Depuis
des mois mes amis Yves Bataille et son épouse Mila Aleckovic Nikolic
m’incitaient à faire le voyage. Serbes de la Diaspora vivant tantôt à
Belgrade, tantôt en France, ils avaient lu mon livre Crimes de guerre à l’Otan et c’est eux qui ont trouvé un éditeur pour le faire paraître en langue serbe en Serbie.
En
sortant de la zone de récupération des bagages à l’aéroport de
Belgrade, je trouve Mila et Yves, accompagnés d’un homme au regard droit
et perçant. Mince, le cheveu gris clair, il m’est tout de suite
sympathique : Mile Bavrlic, l’éditeur de mon livre en Serbie.
A
la tête de la maison Gutenbergiva Galaksija, il m’a fait le bonheur de
publier ce livre dans lequel j’avais mis toute ma foi dans la vérité sur
un sujet à propos duquel trop de gens ont menti et mentent encore : la
guerre des Balkans de la fin du XXe siècle.
Ce
6 mai 2003, je ne viens pas à Belgrade en touriste. En sortant de
l’avion, en parcourant les couloirs de l’aéroport, il me tarde de
rencontrer enfin la Serbie. Certes, depuis Visegrad en
Bosnie-Herzégovine, j’avais vu la frontière entre la Republika Srpska et
la Serbie, mais cela ne m’avait pas fait la même impression qu’à mon
arrivée à Belgrade.
Bien
avant mes mésaventures de la fin de l’année 1998, j’avais entendu
parler en bien de la Yougoslavie par mes professeurs d’histoire, mais
aussi par les universitaires de ma famille venus souvent à l’occasion
d’échanges scientifiques dans le pays.
Il
y a aussi entre Serbes et Français cette amitié nouée au cours des
siècles et qui a trouvé son point d’orgue avec les combats des Balkans
lors de la première guerre mondiale. Les souvenirs du maréchal Franchet
d’Esperey, du colonel Tranié et des nombreux militaires français qui ont
lutté avec courage et honneur aux côtés des Serbes sont liés, bien sûr,
à cette période de guerre mondiale mais ont leurs racines encore plus
en amont dans l’histoire.
Le
trajet entre l’aéroport et l’hôtel me permet de traverser la campagne
d’abord, puis toute la ville de Belgrade. Jusqu’au coeur de la ville
ancienne.
Je
suis agréablement surpris. Je sais quels ravages ont été causés par les
bombardements de 1999 et je vois combien les travaux de reconstruction
sont avancés. C’est une sensation que je retrouverai lors de mon voyage
vers le Kosovo en voyant rebâtis les ponts de chemins de fer naguère
détruits par l’Otan.
Dès
mon arrivée dans Belgrade, je me suis senti chez moi, dans ma famille,
alors que personne ne me reconnaissait encore dans la rue. Le soir même,
après une interview à la télévision, je suis accueilli dans une famille
pour une Slava. Oui, je me sens vraiment en famille lorsque je suis en Serbie.
Par le commandant Pierre-Henri Bunel
Ma
condamnation n’a entraîné la privation d’aucun de mes droits de citoyen
français. Je suis donc totalement français et, comme beaucoup de mes
compatriotes, je me suis toujours senti proche d’autres peuples. Les
Polonais, par exemple, et les Russes, et certains peuples arabes si
attachants quand ils n’ont pas été démolis par l’exil.
Avec
le peuple serbe, ce sentiment de proximité est différent. Plus fort.
J’ai l’impression d’être serbe quand c’est la première fois que je
visite ce pays dont je ne parle pas encore la langue. D’où vient cet
attachement si intense ?
Les
liens historiques entre nos deux patries, je les connais. Mais cela ne
suffit pas à expliquer la soudaineté de ce sentiment. C’est en avançant
vers le Kosovo que j’en ai mieux compris les ressorts.
A
mesure que nous allons vers le sud, on m’explique l’histoire des
chantiers de jeunesse qui, du temps de Tito, ont tracé la grande route
de NiÎ, je traverse les ponts reconstruits par les Serbes après
l’agression criminelle de 1999... Puis le paysage change. Nous avons
quitté l’autoroute pour une petite route qui se faufile entre les
montagnes. Et d’un seul coup je comprends : ce paysage est celui de mon
enfance. Ce ciel, ces épaulements, ces combes, ces ravines, cette
végétation, ces couleurs, c’est mon pays de l’Ariège. C’est le pays
cathare où mes ancêtres ont lutté pour leur foi contre les troupes du
Pape qui voulaient les faire rentrer dans le rang de l’Eglise
catholique. En 1244, après des mois de siège sur le pic de Montségur,
quatre cents hommes, vieillards, femmes et enfants ont dû choisir entre
la renonciation à leur foi et le bûcher. Tous ont choisi de mourir. Ce
jour-là, tous les Cathares ne sont pas morts mais tous ceux de Montségur
ont été brûlés en ce lieu que l’on appelle aujourd’hui lo prat dels cramats (le Champ des brûlés).
Pour nous, descendants des Cathares, ce champ est comme le Champ des merles (Kosovo polie)
pour les Serbes dont les ancêtres furent massacrés en même temps que
leur chef, le prince Lazare, par les janissaires ottomans.
C’est
peut-être pour cela qu’en descendant vers Leposavic et Kosovska
Metrovica je me suis senti si intimement français et serbe.
***
Tous
les Serbes, bien sûr, connaissent le monastère fameux de Studenica.
Comme dans tous les hauts lieux de l’orthodoxie que je connais j’ai
senti la présence de la paix et de la force de Dieu.
Ce monastère est magnifique, d’autres l’ont dit mieux que moi.
Mais
ce qui m’a frappé c’est le spectacle des enfants des écoles venant le
visiter non pas comme un musée mais comme une source de vie.
Patriarches, évêques, popes et moines sont les guides indispensables de
la civilisation. Ils nous gardent d’oublier que nous ne sommes que de
passage sur cette Terre, et que nous devons nous bien conduire au long
de ce passage.
Dans
la cour du monastère, je croise le regard d’une jeune femme. Elle m’a
reconnu et, les larmes aux yeux, elle me dit sa gratitude pour avoir
tenté quelque chose pour éviter le malheur qui a frappé son peuple. Elle
est institutrice. Elle réunit ses élèves autour de moi et nous faisons
une photo pour le souvenir. Au milieu de ces enfants serbes, je me
retrouve au milieu des enfants de mon village. Quand j’étais à la
communale, le 11-Novembre, nous entourions les Anciens Combattants de la
première guerre mondiale réunis devant l’église et le monument aux
morts. Pour les enfants de Studenica, j’étais un peu comme un ancien
combattant serbe de la guerre de 1999.
Cela aussi, cela contribue à faire de moi un Serbe.
J’ai
poursuivi mon périple vers le sud et Kosovo i Metohija. Nous nous
sommes arrêtés à Leposavic. Là j’ai été invité à donner une conférence
de présentation de mon livre Crimes de guerre à l’Otan publié grâce à M. Mile Bavrlic. Puis nous avons parlé de bien autre chose.ort
Les
gens ont posé des questions qui étaient autant de cris de douleur :
douleur d’être assiégés dans leur propre pays, douleur de l’injustice
faite au peuple serbe avec la complicité de la « communauté
internationale », douleur de subir la haine des Albanais qui se sont
emparés de tout le Kosovo avec la complicité des gouvernements des pays
membres de l’Otan.
Mais
ce cri de douleur n’était pas un gémissement. Les Serbes sont dignes et
ne se plaignent pas. A leurs questions, nettes, précises et qui
disaient leur souffrance j’ai répondu de mon mieux mais j’ai senti que
c’est le choix de l’honneur que j’avais fait, jusqu’à accepter d’être
jeté dans une prison française, qui était, à leurs yeux, la plus claire
et la meilleure des réponses.
A
Kosovska Mitrovica j’ai passé le pont avec mes accompagnateurs serbes.
Et c’est là que j’ai mesuré la différence entre les deux bords de la
rivière.
En
arrivant au sud, je ne me suis pas éloigné des militaires français qui
gardent ce point sensible. Comme nous arrivions du nord, nous avons vu
les jeunes « gardiens du pont » albanais se rapprocher de nous,
agressifs. A l’évidence, si nous étions allés plus loin, nous aurions
été attaqués. Je l’ai senti tout de suite ; des années d’expérience
m’évitent de me tromper, désormais, sur les intentions réelles des gens
dont je croise le regard.
Hier le Kosovo, demain la Seine-Saint-Denis
Alors
nous sommes revenus vers le nord. Au carrefour de rues sur lequel
débouche le pont il y avait aussi des « gardiens du pont ». Ils étaient
serbes, ceux-là. Leur attitude était très différente. Vigilants, bien
sûr, ils n’ont jamais été menaçants. Et comme je portais un appareil
photo l’un d’eux m’a simplement rappelé qu’il est interdit de
photographier et qu’il ne fallait pas que je prenne de risques.
Puis
ces hommes m’ont expliqué qu’ils ont été chassés de chez eux par les
Albanais, sans que ni l’ONU ni l’Otan fasse rien pour empêcher ce que
j’appelle depuis toujours une épuration antiserbe.
J’ai été le témoin de ce crime dans les Krajina et cela recommence ici. Encore une fois en présence de l’ONU...
On
peut se demander, dans la situation actuelle, à quoi a servi cette
guerre, ces destructions, ce sang versé. Le Kosovo est occupé par des
forces étrangères, il s’y passe une terrible épuration ethnique
antiserbe comme j’ai pu le constater moi-même.
Les
forces financières transnationales poussent les gouvernements
néo-coloniaux à séparer la Serbie et le Montenegro. Elles tirent profit
de la situation instable.
A
mon modeste niveau, j’ai fait ce que j’ai pu pour contribuer à éviter
que le malheur ne s’abatte à nouveau sur les victimes innocentes de la
région. Mon sacrifice n’a pu que quelque peu retarder l’inéluctable.
Mais il n’a pas été inutile. Malgré les malheurs qui frappent
aujourd’hui injustement tant de Serbes, tout espoir n’est pas perdu. Le
courage de la résistance du peuple serbe face à l’agression criminelle
de 1999 est un signe de ce que le pays n’est pas écrasé.
Nous
éprouvons parfois l’accablante impression d’avoir perdu la guerre
contre des forces qui ont le désir d’étouffer nos cultures, notre
histoire et donc de contrôler notre avenir.
Eh bien non. Nous n’avons pas perdu la guerre. Nous avons peut-être perdu une bataille, mais pas la guerre.
On
le voit partout dans le monde : les peuples courageux n’acceptent plus
la loi de la force seule. La culture, la protection de nos langues et de
notre foi en Dieu et en nos peuples seront notre sauvegarde.
Je
sais qu’alors que deux cent cinquante églises et monastères ont été
détruits, on n’a construit que trois églises à Kosovo i Metohija. Je
sais qu’on a construit vingt-trois mosquées de l’autre côté du pont.
Mais je sais aussi qu’on n’a jamais imposé à des peuples courageux un
mode de vie étranger.
Je
sais qu’on a détruit le saint Monastère des saints Côme et Damien, où
le pouvoir thaumaturge a guéri tant d’enfants parmi lesquels des enfants
musulmans. Les mamans ne peuvent pas oublier le bien qu’on a fait à
leurs enfants. Les papas non plus.
Une occupation n’est jamais éternelle. L’Evangile le dit : « Aidons-nous et le Ciel nous aidera. »
Sous
la protection des forces de l’argent sale, les Albanais musulmans
dévastent le Kosovo, pillent et saccagent les lieux saints et culturels
orthodoxes. Je l’ai vu, d’autres l’ont vu. L’héritage sacré de l’Europe
est bradé par des mercantis et souillé, saccagé par des brutes sauvages.
Europe, Réveille-toi !
Commandant Pierre-Henri Bunel Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 297 du 28 juin 2003
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