 500 ans. L’empire d’Otton couvre le royaume de Germanie,
ou d’Allemagne, et le royaume d’Italie, limité à la Lombardie. Quelques
décennies plus tard, en 1032, il s’adjoindra le royaume de Bourgogne,
dernier avatar de la Lotharingie carolingienne.
Après le schisme religieux entre le pape et le patriarche grec de Constantinople, l’empire d’Occident se fait appeler «Saint Empire romain» (sacrum imperium) pour mieux se distinguer de l’empire byzantin d’Orient.
À
la fin du Moyen Âge, au XVe siècle, avec l’avènement de Maximilien 1er,
le titre impérial tombe définitivement dans la famille des Habsbourg.
En 1486, tandis que se développent partout en Europe les consciences nationales, on en vient à parler du Saint Empire romain germanique ou mieux encore du «Saint Empire romain de la nation germanique» («Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation» en allemand). Tout un programme…
Charles Quint,
élu le 28 juin 1519, est le dernier empereur à recevoir la consécration
pontificale. Après lui, l’empire se cantonne à l’Allemagne et
l’empereur n’a d’autorité que sur les États héréditaires des Habsbourg,
essentiellement l’archiduché d’Autriche et les royaumes de Bohême et de
Hongrie.
Le
titre impérial devient exclusivement honorifique à partir des traités
de Westphalie (1648). Le dernier titulaire, François II, est affaibli
par la défaite de ses armées face aux troupes françaises. Il craint avec
raison que le vainqueur, qui lui-même s’est élevé à la dignité d’empereur des Français sous le nom de Napoléon 1er, ne tire un trait sur le Saint Empire romain germanique, ou empire d’Allemagne.
François
II choisit de prendre les devants et renonce à son titre dès août 1804
pour celui, plus significatif, d’empereur d’Autriche et roi de Bohème et
de Hongrie, sous le nom de François 1er d’Habsbourg-Lorraine. Son
nouveau titre rappelle qu’il est souverain absolu dans ses États
héréditaires, extérieurs pour l’essentiel à l’empire d’Allemagne. Ce
dernier est officiellement dissous deux ans plus tard, le 6 août 1806, à
l’initiative de Napoléon 1er, qui fonde en remplacement une éphémère
Confédération du Rhin.
Bibliographie
Sur la naissance et les premiers pas du Saint Empire, on peut lire avec profit la très complète étude de l’historien Francis Rapp : Le Saint Empire romain germanique, d’Otton le Grand à Charles Quint (Tallandier, octobre 2000, 360 pages, 150 FTTC).
La France et le Saint-Empire romain germanique
Il était
étrange, en l’an 2000, d’entendre un ancien ministre français de
l’Intérieur évoquer le Saint Empire romain germanique. Jean-Pierre
Chevènement appréhendait sa restauration sous la forme d’un protectorat
de l’Allemagne sur les pays d’Europe centrale.Le Saint Empire est mort il y a deux siècles (en 1806) et, pendant les 5 derniers siècles de son existence, il n’a été qu’un hochet entre les mains des Habsbourg qui régnaient à Vienne, aux marches de l’Allemagne.
Aussi longtemps que dura le Saint-Empire, jamais les Allemands n’agressèrent la France, sauf à Bouvines en 1214. Ils étaient trop divisés et leur empereur n’avait pas assez d’autorité pour les engager dans une guerre d’agression… De toute façon, il ne s’intéressait pas plus aux Français qu’à ses sujets allemands. Il n’avait d’yeux que pour les Italiens.
A deux reprises seulement, sous François 1er et sous Richelieu (il y a 450 ans et 365 ans !), la France se sentit menacée par l’empereur, mais c’était en tant que souverain de l’Espagne et des Pays-Bas.
L’Allemagne en tant que telle, et la Prusse qui la précéda, ne menacèrent la France qu’entre 1866 (bataille de Sadowa entre la Prusse et l’Autriche) et 1945, soit pendant moins de 80 ans. A comparer avec les 10 siècles d’existence de la France.
Si les Français veulent à tout prix se trouver un «ennemi séculaire» ou «héréditaire», ils doivent regarder non vers le Rhin mais vers l’Angleterre. Depuis le couronnement du roi Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine, en 1154, jusqu’à l’affaire de Fachoda, en 1898, soit pendant plus de 700 ans, les deux pays ne cessèrent presque jamais de se combattre ! La seule période de véritable entente remonte aux règnes de Louis-Philippe 1er et Napoléon III.
En 1898, les républicains nationalistes envisageaient encore de faire la guerre à la «perfide Albion» de préférence à l’Allemagne. En 1919, au traité de Versailles, le républicain Georges Clemenceau prit le risque d’ouvrir un boulevard à Hitler en laissant disparaître l’empire des Habsbourg, qu’il avait en haine.
Au vu de ces rappels historiques, il est regrettable que les séquelles douloureuses d’un passé proche n’en finissent pas d’obscurcir la conscience de nos meilleurs citoyens.
http://www.herodote.net
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