Les invasions des anciens fédérés Wisigoths furent très différentes de la grande migration des peuples de Radagaise et des Vandales-Alains-Suèves, tous gentes externae, car les anciens fédérés wisigoths étaient dans l'Empire et ils eurent un but plus précis que la grande migration de 406, celui non seulement de redevenir fédérés, mais aussi d'obtenir une intégration plus étroite dans l'Empire, obstinément poursuivie par leurs rois, tant par l'ancien général romain Alaric que par son successeur Athaulf.
Ainsi
les Wisigoths envahirent-ils dans ce but, peu après la grande
migration de 406, d'abord l'Italie complètement, puis une partie de la
Gaule méridionale et une partie de l'Espagne méditerranéenne. Mais, si
la grande migration de 406 les servit, en épuisant les moyens
militaires de l'empereur Honorius contraint, en plus, d'affronter un
usurpateur en Gaule dès 407 et un autre encore en 411, elle les
desservit tout autant, en suscitant une virulente réaction des Romains
antigermains qui les assimilèrent aux barbares de Radagaise ou de
l'invasion des Vandales-Alains-Suèves et qui, même, redoutèrent plus
ces anciens fédérés que les autres envahisseurs barbares. La seconde
invasion de l'Italie par Alaric et la prise de Rome, le 24 août 410,
firent des Wisigoths des ennemis intolérables de l'Empire, de sorte que
leur établissement dans des provinces gauloises en 418, après leur
retour au statut de fédérés en 416, réalisa en partie seulement les
buts de leurs sept années d'invasions.
La rupture du gouvernement impérial avec Alaric détermina l'invasion de l'Italie par un roi des Wisigoths, ancien magister militum per Illyricum
de l'empereur d'Occident. Au printemps 407, l'arrêt des préparatifs de
la guerre contre l'Empire d'Orient n'entraîna pas cependant le retrait
de sa dignité romaine au roi wisigoth qui, probablement, crut que la
guerre projetée était différée à cause de l'usurpation de Constantin en
Gaule. Vers la fin de 407 ou le début de 408, sans doute après l'échec
de l'expédition de Sarus contre Constantin, Alaric, inquiet de ne plus
recevoir les annones de ses soldats fédérés, quitta ses cantonnements
d'Épire, gagna par la Savie et Emona le Norique méditerranéen, où il
s'installa à Virunum (près de Klagenfurt), à l'entrée de la route des
Alpes Juliennes menant en Italie, donc dans la même région qu'en 406
Radagaise. De là, il envoya des légats réclamer au généralissime de
Ravenne une indemnité de 4 000 livres d'or, somme considérable que
Stilicon, accouru à Rome où se trouvait Honorius, fit difficilement
accepter par le Sénat. En outre l'empereur, allant à Ravenne pour
inspecter lui-même l'armée italienne, y fut accueilli par une mutinerie
que suscita Sarus, antistiliconien depuis son échec en Gaule.
La chute de Stilicon fut,
peu après, hâtée par la mort inattendue de l'empereur Arcadius, le 1er
mai 408, mort qui rendit inutiles la guerre déjà retardée contre
l'Orient et les services d'Alaric, précisément nommé général pour
occuper l'Illyricum oriental revendiqué par l'Occident : Honorius devint
le tuteur du jeune fils d'Arcadius, Théodose II. Alors Stilicon, sans
doute pour garder Alaric au service de l'Empire en évitant d'apparaître
à ses côtés comme un complice, décida Honorius, lors d'un conseil tenu
à Bologne vers juillet, à lui confier quelques troupes pour aller
veiller sur Théodose II à Constantinople, tandis que l'armée italienne,
de plus en plus travaillée par les antistiliconiens, irait en Gaule
combattre l'usurpateur avec les Wisigoths du magister militum
Alaric sous le commandement personnel de l'empereur. Quand Honorius
vint à Pavie, où étaient réunis les soldats italiens, ceux-ci se
mutinèrent à l'incitation des antistiliconiens dont faisait partie un
très influent fonctionnaire palatin d'origine orientale, Olympius : ils
massacrèrent le magister equitum Galliarum et le préfet du
prétoire des Gaules qui venaient d'être nommés, ainsi que le préfet du
prétoire d'Italie et tous les dignitaires stiliconiens. Stilicon, resté
à Bologne avec quelques troupes, ne tenta pas un autre coup d'État
militaire pour évincer Olympius et le parti antigermanique : il partit à
Ravenne et, quand ses gardes du corps huns furent égorgés par Sarus,
il se laissa arrêter sous la promesse d'avoir la vie sauve, mais il fut
exécuté.
Aussitôt
se déchaîna la persécution non seulement de la famille et des
partisans de Stilicon, mais aussi des soldats barbares, déjà expulsés
des villes italiennes sur l'ordre du généralissime, peu avant son
exécution : on tua tous ceux qu'on put rattraper ainsi que leurs
familles laissées en otages dans les cités et, selon Zosime, les
rescapés, au nombre de 30.000, s'enfuirent auprès d'Alaric. Olympius,
devenu tout-puissant auprès d'Honorius, installa des ministres
antigermains, donna de nouveaux généraux à l'armée italienne et utilisa
l'Ostrogoth Sarus en le nommant aussi général, selon Philostorge, soit
pour le récompenser de l'arrestation de Stilicon, soit pour garder le
groupe de fédérés pannoniens qui l'avaient suivi en Italie. Or, Sarus
était l'ennemi personnel d'Alaric, inimitié qui joua un grand rôle dans
les rapports du nouveau gouvernement de Ravenne et du roi wisigoth,
parce qu'il s'agissait de haines tribales implacables. Probablement ces
haines anciennes s'étaient-elles avivées quand les Wisigoths, allant
envahir l'Italie à la fin de 401, passèrent en Pannonie II-Savie et
s'allièrent aux fédérés ostrogoths en les incitant à se donner pour
roi, à la place de Sarus, le beau-frère d'Alaric, Athaulf, d'origine
gothico-sarmate, sans doute d'une famille loyale envers Hermanaric,
lors du complot de la gens infida des Rosomons, et restée fidèle aux
Amales quand elle se réfugia chez les Wisigoths après 375 : Athaulf
exploita-t-il le fait que Sarus était le frère de Sunilda, l'épouse
d'Hermanaric suppliciée pour avoir trahi au profit des Rosomons ? Après
la défaite d'Alaric en Italie et sa retraite en Illyricum oriental,
les fédérés ostrogoths, pardonnés par Stilicon, avaient eu pour roi
Sarus, avec qui une partie d'entre eux était partie, en 406, dans la
plaine du Pô pour y participer aux opérations de Stilicon contre
Radagaise. Mais, à l'automne de 408, quand Alaric quitta l'Épire, il
revint en Pannonie II-Savie et de nouveau donna pour roi Athaulf aux
fédérés ostrogoths qui n'avaient pas suivi Sarus en Italie, peut-être
surtout parce que, venant de rompre avec le gouvernement impérial, il
ne pouvait gagner le Norique méditerranéen sans être sûr de l'alliance
des Ostrogoths de Pannonie.
Vers
septembre 408 en effet, Alaric semble avoir tenté d'éviter la guerre
contre le nouveau gouvernement impérial, parce qu'il redoutait
d'affronter la grande armée italienne de Pavie avec des troupes
insuffisantes, réduites à ses Wisigoths, sans être assuré que les
fédérés ostrogoths et huns de Pannonie viendraient, dirigés par Athaulf,
participer à l'invasion de l'Italie. Selon Zosime, il envoya des
légats porter à l'empereur des propositions de paix plus "modérées" que
son ultimatum du printemps : une somme d'argent "non excessive",
l'autorisation de transférer ses soldats du Norique « en Pannonie »,
vraisemblablement pour obtenir qu'Athaulf y eût le statut de roi fédéré,
et l'envoi réciproque d'otages qui seraient, du côté romain, Aetius et
le fils de Jovius.
L'ouverture
de la guerre fut précipitée, dès octobre, tant par le refus d'Olympius
de négocier avec Alaric que par la prompte désorganisation de l'armée
italienne, non seulement amputée de ses soldats barbares dont la
plupart allèrent rejoindre le roi wisigoth, mais aussi par
l'incompétence et les rancunes de ses nouveaux généraux qui avaient
fini par obtenir la mise à l'écart de Sarus. Aussi peut-on conjecturer
qu'Alaric décida d'intimider l'influençable Honorius qui avait gardé au
palais d'anciens stiliconiens, tel l'ex-préfet du prétoire d'Illyricum
Jovius, et n'avait même pas encore quitté Milan le 24 septembre. Dans
le courant d'octobre 408, sans attendre les renforts pannoniens "huns
et goths" qu'il avait demandés à son beau-frère Athaulf, il passa les
cols du Norique avec ses seuls guerriers et envahit la Vénétie. Par la
route de Concordia et d'Altinum il atteignit le Pô et s'empara de
Crémone, sans rencontrer de soldats italiens, car, entre-temps,
Honorius avait quitté Milan et était revenu à Ravenne.
Alaric
eut donc à faire le siège de Ravenne, puissamment fortifiée et
défendue par une armée impériale, pour imposer à l'empereur une paix
moins "modérée" que celle proposée en septembre. S'il renonça aux longs
et coûteux travaux qu'aurait exigés le siège de Ravenne, il alla, en
suivant la voie Flaminienne, assiéger Rome. L'Urbs avait certes une
enceinte réparée à la fin de 401, mais pas de garnison. De plus, la
présence dans ses murs du sénat et des grandes familles sénatoriales,
ainsi que de l'évêque romain, faisait de Rome assiégée une menace qui
pouvait contraindre Honorius à négocier, tout autant que le siège de
Ravenne. C'était aussi à l'automne qu'arrivait à Portus, le port de Rome
sur la rive nord de l'embouchure du Tibre, l'annone d'Afrique qui
pouvait assurer le ravitaillement des Wisigoths, restés sans vivres au
début de l'hiver, à cause de leur offensive rapide, après Crémone, vers
Bologne et Rimini qu'ils n'avaient pas pris le temps d'assiéger. Dès
novembre, Alaric s'empara de Portus et du blé africain, qui, enlevé
ainsi aux Romains, contribua à ébranler la résistance d'assiégés menacés
par la famine.
Le
siège de Rome devint pour le roi wisigoth le moyen d'exercer une
pression puissante sur le gouvernement impérial, afin d'en obtenir
l'octroi de cantonnements pour ses sujets redevenus fédérés et de
commandements romains pour lui et Athaulf. En revanche Honorius, resté
sauf dans Ravenne avec une armée qui servait de garnison à sa capitale
réelle, résista aux exigences des Wisigoths retenus par le siège de
Rome. Si Alaric crut pouvoir dicter les conditions de la paix, le
gouvernement de Ravenne crut pouvoir refuser de subordonner au sort de
Rome la paix avec un ennemi qui ne le menaçait pas directement. Mais le
siège de l'Urbs, que l'armée d'Alaric ne pouvait emporter, ni l'armée
de Ravenne délivrer, dura longtemps et il imposa aux deux adversaires,
au roi wisigoth comme à l'empereur, une remise en question, par trois
fois au moins, des moyens susceptibles d'aboutir à une paix
nécessairement dépendante de leur réconciliation ou de la soumission de
l'un des deux.
De novembre 408 à février 409,
la politique antigermanique d'Olympius s'effrita sous le choc des maux
endurés par les Romains assiégés : après la prise de Portus, les
rations de blé diminuèrent d'un tiers, puis de moitié, et la famine,
puis la peste apparurent, tandis qu'on faisait la chasse aux
stiliconiens ; hors les murs, les Wisigoths furent rejoints par les
esclaves fugitifs, 40.000 selon Zosime, et Alaric exigea de la première
ambassade romaine qui vint le trouver tout ce que l'Urbs contenait
d'or, d'argent et d'esclaves germains. Mais, quand l'énorme
contribution fut livrée par une seconde ambassade, Alaric demanda
l'envoi à Ravenne du préfet de la Ville et de deux sénateurs pour
proposer à l'empereur la paix dans l'alliance avec les Wisigoths. En
janvier 409, l'intransigeance d'Olympius, qui avait convaincu Honorius
de ne pas céder aux prières des représentants des Romains, fit déjà
scandale à la cour, d'autant plus que cinq escadrons de Dalmates,
rappelés de Pannonie pour aller au secours de l'Urbs furent détruits
par Alaric. En février, le blocus de Rome fut resserré par le roi
wisigoth, irrité par les refus du gouvernement impérial, et une
nouvelle ambassade romaine partit, avec l'évêque de Rome Innocent I',
demander une fois de plus à l'empereur de consentir à la paix. À ce
moment, les renforts pannoniens amenés par Athaulf arrivèrent enfin sur
la route de Rome, mais ils étaient si peu nombreux qu'un corps de
trois cents fédérés huns, probablement rappelés de Pannonie par
Olympius en même temps que les Equites dalmates, put les attaquer à
Pise et les vaincre, sans réussir cependant à empêcher la jonction
d'Athaulf et d'Alaric. Alors, à Ravenne, les soldats du comte Jovius
exigèrent de l'empereur la disgrâce d'Olympius et du parti
antigermanique. Jovius devint préfet du prétoire et reprit les
négociations.
De mars à novembre 409,
la politique d'entente avec les Wisigoths s'effrita à son tour, mais
progressivement, à mesure qu'évoluèrent les exigences d'Alaric. Vers
mai-juin, Honorius se réconcilia avec l'usurpateur gaulois Constantin
qui promit d'intervenir en Italie "avec toute l'armée de Bretagne, de Gaule et d'Espagne".
Fut-ce à cause de cela ou d'une intrigue du parti antigermanique
demeuré influent au palais qu'Honorius décida de refuser les
propositions d'Alaric, présentées à Rimini, lors de la rencontre du roi
wisigoth et du préfet du prétoire Jovius ? Alaric présenta,
semble-t-il, à Rimini non pas un ultimatum, mais une base de
discussion, en exigeant, outre de l'or et des vivres, des cantonnements
situés non seulement dans les Noriques et les Pannonies, comme il
l'avait réclamé en septembre 408, mais aussi dans la Dalmatie et la
province italienne de Vénétie. Avait-il l'intention de réduire ces
exigences s'il obtenait pour lui et Athaulf des commandements romains,
que d'ailleurs Jovius avait conseillé à l'empereur d'accorder? De toute
façon, Honorius ordonna de rompre les négociations. Jovius non
seulement obtempéra, mais encore, craignant d'être disgracié, se
convertit sur-le-champ à la politique antigermanique d'Olympius.
Alaric, violemment déçu, partit reprendre le siège de Rome,
"vigoureusement" dit Zosime, tandis que Jovius faisait engager 10.000
Huns extérieurs aux frontières pannoniennes, mercenaires pour lesquels
il fit venir du blé et du bétail de Dalmatie.
Mais,
vers la fin de l'été 409, les pourparlers reprirent entre les Romains
assiégés et Alaric, car le ravitaillement des Wisigoths dépendait,
comme à l'automne 408, de l'arrivée du blé annonaire d'Afrique. Une
nouvelle ambassade des Romains, conduits par le préfet de la Ville
Attale et l'évêque Innocent 1er, alla porter à Ravenne des propositions
de paix du roi wisigoth beaucoup plus conciliantes que celles du
printemps précédent : Alaric se bornait, selon Zosime, à demander non
plus de l'or, mais seulement des vivres, dont l'empereur fixerait
lui-même la quantité, et des cantonnements dans les Noriques,
"provinces éloignées de l'Italie et qui rapportaient peu au fisc".
Jovius, soit parce qu'il attendait ses nouveaux soldats huns, soit
parce qu'il n'osait pas renier le parti antigermanique, fit éconduire
l'ambassade et rejeter les offres d'Alaric par Honorius. Le roi
wisigoth, excédé par cette politique de refus, resserra le blocus de
Rome, d'autant plus qu'en novembre le blé africain n'arriva pas à
Portus, car le comte d'Afrique Heraclianus retint à Carthage la flotte
annonaire et même, plus tard, au printemps 410, l'expédia à Ravenne.
De décembre 409 à juillet 410,
Alaric tenta de s'entendre avec les Romains contre l'intraitable
gouvernement de Ravenne. Résolu à rompre enfin avec Honorius, mais non
avec l'autorité impériale, il fit proclamer empereur par ses Wisigoths
le préfet de la Ville Attale, au vif soulagement du sénat et de la
population de Rome. Ainsi obtint-il de son empereur, assez docile pour
se laisser baptiser par l'évêque arien des Wisigoths, ce qu'il avait
demandé vainement au représentant d'Honorius à Rimini, c'est-à-dire non
pas des cantonnements en Italie, mais un grand commandement : Alaric
fut nommé magister militum et Athaulf comte de la cavalerie des
domestiques. Attale put cependant désigner un Romain, Constant, plutôt
que le Wisigoth Druma, comme chef des soldats expédiés promptement en
Afrique pour obliger le comte Heraclianus à livrer l'annone.
Jusqu'au
printemps 410, Attale donna satisfaction au roi wisigoth. Dès janvier,
tous deux marchèrent contre Ravenne, d'où Honorius, inquiet de cette
entente, envoya des ambassadeurs conduits par le préfet du prétoire
Jovius qui offrirent à Attale de partager le pouvoir impérial avec
l'empereur légitime. Peut-être Alaric y aurait-il consenti, si, à la
cour d'Honorius, les haines n'avaient explosé contre le parti
antigermanique et l'empereur qui, en le cautionnant, était responsable
du siège de Ravenne. Jovius s'empressa de faire à nouveau volte-face et
de se rallier à l'empereur d'Alaric : il devint le préfet du prétoire
d'Attale qu'il pressa de déposer Honorius et même de le mutiler, après
l'avoir capturé. Quant au général germain des soldats de Ravenne,
Allobic, il projeta de remplacer Honorius par Constantin III dont on
attendait la venue en Italie.
Honorius
semblait perdu et s'apprêtait à fuir Ravenne, lorsque soudainement
débarquèrent quatre mille soldats envoyés d'Orient par Théodose II, qui
le décidèrent à rester. Ensuite, peut-être vers avril, arriva de
Carthage la flotte annonaire apportant aussi les impôts en argent des
Africains, qu'avait retardée les opérations du comte Heraclianus contre
les soldats de Constant, expédiés par Attale en Afrique sans doute vers
février, mais battus promptement. Honorius eut donc de quoi payer ses
soldats huns et nourrir la garnison ainsi que la population de Ravenne
assiégée, tandis que le blocus des ports africains par Heraclianus
faisait réapparaître la famine à Rome.
Alaric
hésita cependant à se séparer d'Attale, quand celui-ci refusa de faire
partir en Afrique des soldats wisigoths qui, mieux que ceux de
Constant, pouvaient vaincre Heraclianus. Il alla même guerroyer contre
les villes italiennes qui, telle Bologne, refusaient de reconnaître son
empereur et peut-être contribua-t-il à hâter la retraite de Constantin
III que la mort d'Allobic et les nouveaux moyens dont disposait
Honorius décidèrent à rentrer en Gaule. Ce fut Jovius qui, selon Zosime
"acheté par Honorius", convainquit Alaric de se débarrasser d'Attale
et de se réconcilier avec l'empereur légitime. Attale ayant abandonné
le siège de Ravenne pour accourir à Rome, afin sans doute de recourir
au sénat, Alaric le convoqua à son camp de Rimini et, là, vers la fin
juillet, le dépouilla des insignes impériaux qu'il fit porter à
Honorius. L'empereur de Ravenne accepta la paix offerte, amnistia tous
ceux qui avaient servi Attale et, peu après, fit lever le blocus des
ports africains pour assurer le ravitaillement de Rome et, en
conséquence, celui des Wisigoths. On ignore les concessions
qu'obtinrent Alaric et Athaulf, car celles-ci restaient sans doute à
préciser.
On
ignore aussi pourquoi et à quel moment, avant ou après une entrevue
entre Honorius et Alaric, l'escorte du roi wisigoth fut, sur la route de
Ravenne, attaquée par Sarus, resté à l'écart depuis l'automne 408,
mais rentré avec un haut grade au service de l'empereur ou plutôt du
nouveau généralissime, Constantius. L'incident était-il dû à une
initiative de Sarus ou à un ordre de Constantius, soucieux d'intimider
Alaric qui gardait encore comme otage la demi-soeur d'Honorius, Galla
Placidia ? Alaric s'indigna-t-il seulement d'être attaqué par son
ennemi promu à un grade que ni lui-même, ni Athaulf n'avaient encore
reçu de l'empereur ? Persuadé qu'Honorius s'apprêtait à le trahir, le
roi wisigoth revint assiéger Rome et prouver sa puissance, soit pour se
venger, soit pour faire céder l'empereur.
La prise de Rome fut
précédée par un blocus qui menaçait de durer, car les Wisigoths
n'avaient pas de matériel de siège et la solide enceinte de l'Urbs avait
peu souffert des sièges précédents de 408 et 409. Mais, depuis 18
mois, il y avait eu tant de pourparlers et de trêves, tant d'échanges
d'ambassades entre assiégés et assiégeants, tant de partisans d'Attale à
Rome, que beaucoup de familles romaines, notamment sénatoriales,
avaient des relations dans l'entourage d'Alaric et d'Athaulf. En outre,
la famine, qui sévissait déjà au temps d'Attale, était devenue
intolérable après les espoirs d'amélioration apportés par la paix. Aussi
est-il probable que des Romains tentèrent un accommodement avec le roi
wisigoth pour ne pas prolonger une vaine résistance et, tout au moins,
limiter les dégâts d'une reddition inconditionnée.
Le sac de Rome,
du 24 au 27 août, fut apparemment réglé avant l'entrée des Wisigoths,
par la Porte Salaria, trop mal défendue pour qu'il n'y ait pas eu des
complicités dans ce quartier de l'Urbs. La limitation à trois jours de
la mise à sac d'une ville aussi vaste et riche que Rome suggère que le
roi wisigoth s'y était engagé, avant. Alaric, d'ailleurs respecta cet
engagement préalable, y compris le droit d'asile consenti à la basilique
Saint-Pierre et à ses alentours, malgré la difficulté de plier à cette
discipline ses Wisigoths exaltés par le pillage de tant d'opulentes
demeures et l'incendie de tant de monuments. Enfin, il y eut tant de
nobles réfugiés en Afrique et en Orient, où ils arrivèrent dépourvus de
ressources, que la fuite de la plupart d'entre eux avait été,
vraisemblablement, tolérée et payée par l'abandon de leurs biens. Ceux,
plus pauvres ou plus imprudents, qui restèrent eurent le sort des
autres Romains, soit tués, soit surtout asservis par les Wisigoths
jusqu'au paiement de rançons sommairement calculées, d'après les
classes sociales ou les circonstances.
Il
ne subsiste pas et sans doute n'y eut-il pas de description de la
prise de Rome, événement civil, non pas défaite ou victoire militaire.
Brièvement mentionnée par les chroniques, elle n'apparaît dans les
textes d'auteurs presque tous ecclésiastiques, dont l'historien des
Goths Jordanes, qu'à travers des épisodes sélectionnés et altérés pour
montrer la modération de barbares chrétiens ou à travers des allusions
aux malheurs de victimes romaines connues, enfin à travers des reproches
adressés au gouvernement impérial, mais surtout au "traître" Stilicon.
De tous ces témoignages il ressort que le sac de Rome fut ressenti
comme un bouleversement prodigieux, un signe fatidique, moins à décrire
qu'à interpréter pour dénoncer ses causes et conjurer l'arrêt du
Destin. Rome n'avait pu tomber que parce qu'elle avait été trahie ou
coupable. Seule importait la cause morale de ce malheur : abandon des
anciens dieux tutélaires pour l'opinion des païens, plus nombreux dans
les milieux populaires romains que dans les cercles des sénateurs
lettrés ; justice de Dieu qui frappe, mais laisse survivre, pour
l'opinion des clercs chrétiens plus que de leurs fidèles.
Les
conséquences de la prise de Rome montrèrent l'importance réelle de cet
événement. Apparemment, ni Honorius, assuré que Ravenne, sa capitale
d'empereur légitime, était le cœur de l'Empire, ni Alaric, aveuglé par
ses rancunes, ni même les sénateurs romains obsédés par le souci
d'échapper au pire, n'avaient tenu compte de la puissante charge
émotionnelle qui s'était investie, au cours des siècles, dans la vieille
Rome, "mère du monde assassinée" pour Rutilius Namatianus, beaucoup
plus que dans la nouvelle, Constantinople, prise par les Goths de Gainas
en 400 avec un moindre retentissement. S'il y eut autour d'Honorius,
qui n'était pas un Théodose, et autour d'Alaric, qui n'était pas un
Radagaise, des partisans d'un compromis entre l'intransigeance du parti
antigermanique et les buts d'anciens fédérés révoltés pour obtenir
d'être intégrés dans l'Empire, cette politique fut ruinée par le sac de
Rome. La lutte entre Honorius et Alaric, transférée sur le plan du
Salut de la Respublica Romana, devint celle de l'empereur identifié à la souveraineté de Rome et du représentant le plus dangereux de la furie barbare.
Effectivement, après la prise de l'Urbs,
il n'y eut plus de négociations entre le gouvernement de Ravenne et le
roi wisigoth. Alaric put continuer ses ravages : quittant la ville,
avec son énorme butin et ses nombreux captifs, dont Galla et Attale, il
emmena ses Wisigoths à la recherche de vivres en Campanie d'abord,
puis vers le sud, où, pour conquérir le blé d'Afrique, il prépara une
expédition navale en direction de la Sicile et de Carthage. Mais, fin
septembre, les tempêtes d'équinoxe détruisirent sa flotte improvisée et
il revint vers l'opulente Campanie pas encore épuisée. Dès octobre, sa
mort subite lui épargna la peine inévitable de négocier avec Honorius,
tâche qui échut à son successeur, Athaulf, et ses Wisigoths lui firent
des funérailles dignes d'un héros, à Cosenza, près du fleuve Busentus
dont ils auraient détourné le cours pour ensevelir leur roi, selon
Jordanes.
Après
la mort d'Alaric, le gouvernement de Ravenne continua d'ignorer le roi
wisigoth. Honorius fit d'abord un bref séjour à Rome, où il célébra en
janvier 411 ses vicennalia et promit aux sénateurs des
exemptions d'impôts, puis, "voyant qu'il ne pouvait agir contre les
barbares à cause des usurpateurs" dit Orose, il envoya, au printemps,
contre Constantin III l'armée italienne commandée par Constantius, "un
général enfin romain". Pendant l'hiver 410-411, Athaulf ravitailla ses
Wisigoths en pillant les régions riveraines de l'Adriatique, moins
épuisées que le Latium et les alentours de Rome dont il se détourna. Se
rapprochant ainsi de Ravenne, il arriva en Émilie, d'où il tenta de
faire la paix avec l'empereur, soit vers la fin du printemps, soit au
cours de l'été, c'est-à-dire après le départ en Gaule de l'armée
commandée par le magister peditum Constantius et le magister equitum
Ulphila, départ qui priva le roi wisigoth de l'occasion d'offrir ses
soldats en demandant un commandement romain. Fut-ce pour s'imposer à
Honorius qu'il épousa Galla, à Forli, en Émilie, selon Jordanes ? Il y
eut sûrement des pourparlers au sujet de ce mariage, car Honorius
voulait faire libérer sa demi-sœur et Athaulf savait que Constantius,
vainqueur de Constantin III devant Arles en août, ne pouvait vaincre
sans renforts le nouvel usurpateur gaulois, Jovinus, proclamé Auguste à
Mayence, où se formait une grande armée de barbares rhénans.
Mais
Honorius ne céda pas. Alors, selon Jordanes, Athaulf quitta l'Italie,
"en y laissant l'empereur comme un parent traité avec bienveillance,
bien qu'il l'eût dépouillé de ses richesses, après avoir pillé dans les
provinces italiennes les biens des particuliers, ainsi que surtout ceux
de l'État", et il se dirigea vers les Gaules. Au printemps 412, dès
que les cols des Alpes occidentales furent ouverts, Athaulf passa en
Gaule, emmenant son butin, Galla et l'ex-empereur Attale qu'il
projetait de donner pour collègue à l'usurpateur Jovinus, auquel il
avait décidé de se rallier. Les Wisigoths évacuèrent donc l'Italie avec
le même statut qu'à l'automne 408, quand ils l'avaient envahie.
Émilienne DEMOUGEOT http://www.theatrum-belli.com/
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