LA STRATEGIE DU POSITIONNEMENT EVITE LA REALITE ET FAVORISE L’ILLUSION.
MEMOIRE – 1999
1.1.1 Les premiers professionnels de la manipulation : les sophistes
« Le mot est un despote tout puissant », disait Gorgias dans un
discours à Athènes au Vème siècle, cité ou l’art de la manipulation et «
le fait d’être un orateur efficace était la clé du pouvoir politique »
(W.K.C. Guthrie, 1971). Pour Gorgias :
« L’orateur a le pouvoir de parler à tout le monde indistinctement et
sur toute question, de façon à être, en présence des foules, plus
persuasif que personne. »
De telles proclamations ont contribué à fonder la mauvaise réputation
des sophistes qui enseignaient l’art de manipuler : la rhétorique. En
Grèce, la réussite qui comptait était avant tout politique, et, ensuite,
judiciaire. Pour les sophistes, Peithô, la manipulation, était une
déesse puissante : « l’enchanteresse qui n ‘a jamais subi un refus »,
pour Eschyle, mais aussi « l’odieuse fille de l’Egarement’ . C’est pour
la déesse Persuasion qu’Isocrate avait pour habitude de faire un
sacrifice annuel.
Gorgias, comme Protagoras, établit un parallèle en l’art oratoire et la médecine :
« Le discours est dans le même rapport que les drogues au corps. De
même que les drogues tirent des dispositions différentes au corps, que
certaines mettent fin à la maladie et d’autres à la vie, de même les
mots peuvent provoquer la joie ou le chagrin, la peur ou la confiance,
ou, au moyen d’une manipulation, endormir et ensorceler l’esprit. »
Ce qui choquait tellement Platon (Guthrie, 1971), c’est ce que les
sophistes acceptaient comme fondement essentiels de la rhétorique :
– le probable est plus honorable que le vrai ;
– ce qui paraît à chacun est dans la mesure où il s’agit de lui.
– ce qui paraît à chacun est dans la mesure où il s’agit de lui.
Comme l’observe L. Versenyi (1963) cela revient à admettre que la vérité et la connaissance ne sont qu’illusion :
« Puisque toute quête humaine se meut dans les limites du royaume de
l’opinion où la duperie est aisée, toute manipulation est le résultat de
la puissance de l’éloquence plus que d’une perspicacité rationnelle. Si
les hommes savaient, il y aurait une grande différence entre la duperie
et la vérité. Telles que sont les choses, on ne peut que faire la
distinction entre le raisonnement couronné de succès et celui qui ne
convainc pas, entre le raisonnement persuasif et le raisonnement
stérile. »
La rhétorique est née du besoin d’emporter l’adhésion, en particulier
dans deux sortes de circonstances publiques : dans les réunions
politiques au forum, et dans les tribunaux, devant les juges. La
tradition veut que la rhétorique soit née en Sicile alors habitée par
une population à l’imagination vive, « une race à l’esprit aiguisé et
naturellement fait pour la dispute », selon Cicéron.
« Savoir parler en public prenait de plus en plus d’importance. Des
écoles spéciales furent créées. Le Syracusain Corax et son disciple
Tisias publièrent un véritable traité (techné), qui n’est pas arrivé
jusqu’à nous, mais que d’autres orateurs mentionnent dans leurs écrits. »
Cette rhétorique naissante, rouée et déjà très habile se veut «
ouvrière de la manipulation ».C’est elle qui fut transplantée en Grèce
au Vème siècle avant J.-C. Protagoras et Gorgias furent ses maîtres les
plus célèbres.
Les sophistes aimaient l’éclat et le faste dans la parole, le
vocabulaire, le style, la tenue et le geste. L’abus qu’ils firent de
leurs talents, leur prétention d’avoir toujours raison contribuèrent à
aggraver l’immoralité de leur attitude reconnue et surtout développée
par Platon et Socrate pour deux raisons :
– Le sophiste se désintéresse complètement de la relation entre le
discours et leur objet ; il ne se soucie pas de la recherche de la
vérité ni de la justice.
– Le sophiste trouve un profit immédiat à son enseignement, il en vit, c’est un « professionnel » et qui plus est il encourage ses élèves à « réussir », quelles que soient les injustices qu’il a pu commettre.
– Le sophiste trouve un profit immédiat à son enseignement, il en vit, c’est un « professionnel » et qui plus est il encourage ses élèves à « réussir », quelles que soient les injustices qu’il a pu commettre.
En fait, c’est une autre morale que défendent les sophistes. Pour
eux, l’idée d’une justice absolue pour le bien du plus grand nombre et
fondée sur les universaux moraux est une invention des faibles, les plus
nombreux : c’est un pis-aller accepté par tous, de peur de subir les
outrages de plus forts que soi (T. Todorov, 1983). Les sophistes font
valoir une conception de la justice : le droit, c’est la force et il est
légitime de jouir de sa supériorité. L’éloquence sophistique est au
discours ce que l’art de la parure est à la gymnastique.
Isocrate, célèbre élève de Gorgias, estime « qu’apprendre à parler,
c’est apprendre à bien vivre ». Plutarque l’en blâma sévèrement pour
avoir mis dix années à écrire son célèbre Panégyrique d’Athènes : «
Considérez, je vous prie, la bassesse de cœur de ce sophiste, qui
consuma la neuvième partie de sa vie à composer un seul discours. »
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