Tous
ceux qui réfléchissent aujourd’hui aux positions politiques que prend
l’Iran et s’en étonnent, devraient étudier l’histoire récente de ce
grand pays du Moyen Orient qui, depuis près de deux siècles, n’a jamais
cessé d’être le jouet de ses voisins et des grandes puissances
mondiales. La haute considération dont bénéficie l’Allemagne en Iran —en
dépit de la politique désastreuse actuellement suivie par la
Chancelière Merkel— ne dérive pas d’un “antisémitisme foncier” que les
médiats attribuent plutôt à tort à la population iranienne mais provient
surtout du fait que l’Allemagne n’a jamais tenté de se soumettre
l’Iran.
Les puissances qui se
sont attaquées à la souveraineté iranienne sont la Grande-Bretagne, la
Russie et les États-Unis, qui, tous, ont été des adversaires de
l’Allemagne au cours des deux guerres mondiales.
Le 25 août 1941, à 4 h
30 du matin, les Soviétiques et les Britanniques amorcent les
hostilités avec l’Iran. Quelques minutes auparavant, les ambassadeurs
Simonov et Bullard avaient transmis une note qui annonçait la décision
de leurs gouvernements respectifs. Cette note évoquait l’amitié que
Soviétiques et Britanniques éprouvaient à l’endroit du peuple iranien,
qu’ils entendaient désormais libérer de l’influence des “agents
allemands”.
Quelques jours
auparavant, le gouvernement iranien, qui percevait la menace, avait,
dans son désarroi, demandé l’aide des Etats-Unis. Franklin Delano
Roosevelt répond à l’appel des Iraniens le 22 août 1941 en adoptant un
ton incroyablement cynique: il prétend que les bruits circulant à propos
d’une invasion de l’Iran, qui aurait été dûment planifiée par les
Soviétiques et les Britanniques, sont dépourvus de véracité et qu’il n’a
rien appris de semblables projets. En fait, Roosevelt s’exprimait
exactement de la même manière que Walter Ulbricht, lorsqu’on lui posait
des questions sur l’imminence de la construction du Mur de Berlin en
1961.
Comme Churchill avait
contribué à décimer l’armée de terre britannique au cours des campagnes
menées dans le Nord de la France, en Grèce et en Libye, les
Britanniques ne pouvaient plus aligner que des troupes coloniales de
seconde voire de tierce catégorie, recrutées surtout en Inde. Les
Soviétiques n’éprouvaient pas les mêmes difficultés. La manière dont
l’attaque contre l’Iran fut perpétrée démontre que les agresseurs ne
faisaient pas grand cas du droit de la guerre. Tandis que la Wehrmacht
allemande avait demandé, avant d’entamer les hostilités, aux Danois et
aux Norvégiens de capituler, les Britanniques, eux, n’ont pas accordé la
moindre chance aux Iraniens à Khorramshar; ils ont ouvert le feu sans
faire le détail, détruisant les casernes où les soldats du Shah
dormaient encore.
Suite à l’invasion,
l’Iran fut partagé en plusieurs “zones”. Les Américains, accourus à
l’aide, ont remplacé les Anglais et fourni, pour leur zone, des troupes
d’occupation. Les Américains se sont mis aussitôt à construire des
routes et des voies de chemin de fer. C’est ainsi que s’est constitué
toute une logistique permettant de fournir matériels et
approvisionnements américains aux Soviétiques. Au cours des années
1942/1943, 23% des aides américaines à l’URSS de Staline passaient par
l’Iran. L’issue de la bataille de Stalingrad en a indubitablement
dépendu. Après la guerre, les occupants ont lourdement facturé à l’Iran
la construction de ces infrastructures, qu’ils avaient entreprise pour
le bénéfice de leur propre guerre.
Le Shah, père du
dernier Empereur Pahlevi, avait été jugé trop récalcitrant: les
occupants ont dès lors exigé son abdication, peu de temps après
l’invasion. Son fils monte sur le trône. Les “agents allemands”, qui
avaient servi de prétexte à l’agression, existaient réellement. Quelques
rares représentants de la fameuse Division “Brandenburg” ont bien tenté
d’organiser la résistance iranienne, mais leurs actions n’eurent guère
d’effets sur le plan militaire. En 1944, le père du dernier Shah meurt
dans son exil sud-africain. Après la fin des hostilités, les occupants
ne s’empressent pas de partir. Les Soviétiques tentent, avec l’appui
d’un parti communiste rigoureusement bien organisé, de prendre le
pouvoir réel en Iran, selon le même scénario mis au point en
Tchécoslovaquie et appliqué avec le succès que l’on sait dans ce pays
d’Europe centrale. Les Britanniques, eux, se contentaient, d’exploiter
les puits de pétrole iraniens.
Dans le passé, bon
nombre de grandes puissances, lorsque surgissaient des conflits,
n’éprouvèrent que peu de respect pour la souveraineté des États neutres.
Lors de la première guerre mondiale, les grandes puissances n’ont pas
hésité à bafouer les droits des puissances de moindre envergure. Cela ne
concerne pas seulement la Belgique et le Luxembourg, dont la neutralité
fut violée par l’Allemagne en 1914, mais aussi la Grèce que la France
et la Grande-Bretagne contraignirent à accepter leurs conditions en
1916.
(article publié dans “zur Zeit”, Vienne, n°34/2011; http://www.zurzeit.at/ ).
par R.Steuckers
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