lundi 12 décembre 2011

Manipulation : La stratégie du positionnement évite la réalité et favorise l’illusion (III)

LA STRATEGIE DU POSITIONNEMENT EVITE LA REALITE ET FAVORISE L’ILLUSION (III)
MEMOIRE – CC/1999
1.3. Les indices linguistiques de la manipulation
O. Ducrot (Les mots du discours, 1980) a montré qu’il existe en français des expressions ni marginales, ni exceptionnelles, sans valeur informative marquante mais induisant des contraintes sur le type de conclusion possible.
Ainsi, la manipulation peut offrir la caractéristique d’un jalonnement serré de «marqueur de tendancieusité». Ces marqueurs sont là pour orienter vers certaines conclusions «calculées». Le manipulateur cherche à intervenir sur les représentations ou les convictions d’autrui en vue de les renforcer ou de les modifier.
Des mots comme « à peine, encore, presque, jamais, pourtant, mieux, toujours, même, quoique… » canalisent l’attention de l’interlocuteur vers un effet conclusif recherché. Exemples :
« On pourrait aller au théâtre, mais il est un peu tard… Il vaut mieux réserver. Il est presque vingt heures… On va encore aller au cinéma… Quoiqu’un mardi, on peut toujours essayer quand même ; il faut bien changer un peu.
Dans ce texte, les marqueurs de tendancieusité indiquent ouvertement que celui qui est l’énonciateur voit les choses sous un certain angle que l’interlocuteur doit rechercher s’il ne le perçoit pas immédiatement.
Pour provoquer l’évidence qui contraint, forcer l’accord, «en imposer», les verbes présuppositionnels contribuent ainsi à «doper» le discours et donc renforcer la tendancieusité. C’est le cas de : «prétendre», «imaginer», «s’efforcer», «espérer»…
La valeur persuasive d’un énoncé de se situe pas seulement dans le choix des mots. Elle peut tenir à la valeur logique de l’enchaînement des idées. Dans le domaine de la consistance apparente, le « connecteurs » («marqueurs de coordination» que la grammaire courante appelle conjonctions de coordination et de subordination) déterminent, comme la montré C. Bailly, des indices d’intentionnalité persuasive. «Mais», «parce que», «à cause de», «malgré», «en dépit de», «toutefois» sont fréquents à l’oral. Placés en attaque de phrase, ils permettent de situer u énoncé par rapport é celui qu’il précède. En conséquence, ils indiquent la valeur à accorder à ce qui vient d’être dit.
En outre, l’expression « parce que » n’a pas une valeur strictement explicative : «parce que» cherche à marquer un enchaînement confirmatif. Il faut voir là la preuve, au minimum, d’une volonté persuasive («quoi qu’il arrive» et «de toute façon» témoigne de la même intention).
Les épithètes classent un fait, ils font d’un fait un jugement de valeur. Bentham résume le rôle de l’épithète en une formule : «C’est la pétition de principe en un seul mot.» On parle d’une «manifestation sanglante, d’une décision scandaleuse, d’un échec mérité, d’une victoire honteuse…»
L’épithète devient le « performatif » de l’idée ; c’est le cas dans les énoncés : «le problème essentiel, la question fondamentale, le souci majeur»… Tous les qualificatifs jouent sur les mots le rôle du marteau qui s’abat sur un clou. L’épithète est le propre de l’esprit qui critique, qui juge, qui fait ses choix, qui cherche à «transférer» une conclusion en direction d’autrui. L’épithète dans certain cas polarise tout le fond des arrière-pensées. C’est le cas dans l’énoncé «nous sommes pour une négociation sérieuse». Décapons le mot « sérieuse » : nous trouvons derrière plus qu’une idée, un souhait. Il faut lire : «une négociation qui va être différente de ce à quoi on est habitué, une négociation dans laquelle nos adversaires feront des concessions réelles, auront une attitude conséquente…»
Quand le discours manipulateur est parsemé d’ajouts et de reprises phatiques, on a la preuve d’une volonté d’influence, de «capture» rationnelle de l’interlocuteur. Les «tu vois, tu comprends, tu es d’accord, hein, tu crois, c’est ça…» délimitent les contours d’une métacommunication. Cette sollicitation émotivo-relationnelle d’autrui matérialise la bonne volonté pour se mettre à la disposition, à la portée de l’autre et sceller l’accord, l’entente. Manipulateur à son insu, ce métalangage crée de fait, sinon de force, un climat de connivence et annonce la manipulation en tant qu’art du détour : d’abord établir une complicité, ensuite…
On voit que la manipulation se construit volontairement ou non parfois subrepticement au sein même du langage. La parole manipulatrice apparaît comme un montage complexe d’indices plus ou moins camouflés calculés ou inconscients visant à «charger» le discours afin qu’il produise un effet recherché sur l’interlocuteur ou l’auditoire.
Il est clair que la lucidité sur ces moyens est peu répandue. Le plus souvent, les «manipulateurs» méconnaissent comment ils «fonctionnent» et donc se comment se traduisent dans leur langage le désir d’influencer autrui.
Être conscient de l’effet de son propre discours, maîtriser le dosage d’influence qu’il véhicule, mieux saisir les risques du conditionnement psycholinguistique constituent un atout indéniable dans le développement personnel de l’adulte.
S’interroger sur la manipulation c’est admettre de réfléchir sur le statut social du libre-arbitre d’autrui. Et l’affaire est d’envergure. Les travaux de chercheurs comme P. Watzlawick sur la pragmatique de la communication ont contribué à montrer que même plus grand pouvait être l’accord sur le contenu, plus dure pouvait être l’oeuvre de la manipulation. Cette constatation trouve sa vérification dans la réflexion faite à un conducteur ne portant pas sa ceinture de sécurité et soumis à l’argumentation de son entourage sur la nécessité de s’attacher en voiture : « Je le sais, je suis pas con à ce point ! » http://www.mecanopolis.org

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