La période des origines de Rome est largement plongée dans la légende. Fondée,
d'après la tradition, le 21 avril 753 avant J.-C., la ville passa
vite sous la domination de voisins riches et puissants, les Étrusques,
en sorte que sa première armée peut être appelée romano-étrusque.
Toujours d'après la tradition, Rome se débarrassa de ses maîtres en 509.
La première armée
proprement romaine reflétait de manière étroite une société et un État
très aristocratiques. Les hommes étaient répartis en fonction de
leurs revenus en 5 classes et 193 centuries. Au début, comme chacun
devait payer son armement, les plus riches combattaient à cheval ou
constituaient l'élite de l'infanterie ; les plus pauvres n'étaient
même pas admis au service, puisqu'ils n'avaient pas les moyens de
s'équiper. Les combattants adoptèrent d'abord un système proche de
celui de la phalange grecque : épaule contre épaule, ils offraient à
l'ennemi une ligne continue qu'on appelait la légion, mot qui signifie
que les hommes ont été sélectionnés.
La tactique
manipulaire, très moderne pour son époque, constitua une première
révolution. Le corps de bataille éclata en une série de petites
unités, les manipules, groupes de deux centuries, et chaque soldat
occupa un petit espace qui lui permettait de pratiquer l'escrime sans
gêner son voisin. Les manipules étaient répartis sur trois lignes : les
soldats les plus riches occupaient le premier rang, les autres le
second, mais au troisième on plaçait les plus expérimentés. Le gain en
souplesse était évident.
Les débuts furent
difficiles. À plusieurs reprises, Rome faillit disparaître, menacée
tantôt par les Étrusques, tantôt par les Latins, tantôt par les
Gaulois. Pour faire face à d'aussi nombreux adversaires, il fallut
utiliser toutes les ressources humaines disponibles. La solde fut
créée et, dans le même temps, le revenu minimum, ou cens, abaissé :
des hommes de plus en plus pauvres purent entrer dans l'armée. La vraie
révolution intervint à la fin de la guerre de 340-338 contre les
Latins. Au lieu de réduire en esclavage ces voisins qu'ils venaient de
vaincre, conformément au droit international de l'époque, les Romains
non seulement leur laissèrent la liberté mais encore leur donnèrent
leur propre citoyenneté. Cette mesure extraordinaire mit à la
disposition du commandement de nombreuses légions. Alors que Rome
avait eu besoin de deux siècles et demi pour simplement garantir sa
survie (753-338), cinquante ans (338-272) lui suffirent pour prendre
le contrôle de l'Italie.
Puis, hors de
l'Italie, l'armée romaine s'attaqua à Carthage qui contrôlait un vaste
domaine. La première guerre punique (264-241) fit passer les îles de
la Méditerranée occidentale dans le domaine de Rome. La seconde guerre
punique (218-201) brisa la force militaire de Carthage. La troisième
(148-146) ne fut qu'une simple expédition contre une ville isolée, qui
fut prise et rasée ; l'Afrique tombait à son tour dans l'empire de
Rome.
La conquête de
l'Espagne fut entreprise au cours de la deuxième guerre punique, à
partir de 210 avant J.-C. Ce fut sans doute ce conflit qui apprit aux
Romains l'utilité d'unités regroupant 3 manipules, les cohortes ; 10
cohortes formèrent une légion.
En Orient, la Grèce fut la première
victime de cet impérialisme. Elle fut réduite en provinces après une
révolte durement réprimée, en 148 et 146. C'est surtout Pompée le Grand
qui augmenta le domaine de sa patrie dans cette région : il s'empara
d'une partie de l'Anatolie, de la Syrie et de la Judée.
Octave-Auguste, enfin, en remportant sur Antoine et Cléopâtre la
victoire d'Actium (31 avant J.-C.), ajouta l'Égypte à l'Empire. Dans
le même temps, et en deux étapes (125-118 et 58-51), la Gaule, était à
son tour conquise.
L'armée de la “paix romaine”
Auguste créa une
nouvelle armée. Deux caractères principaux la définissent,
professionnelle et défensive. La conscription subsistait, mais les
jeunes gens sélectionnés restaient au service de 25 à 30 ans. Une
petite partie de l'armée, quelque 10.000 hommes, forma la garnison de
Rome – prétoriens, urbaniciani et vigiles. La flotte, d'environ 40.000
marins, reçut deux grandes bases à Misène et Ravenne. L'essentiel du
corps de bataille, les 25 légions et les nombreux corps auxiliaires,
soit à peu près 250.000 hommes, fut installé sur la frontière.
L'armée offrait
encore un reflet de la société, mais d'une société qui aurait été vue à
travers un miroir déformant. Les cadres venaient du Sénat ou de
l'ordre équestre. Les soldats furent d'abord recrutés dans les
provinces romanisées, puis de plus en plus près des camps. On exigeait
d'eux qu'ils connaissent au moins le latin. Tous les hommes libres
pouvaient être appelés, les Italiens dans la garnison de Rome, les
citoyens romains dans les légions et les pérégrins – hommes libres non
citoyens – dans les unités auxiliaires. Seuls les esclaves et les
affranchis, jugés indignes, étaient exclus.
Outre ce recrutement
de qualité, plusieurs facteurs expliquent la valeur de cet instrument
de guerre. Contrairement à la légende, les officiers étaient
compétents et courageux. Les soldats, disciplinés, pratiquaient un
entraînement dur et régulier, et ils avaient un excellent armement,
défensif et offensif. Et la guerre était devenue une science. Les
officiers savaient comment diriger l'exercice, comment organiser
l'ordre de marche, la bataille en rase campagne et le siège, comment
construire un camp. Enfin, l'État avait une stratégie qui s'élabora
peu à peu, certes de manière empirique, mais non sans efficacité.
L'Empire avait atteint des dimensions telles qu'il finit par paraître
impossible de l'accroître encore. On recourut à la défensive en
l'entourant d'une ceinture de routes, de murs, de fleuves, de camps et
de tours; c'est ce que les modernes appellent le limes.
Pendant deux
siècles, le monde connut une heureuse situation, la “paix romaine”.
Tout se gâta à partir de 235 après J.-C., quand les Germains au nord
et les Perses à l'est attaquèrent simultanément. Pour des raisons
d'effectifs, l'armée eut du mal à se défendre sur deux fronts à la
fois. Vint le temps des défaites, des empereurs morts au combat, des
unités en déroute. Pourtant, dès le milieu du IIIe siècle, alors que
l'Empire touchait le fond, des officiers énergiques entreprirent de
réagir. S'il se révéla impossible de faire cesser les tentatives
d'usurpation, le pouvoir sut repousser les ennemis, réduire les
dissidences – Gaule, Palmyre –, préparer l'avenir. De nouvelles unités
furent créées, avec davantage de cavalerie et une meilleure
protection, et une réserve fut installée à Milan par Gallien.
Quand Dioclétien
arriva au pouvoir, en 284, date traditionnelle pour la naissance du
Bas-Empire, la situation allait en s'améliorant. Cet empereur installa
deux petites légions dans chaque province frontalière. Il créa quatre
commandements généraux et, dans ces conditions, il lui fallut
multiplier les effectifs. Ce faisant, il privilégiait la quantité au
détriment de la qualité. En effet, pour trouver de nouveaux effectifs,
il fallut recourir à des expédients, imposer l'hérédité, acheter des
volontaires, et surtout enrôler des barbares.
Le principal
problème de Constantin (306-337) fut de réduire les usurpations et les
concurrences. Il passa les deux tiers de son règne à lutter contre
des compétiteurs (306-324). C'est pour cette raison qu'il appela ses
meilleures troupes à l'intérieur de l'Empire. De plus, installer les
soldats dans des villes permettait de mieux résoudre les problèmes de
ravitaillement. Dans le même temps, la frontière était dégarnie, mal
défendue. Constantin supprima les cohortes prétoriennes et divisa les
commandements généraux entre plusieurs commandants – maîtres de
l'infanterie, de la cavalerie, en Orient, en Gaule, en Illyrie – pour
éviter qu'aucun n'ait trop d'effectifs à sa disposition.
Grâce à ces mesures,
Constantin put régner tranquillement de 324 à 337. Il avait cependant
dégarni la frontière et affaibli les commandements stratégiques.
Plusieurs de ses successeurs, tels Constance II, et surtout Julien et
Valentinien Ier, se révélèrent courageux et compétents. Ils eurent de
plus en plus recours à des barbares, et ces derniers occupèrent
jusqu'aux plus hautes charges militaires à la fin du IVe siècle.
L'armée romaine était très affaiblie. Dans le même temps, les Germains
et les Perses se montraient de plus en plus agressifs. Les provinces
d'Orient réussirent à se défendre. En proie à une crise générale,
notamment économique, l'Occident et surtout la Gaule ne purent
toutefois faire face aux invasions. En 406, les Vandales, les Alains et
les Suèves franchirent le Rhin sans qu'aucune armée ne s'oppose à
leur avance. En 410, les Goths prenaient Rome.
Tandis que l'Orient
romain devenait lentement le monde byzantin, l'Occident romain cédait
brutalement la place à un monde barbare.
Yann LE BOHEC THEATRUM BELLI
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