Historique
L'école de Francfort
commence en 1923 avec l'Institut de recherches sociales à Francfort.
L'institut est financé par un riche homme d'affaire juif Félix Weil. La
direction est confiée à Cari Grünberg de 1923 à 1931. Max Horkheimer
prend la direction en 1931. L'école de Francfort se caractérise par une
pluridisciplinarité en faisant côtoyer des sociologues, psychologues,
philosophes, économistes et théoriciens de l'art…Cette pratique s'oppose
à la spécialisation universitaire sclérosante mais hélas
traditionnelle.
Un livre important publié est : « Théorie Traditionnelle et Théorie Critique
» de Max Horkheimer. La théorie traditionnelle se borne à expliquer le
monde tel qu'il est. La théorie critique veut lier la théorie et la
pratique, en clair avoir une action politique de transformation de la
société.
En 1933, l'institut
est fermé en raison de l'arrivée des nazis au pouvoir. Horkheimer et
autres vont se réfugier aux États-Unis (Université de Columbia à New
York). En 1949, Horkheimer revient en Allemagne.
L'école de Francfort
s'opposait à toute métaphysique s'accordant en cela à la philosophie de
Schopenhauer. Mais lorsque la métaphysique sort par la porte, elle
rentre par la fenêtre puisque Freud et Marx seront postulés
(métaphysiquement) comme la base de réflexion de l'école. Ces
théoriciens essaient quand même de sortir le marxisme d'une certaine
sclérose et Freud sera instrumentalisé de façon subversive. L'école de
Francfort sera associée au freudo-marxisme avec en plus des réflexions
sur l'art, l'histoire, avec des thèmes caractéristiques comme
l'émancipation, l'autorité, la libération sexuelle et même des désirs
plus généralement l'antisémitisme, la raison devenue instrument de
domination, la critique de la culture, le fascisme, la dissolution de
l'individualité sous la pression du système capitaliste…
L'école de Francfort
s'oppose aussi à la déification de la science. Habermas sera très
critique vis-à-vis du néo-positivisme. La « science » positiviste ne
peut s'interroger sur le sens social d'elle-même. On a une réflexion
critique sur la science qui a parfois des aspects heideggériens.
Horkheimer
Héritier de Kant,
Hegel et Marx, Horkheimer prône l'engagement du penseur dans le réel
social. C'est le maître de la « Théorie Critique ». La « Raison » est la
raison occidentale devenue technico-scientifique. Max Weber la
qualifiait de raison instrumentale. Pour Horkheimer, la « Raison » des
lumières était libératrice. Elle est devenue un instrument de
domination. Cette thèse se trouve dans Éclipse de la Raison et dialectique de la Raison.
La technique
l'emporte sur la pensée de nos jours. On assiste aussi à une liquidation
de l'individu libéral par le capitalisme. Derrière la domination de
classe, on retrouve la domination humaine sur la nature.
« L'Individu doit s'imposer des contraintes ». Les désirs sont sacrifiés à une discipline de travail collective.
« Dans la
proclamation cynique de la méchanceté et du caractère dangereux de la
nature humaine qu'il faut contenir par un appareil de domination, ainsi
que dans la doctrine puritaine correspondante de la culpabilité de
l'individu, qui doit réprimer ses propres instincts en se soumettant à
une discipline de fer… ». Pour Horkheimer le pouvoir politique tout
comme la morale et la religion, a pour fonction de soumettre les masses
pour lesquelles on prône le renoncement ascétique.
Adorno
Ce philosophe a pris
le nom de sa mère (avec un nom corse) sans doute pour ne pas avoir un
nom à consonance germanique. Adorno était aussi musicien avec un fond
d'élitisme. Pour lui le jazz était un mode d'expression inférieur de la
musique. Il n'avait certes pas encore connu le rap puisqu'il est mort en
69 (l'année érotique) ! Adorno a écrit un essai sur Wagner. Il y a chez
lui une conscience extrême de la situation de danger dans laquelle se
trouve l'individu face au capitalisme organisé.
Dans son livre « Jargon der Eigentlichkeit
» le philosophe rejette l'ontologie existentialiste de l'authenticité
de Heidegger. Ce n'est pour lui qu'une mystification. On retrouve une
critique de la raison.
« Le rationalisme des
Lumières adopte la même attitude envers les objets que le dictateur
envers les hommes. Il les connaît afin de pouvoir les manipuler. L'homme
de la science connaît les choses dans la mesure où il peut les
produire. Leur Pour soi devient un Pour lui ».
Marcuse
Marcuse est le
philosophe des années 60 qu'on a associé à mai 68. Il a été l'élève de
Heidegger. Après l'arrivée des nazis en Allemagne, il a émigré aux
États-Unis où il a continué à enseigner sans rentrer en Allemagne à la
différence d'Horkheimer et d'Adorno. Pour Marcuse le philosophe doit
être subversif et promouvoir la « libération » de l'homme.
Son ouvrage le plus connu est « l'homme unidimensionnel ».
La rationalité du libéralisme exerce une domination politique. La
science et la technique instrumentalisent l'homme et façonnent une vie «
unidimensionnelle » dominée par une raison au service de la technique
et de la gestion. La libération de l'homme doit passer par une
libération de toutes ses pulsions vitales. Ce fut le discours du
mouvement de la contre culture des années 60 aux États-Unis. Freud dans «
Malaise dans la civilisation » expliquait que le refoulement des
instincts était nécessaire au développement de la civilisation. Marcuse
soutient que cette vision est périmée car la pénurie n'existe plus.
L'économie capitaliste dégrade les valeurs de la philosophie classique comme la vérité et l'authenticité.
« Les relations
essentielles de l'amitié, de l'amour, toute véritable communauté de
personnes se limitent à la petite sphère de vie qui subsiste en dehors
de l'activité utilitaire ».
Habermas
Habermas fut le continuateur de l'école de Francfort en étant non juif (ancien assistant d'Adorno). Dans son livre : « connaissance et intérêt
», on a un recueil de bons polys sur la théorie de la connaissance
comme savent le faire les universitaires allemands. Dans le livre : « La technique et la science comme idéologie », on a une critique de la raison universelle de la modernité.
Ensuite Habermas a
poursuivi ses recherches sur la communication. Le dialogue s'oppose à la
violence historique. Mais le langage et la communication peuvent aussi
être objets de domination.
Politiquement
Habermas sera un social-démocrate et non un révolutionnaire comme
Marcuse. Il prône un patriotisme constitutionnel ce qui est un oxymore
puisque la notion de patrie est charnelle et on peut difficilement avoir
un attachement charnel pour une construction par définition abstraite.
La personnalité autoritaire
En 1950, est publié « The Authoritarian personality ».
Les auteurs voulaient
expliquer d'où venaient les préjugés de la part des individus. La
question : qu'est ce qu'un préjugé ? n'est pas posée dans l'ouvrage. Les
auteurs n'avaient sans doute pas conscience que dire qu'une idée (ou
opinion) est un préjugé est prétentieux puisque c'est sous-entendre
qu'on détient la vérité.
Toujours est il que
pour les auteurs l'interprétation des préjugés par le marxisme n'était
pas satisfaisante. On ne peut tout expliquer à partir de l'économie. Il
fallait donc avoir des interprétations psychanalytiques. L'hypothèse
était que le fascisme faisait appel à des facteurs irrationnels (qu'est
ce que la raison?) de la personnalité. On a donc enquêté sur des blancs
américains et mesuré l'échelle d'antisémitisme.
Les chercheurs ont
construit une échelle de mesure d'autoritarisme ou de fascisme virtuel.
L'échelle « F » (comme fasciste) fut employée.
La polémique
Il va de soi, que
tout le monde n'a pas pris comme « argent comptant » tous les travaux et
idées de l'école de Francfort. La haine que portaient les intellectuels
de cette école envers l'ordre ancien n'a d'égale que celle des
mouvements conservateurs à leur égard. On a attribué à l'école, cette
phrase : « il faut pourrir la civilisation occidentale jusqu'à ce
qu'elle pue »
L'école de Francfort
fut accusée de vouloir détruire toutes les valeurs traditionnelles de la
société occidentale comme la famille, la religion chrétienne, la
nation…
Toutes les idées de
ce qu'on appelle le politiquement correct sont en adéquation avec les
idées prônées par l'école de Francfort : l'instauration de
multiculturalisme, tyrannie des minorités sur la majorité, les nouveaux «
héros » étant les marginaux, les drogués, les homosexuels, les
féministes, les immigrés, le mâle blanc « autoritaire » étant à mettre
au placard.
Dans « Répressive tolérance
», Marcuse prône la tolérance pour les idées d'extrême gauche mais
l'intolérance pour les attitudes conservatrices. Il y a une vulgate de
l'école de Francfort qui s'est imposée, et dont le couronnement fut mai
68 avec des slogans du genre : « Jouir sans entrave », « Il est interdit
d'interdire ».
On peut dire que la synthèse de la théorie et de la pratique sociale prônée par l'école de Francfort a eu ses résultats.
Patrice GROS-SUAUDEAU Statisticien-Economiste
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