Pour
aborder la problématique qui nous occupe aujourd’hui, posons d’emblée
deux questions : est-il nécessaire d’avoir une constitution ? Quelle
attitude prendre face au double « non » français et néerlandais ?
Répondre à ces deux questions nous permet de formuler plus aisément
notre propre point de vue dans cette problématique, de rappeler
quelques-unes de nos options philosophiques et politiques fondamentales.
Nous
le disons sans ambages : oui, il est nécessaire d’avoir une
constitution européenne, ou du moins un ensemble de directives
clairement énoncées, car nous refusons le point de vue anglais, défendu
depuis le « règne » de Margaret Thatcher, point de vue qui entend
pérenniser une confédération lâche, à géométrie variable, qui ne serait
qu’un simple espace de libre-échange économique, dans lequel on
entrerait et duquel on sortirait comme si ce n’était qu’un bête
supermarché. Contrairement à cette position thatchérienne, nous voulons,
nous, une Europe structurée, solidement charpentée, capable de pallier
les lacunes des Etats nationaux résiduaires. Or l’Europe que l’on nous
propose, aujourd’hui, par le biais d’un modèle constitutionnel
insuffisant, reposant sur des idéologèmes boiteux ou sur des bricolages
de type administratif, n’est ni l’Europe à la Thatcher ni une Europe
structurée, tout simplement parce qu’elle est une Europe libérale et que
le libéralisme est rétif à toute structuration de nos existences
politiques, du fait de son « impolitisme » intrinsèque.
Insuffisance de la protestation française et néerlandaise
Quant
aux deux « non » français et néerlandais, ils ne rencontrent ni notre
franche hostilité ni notre franche approbation. Nous sommes également
conscients des insuffisances de cette protestation et du danger que
recèle le souverainisme français pour le salut de notre aire
civilisationnelle. La volonté de ce souverainisme de faire
systématiquement bande à part, de se mettre en marge des affaires du
continent, de réchauffer le vieux plat insipide de la germanophobie
maurrassienne, sape la nécessité impérieuse d’unir toutes les forces
européennes autour d’un Axe, comme celui que préconisait naguère Henri
de Grossouvre dans son fameux ouvrage « L’Axe Paris-Berlin-Moscou ».
Quant à un certain isolationnisme néerlandais, il pourrait s’avérer tout
aussi dangereux, dans la mesure où il est l’héritier de ce
sécessionnisme calviniste qui a porté des coups très durs à la seule
institution européenne légitime : le Saint Empire. Christoph Steding,
dès les années 30, avait démontré la nocivité de l’anti-impérialité
néerlandaise et helvétique, née aux 16ième et 17ième siècles, dans la mesure où elle générait un désintérêt égoïste pour le sort général du continent et de sa civilisation.
Mais
si nous sommes conscients des insuffisances des protestations française
et néerlandaise, nous ne cachons pas notre sympathie pour d’autres
sentiments qui ont poussé les Français et les Néerlandais à voter
« non » lors des référendums sur la Constitution européenne. En effet,
les sentiments que recouvrent ces deux « non » sont multiples et variés
et ne sont nullement assimilables au souverainisme ou à
l’anti-impérialité, que nous dénonçons avec vigueur. Parmi les
sentiments positifs qui se profilent derrière ces « non », il y a le
rejet de la classe politique actuelle, jugée de plus en plus
incompétente et de plus en plus arrogante ; ensuite, il y a le refus
d’une Europe à l’enseigne d’un libéralisme économique sans freins réels.
L’impasse du souverainisme : ne pas s’y égarer
En
résumé, l’hostilité du souverainisme, qui s’insinue même dans les
discours des formations identitaires (toutes étiquettes confondues) en
francophonie, est une hostilité fondamentalement idiote et nous ne nous
appesantirons pas sur la question ; nous n’allons pas retourner aux
sources perverses et criminelles de ce souverainisme, qui a ruiné
l’œuvre de notre Empereur Charles-Quint, a pactisé avec l’ennemi
ottoman, a mis bon nombre de nos provinces au pillage et aux
déprédations les plus abominables (comme l’incendie de Bruxelles en
1695). Bon nombre d’auteurs, dont le Carolorégien Drion du Chapois, ont
déjà démontré l’intrinsèque perversité du séparatisme gaulois au sein de
la civilisation européenne. Aucun souverainiste français n’est pour
nous un interlocuteur valable et nous ne pouvons que rire et applaudir à
l’acte polisson de notre compatriote Noël Godin, alias Le Gloupier, ou
l’Entarteur, qui a écrasé une belle tarte à la crème, bien mousseuse,
sur la figure de Chevènement, l’un des plus écoeurants exposants de
cette lèpre souverainiste, qui avait osé venir ici, en Wallonie, pour
prêcher le rattachement de nos provinces impériales à son machin
républicain, qui prend l’eau de partout et dont les « nouveaux
citoyens », venus de partout et de nulle part, sont en train de faire
tourner en bourrique, à coups de cocktails Molotov, en ce mois de
novembre 2005. C’est cette « République », soi-disant « souveraine »,
battue en brèche par ses immigrés chéris, que l’on nous obligerait donc à
aduler ? Au revoir et merci ! Gardez bien votre cadeau empoisonné ! Timeo Gallos et dona ferentes !
En
revanche, l’hostilité au libéralisme, que dégage ce double refus
français et néerlandais, est intéressante à plus d’un titre ; elle
annonce une véritable alternative, car c’est justement l’essence
libérale de l’Union Européenne, de la constitution qu’on nous propose,
qui fait que, dans de telles conditions, nous n’aurons jamais une Europe
structurée, telle que nous la souhaitons. La brèche ouverte dans les
certitudes eurocratiques par les refus français et néerlandais permet
d’envisager de nombreuses solutions alternatives, solidaristes,
euro-révolutionnaires, néo-socialistes. Ce refus doit être analysé en
parallèle avec les propositions de la nouvelle gauche la plus dynamique
actuellement, celle des altermondialistes d’ATTAC, qui suggèrent tout à
la fois des pistes intéressantes et des poncifs profondément imbéciles.
Il faut cependant l’avouer, les positions d’ATTAC sont bien présentées,
ont le mérite de fournir un cadre de référence, qu’il nous suffira de
reprendre, de modifier et d’étoffer, sur bases d’idéologèmes moins
niais. Car tous les éléments de niaiserie que nous trouvons dans ce
discours d’ATTAC sont voulus par ceux qui téléguident cette contestation
pour l’enliser irrémédiablement dans les sables mouvants de
l’irréalisme impolitique. Le système génère aujourd’hui sa contestation à
la carte, que l’on « spectacularise » sur les petits écrans, comme
l’avait bien vu Guy Debord, en exhibant par exemple le mort de Gênes ou
les bris de vitrines de Nice, pour montrer fallacieusement qu’elle est
une vraie contestation, une vraie de vraie, et qu’il n’y en a pas
d’autres, et donc qu’il est inutile de militer pour en fabriquer une.
Qui serait évidemment incontrôlable. Du moins dans un premier temps…
Multiples ambiguïtés d’ATTAC
En
vrac, ATTAC dénonce, à juste titre, le caractère anti-social de la
constitution ultra-libérale que viennent de refuser les citoyens
français et néerlandais. Cette constitution néglige les volets sociaux,
nécessaires à une Europe stable, néglige la nécessité d’une juste
redistribution, néglige les secteurs non marchands, dont la solidité et
la durée sont les meilleurs indices du niveau de civilisation, néglige
toutes les questions d’environnement. ATTAC réclame dont une Europe de
la solidarité, vœu que nous partageons. Mais, notre question critique
fuse immédiatement : cette solidarité peut-elle advenir si, comme ATTAC,
on continue à véhiculer les poncifs les plus éculés de l’idéologie
dominante (dont le libéralisme), des idéologues fanés du
soixante-huitardisme tardif ou de cette idéologie festive, que dénonce
le plus pertinent des philosophes français contemporains, Philippe
Muray ?
Quelques
exemples : les petits manifestes d’ATTAC, parus dans la série « Mille
et une Nuits », que l’on trouve jusque dans les rayons de nos
supermarchés, ne nous disent pas un mot sur la défense (même si ATTAC
veut se débarrasser de l’OTAN), alors qu’un espace qui veut garantir la
solidarité entre ses citoyens doit, quelque part, garantir ses
frontières, les protéger et protéger les institutions et les pratiques
de la solidarité. Pour avoir la solidarité, il faut la paix, il faut que
rien ne trouble cette solidarité ; pour avoir la paix, il faut préparer
la guerre, selon le bon vieil adage latin « Si vis pacem, para
bellum ». Pour que l’Europe vive en paix, pour qu’elle soit justement
cet espace de la norme et de la diplomatie, il faut qu’elle détienne la
puissance, face à un nouveau yankeeïsme qui rejette les normes au profit
de l’arbitraire guerrier et qui jette la diplomatie aux orties sous
prétexte qu’eux, les Américains, sont les « fils de Mars » (par
procuration : ce sont les Mexicains illégaux qu’on envoie en Irak), et
que nous, lâches, sommes les « fils de Vénus ». Si ATTAC ne veut pas la
puissance, alors ATTAC ment en réclamant une solidarité illusoire, parce
qu’aucune puissance ne pourra jamais la garantir.
Le fétichisme du « contrôle démocratique »
De
même, suite logique de ce silence sur la défense et sur la puissance,
ATTAC ne formule pas une critique suffisamment serrée de l’impérialisme
américain (et pour cause : car qui pourrait bien téléguider le
mouvement, en vertu des expériences longuement acquises des « special
psyops »…). Ensuite, autre tare de ce discours altermondialiste : on y
repère à longueur de pages un fétichisme du « contrôle démocratique » ;
dans cette optique, ATTAC se plaint qu’aucune décision n’est possible à
vingt-cinq à la Commission. Remarque pertinente. Nous n’en disconvenons
pas. Mais pour échapper au caractère hétéroclite du processus de
décision boiteux de la Commission, ATTAC suggère un renforcement du
poids du Parlement Européen. Mais ce parlementarisme ne conduira-t-il
pas à de pires enlisements sinon à la paralysie totale ? Si la décision
est jugée impossible dans une Commission aux effectifs finalement
limités, par quel coup de baguette magique pourrait-elle devenir
possible dans un Parlement encore plus bigarré ?
Autre
fétichisme pénible dans la littérature d’ATTAC : celui du « laïcisme ».
ATTAC, du moins ses antennes françaises, estime que c’est tout naturel
de transposer le bric-à-brac idéologique, le sous-voltairianisme, de
l’idéologie laïque républicaine, à l’échelle de l’Europe entière, alors
que ce laïcisme n’existe pas, n’a jamais existé, dans les pays
catholiques et protestants ni a fortiori dans la Grèce orthodoxe. Ni
dans la zone baroque de l’Europe qui englobe la péninsule ibérique, les
anciens Pays-Bas espagnols puis autrichiens, la Bavière, l’Autriche, la
Croatie. Aucune pratique ne peut s’articuler autour de ce laïcisme
abscons dans des pays autres que la France.
Avant-dernière
incongruité dans le discours d’ATTAC, mais elle participe du même oubli
de la défense et du même refus de la puissance : les auteurs de ses
nombreux manifestes réitèrent sans cesse leur hostilité à toute
militarisation. Par conséquent, ils veulent une Europe impuissante, et
donc ipso facto vassale (du plus fort et du mieux armé), et, par suite,
une Europe qui ne bénéficie ni d’une indépendance énergétique ni d’une
indépendance alimentaire.
Le fétichisme des « flux migratoires »
Dernière
incongruité : le fétichisme récurrent à l’endroit des « flux
migratoires », qu’ATTAC considère, bien évidemment, à l’instar de toutes
les idéologies et de tous les médias dominants, comme un bienfait des
dieux, comme l’instrument de la parousie finale, une parousie aussi
naïve que celle des témoins de Jéhovah qui croquent, avec des dessins
niais, une fin du monde, où l’on voit des petits moutons gambader entre
les pattes de lionnes somnolentes, tandis que des hommes de toutes les
races vaquent à des occupations idylliques, pique-niquent en famille ou
lisent les écritures saintes (il y a bien des similitudes entre la
stupidité des gauchismes rousseauistes et les pires élucubrations
sectaires des protestantismes dissidents anglo-saxons). Par définition,
pour ATTAC, les « flux migratoires » sont positifs. Or bon nombre de
cénacles, y compris et surtout à gauche, à l’ONU et à l’UNESCO, font le
constat que ces « flux migratoires » font essaimer des diasporas, qui se
ghettoïsent, puis génèrent des réseaux mafieux et des économies
parallèles incontrôlées (et incontrôlables), qui se meuvent en nos
sociétés comme poissons dans l’eau justement parce que l’Europe qu’on
nous fabrique ou veut nous imposer est libérale, néo-libérale,
ultra-libérale. Les flux migratoires, quand ils accouchent de phénomènes
mafieux, accentuent le poids du néo-libéralisme, tant sur les
travailleurs précarisés dans leur emploi que sur les PME, fragilisées
devant les grands consortiums et la concurrence des entreprises non
déclarées. ATTAC nage en pleine contradiction, d’une part, en fustigeant
à tous crins le néo-libéralisme et, d’autre part, en applaudissant
bruyamment à des phénomènes migratoires qui accentuent toujours
davantage les maux de ce néo-libéralisme.
ATTAC : une vision du temps totalement erronée et aberrante
Par
conséquent, la critique que formule ATTAC contre le néo-libéralisme, la
société marchande, est certes légitime et utile, -et nous en
partageons les postulats- mais elle est lacunaire, contradictoire et
incomplète, et doit, par conséquent, être étoffée par des options
populistes, traditionalistes, futuristes (archéofuturistes), qui puisent
dans les archétypes (sociétaux, mythiques, juridiques) la force de se
projeter énergiquement vers un avenir solide, parce que reposant sur des
bases d’une grande profondeur temporelle. Dans une perspective qui
serait réellement alternative, l’histoire, le temps qui passe, ne serait
pas une ligne vectorielle qui s’élancerait d’un lointain et obscur
point de moindre valeur, en amont dans le temps, vers un point
d’excellence indépassable et parousique, en aval dans le temps, en
accumulant sans cesse, dans cette course, de la plus-value, sans jamais
subir aucun ressac ni aucune contrariété, mais, bien au contraire, pour
nous et contre les opinions frelatées de cette armée de pitres et de
jocrisses, l’histoire serait un jeu de systole et de diastole sur un
plan non plane mais sphérique (et donc perpétuellement rotatoire), qui
implique l’éternel présent, en acte, en jachère ou en puissance, de
forces dynamisantes ou figeantes, à proportions égales, qui ont agi dans
le passé, demeurent peut-être tapies et silencieuses, en jachère, dans
le présent et réagiront un jour dans le futur, retournant subitement de
la puissance, première ou secondaire, à l’acte ; ou opérant un retour en
force au départ d’une situation préalable, volontaire ou forcée, de
retrait (« withdrawal-and-return », disait Toynbee) ou ré-émergeant sous
des oripeaux en apparence nouveaux dans une société apparemment
transformée par un bouleversement quelconque (la « pseudo-morphose » de
Spengler).
Voilà
pourquoi il est impératif de maintenir les différences entre les
hommes, les diversités, la pluralité, car chaque élément original peut
contribuer à créer ou recréer un futur également original. Une humanité
homologuée n’a plus de réponse alternative possible. Elle répéterait ce
qui a été « normé » auparavant, comme un mouvement mécanique perpétuel,
comme un interminable tic-tac d’horloge, sans autre musique. Voilà pour
une petite précision philosophique.
En
conclusion : ATTAC reste collé à une vision bêtement vectorielle du
temps et de l’histoire et se condamne dès lors à ne rien comprendre aux
conflits contemporains, qui sont souvent les tributaires ou les
rééditions de conflits antérieurs, d’ordre religieux comme ceux qui
opposent chiites et wahhabites ou hindouistes et musulmans, qui ont
ré-émergé sur la scène internationale récemment, alors que les
« vectorialistes » les avaient trop vite considérés comme morts parce
qu’ils relevaient tout simplement d’une antériorité temporelle, et parce
que, pour eux, toute antériorité est nécessairement morte, non de fait
(comme les événements le prouvent) mais selon l’erreur récurrente, naïve
et méchante de cette vision vectorialiste du temps et de l’histoire.
Vision méchante parce que la contrariété qu’elle suscite, face aux
faits, débouche sur des colères d’impuissance, des redoublements de
rage, sur des appels hystériques à la « judiciarisation » de toute
contestation de son modèle vectorialiste infécond, et sur des volontés
de poursuivre le projet, d’avance avorté, en en maximisant l’intensité.
Nous risquerions bien vite de devenir tous victimes de cette rage. La
nomocratie débouche immanquablement sur un univers sinistre, tel celui
que nous a croqué Orwell dans son fameux roman contre-utopique, 1984.
Les 448 articles de la Constitution
Revenons
à la question de la constitution. Au total, la Constitution que l’on
nous propose et qu’ont refusée les Français et les Néerlandais, compte
448 articles.
La
partie première, comptant 60 articles, traite des critères
d’appartenance (nous y reviendrons). La partie deuxième, traite des
droits fondamentaux et compte 54 articles. ATTAC s’en satisfait, se
borne à dire qu’il n’y a pas de droits nouveaux inclus dans ces 54
articles. Notre critique commencerait par déplorer le silence, tout
libéral, de cette constitution quant aux droits « ontologiques », de
l’homme, c’est-à-dire des droits reposant sur sa constitution intime
d’être vivant, produit biologique de générations précédentes, appelé à
produire des générations futures. Toutes les constitutions vantées par
les idéologies dominantes avancent des droits abstraits plutôt
qu’ontologiques, noient le sens du droit sous un fatras de « droits »
tombés du ciel, fabriqués par l’imagination de philosophes
pétitionnaires plutôt qu’observateurs du réel. Nous entendons rétablir
des droits, tels qu’il en a toujours existé en Europe, car la démocratie
réelle ne date pas d’hier ni des philosophes pétitionnaires du 18ième
siècle (la Vieille France de l’ancien régime n’était pas un désert
juridique). La démocratie grecque, romaine-républicaine, germanique,
islandaise ou autre (dont la pratique de la « ruggespraak » dans nos
comtés et duchés thiois) est plus ancienne et plus concrète que celle
qui procède de l’idéologie de 1789, qui a biffé tout caractère organique
de son projet et de sa pratique. Au bout du compte, nous avons,
déguisées en démocratie, de lourdes batteries de normes contraignantes,
sous des dehors qui se veulent « bons » ou « bonistes », comme disent
nos amis italiens.
1789 : une gifle à la classe ouvrière
Quand
des agités parisiens proclament en 1789 les droits de l’homme, ils
imaginent inaugurer une ère de démocratie et d’égalité. Deux ans plus
tard, avec la fameuse Loi Le Chapelier, les structures corporatives de
représentation de la classe ouvrière, de défense de leur droit, de
garanties diverses, sont rayées d’un trait de plume. C’était les seules
structures de représentation des compagnons, apprentis et petites gens.
Elles ne sont remplacées par rien. L’ouvrier reçoit un carnet, véritable
fiche de police prouvant son statut inférieur, en dépit des délires
verbeux sur l’égalité. Il faudra le long combat ouvrier et syndical du
19ième aux « Trente Glorieuses » pour restaurer des
structures équivalentes, rapidement battues en brèche par le
néo-libéralisme, dès le début des années 80, pour déboucher sur la
précarité actuelle, à laquelle sont directement confrontés ceux d’entre
vous qui militent à « Renaissance sociale ». De 1789 au Code Napoléon,
période où émerge et s’impose par la terreur et la force le droit
libéral, tous les droits hérités des collectivités concrètes, des
communautés charnelles, des communautés monacales, des structures
claniques, gentilices ou familiales sont éliminés au profit de droits
attribués au seul individu abstrait, isolé, égoïste, non participant (et
par conséquent formaté, homogénéisé, homologué, bref, une individu sans
tripes, écervelé, éviscéré).
Dans
la partie troisième, constituant 72% du traité constitutionnel, avec
332 articles, sont décrits une masse impressionnante de mécanismes
froids et monstrueux, qui ne pourront jamais être soumis à aucun
suffrage, tout en étant bel et bien imposés par des technocrates. ATTAC
s’insurge, et ici à juste titre, contre ce technocratisme, cette
froideur procédurière. Mais c’est, une fois de plus, une protestation
qui ne mène à rien parce qu’elle repose sur une contradiction de taille.
Comme toute gauche qui se respecte en France, ATTAC se réclame
évidemment des grrrrrands principes de 1789, qui ont conduit très vite à
l’exclusion des classes ouvrières de toute représentation. Or ces
principes veulent l’avènement d’un citoyen nouveau, débarrassé de tous
les reliquats du passé, éduqué selon des principes radicalement
rénovateurs. Or ATTAC, tout en se pâmant devant ses principes, s’insurge
simultanément contre les 72% ou les 332 articles de cette Constitution
européenne car ils induisent des mécanismes froids, mécanismes froids
qui veulent changer l’homme, comme les principes de 1789 voulaient le
changer. Les mécanismes de ces 332 articles de la partie troisième ne
sont finalement qu’un avatar démesuré, gigantomaniaque, de ces principes
et ces derniers sont à la base de tous ces projets fumeux de
« changer » l’homme, comme s’il relevait d’une panoplie de meccano, donc
on change les agencements au gré des modes et des vents. Pourquoi le
mouvement ATTAC applaudit-il donc aux principes et s’insurge-t-il contre
les avatars mêmes de ces principes ? Mystère et boule de gomme ! Mais
assurément : contradiction de taille ! Et de la taille d’un diplodocus
double mètre !
De nouvelles féodalités basées sur des procédures et des administrations
Les
332 articles incriminés veulent effectivement changer l’homme européen,
le réduire à un numéro, le rendre docile, conforme, le normaliser.
Cette nature purement abstraite, cette volonté d’éradiquer l’ontologique
hors de l’homme (lors même qu’il revient toujours à l’avant-plan),
explique le rejet dont cette constitution fait l’objet. La nature
purement administrative de ces 332 articles débecte les peuples, qui se
lassent du procédurier. Un procédurier qui prend souvent des allures
franchement comiques, comme quand des antennes de la Commission se
mettent en tête de réglementer les dimensions et les modes de
fonctionnement des pièges à rats dans l’UE (1).
Mais
l’administratif et le procédurier n’ont pas que des effets bouffons :
ils sont le plus souvent cruels, implacables, kafkaïens, qu’ils relèvent
de la machine Etat ou d’institutions privées pachydermiques (l’adjectif
est de Toffler), comme, chez nous, les banques, les compagnies
d’assurance, les mutuelles devenues tentaculaires, Electrabel, Sibelgaz
ou Belgacom, intouchables de par leurs dimensions démesurées.
L’administratif
et le procédurier sont les produits pervers et dangereux d’un long
processus de pétrification des sociétés européennes, commencé par les
philosophades des Lumières, qui fustigeaient l’incomplétude des
traditions pour mieux pouvoir les éliminer ; elles ont ensuite été
relayées par leur traduction politique, la sinistre révolution
française, qui multipliait déjà les obligations de détenir des
certificats, des attestations, d’être encarté de toutes les manières
possibles et imaginables, tandis que le modèle carcéral de ce 18ième
siècle finissant était déjà la prison panoptique, où tout et tous
étaient vus depuis le sommet de la tour de contrôle. Michel Foucault
nous avait dit que cette prison panoptique était devenue le modèle
social dominant aujourd’hui. Il n’avait pas tort, avant de sombrer dans
ses bouffonneries gauchisantes. De la prison panoptique au Château ou au
Procès de Kafka, il n’y a qu’un pas.
Le sociologue allemand Ferdinand Tönnies, pour sa part, parlait, dans la première décennie du 20ième
siècle, du passage de la « communauté », charnelle, avec ses rapports
interpersonnels directs et humains, à la « société » froide, indirecte
et déshumanisée. Ce processus a commencé dans le sang, il se termine
dans la tyrannie grise mais incontournable, exercée au nom de quelques
coquins, par des centaines de milliers de médiocres à qui on a donné des
prérogatives, faute de les faire œuvrer intelligemment, avec leurs
mains dans des ateliers ou leur cerveau dans des établissements
d’enseignement, avec leur cœur dans des institutions caritatives.
Responsabilisation
Une
« féodalité » épaisse, opaque, est ainsi née qui attend, nous
l’espérons, d’être un jour définitivement abattue, pour le salut des
hommes et des lignées de demain : nous devons travailler à l’avènement
d’une société d’où les administratifs auront disparu ou auront été
réduits à des quantités très négligeables, tout simplement parce qu’on
les aura « responsabilisés », rendus responsables de leurs travers,
dépouillé de leur impunité, donc justiciables pour les pertes de temps
qu’ils causent, pour les maladies nerveuses qu’ils répandent dans la
société à cause de leurs exigences, pour les dénis de dialogue qu’ils
répètent à satiété, pour les abus de pouvoir dont ils se rendent
coupables (2). Dans une société libérée de leur présence, un médecin,
par exemple, ou un philosophe, pourra incriminer, sans appel, sans le
truchement de juristes professionnels, un employé administratif (de
l’Etat ou du privé) qui pourra être puni et emprisonné sans autre forme
de procès, l’exercice de sa fonction pouvant être aisément remplacé, par
simple interchangeabilité, ou n’étant pas directement utile au
bien-être et au développement qualitatif de la société.
L’objectif
est de rendre du pouvoir à ceux qui, médecins ou
philosophes/enseignants (3), sont en contact avec l’homme réel, avec ses
ratés et ses fonctionnements variables, contre ceux qui lui appliquent
des rythmes répétitifs sans tenir compte d’aucun aléa somatique ou
psychologique ni d’aucun critère culturel ni d’aucune insertion dans un
processus de longue durée, qui doit demeurer pour conserver stabilité à
l’ensemble sociétal. Les peines, prononcées à la suite de ces plaintes
médicales ou enseignantes, devront être effectuées dans les secteurs non
marchands, de façon à pouvoir pallier aux déficits que subissent ces
secteurs depuis quelques décennies. Le refus populaire (notamment en
France et aux Pays-Bas) des 322 articles de la Constitution augure d’une
révolution de ce type, contre les appareils, contre les monstres
froids, augure d’une marche réelle vers la fraternité des hommes, vertu
de fraternité dont la « République » avait promis l’avènement en 1789,
ce qui n’a toutefois jamais été traduit dans la réalité. On a donné la
liberté à des spéculateurs sans scrupules ; on a donné l’égalité aux
médiocres en rendant la vie impossible à tous ceux qui les dépassaient ;
on n’a toutefois jamais donné la fraternité à tous les hommes.
De la tyrannie néo-libérale
Cette
tyrannie, à laquelle il est de plus en plus difficile de se soustraire,
avance sous le masque non seulement du « progrès » (comme si c’était un
progrès de sombrer dans le procédurier, dans un monde sans qualités
comme le craignait Robert Musil ou dans un monde kafkaïen) mais aussi
sous celui de la « liberté ». La liberté évoquée, à grands coups de
trémolos, n’est évidemment pas la liberté d’expression, de recherche,
bien battue en brèche ou noyée dans le conformisme médiatique, ni la
liberté de se défendre contre l’arbitraire de l’Etat ou des
« pachydermes » privés, mais évidemment la liberté du libéralisme et,
pire, du néo-libéralisme.
La
Constitution couvre dès lors une Europe, qui n’est pas une civilisation
ou une culture, ni une population donnée, historiquement et
culturellement distincte, mais un « marché ». Un marché que
l’ultra-libéralisme a hissé au rang de Dieu-Mammon intangible. Seul
lui -et rien d’autre- est habilité à fonctionner, à se développer, à
s’accroître démesurément, à régner en maître absolu. Devant cette
pression du dieu-marché infaillible, tous les liens naturels entre les
hommes doivent disparaître, à commencer par ceux, les plus élémentaires,
du clan et de la famille, condamnés parce qu’ils sont des freins à la
consommation. A l’horizon, seul l’individu isolé et consommateur a droit
de cité, tout simplement parce qu’il consomme en moyenne plus qu’une
personne imbriquée dans un famille. Vouloir bétonner juridiquement ce
dieu-marché par une Constitution revient à briser à terme tous les liens
naturels qui ont unis les hommes. Tel est le vice fondamental de cette
construction juridique.
La
partie quatrième de la Constitution est trop brève ; elle ne compte que
onze articles, récapitulant les dispositions générales et finales,
telle l’abrogation des traités antérieurs (p. ex. : celui qui créait la
CECA en 1951). Cette quatrième partie comprend également la clause dite
d’ « unanimité », ce qui accentue encore la lenteur du processus de
décision, comme si une main invisible voulait que l’Europe soit ad vitam aeternam condamnée au sur-place, à la stagnation, à la discussion stérile et ininterrompue.
Une Constitution à la fois trop statique et trop effervescente
Ce
survol des quatre parties de la Constitution nous induit à formuler une
première remarque générale : cette Constitution est inadéquate parce
qu’elle est à la fois trop statique et trop effervescente, et chaque
fois à mauvais escient. Elle est trop statique, non pas parce qu’elle
veut procurer aux hommes de notre continent la stabilité et l’équilibre,
mais parce qu’elle est précisément cette machine administrative
tentaculaire que nous dénoncions plus haut, qui réglemente à outrance,
si bien que tous les citoyens seront bientôt coupables d’avoir enfreint
l’une ou l’autre réglementation et, dès lors, deviendront justiciables
pour des actes ou des omissions qu’ils ne percevront jamais comme de
véritables fautes. L’horreur absolue ! Elle est trop effervescente, non
pas parce qu’elle veut privilégier les éléments dynamiques de nos
sociétés, les esprits créateurs et innovateurs, mais parce qu’elle fait
du « bougisme » (Taguieff), pour faire place nette à l’ultra-libéralisme
dislocateur des permanences nécessaires à la survie des peuples et de
l’espèce, et parce qu’en même temps cet ultra-libéralisme est
délocalisateur et, par suite, effiloche et détricote des acquis
tangibles, hérités du travail des générations qui nous ont précédés.
La
notion de bougisme, énoncée et vulgarisée par Taguieff, est à mettre en
parallèle avec la dénonciation, par Nicole Aubert, de la « compression
du temps » : harcelé par les impératifs de l’économie ultra-libérale et
mondialisée, qui force à réduire et compresser le temps de travail, tout
en maintenant la quantité des prestations ou de la production pour
diminuer les coûts et favoriser de la sorte des actionnaires anonymes ;
harcelé également par les impératifs de plus en plus exigeants de
l’administration, le citoyen entre dans une existence à l’aune d’une
fébrilité inouïe, ramassée sur le seul présent, compressée à l’extrême,
type d’existence frénétique qui ne peut évidemment s’étendre dans le
temps d’une vie sans conduire à la catastrophe physique et nerveuse.
Celle que nous voyons poindre à l’horizon.
En
conséquence, cette Constitution doit être remise sur le métier pour
tenir compte des deux « Non » référendaires de France et des Pays-Bas.
Remettre la Constitution sur le métier
La
partie première doit fixer clairement des critères d’appartenance
tangibles et concrets, c’est-à-dire historiques, culturels et religieux,
perceptibles dans la longue durée de l’histoire, et non pas des
critères normatifs et abstraits.
La
partie deuxième, qui concerne les droits, doit prendre pour référence,
non pas l’individu isolé qui consomme sur le marché, mais la famille,
voire le clan sinon la lignée, c’est-à-dire tenir compte de l’homme dans
la durée de son ascendance et de sa descendance. Le principe cardinal à
respecter, ici, c’est que l’homme n’est jamais seul sur cette Terre,
qu’il naît d’un père et d’une mère et qu’il a besoin du cocon familial
(parents et grands-parents, oncles et tantes) pour se développer de
manière optimale et harmonieuse. Les liens d’appartenance doivent donc
être sauvegardés et respectés par le législateur et non pas mutilés ou
oblitérés par des calculs visant à installer le marché. Ce retour à des
principes antérieurs à la « méthodologie individualiste » (Dumont)
implique de revenir à certains droits historiques et locaux, biffés de
nos mémoires par l’homogénéisation en marche depuis 1789. Tilman Meyer,
en Allemagne, nous disait et nous démontrait naguère que l’ethnos, base
historique et culturelle fondamentale des communautés humaines au sens
large, ne saurait jamais être mis à la disposition du « demos » (soit la
masse hétéroclite et indistincte d’une population jetée sur un
territoire donné).
Une nomocratie totalitaire
La
partie troisième, ce colossal fatras de directives et de normes, ces
322 articles abscons, indique, comme nous l’avons déjà déploré bien
fort, que l’Europe est sur la voie, non d’une démocratie parfaite, mais
d’une nomocratie, plus exactement d’une dictature nomocratique
impersonnelle, contre laquelle aucun processus démocratique réel ne
pourra rien. La nomocratie veut que les normes soient intangibles et le
demeurent jusqu’à la consommation des siècles, en dépit des besoins des
hommes, besoins qui sont évidemment divers et variables à l’infini sous
la pression des circonstances spatio-temporelles, historiques,
culturelles, climatologiques, etc. La vision de l’homme que sous-tend la
nomocratie que l’on nous impose est une vision figée, achevée, définie
une fois pour toutes. Si l’homme doit s’adapter aux circonstances, s’il
doit varier et donc dévier de la définition qu’on a posé de lui, s’il
est contraint par la pression des faits de modifier la norme ou de
dépérir, il devient ipso facto, pour les gardiens de l’ordre
nomocratique, un pervers, démoniaque, réactionnaire, nazi, phallocrate,
fasciste, conservateur, fondamentaliste, méchant, skinheadoïde,
lepéniste, national-communiste, haideriste, populiste, génocidaire,
poujadiste, pitbulliste, élitiste, machiste, homophobe, raciste,
saddamiste, baathiste, xénophobe, pinochetiste, obscurantiste,
paléo-communiste, misogyne, intégriste, passéiste, régressiste, etc. On a
le choix des adjectifs. La machine médiatique se met immédiatement en
route, dès qu’il y a la moindre velléité de contestation : l’homme réel
doit s’aligner, surtout se taire car tout ce qu’il dit, pense ou suggère
relève d’un crime de lèse-norme, puisque celle-ci, une fois posée,
n’autorise plus ni la parole, puisque tout est enfin dit, ni la pensée
(prospective), puisqu’il n’y a plus rien à prospecter, ni la suggestion
ironique, puisque l’ironie est sacrilège.
On
le voit très clairement : la nomocratie, qui transparaît dans toute sa
nature rébarbative au beau milieu de ce fatras de 322 articles, est
d’une rigidité telle, qu’elle ne laisse aux hommes de chair et de sang
aucune marge de manœuvre, ce qui est la quintessence même du déni de
participation et de démocratie. Cette rigidité, cette absence de
plasticité, sont le propre de l’idéologie des Lumières, du moins dans
ses traductions politiques qui s’échelonnent de 1789/1793 au bolchevisme
puis au libéralisme totalitaire actuel. C’est là que les critiques
d’ATTAC, comme nous l’avons vu, sont inadéquates, parce que trop
tributaires de l’idéologie étatiste française qui se défend bec et
ongles, avec une rage méchante, contre ceux qui osent la critiquer,
notamment avec des arguments de bon sens comme le fit Nicolas Baverez
(qui parfois s’illusionne en vantant certains travers des pratiques
libérales anglo-saxonnes).
Plaidoyer pour la diversité
L’idéologie
de la Constitution, et aussi celle d’ATTAC, sont impropres à saisir la
diversité du monde en général et de l’Europe en particulier. Pire :
elles ne veulent pas voir cette diversité, elles ne l’acceptent pas,
elles veulent l’éradiquer. Et les refus de cette Constitution sont
autant de réactions contre cette volonté d’éradication. Dans les
colonnes de la pourtant très conformiste « Revue Générale » (n°6/7,
juin-juillet 2005), Frédéric Kiesel (4), fait le même constat : il
plaide, sotto voce parce que les temps de dérèglement que nous
vivons ne lui autorisent pas d’autre langage, pour une Europe à vitesses
multiples, tout simplement parce qu’on ne gouverne pas les Finlandais
comme on gouverne les Siciliens et parce que les mêmes denrées ne
poussent pas aux mêmes rythmes dans le Grand Nord des lacs, au large du
Golfe de Botnie, et dans les montagnes arides de la Sicile
méditerranéenne. La nomocratie veut que les tomates finlandaises soient
rigoureusement identiques aux tomates calabraises, que les raisins de
Carélie soient identiques à ceux de l’Algarve, que les rennes puissent
paître à côté des chèvres du Péloponnèse et vice-versa. Le réel, ces
quelques exemples plaisants le démontrent, est tout naturellement rétif à
la norme, à toute norme, et tout fabricateur de norme est par
conséquent un dangereux dément.
Notre
point de vue, bien qu’européiste et unioniste sur le plan de la défense
de la civilisation et de la culture européennes, privilégie néanmoins
la diversité sur le plan de la gestion et de la gouvernance au
quotidien. Notre point de vue donne ensuite priorité à l’homme (aux
hommes) tel(s) qu’il(s) est/sont plutôt qu’à une vision abstraite de
l’homme décrite et définie une fois pour toute, l’homme réel, ce petit
polisson, échappant toujours, d’une manière ou d’une autre à la norme,
notamment, le cas échéant, en attrapant une maladie inconnue, ou en
important une idée exotique, ou en développant une folie bien
idiosyncratique. « L’homme conceptuel est une apostasie sans nom du
réel », pérorait une dame qui se piquait de nous apprendre la
philosophie à Bruxelles quand nous avions dix-huit ans. Pour une fois,
la bougresse avait raison.
Outre
ce pari pour les hommes tels qu’ils sont, et dont les diversités sont
les garantes d’une pluralité de possibles à projeter dans l’avenir et de
libertés bien concrètes à exercer hic et nunc, une
Constitution véritable, à condition qu’elle laisse place en tous ses
paragraphes et aliénas à la nouveauté qui peut fuser à tout moment, doit
biffer toutes les dimensions qui privilégient le marché car ce n’est
pas l’état, bon ou mauvais, du marché, qui indique le niveau élevé de
civilisation, mais la santé et la vigueur des secteurs non marchands :
universités et établissements d’enseignement, secteur hospitalier,
musées, académies, chambres de rhétorique, etc. Je préfère vivre dans
une société qui multiplie les hautes écoles et les bibliothèques que
dans une société qui répand sans cesse l’hideuse laideur, horriblement
visible, obscène, des supermarchés, avec leurs néons, leurs tarmacs où
l’on parque des automobiles, leurs enseignes tapageuses, leurs musiques
d’ambiance d’une confondante médiocrité. Et il est normal que l’employé
d’un supermarché ou d’une banque, d’une compagnie d’assurance ou d’une
mutuelle, qu’il soit cadre ou subalterne, soit écrasé d’impôts pour
faire fonctionner universités et hôpitaux, petits ateliers d’artisan et
petites exploitations agricoles, plutôt que l’université ou l’hôpital
périclite, que l’atelier disparaisse, que la petite ferme soit
étranglée, et que la banque ou le supermarché, structures parasitaires,
prospèrent. Question de goût. Et de bon sens. Et d’humanisme au sens
renaissanciste, pic-de-la-mirandolien du terme.
Grand Espace Economique Européen et « choc des civilisations »
La
partie quatrième mérite nos critiques justement parce qu’elle se
contente, laconiquement, d’abroger les traités de la CECA de 1951 et de
Rome de 1957 et de préconiser le mode de fonctionnement « unanimiste »,
sans dire jusqu’où peut s’étendre l’Europe, sans dire ce qui fait son
essence, ce qui est sa mission dans ce que les disciples de Samuel
Huntington ont appelé, à tort ou à raison, le « choc des
civilisations ». Nous nous souvenons tout de même de ce que Jacques
Attali disait, un jour de rare lucidité, quand il évoquait le projet de
l’Europe, de l’Espace Economique Européen (EEE), qui devait être celui
d’un grand, et même d’un très grand, EEE, Russie-Sibérie comprise.
Attali a sans doute changé d’avis depuis. Ce n’est pas notre cas. Et
nous déplorons que le projet européen des petits eurocrates étriqués
n’évoque rien du parachèvement civilisationnel potentiel que serait
cette synergie géopolitique et géo-économique des forces à l’œuvre de
l’Irlande au Détroit de Bering. L’Europe eurocratique n’a donc pas de
vision pour le long terme. Parce que les nomocrates qui l’ont fabriquée
sont des pense-petit.
Reste
aussi cet inquiétant mutisme de l’eurocratie face au « choc des
civilisations », qui prend forme, même dans nos villes et nos cités, en
dépit des discours minimalisants, farcis d’euphémismes. Pour nous,
rappelons-le, le « choc des civilisations » n’est pas un principe en
soi ; c’est d’abord une réalité constante, mise en sommeil pendant la
vingtaine de décennies qu’a duré le triomphe planétaire des puissances
européennes, mais réactivée récemment par les Etats-Unis pour diviser la
grande masse continentale qu’est l’ensemble du Vieux Monde. Pour nous,
le « choc des civilisations » est donc tout à la fois une réalité
constante et une manipulation américaine depuis la Guerre du Golfe de
1990-91. Par suite, la vérité de ce « choc » est médiane. Elle n’est ni à
100% retour à la confrontation séculaire entre l’Europe et l’Islam ni à
100% une invention récente des services américains. Raison pour
laquelle nous ne disons pas « oui » à la Croisade de Bush en Irak
(d’autant plus que le régime baathiste de Saddam Hussein était laïque).
Mais nous n’acceptons pas davantage le refus idiot de prendre la réalité
de ce « choc » en compte, de tirer les leçons des multiples
vicissitudes passées de ce « choc », refus idiot que nous repérons
d’abord dans le vieux gauchisme historique, qui véhicule inlassablement
ses rengaines et s’est insinué dans tous les cerveaux par un processus
lent et sournois de capillarité métapolitico-médiatique, et ensuite dans
la « Nouvelle Droite », canal historique, laquelle prétend, mordicus et
à rebours de ce qu’elle a pu affirmer antérieurement, que les conflits
de civilisation n’existent pas, pour des raisons jusqu’ici inavouées
(5). Position particulièrement ridicule pour ce cénacle qui avait tenté
de réhabiliter Oswald Spengler…
Rigueur budgétaire et limitations aux capacités d’emprunt
Dans
ses projets, l’Europe devrait également se rappeler le Plan Delors, lui
rendre justice, et dire, à sa suite, et pour le compléter, qu’il n’y a
pas de projet continental possible sans de grands travaux publics, sans
une organisation renforcée et optimale des communications. Dans ces
domaines, l’Europe, et souvent chacun des Etats membres, possède des
acquis, qu’il convient désormais de « continentaliser », a fortiori
depuis que le Rideau de fer est tombé et que d’anciennes voies de
communications terrestres et fluviales pouvaient être rétablies. Une
politique de travaux publics à grande échelle est de toutes façons une
politique plus intelligente que d’organiser systématiquement la
déconstruction de nos outils industriels par le double effet des
délocalisations et de l’économie spéculative (qui précipite également
toutes les anciennes économies industrielles patrimoniales dans le
déclin et le marasme). Car toute politique de grands travaux est non
libérale par essence, sinon anti-libérale, car elle implique des
principes de rigueur budgétaire et oblige à limiter les capacités
d’emprunt. L’absence de rigueur budgétaire et de limitations aux
capacités d’emprunt disloque la cohésion des Etats et à fortiori des
Unions à échelle continentale comme l’UE ou le Mercosur, et les empêche
d’atteindre ce que j’appellerais ici, par commodité et pour limiter mon
propos faute de temps, les quatre indépendances indispensables, à savoir
l’indépendance alimentaire, l’indépendance énergétique, l’indépendance
en matières de télécommunications et l’indépendance culturelle. Quatre
indépendances qu’un bon appareil militaire défensif doit protéger et
garantir.
Les quatre indépendances indispensables
L’indépendance
alimentaire n’est pas atteinte à 100% en Europe, en dépit des efforts
pharamineux de la PAC (« Politique Agricole Commune »).
L’indépendance
énergétique implique de se dégager d’une dépendance pétrolière trop
forte, de faire redémarrer partiellement le programme nucléaire, de
diversifier les sources d’énergie ménagère, en recourant à des énergies
douces (éoliennes, panneaux solaires, colza comme pour les bus en
Flandre et à Bruxelles) ou en créant, comme sous De Gaulle, des usines
marémotrices. L’imagination technologique doit prendre le pouvoir !
L’indépendance
en matières de télécommunications est sans nul doute le combat à gagner
rapidement en développant trois stratégies : 1) se dégager de l’emprise
d’ECHELON, 2) développer avec l’appui de la Chine, de l’Inde et de la
Russie le programme GALILEO (en évitant toute participation d’Israël vu
les liens trop étroits entre ce pays et les Etats-Unis), 3) poursuivre
le programme ARIANE, pour lancer les satellites européens.
L’indépendance
culturelle, en termes contemporains, implique de faire feu de nombreux
bois. Claude Autant-Lara avait tiré la sonnette d’alarme, lors de son
discours inaugural en tant que doyen du Parlement Européen, en appelant à
la création d’un cinéma européen dégagé de l’étau idéologique
hollywoodien. Mais le combat pour l’indépendance culturelle de l’Europe
ne se situe pas qu’au seul niveau du cinéma, comme ce fut effectivement
le cas après chacune des deux guerres mondiales, ainsi que l’a bien vécu
de près Autant-Lara. Depuis l’ère reaganienne, le combat du soft power américain
contre l’Europe s’agence autour de l’action de grandes agences de
presse internationales basées pour l’essentiel aux Etats-Unis.
L’objectif est de noyer toute interprétation européenne ou autre des
événements internationaux sous un flot d’informations allant dans le
seul sens de la politique de Washington. Les langages justificateurs
varient de l’apocalyptique (Armageddon, lutte contre « l’Empire » ou
« l’Axe » du Mal) aux discours sur les droits de l’homme (6). Une
contre-offensive européenne serait la bienvenue contre les nouvelles
formules mises en œuvre par le soft power américain, à savoir
l’organisation de « révolutions colorées », en lisière des territoires
russes et européens, visant à reconstituer peu ou prou le fameux
« cordon sanitaire » de Lord Curzon, entre le territoire de la
République de Weimar et celui de la nouvelle URSS. L’hebdomadaire
allemand Der Spiegel, dans un numéro d’automne 2005, de même que l’an dernier, au moment de la « révolution orange » en Ukraine, le quotidien Le Temps de Genève, démontraient quels étaient les modi operandi d’organismes privés américains, comme la Fondation Soros, qui orchestrent et gèrent les « révolutions colorées ».
Si
l’Europe ne se dote pas d’instruments équivalents d’agitation et de
propagande, ne s’arme pas de leviers de changements potentiels qui vont
dans le sens de ses intérêts, elle restera assujettie, elle restera
objet de manipulations médiatiques et politiques. Les exemples
abondent : Chirac teste de nouvelles armes nucléaires à Mururoa en 1995,
contre l’avis de Washington : des grèves bloquent la France,
l’étranglent. Chirac refuse de participer à la curée contre Saddam
Hussein, son interlocuteur de longue date : on lui envoie dans les
gencives les récentes émeutes des banlieues. Seul Jirinovski a tenu
récemment un discours vrai : c’est pour briser la cohésion de l’Axe
potentiel entre Paris, Berlin et Moscou que ces émeutes ont lieu,
orchestrées par les alliés wahhabites et salafistes des Américains. Cet
Axe, seul espoir, bat de l’aile ; en Allemagne, Merkel, qui n’est ni
chair ni poisson, prend le relais de Schröder, plus cohérent, notamment
sur le plan de la politique énergétique germano-russe (les gazoducs et
oléoducs sous la Baltique, pour contourner la Pologne, nouvel allié de
Washington). La dislocation de la société française au départ de ses
banlieues ensauvagées, soustraites au contrôle de l’Etat, assure la
promotion de Sarkozy, plus atlantiste que Chirac. L’Amérique élimine
ainsi le spectre d’un gaullisme rétif à l’atlantisme, un gaullisme
pourtant bien résiduaire, mité, réduit à l’ombre de lui-même. Après
l’Allemagne et la France, la bataille contre Poutine peut commencer.
Notre
conclusion : la Constitution, que l’on nous a mijotée, ne répond à
aucun de ces défis. Une vraie constitution devrait se donner un projet
cohérent, qui fait face à tous ces problèmes réels, pour qu’une
politique continentale à long, à très long terme, soit possible. Une
vraie constitution devrait être politique : elle devrait donc désigner
l’ennemi. Une constitution qui ne le fait pas n’est qu’un chiffon de
papier. Une aberration.
Robert STEUCKERS, Forest-Flotzenberg/Charleroi, novembre 2005. http://robertsteuckers.blogspot.com
Notes :
(1)
Le témoignage d’un stagiaire nous a fait rire, à gorges déployées, un
jour, lorsqu’il nous a conté ses mésaventures dans les coulisses du
Parlement européen. Une commission s’était réunie quelques jours
auparavant, pour réfléchir à la formulation exacte que devaient prendre
les directives réglementant la forme des pièges à rats dans l’UE.
Composée essentiellement d’écologistes danois, allemands et néerlandais,
cette commission s’est livrée à des arguties interminables pour
déterminer, avec le plus d’exactitude possible, le vocabulaire du texte
de la directive. Dans les formulations proposées, il y avait le terme
anglais « human traps » ou, en allemand, « humane Tierfälle ». Tollé
dans la petite assemblée : ces pièges ne sauraient être « humains »
puisqu’ils tuent l’animal et que l’humanisme s’insurge contre l’acte de
trucider un animal, fût-il considéré comme nuisible. Un quidam a alors
proposé de remplacer « human traps » et « humane Tierfälle » par
« animal friendly traps » et « tierfreundliche Tierfälle », soit,
traduits littéralement, des « pièges à animaux amicaux à l’égard de
l’animal ». Nouveau tollé dans le petit caucus : ces pièges ne saurait
être amicaux à l’égard de l’animal, car occire la bête n’est pas, à son
égard, faire preuve d’amitié. Et ainsi de suite, pendant un long
après-midi… Voilà à quoi sert l’argent de nos impôts…
(2)
Cette sévérité de notre part pourrait être jugée excessive : il
convient toutefois de lire, attentivement, comme nous l’avons fait, le
livre de Nicole Aubert, intitulé Le culte de l’urgence. La société malade du temps,
publié chez Flammarion en 2003 (ISBN 2-08-068409-4). Dans cet ouvrage, à
nos yeux capital, Nicole Aubert montre que le stress et l’urgence,
exigés désormais des hommes dans leur vie professionnelle, provoquent
quantité de nouvelles pathologies qui épuisent à terme la société, la
vide de son tonus. Dans son chapitre 10, elle déplore la fin de la
famille, écrasée par l’urgence, qui oblige à prester sans arrêt, sans
pause, pour une machine économique démesurée. Si aux exigences de
l’économie, s’ajoutent des exigences administratives, de surcroît non
productrices de biens réels, l’homme craque ou craquera, et
définitivement. On ne peut donc exiger la disparition de l’économie et
de certaines urgences qu’elle pourrait exiger, à titre ponctuel, mais on
doit impérativement réduire l’urgence, en éliminant les urgences non
productrices de biens réels (et vitaux). Par conséquent, les pathologies
générées par un surcroît d’urgence ont une cause, des auteurs : ceux-ci
doivent en être tenus responsables, au même titre que s’ils avaient
infligés des coups et blessures physiques. Le livre de Nicole Aubert
devra être lu par les juges qui statueront, dans l’avenir et dans des
tribunaux d’un nouveau genre, contre ceux qui auront infligé, à des
citoyens, des pathologies dues à l’urgence.
(3)
Nous songeons à la « nouvelle caste de prêtres », dont Raymond Abellio
souhaitait l’avènement dans son fameux ouvrage intitulé L’Assomption de l’Europe.
(4) Dans son article intitulé « Quelle Europe après les « non » et « nee » référendaires ? », pp. 81-84.
(5)
Ce refus du « choc des civilisations », notion qui aurait pourtant été
bien accueillie par la « ND » au temps de sa période ascensionnelle,
s’explique par les voyages de son animateur principal, Alain de Benoist,
en Iran. Envoyé par le « Figaro Magazine » pour un reportage sur le
front de la guerre Iran-Irak vers le milieu des années 80, il s’y
retrouve avec les animateurs de la librairie « Ogmios » de Paris et le
correspondant de la RTBF, Claude Van Engeland. Un article sur cette
guerre et sur l’atmosphère qui régnait alors dans la capitale iranienne
paraîtra d’ailleurs dans l’hebdomadaire fondé en 1978 par Louis Pauwels,
où le chef de file de la « Nouvelle Droite » avait surtout retenu les
« bas résille » qui se dévoilaient subrepticement sous les tchadors et
djellabas des passantes de Téhéran. On a les fantasmes qu’on peut. A
Téhéran, il avait profité de son séjour pour nouer des contacts qui lui
permettront très rapidement de devenir, jusqu’à ce jour, le
correspondant en France du « Teheran Times » et de la Radio Iranienne
(il suffit de consulter son site internet pour s’en apercevoir, car le
bonhomme n’a pratiquement plus que ces références-là pour se livrer à
son sport favori : faire de l’esbroufe). Cette position de
correspondant, qu’il entend conserver à tout prix, l’empêche de prendre
en compte le « choc des civilisations » et de critiquer, même
modérément, les dérives de l’islamisme, alors que ses positions
initiales correspondaient davantage à la vue de l’histoire, eurocentrée
et « gobinienne », que cultivait le Shah d’Iran (cf. ses mémoires),
renversé par les mollahs à la suite des manigances américaines, qui
visaient, selon l’aveu même de Kennedy et de Kissinger, l’élimination de
son armée et surtout de sa marine et de son aviation. Cette petite
fonction de correspondant du « Teheran Times » a contraint de Benoist à
renier sa vision européenne de l’histoire, à refuser de constater que le
régime des mollahs avait été soutenu au départ par les Etats-Unis, que
l’islamisme a longtemps été l’allié de Washington (cf. la campagne
acharnée qu’il a menée contre le jeune journaliste Alexandre Del Valle,
auteur d’une étude serrée sur les liens entre Washington et l’islamisme,
et contre son ancien collaborateur Guillaume Faye, interprète radical
de la théorie huntingtonienne du « choc des civilisations »). Cette
campagne de dénonciation et de dénigrement, menée avec une obstination
enragée, a dû sans nul doute se faire pour le compte de certaines
agences iraniennes, qui avaient intérêt à étouffer les thèses de Del
Valle, qui s’inspirait des mémoires de l’ancien ministre iranien de
l’éducation, du temps du Shah, exilé depuis à Bruxelles, Houchang
Nahavandi (ces mémoires sont parues chez l’éditeur suisse « L’Age
d’Homme »). Alain de Benoist erre comme un fantôme hagard dans cette
zone de porte-à-faux depuis une vingtaine d’années au moins, exercice de
déambulation quasi somnambulique qui le rend inapte désormais à énoncer
une théorie cohérente sur l’Europe ou à articuler une pratique de la
libération de l’Europe, alors que c’était l’objectif principal de son
mouvement « GRECE » (« Groupe de Recherches et d’Etudes sur la
Civilisation Européenne »). Ce porte-à-faux a conduit, pendant deux
décennies, à une suite ininterrompue de ruptures, de reniements, de
querelles qui ont isolé complètement le correspondant du « Teheran
Times » à Paris. En revanche, il semble toujours en relation étroite
avec l’un des anciens animateurs d’ « Ogmios », qui, après avoir profané
le nom de son illustre père, commis quelques piètres escroqueries,
organisé des voyages bidon chez Léon Degrelle en Espagne en empochant le
pognon des naïfs et laissé un paquet considérable de dettes impayées
derrière lui, dirige aujourd’hui une revue d’histoire au format A5,
évidemment sous pseudonyme, pour ne pas attirer l’œil myope des
vigilants anti-fascistes de « Ras-le-front » ou autre bouffonnerie du
même acabit ; bien évidemment, les cerveaux mous de « Ras-le-front » ne
sont pas de très fins limiers… Pourtant, un simple examen du style et
des thématiques abordées dans la revue d’histoire, dont question,
dévoilent immédiatement la « patte » de certaines figures bien connues
de ce milieu qui ne croient en rien, même pas aux théories qu’elles ont
elles-mêmes énoncées. La constante de l’histoire récente de la ND ne
semble plus être axée autour des principes premiers de l’association
GRECE, mais n’est rien d’autre que la conjonction étonnante et dûment
camouflée de l’ « Iranian Connection » et de l’ « Ogmios Connection ».
Mais, pour terminer, abordons tout de même cette pénible affaire avec le
regard de l’humoriste : le théoricien d’un paganisme druidico-odinique
de Prisunic sur la place de Paris, le vendeur de « Tours de Yule » qui
effrayait le pauvre anti-fasciste naïf René Monzat, est devenu
l’homoncule des mollahs à Lutèce ; le théoricien du polythéisme absolu
est devenu un petit mercenaire obscur du monothéisme le plus
sourcilleux ; le grand amateur de grappa italienne et de Valpolicella en
dame-jeanne, s’est métamorphosé en employé besogneux du régime qui
arrachait naguère les ceps du vin de Chiraz, fait toujours fouetter les
oenologues et trahit ainsi la mémoire d’Omar Khayyam . Rigolo, non ?
Ceci dit, pour nous, l’Iran doit redevenir une puissance régionale,
indépendante sur le plan énergétique, porteuse d’une diplomatie
originale dans l’Océan Indien (cf. les travaux du géopolitologue Djalili
en France), comme le voulait le Shah ; l’Iran actuel doit rester
l’allié à l’Europe et facturer en euro et non plus en dollars : tels
sont les axes politiques concrets à suivre désormais, avec ou sans
Ahmadinedjad, et certainement contre la nouvelle clique iranophobe que
constituent les habituels intellectuels parisiens, serbophobes hier,
russophobes de toujours. Mais pour cela, la parenthèse entre la chute du
Shah et la guerre larvée entre Washington et Téhéran, n’aurait pas dû
être. Européens, Iraniens et Russes auraient gagné du temps. Autre
réflexion : notre scepticisme à l’égard du régime des mollahs, notre
ironie à l’égard des louvoiements grotesques d’Alain de Benoist ne
participent nullement d’une islamophobie : la politique culturelle du
Shah aurait ruiné toutes les dérives islamophobes car elle nous
induisait à aimer les plus beaux fleurons de la civilisation islamique,
justement avec le poète Ferdowsi, le philosophe Sohrawardi (dont le
Français Henry Corbin explorera l’œuvre dans toutes ses facettes) et
l’inoubliable poète Omar Khayyam. L’islamophobie est un produit dérivé
de l’islamisme fondamentaliste chiite ou sunnite, mais toujours oublieux
des synthèses lumineuses entre enthousiasme islamique et racines
grecques, égyptiennes ou persanes. C’est là une erreur magistrale
d’Alain de Benoist, sinon une faute cardinale : il a embrayé sur le
discours islamophile fallacieux, téléguidé depuis Washington pour le
compte de Riad, pour abattre le Shah, pour lancer la Djihad contre la
Russie en Afghanistan, pour faire des voyous des banlieues une armée de
réserve pour déstabiliser les pays européens qui, comme la France,
branlent de temps en temps dans le manche atlantiste. A ce discours, il
fallait répondre par une réhabilitation des plus belles figures de la
civilisation islamique, comme le firent les deux Shahs Pahlavi, en les
réinscrivant et en les réinsérant dans la tradition impériale iranienne,
première manifestation d’impérialité d’un peuple-souche indo-européen
et cela, dès la proto-histoire. L’Iran possède là un droit d’aînesse sur
l’Europe occidentale et centrale. L’islamophilie obligatoire
d’aujourd’hui, sous peine d’exclusion du débat et de poursuites
judiciaires, empêche toute islamophilie constructive et laisse le champs
libre aux fondamentalismes régressistes, surtout dans leurs versions
wahhabites ou salafistes, que l’on n’ose plus critiquer et que de
Benoist, coincé et empêtré dans ses petits complots ogmioso-iraniens
minables, n’a jamais osé critiquer. Fondamentalismes régressistes qui
sont aussi responsables de la mort et de la défaite des courageux
nationalismes arabes d’inspiration personnaliste (Michel Aflaq),
nassérienne ou gaullienne, idéologiquement proches de l’Europe, alors
que le fondamentalisme wahhabite accuse une nette parenté
idéologico-théologique avec le fondamentalisme puritain de l’idéologie
américaine.
(6)
La critique des discours sur les droits de l’homme, tels qu’ils nous
sont venus d’Amérique au lendemain du deuxième conflit mondial, et
avaient été fabriqués pour faire vaciller les volontés d’émancipation
européenne, doit être replacée dans le contexte général de l’évolution
de la pensée occidentale après 1945. Dans les années 50 et 60,
l’idéologie gauchiste dominante, de même qu’une philosophie moins
politisée, critiquaient les droits de l’homme comme « bourgeois » et
« subjectivistes », sans pour autant prendre les mêmes accents qu’Edmund
Burke ou Joseph de Maistre au lendemain de la révolution française.
Avec l’émergence subite de la « nouvelle philosophie » dans le « paysage
intellectuel français », à la veille du reaganisme, les droits de
l’homme sont réhabilités à grands renforts de coups médiatiques et
mobilisés contre l’Union Soviétique. Du coup, tous les travaux
intéressants, philosophiquement fondés, sur l’origine de cette
philosophie sont jetés aux orties voire voués aux gémonies, mais le
gauchisme fait comme Clovis : il adore ce qu’il a brûlé et brûle ce
qu’il a adoré ; son attitude change en deux coups de cuiller à pot. Il
s’aligne sur les « nouveaux philosophes », les doigts sur la couture du
pantalon, comme au coup de sifflet d’un caporal-chef, et la critique des
droits de l’homme passe, plutôt mal gré, à une extrême droite incapable
de faire référence aux solides corpus philosophiques délaissés des
années 50 et 60, qu’elle perçoit forcément comme étrangers à elle, ce
qui nous donne in fine un espace critique mité, ingérable,
effiloché, où se cumulent maladresses et lourdeurs. Celles-ci ne
parviennent pas à contrer l’action néfaste du « droit-de-l’hommisme »,
issu non pas tant des textes fondateurs de 1776, 1789 ou 1948, ou de la
Charte de l’Atlantique de 1941, mais des officines de la CIA et de la
NSA qui entendaient fabriquer de toutes pièces une idéologie de combat
contre le soviétisme et, derrière cette façade vendable, contre toutes
les formes de souveraineté nationale ou continentale. Dès l’émergence
des philosophades droit-de-l’hommesques, les droits concrets de l’homme
ont reculé et subi plus d’entorses que jamais : on a eu Pol Pot pour
damer le pion aux méchants Nord-Vietnamiens pro-soviétiques, on a eu des
escadrons de la mort pour faire reculer le sandinisme en Amérique
centrale, on a eu les mudjahhidins et les talibans en Afghanistan, on a
eu les purges en Iran soi-disant contre les sbires de la SAVAM, etc.
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