lundi 12 décembre 2011

Manipulation : La stratégie du positionnement évite la réalité et favorise l’illusion (II)

LA STRATEGIE DU POSITIONNEMENT EVITE LA REALITE ET FAVORISE L’ILLUSION (II).
MEMOIRE – CC/1999
1.1.2 La rhétorique : instrument de manipulation
Aristote, bien que disciple de Platon, n’a pas craint d’écrire un Art rhétorique en trois volumes. La rhétorique, selon Aristote « consiste dans la faculté de découvrir tous les moyens possibles de se faire croire sur tout sujet ».
Sa rhétorique se propose d’apprendre à persuader aussi bien par le sentiment que par la preuve. Elle diffère de la dialectique tout en restant en parenté avec elle. Elle ne relève pas de la théorie ; son objectif est extérieur à elle : c’est la persuasion des interlocuteurs.
Elle possède ses règles et se prête à la connaissance, c’est une sorte de « science appliquée » dont la finalité est de persuader.
Aristote fonde l’usage de son art de persuader sur sa conception de l’auditoire : certains auditeurs modestes (les gens du commun) n’ont pas la capacité de suivre un raisonnement élaboré et ceux qui ont le pouvoir de décision sont en général des gens simples. Dans ces conditions, Aristote recommande la pratique d’une rhétorique calquée sur la dialectique, mais dépouillée.
(…)
1.1.3 Manipulation et « art de bien dire »
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1.2.1 Les corruptions modernes de manipulations
Le cerveau est éminemment manipulable et cela malgré les systèmes de défense les plus blindés en apparence. Les opérations de colonisation psychologique des esprits, notamment par la propagande, les enclaves dans l’esprit d’autrui, font qu’en général on s’insurge contre ces techniques. L’une des ressources premières, fille de la sophistique, de l’art oratoire et de la rhétorique en général, repose sur les falsifications du discours. La psycholinguistique est à même aujourd’hui d’identifier les mécanismes à l’œuvre, l’architecture souterraine de la manipulation. Ce qui rend tendancieuse la communication, ce qui signe l’intentionnalité d’une conduite manipulatoire, tout ce qui a valeur de « charger » le discours de façon plus ou moins dissimulée vaut d’être recensé.
1.2.2 Les enseignements de la rhétorique : les « tours » et les « figures »
De la rhétorique, il reste l’enseignement que le maniement du langage peut faire de la parole un moyen d’action. Les orateurs politiques restent de fidèles usagers des « tours » conseillés par toute la littérature traitant de l’éloquence depuis Aristote, Cicéron et Quintilien et repris plus tard par Saint Augustin.
Même si ces moyens paraissent désuets, voire vieillots, ils continuent à faire partie du bagage du « faiseur de discours » : ils cherchent à émouvoir avant tout, fidèle à l’essence même de la rhétorique : être l’instrument de l’opinion.
Voici quelques exemples :
– pratiquer la tautologie (je sais, je crois, je sens…) ;
– pratiquer la métonymie en faisant parler les faits eux-mêmes (la crise nous a obligé à prendre des mesures désagréables) ;
– rejeter les maladresses comme pour les exorciser de son propre discours (je ne ferai pas de démagogie…) ;
– se livrer à l’inflation des valeurs (justice, liberté, croissance, prospérité…) ;
– utiliser des maximes (tout n’est pas possible) ;
– fabriquer des métaphores (nous avons construit les fondations, nous allons ensemble bâtir la maison) ;
– se placer au milieu de ses interlocuteurs (nous tous, nous pouvons…) ;
– créer des slogans, des refrains (une société plus juste, plus humaine, plus libre) ;
– pratiquer la contre-objection (certes, on me reprochera de…) ;
– énoncer des lieux communs (ce qui compte c’est l’essentiel) ;
– lancer des séries anaphoriques (ceux qui… ceux qui… ceux qui…) ;
– redoubler les termes (la crise et quelle crise…) ;
– établir des constats afin de créer des assertions se voulant indéniables (il s’agit de… il est vrai… il faut dire…) ;
– faire référence à ce qui a été dit ;
– répéter les mots pour faire croire à leur signification (je suis un homme honnête) ;
– provoquer le contradicteur éventuel (je voudrais réfléchir avec vous) ;
– créer le mouvement en jouant du style antithétique (hier/demain, choisir/renoncer, vouloir/pouvoir, dire/faire) ;
– préférer la consécutivité à la causalité (utiliser « c’est pourquoi » au lieu de « parce que »)
– exprimer le définitif (désormais, sans, jamais) et l’absolu (jusqu’au bout, totalement) ;
– apostropher l’auditoire (vous, chers amis, qui…)
Toutes ces figures ressortent du domaine de l’énonciation langagière, familière aux milieux de la politique, de la justice, des affaires (discours, plaidoiries, diplomatie, commerce, etc.). Elles manifestent une volonté de donner de l’éclat, de l’énergie un élan à la pensée en vue de frapper, d’émouvoir.
Les figures du discours empruntent parfois les chemins du symbole, de la suggestion, de l’allusion (H. Suhamy, 1987). Elles allègent ou exagèrent l’expression. C’est à ce titre qu’elles ont été condamnées : certains n’y voient qu’une vulgaire technique de manipulation exploitant les réflexes et les passions du public dans ce qu’ils ont de grégaire et d’irrationnel.
Insister, charger le discours, c’est bien la fonction de figure telles que la battologie (de Battos, roi de Cyrène qui était bègue), redondance consistant à appuyer de façon rythmique et accumulative comme dans : « ce projet est mort et enterré » ou « c’est fini, fi-ni ! » ; la périssologie, figure consistant à renforcer une déclaration par des précisions théoriquement inutiles comme dans : « je l’ai vu de mes propres yeux ».
La manipulation doit faire un grand usage des figures de répétitions et d’amplification. C’est le cas de l’anaphore (elle consiste à commencer plusieurs phrases ou membres de phrases successifs par le même mot ou groupe de mots), dont l’emploi fréquent aujourd’hui signifie, selon H. Suhamy, le besoin de retrouver un certain formalisme magique et primitif :
« Nous disons à François Mitterand : l’heure n’est plus à l’ironie et aux petites phrases. L’heure est à la discussion. L’heure est à la décision. L’heure est à l’accord» (G. Marchais, Le Monde 16 février 1978)
Autre intentionnalité nettement manipulatoire encore avec la question rhétorique.Cette figure a pour fonction de transmettre des certitudes sous forme de questions posées à un interlocuteur où a un auditoire que l’on suppose acqui d’avance (cette figure renvoie à la notion de stratagème que nous analyserons plus loin). Cette attitude rhétorique s’apparente au théâtre en ce sens qu’elle simule un dialogue dans lequel l’orateur manipule les questions et les réponses de manière à se donner l’avantage :
« Alors ce programme, il était mauvais ? Il ne suffisait pas ? Il fallait le changer ? C’était bien utile de demander d’y ajouter ceci ou cela si c’était pour le détruire. Quoi ? Le programme ne convient pas ? Mais il ne convenait pas non plus l’an dernier. »
La communication est un autre figure exemplaire des pièges du discours visant à influencer. Son ressort est la connivence. Selon P. Fontanier la communication est une figure de pensée, une attitude qui consiste « à mieux persuader ceux à qui l’on parle. On a l’air de les consulter, d’entrer en conférence avec eux, et de s’en rapporter à ce qu’ils décideront eux-mêmes ». http://www.mecanopolis.org

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