samedi 4 février 2012

Démosthène et l’éternelle dégénérescence démocratique

Démosthène passe pour le grand orateur incompris de la démocratie scolaire. Il est à la fois l’homme du fanatisme démocratique et de la dégénérescence démocratique. La démocratie est pour lui ce qu’il y a de plus beau, de plus pur, de meilleur ; surtout la démocratie athénienne, qui pour Thucydide ou le philosophe italien Luigi Canfora ne passe pas pour un régime de liberté mais un régime autoritaire (voir la racine kratos).
Mais pour Démosthène le mécontent la démocratie est aussi ce qu’il a de plus décadent, de plus lâche, de plus dégénéré. Alors pourquoi la défendre, alors qu’elle abaisse le citoyen et que devant elle s’élève un bel et invincible (et non pas invisible !) empire qui permettra grâce à Philippe et Alexandre à la civilisation hellénique de se répandre aux quatre coins de l’Asie ?
Tout de même, il arrive à Démosthène d’être étonnamment moderne, je dirais même contemporain. Qu’on en juge de ces lignes que j’ai piochées dans les fameuses Philippiques. Sur la lâcheté commune et l’indifférence de tout le troupeau :
De toutes les fautes nombreuses et depuis longtemps accumulées qui ont rendu notre situation mauvaise, la plus funeste, la plus embarrassante aujourd’hui, c’est votre aversion pour les affaires. Vous y consacrez les courts moments où, assis en ce lieu, vous écoutez les nouvelles ; après quoi, chacun se retire sans y réfléchir, sans même en garder la mémoire.
Sans même en regarder mémoire ! Sur le fait que l’opinion suit mais ne précède pas le danger :
Remontons à la source du mal, et indiquons le remède. Chez vous, ô Athéniens ! Jamais de promptes dispositions, jamais de préparatifs réguliers : vous vous traînez toujours derrière quelque événement ; venus après coup, vous abandonnez l’oeuvre : autre événement, autres mesures prises en tumulte.
Démosthène nous prévient contre la paresse démocratique :
Certains politiques vous ont persuadé qu’être à la tête des Hellènes, entretenir une armée prête à secourir tous les opprimés, était une dépense inutile et superflue, et que vivre dans le repos, ne s’acquitter d’aucun devoir, tout abandonner successivement, laisser le champ libre aux usurpateurs, était un merveilleux bonheur, une parfaite quiétude.
Ensuite, il appuie sur une observation étonnante : les Athéniens n’ont plus la force, l’énergie, la volonté de se défendre.
Il régnait alors, ô Athéniens ! il régnait dans le coeur de tous les peuples un sentiment éteint aujourd’hui, sentiment qui triompha de l’or des Perses, maintint la Grèce libre, demeura invincible sur terre et sur mer, mais dont la perte a tout ruiné, et bouleversé la patrie de fond en comble. Quel était-il, ce sentiment ? Etait-ce le résultat d’une politique raffinée ? Non : c’était une haine universelle contre les perfides payés par ceux qui voulaient asservir la Grèce ou seulement la corrompre.
Ce sentiment éteint, une haine universelle ! Démosthène dénonce ensuite bien sûr la corruption, les trafics et même le fait que l’on ait donné droit de cité aux esclaves et à leurs enfants !
Aujourd’hui, Athéniens, vous le vendez, comme vile denrée, à des misérables ; vous faites citoyens des esclaves fils d’esclaves ! (Sur la réforme publique, Syntaxè, 24)
Plus intéressant, et pour conclure, cette observation sur la décadence par le théâtre et les spectacles qui annoncent le cirque romain et notre civilisation de l’idiot visuel. Elle est de Poirson, un grand traducteur et encyclopédiste du siècle passé (le dix-neuvième, pour moi) :
« Après la mort d’Epaminondas, dit Justin en conservant sans doute une pensée de Théopompe, les Athéniens n’employèrent plus, comme autrefois, les revenus de l’Etat à l’équipement des flottes et à l’entretien des armées : ils les dissipèrent en fêtes et en jeux publics ; et, préférant un théâtre à un camp, un faiseur de vers à un général, ils se mêlèrent sur la scène aux poètes et aux acteurs célèbres. Le trésor public, destiné naguère aux troupes de terre et de mer, fut partagé à la populace qui remplissait la ville. » Cet usage, fruit pernicieux de la politique de Périclès, avait donc introduit dans une petite république une profusion qui, proportion gardée, ne le cédait pas au faste des cours les plus somptueuses.
Périclès entre sa guerre inepte du Péloponnèse, sa ligue pillarde de Délos, sa civilisation des loisirs avant l’heure ou sa démocratie payante et rétribuée apparaît comme un des hommes les plus sinistres du monde. Ce n’est pas son Parthénon célébré par les nazis ou le tourisme des croisières qui me contredira.
« Les Athéniens étaient d’ailleurs très paresseux. Car outre les trois oboles qu’il prend pour son droit de présence aux assemblées et aux tribunaux, le peuple s’alloue un salaire pour assister au théâtre, et se fait payer pour s’amuser ; de plus, il reçoit de ses flatteurs des pensions sur le trésor public, comme les courtisans en obtenaient de Louis XV et de ses ministres : en sorte que cette démocratie présente tous les abus d’une monarchie dans le temps de son plus grand désordre. »
Il est important que l’histoire répète les mêmes erreurs. Et que faire contre la fatigue de la civilisation finissante ? L’accompagner ? 
par Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info/

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