dimanche 18 décembre 2011

Pèlerinage en Serbie : Du Prat dels cramats au Champ des merles

Depuis des mois mes amis Yves Bataille et son épouse Mila Aleckovic Nikolic m’incitaient à faire le voyage. Serbes de la Diaspora vivant tantôt à Belgrade, tantôt en France, ils avaient lu mon livre Crimes de guerre à l’Otan et c’est eux qui ont trouvé un éditeur pour le faire paraître en langue serbe en Serbie.
En sortant de la zone de récupération des bagages à l’aéroport de Belgrade, je trouve Mila et Yves, accompagnés d’un homme au regard droit et perçant. Mince, le cheveu gris clair, il m’est tout de suite sympathique : Mile Bavrlic, l’éditeur de mon livre en Serbie.
A la tête de la maison Gutenbergiva Galaksija, il m’a fait le bonheur de publier ce livre dans lequel j’avais mis toute ma foi dans la vérité sur un sujet à propos duquel trop de gens ont menti et mentent encore : la guerre des Balkans de la fin du XXe siècle.
Ce 6 mai 2003, je ne viens pas à Belgrade en touriste. En sortant de l’avion, en parcourant les couloirs de l’aéroport, il me tarde de rencontrer enfin la Serbie. Certes, depuis Visegrad en Bosnie-Herzégovine, j’avais vu la frontière entre la Republika Srpska et la Serbie, mais cela ne m’avait pas fait la même impression qu’à mon arrivée à Belgrade.
Bien avant mes mésaventures de la fin de l’année 1998, j’avais entendu parler en bien de la Yougoslavie par mes professeurs d’histoire, mais aussi par les universitaires de ma famille venus souvent à l’occasion d’échanges scientifiques dans le pays.
Il y a aussi entre Serbes et Français cette amitié nouée au cours des siècles et qui a trouvé son point d’orgue avec les combats des Balkans lors de la première guerre mondiale. Les souvenirs du maréchal Franchet d’Esperey, du colonel Tranié et des nombreux militaires français qui ont lutté avec courage et honneur aux côtés des Serbes sont liés, bien sûr, à cette période de guerre mondiale mais ont leurs racines encore plus en amont dans l’histoire.
Le trajet entre l’aéroport et l’hôtel me permet de traverser la campagne d’abord, puis toute la ville de Belgrade. Jusqu’au coeur de la ville ancienne.
Je suis agréablement surpris. Je sais quels ravages ont été causés par les bombardements de 1999 et je vois combien les travaux de reconstruction sont avancés. C’est une sensation que je retrouverai lors de mon voyage vers le Kosovo en voyant rebâtis les ponts de chemins de fer naguère détruits par l’Otan.
Dès mon arrivée dans Belgrade, je me suis senti chez moi, dans ma famille, alors que personne ne me reconnaissait encore dans la rue. Le soir même, après une interview à la télévision, je suis accueilli dans une famille pour une Slava. Oui, je me sens vraiment en famille lorsque je suis en Serbie.
Par le commandant Pierre-Henri Bunel
Ma condamnation n’a entraîné la privation d’aucun de mes droits de citoyen français. Je suis donc totalement français et, comme beaucoup de mes compatriotes, je me suis toujours senti proche d’autres peuples. Les Polonais, par exemple, et les Russes, et certains peuples arabes si attachants quand ils n’ont pas été démolis par l’exil.
Avec le peuple serbe, ce sentiment de proximité est différent. Plus fort. J’ai l’impression d’être serbe quand c’est la première fois que je visite ce pays dont je ne parle pas encore la langue. D’où vient cet attachement si intense ?
Les liens historiques entre nos deux patries, je les connais. Mais cela ne suffit pas à expliquer la soudaineté de ce sentiment. C’est en avançant vers le Kosovo que j’en ai mieux compris les ressorts.
A mesure que nous allons vers le sud, on m’explique l’histoire des chantiers de jeunesse qui, du temps de Tito, ont tracé la grande route de NiÎ, je traverse les ponts reconstruits par les Serbes après l’agression criminelle de 1999... Puis le paysage change. Nous avons quitté l’autoroute pour une petite route qui se faufile entre les montagnes. Et d’un seul coup je comprends : ce paysage est celui de mon enfance. Ce ciel, ces épaulements, ces combes, ces ravines, cette végétation, ces couleurs, c’est mon pays de l’Ariège. C’est le pays cathare où mes ancêtres ont lutté pour leur foi contre les troupes du Pape qui voulaient les faire rentrer dans le rang de l’Eglise catholique. En 1244, après des mois de siège sur le pic de Montségur, quatre cents hommes, vieillards, femmes et enfants ont dû choisir entre la renonciation à leur foi et le bûcher. Tous ont choisi de mourir. Ce jour-là, tous les Cathares ne sont pas morts mais tous ceux de Montségur ont été brûlés en ce lieu que l’on appelle aujourd’hui lo prat dels cramats (le Champ des brûlés).
Pour nous, descendants des Cathares, ce champ est comme le Champ des merles (Kosovo polie) pour les Serbes dont les ancêtres furent massacrés en même temps que leur chef, le prince Lazare, par les janissaires ottomans.
C’est peut-être pour cela qu’en descendant vers Leposavic et Kosovska Metrovica je me suis senti si intimement français et serbe.
***
Tous les Serbes, bien sûr, connaissent le monastère fameux de Studenica. Comme dans tous les hauts lieux de l’orthodoxie que je connais j’ai senti la présence de la paix et de la force de Dieu.
Ce monastère est magnifique, d’autres l’ont dit mieux que moi.
Mais ce qui m’a frappé c’est le spectacle des enfants des écoles venant le visiter non pas comme un musée mais comme une source de vie. Patriarches, évêques, popes et moines sont les guides indispensables de la civilisation. Ils nous gardent d’oublier que nous ne sommes que de passage sur cette Terre, et que nous devons nous bien conduire au long de ce passage.
Dans la cour du monastère, je croise le regard d’une jeune femme. Elle m’a reconnu et, les larmes aux yeux, elle me dit sa gratitude pour avoir tenté quelque chose pour éviter le malheur qui a frappé son peuple. Elle est institutrice. Elle réunit ses élèves autour de moi et nous faisons une photo pour le souvenir. Au milieu de ces enfants serbes, je me retrouve au milieu des enfants de mon village. Quand j’étais à la communale, le 11-Novembre, nous entourions les Anciens Combattants de la première guerre mondiale réunis devant l’église et le monument aux morts. Pour les enfants de Studenica, j’étais un peu comme un ancien combattant serbe de la guerre de 1999.
Cela aussi, cela contribue à faire de moi un Serbe.
J’ai poursuivi mon périple vers le sud et Kosovo i Metohija. Nous nous sommes arrêtés à Leposavic. Là j’ai été invité à donner une conférence de présentation de mon livre Crimes de guerre à l’Otan publié grâce à M. Mile Bavrlic. Puis nous avons parlé de bien autre chose.ort
Les gens ont posé des questions qui étaient autant de cris de douleur : douleur d’être assiégés dans leur propre pays, douleur de l’injustice faite au peuple serbe avec la complicité de la « communauté internationale », douleur de subir la haine des Albanais qui se sont emparés de tout le Kosovo avec la complicité des gouvernements des pays membres de l’Otan.
Mais ce cri de douleur n’était pas un gémissement. Les Serbes sont dignes et ne se plaignent pas. A leurs questions, nettes, précises et qui disaient leur souffrance j’ai répondu de mon mieux mais j’ai senti que c’est le choix de l’honneur que j’avais fait, jusqu’à accepter d’être jeté dans une prison française, qui était, à leurs yeux, la plus claire et la meilleure des réponses.
A Kosovska Mitrovica j’ai passé le pont avec mes accompagnateurs serbes. Et c’est là que j’ai mesuré la différence entre les deux bords de la rivière.
En arrivant au sud, je ne me suis pas éloigné des militaires français qui gardent ce point sensible. Comme nous arrivions du nord, nous avons vu les jeunes « gardiens du pont » albanais se rapprocher de nous, agressifs. A l’évidence, si nous étions allés plus loin, nous aurions été attaqués. Je l’ai senti tout de suite ; des années d’expérience m’évitent de me tromper, désormais, sur les intentions réelles des gens dont je croise le regard.
Hier le Kosovo, demain la Seine-Saint-Denis
Alors nous sommes revenus vers le nord. Au carrefour de rues sur lequel débouche le pont il y avait aussi des « gardiens du pont ». Ils étaient serbes, ceux-là. Leur attitude était très différente. Vigilants, bien sûr, ils n’ont jamais été menaçants. Et comme je portais un appareil photo l’un d’eux m’a simplement rappelé qu’il est interdit de photographier et qu’il ne fallait pas que je prenne de risques.
Puis ces hommes m’ont expliqué qu’ils ont été chassés de chez eux par les Albanais, sans que ni l’ONU ni l’Otan fasse rien pour empêcher ce que j’appelle depuis toujours une épuration antiserbe.
J’ai été le témoin de ce crime dans les Krajina et cela recommence ici. Encore une fois en présence de l’ONU...
On peut se demander, dans la situation actuelle, à quoi a servi cette guerre, ces destructions, ce sang versé. Le Kosovo est occupé par des forces étrangères, il s’y passe une terrible épuration ethnique antiserbe comme j’ai pu le constater moi-même.
Les forces financières transnationales poussent les gouvernements néo-coloniaux à séparer la Serbie et le Montenegro. Elles tirent profit de la situation instable.
A mon modeste niveau, j’ai fait ce que j’ai pu pour contribuer à éviter que le malheur ne s’abatte à nouveau sur les victimes innocentes de la région. Mon sacrifice n’a pu que quelque peu retarder l’inéluctable. Mais il n’a pas été inutile. Malgré les malheurs qui frappent aujourd’hui injustement tant de Serbes, tout espoir n’est pas perdu. Le courage de la résistance du peuple serbe face à l’agression criminelle de 1999 est un signe de ce que le pays n’est pas écrasé.
Nous éprouvons parfois l’accablante impression d’avoir perdu la guerre contre des forces qui ont le désir d’étouffer nos cultures, notre histoire et donc de contrôler notre avenir.
Eh bien non. Nous n’avons pas perdu la guerre. Nous avons peut-être perdu une bataille, mais pas la guerre.
On le voit partout dans le monde : les peuples courageux n’acceptent plus la loi de la force seule. La culture, la protection de nos langues et de notre foi en Dieu et en nos peuples seront notre sauvegarde.
Je sais qu’alors que deux cent cinquante églises et monastères ont été détruits, on n’a construit que trois églises à Kosovo i Metohija. Je sais qu’on a construit vingt-trois mosquées de l’autre côté du pont. Mais je sais aussi qu’on n’a jamais imposé à des peuples courageux un mode de vie étranger.
Je sais qu’on a détruit le saint Monastère des saints Côme et Damien, où le pouvoir thaumaturge a guéri tant d’enfants parmi lesquels des enfants musulmans. Les mamans ne peuvent pas oublier le bien qu’on a fait à leurs enfants. Les papas non plus.
Une occupation n’est jamais éternelle. L’Evangile le dit : « Aidons-nous et le Ciel nous aidera. »
Sous la protection des forces de l’argent sale, les Albanais musulmans dévastent le Kosovo, pillent et saccagent les lieux saints et culturels orthodoxes. Je l’ai vu, d’autres l’ont vu. L’héritage sacré de l’Europe est bradé par des mercantis et souillé, saccagé par des brutes sauvages.
Europe, Réveille-toi !
Commandant Pierre-Henri Bunel  Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 297 du 28 juin 2003

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