Le
12 septembre 1642, place des Terreaux à Lyon, Henri de Cinq-Mars, à
peine âgé de 22 ans, périt sur l'échafaud ainsi que son ami François de
Thou. Ces deux exécutions mettent un terme à la dernière conspiration
ourdie contre Richelieu.
Petites intrigues de Cour
En cette fin d'année 1639, le roi Louis XIII
(38 ans) faisait une cour assidue et platonique à Marie de Hautefort,
demoiselle d'honneur de la reine Anne d'Autriche, et se liait en même
temps d'une amitié passionnée et exclusive pour le jeune Henri Coiffier
de Ruzé d'Effiat, marquis de Cinq-Mars (prononcer Sainmar). Il
se consolait de la sorte de l'entrée au couvent de la Visitation
Sainte-Marie d'une autre amie, Louise Angélique de la Fayette…
Mais, pour avoir mal
parlé du favori du roi, la belle et cruelle Marie sera chassée de la
Cour ainsi que son amie, mademoiselle de Chémérault. Le jeune marquis
de Cinq-Mars se trouva ainsi empêché de courtiser cette dernière… Qu'à
cela ne tienne, il alla se réconforter dans les bras d'une ancienne
maîtresse, la célèbre courtisane Marion Delorme !
On ne se laissera pas
abuser par cette présentation volontairement superficielle et
caricaturée des moeurs de la Cour de Louis XIII. Comme la suite de
l'histoire le montrera, ces histoires d'alcôves n'étaient en réalité
que le résultat de sombres intrigues politiques.
Son Éminence le Cardinal de Richelieu
Depuis son entrée au Conseil Royal, le 29 avril 1624, Richelieu avait progressivement gagné la confiance totale de Louis XIII. Après le 29 novembre 1629 et la «Journée des Dupes»
du 10 novembre 1630, il s'était acquis une autorité et une influence
considérables. L'action du Cardinal était surtout dominée, en dehors de
ses ambitions personnelles, par sa volonté de restaurer la puissance et
la renommé du pouvoir royal et empêcher la France de devenir une
puissance vassale de la maison des Habsbourg d'Espagne et d'Autriche.
Mais les ennemis du
ministre étaient légion et une grande partie de la haute noblesse du
royaume était la plus résolue. Animée par un esprit féodal qui s'était
régénéré à l'occasion des guerres de religion, elle ne supportait pas
de voir ce personnage leur tenir la dragée haute en affaiblissant ses
pouvoirs, son indépendance et ses privilèges au profit d'un roi
toujours plus puissant. De plus, les catholiques admettaient mal les
alliances nouées par le Cardinal avec des princes hérétiques d'Europe
pour faire pièce à l'Espagne et à l'empereur d'Allemagne.
Le peuple voyait dans
ce ministre un tyran responsable d'une fiscalité qui le saignait à
blanc pour financer les efforts de guerre.
L'homme n'avait
cependant pas besoin de sa politique pour se faire des ennemis.
Recevant un ambassadeur, il apostropha un courtisan bossu : «Rangez-vous Monsieur de Fontrailles, ne vous montrez point, cet ambassadeur n'aime pas les monstres !». Cette raillerie devait contribuer à lui valoir bien des heures d'angoisse.
Les ennemis du Cardinal
En vérité,
l'omnipotent Cardinal était un colosse politique aux pieds d'argile. Il
était parfaitement conscient que tout son pouvoir ne tenait que par la
totale confiance que lui accordait Louis XIII. Un simple mouvement
d'humeur de ce monarque ombrageux et tout son pouvoir était perdu ainsi
que sa gigantesque construction politique sur l'échiquier européen. La
reine Anne d'Autriche comptait parmi ses ennemis les plus acharnés et
s'employait à saper son influence auprès du roi. Elle n'hésitait pas
pour cela à accepter que Louis XIII courtise des «maîtresses» acquises à ses manoeuvres.
En réaction,
Richelieu se défendait en plaçant ses propres créatures. Il introduisit
le père Caussin comme confesseur du roi mais dut l'écarter huit mois
plus tard, le 10 décembre 1637.
Conscient du danger
que représentait Marie de Hautefort, le Cardinal poussa ensuite auprès
du roi le jeune marquis de Cinq-Mars pour en faire un favori sous son
contrôle.
Ces luttes
d'influence éclairent sous un autre jour les intrigues présentées dans
l'introduction. Elles apparaissent encore moins reluisantes quand on
sait que Mlle de Chémérault, surnommée la Belle Gueuse en raison
de ses petits moyens financiers, se laissa convaincre par le Cardinal
de surveiller et de rapporter les propos et agissements de son amie
Marie de Hautefort et de son amant Henri de Cinq-Mars.
Un si petit compagnon
Le pétulant et
séduisant jeune homme se montra réticent dans un premier temps à
sacrifier sa liberté pour l'amitié fervente d'un homme jaloux, malade,
sujet à des crises de mélancolie et de vingt ans plus âgé que lui.
Vivre à
Saint-Germain, où le roi se trouvait la plupart du temps, et laisser
Paris et ses plaisirs n'était pas, on s'en doute, pour lui plaire. Le
Cardinal, aidé par la mère du jeune homme, dut user de toute son
influence pour le convaincre.
La manoeuvre réussit si bien que la tête du petit marquis se mit à enfler. Non content d'avoir exigé la charge de Grand Écuyer (ce qui, suivant une coutume de la cour, lui valut le surnom de «Monsieur le Grand»),
il voulait maintenant épouser la princesse de Mantoue, Marie de
Gonzague. Marie de Gonzague-Nevers, princesse de Mantoue, était une des
plus riches fortunes du royaume. Elle avait huit ans de plus que son
prétendant.
Certes, le bel Henri
de Cinq-Mars était le fils du maréchal d'Effiat, mais la distance
nobiliaire avec sa prétendante était astronomique et Monsieur le Grand
demanda naïvement l'appui de son protecteur pour la diminuer en tentant
d'obtenir un duché-pairie.
Quelle audace ! Un
duché-pairie était une terre attachée au titre de duc et de pair. Il
existait trois degrés dans le titre de duc : le duc et pair, le duc non
pair et le duc à brevet. Ce dernier était non transmissible. Le titre
de duc est situé juste sous celui de prince, le plus élevé dans
l'échelle nobiliaire. De plus, en devenant pair, Cinq-Mars aurait pu
siéger de droit au Parlement…
Jugeant «qu'il ne croyait pas que la Princesse Marie eût tellement oublié sa naissance qu'elle voulût s'abaisser à si petit compagnon», Richelieu s'opposa très vivement au projet de mariage.
Marie de Gonzague
comptait en effet parmi ses ennemis irréductibles… En vérité, déjà
contrarié par l'élévation du favori à la charge de Grand Écuyer, il fit
obstacle à toutes les tentatives d'ascension de son protégé. Il voyait
bien les dangers que cela pouvait présenter.
Mortifié et irrité,
Henri de Cinq-Mars en conçut une rancune tenace contre son protecteur
et bascula dans le camp de ses ennemis.
Un souci de plus pour
le Cardinal qui devait maintenant raccommoder les brouilles
incessantes d'un roi austère et parcimonieux qui supportait mal la vie
brouillonne et dispendieuse de son favori. -
Une pistoletade providentielle
Le Cardinal vivait
dans l'angoisse d'une sédition des Grands. La réussite d'un complot
l'aurait irrémédiablement mené à sa déchéance, voire à son assassinat.
Comme les événements des années passées le prouvaient, sa crainte
n'avait rien d'un fantasme de paranoïaque. La dernière révolte en date
était celle du duc de Bouillon, du duc de Guise et de Louis de Bourbon,
comte de Soisson.
Financée par
l'Espagne, l'armée des conspirateurs, aidée par 7000 hommes de
l'empereur d'Allemagne, avait écrasé celle du roi, commandée par le
maréchal de Châtillon près de Sedan, le 6 juillet 1641 (bataille dite
du bois de la Marfée).
Durant quelques
heures, Richelieu se crut perdu jusqu'à ce qu'un message lui apprenne
que M. de Soisson avait été tué après la bataille par une pistoletade
qui lui avait emporté le front. Escarmouche de dernière minute ?
assassinat ? personne ne sait. À moins qu'il ne s'agisse que d'un
accident : l'homme avait en effet la fâcheuse habitude de relever la
visière de son casque avec le canon de son pistolet !
La conspiration étant
décapitée, le duc de Bouillon, frère de Turenne, offrit sa soumission
et le roi pardonna. Cinq-Mars était intervenu auprès de Louis XIII en
sa faveur. Combien dut se sentir important le jeune marquis en
intercédant ainsi auprès du roi de France pour le prince souverain de
Sedan, neveu de Maurice de Nassau et petit-fils de Guillaume le Taciturne !
Conspiration en marche
Une fois de plus, la
Providence était venue au secours du Cardinal. Pourtant, si le danger
immédiat était écarté, les fils d'une nouvelle conspiration étaient
déjà noués. Devenu l'ennemi du Cardinal, Cinq-Mars, par sa position de
favori, ne devait pas tarder à être contacté par les opposants au
ministre.
Parmi les principaux
conjurés, on devait trouver l'inévitable duc d'Orléans, Gaston, frère
du roi, surnommé Monsieur. Mais aussi Louis d'Astarac, marquis de
Fontrailles, Anne d'Autriche et François-Auguste de Thou, jeune
conseiller au Parlement et tout dévoué à la reine. Et encore le duc de
Bouillon.
Sans être
l'instigateur du complot, Cinq-Mars en serait à la fois la pièce
maîtresse et le jouet. Les tentatives personnelles du favori auprès du
roi pour perdre Richelieu étaient plus qu'incertaines. Un jour que
Louis XIII se plaignait de la pesante tutelle de son ministre,
Cinq-Mars s'aventura:
– «Sire, vous êtes le maître. Que ne le renvoyez-vous !»
-– «Tout beau,
n'allez pas si vite ! Le Cardinal est le plus grand serviteur que la
France ait eu. Je ne saurais me passer de lui. Le jour où il se
déclarerait contre vous, je ne pourrais même pas vous conserver.»
La confiance et la soumission du roi à son ministre étaient encore intactes et le favori aurait dû se méfier de cette réponse.
Lors d'une rencontre privée chez le duc de Chaulnes, à Amiens en août 1641, Gaston lâcha ces paroles charitables : «Ah ! si le Cardinal pouvait mourir, nous serions très heureux.» Le marquis de Fontrailles, véritable inspirateur du complot, répondit : «Votre Altesse n'a qu'à me donner son consentement et il se trouvera des gens qui vous en déferont en votre présence !»
Cinq-Mars et Gaston
n'envisageaient pas d'aller si loin ! Pourtant, non sans quelques
craintes ou réticences, l'idée d'expédier le Cardinal ad patres s'insinua dans l'esprit de certains des conjurés. Sans doute, Cinq-Mars se laissa-t-il influencer par ses «anciens»
camarades de la garde royale, MM. de Tréville, de Tilladet, de la
Salle et des Essarts, qui n'auraient pas eu de scrupule à utiliser ce
moyen expéditif. Par contre, lorsque qu'il fit part de son intention à
son ami François de Thou, celui-ci répliqua «qu'il était l'ennemi du sang et que, par son ministère, il ne s'en répandrait jamais».
En novembre 1641,
sous l'instigation de son ami Fontrailles, Gaston reprit contact avec
Cinq-Mars. Ce dernier expliqua que ses brouilles fréquentes avec le
roi, dont toute la Cour était témoin, n'étaient que des manoeuvres
destinées à tromper Richelieu. Présumant de son influence, il assura
que le roi souhaitait ardemment la paix et était prêt à se séparer de
son ministre. Gaston voulut s'assurer de la résolution de son frère et
interrogea le favori :
– «Avez-vous proposé au Roi la ruine de Monsieur le Cardinal ?»
– «Je n'ai rien voulu faire sans être assuré de votre protection.»
Peu avare de promesses, Monsieur
encouragea le jeune conspirateur. Gaston chercha également l'appui de
sa belle-soeur. Il lui promit que, quelles que soient les
circonstances, il ne révèlerait jamais qu'elle était au courant de
leurs intentions. On ne sait ce que promit Anne d'Autriche mais elle
sut convaincre François de Thou de s'associer à la conspiration.
François-Auguste de Thou, jeune Conseiller au Parlement, était le fils
aîné de Jacques-Auguste de Thou, le célèbre historien. François de Thou
était un homme pondéré et prudent et son jeune ami Henri de Cinq-Mars
le surnommait affectueusement «Son Inquiétude». Sans doute eut-il mieux fait d'écouter ses conseils avisés…
Le traité de la trahison
L'exécution du projet
n'était pas sans danger et, en cas d'échec, il fallait s'assurer une
solide retraite. François de Thou prit contact avec le duc de Bouillon,
alors en Limousin. À peine «accommodé» avec le roi pour
l'épisode de la Marfée, le duc hésita. Mais une lettre de Richelieu
l'informa qu'il était chargé d'aller commander les armées d'Italie.
Ceci le décida à revenir à la Cour où Cinq-Mars l'informa des avancées
de son entreprise. Jugeant que la place de Sedan ne pouvait soutenir le
siège des armées royales, il estima que l'appui d'une armée étrangère
était nécessaire.
Gaston et Bouillon,
par l'entremise de Monsieur le Grand (Cinq-Mars), mirent un terme à une
vieille querelle qui les opposait et les conjurés «résolurent ce qu'ils avaient envie de faire».
Ils rédigèrent un projet de traité avec l'ennemi, le roi d'Espagne
Philippe IV, en guerre avec la France depuis le 19 mai 1635. François
de Thou ne participa pas à son élaboration.
Le traité prévoyait
que Philippe IV fournirait 12.000 fantassins, 6.000 cavaliers, 400.000
écus pour payer la solde d'une armée levée en France et une garnison
pour Sedan. Gaston, de son côté, signerait la paix au nom de la France
et chacun restituerait toutes les villes conquises. La France
renoncerait à ses alliances avec la Suède et les princes de l'empire
allemand. Autant dire que l'on offrait la victoire à l'Espagne.
Toute peine méritant
salaire, le roi d'Espagne verserait une pension annuelle de 120.000
écus à Gaston et de 40.000 écus chacun à MM. de Bouillon et Cinq-Mars.
Le traité stipulait également que «Le
Sérénissime duc d'Orléans ou ceux qui marchent dans son parti
s'engagent à livrer un point fortifié ou une place forte du nombre de
celles qu'ils pourront choisir pour leur armée ou celle de Sa Majesté
Catholique, de manière que, en cas de revers, l'armée étrangère, qui
par ledit traité, doit entrer sur le territoire Français, puisse y
trouver refuge. M. le duc d'Orléans s'engage à commencer le mouvement
des troupes dès que les troupes de Sa Majesté Catholique et de Sa
Majesté Impériale auront passé le Rhin pour entrer en France».
On mesure ici la
gravité de la trahison dans laquelle s'était engagée la tête folle
d'Henri d'Effiat pour l'amour de sa princesse. Le texte néanmoins
précisait : «On déclare unanimement qu'on ne prend en ceci aucune
chose contre le Roi Très Chrétien et au préjudice de ses États, ni
contre les droits et autorités de la reine Très Chrétienne régnante,
mais au contraire on aura soin de les maintenir en tout ce qui lui
appartient». La conspiration était bien dirigée contre Richelieu.
Ce sulfureux écrit cousu dans ses habits, le marquis de Fontrailles se chargea de la délicate mission de négociation auprès du comte-duc d'Olivarès, Premier ministre de Philippe IV.
Le 13 mars 1642 le traité était signé et le Marquis revint en France, porteur d'une lettre du roi d'Espagne pour Monsieur.
La redoutable police du Cardinal était sur les pas du conspirateur
mais elle perdit sa trace sur le chemin du retour et Richelieu dut
suspecter ce qui se tramait sans en avoir la preuve.
Sur les chemins du Roussillon
«Quand les Français prendront Arras, les souris prendront les chats»,
disait-on. C'est ce qui se produisit pourtant le 9 août 1640.Cette
victoire venant après d'autres soulageait la pression militaire des
Espagnols au nord du royaume.
D'autre part, la
Lorraine avait été envahie après la trahison de Charles IV pendant
l'épisode de la Marfée. L'Allemagne, ravagée par la guerre de Trente Ans,
aspirait à la paix (qu'elle devra néanmoins attendre encore sept ans).
Le gouverneur des Pays-Bas, le cardinal-infant, frère d'Anne
d'Autriche, venait de mourir. L'Angleterre était neutralisée par la
révolte écossaise. Grâce aux victoires du comte d'Harcourt et à la
diplomatie de Mazarin, Madame Chrétienne, soeur de Louis XIII, recouvrait la régence de Savoie.
Cette éclaircie dans
la situation politique et militaire permettait au roi et à son ministre
de porter secours aux Catalans en révolte contre l'Espagne.
L'assemblée des Cortes de Catalogne avait en effet voté la
déchéance de Philippe IV et élu Louis XIII comte de Barcelone le 23
janvier 1641 !! La situation de l'Espagne était d'autant plus critique
qu'elle devait aussi faire face à une rébellion portugaise
soigneusement entretenue par Richelieu.
Le 3 février 1642
deux cortèges, séparés pour des raisons d'intendance, prenaient la
route du Roussillon pour mettre le siège devant Perpignan : dans l'un
se trouvait Richelieu, dans l'autre le roi et son favori.
Une confiance chancelante
Durant le voyage, le
favori usa de toute son influence pour tenter d'ébranler la confiance
de Louis XIII, assurant que seul Richelieu était un obstacle à la paix.
Pour la première fois, le roi allait agir en cachette de son ministre en «autorisant
secrètement Cinq-Mars et de Thou à correspondre avec Rome et Madrid
pour parvenir à la conclusion d'un traité de paix». Mais ce projet raisonnable n'était que celui de François de Thou.
Lors d'une conversation durant laquelle le roi se plaignait d'être «l'esclave» de son ministre, Cinq-Mars s'exclama :
– Chassez le donc !
Louis XIII rétorqua que cela n'était pas si simple.
Le favori, perdant toute retenue, suggéra :
– La voie la
plus courte et la plus rapide est de le faire assassiner quand il
viendra dans l'appartement de Votre Majesté où les gardes du Cardinal
n'entrent pas !
Interloqué le roi resta silencieux puis répondit :
– Il est cardinal et prêtre, je serai excommunié.
Monsieur de Tréville, capitaine des mousquetaires à cheval, popularisé par Alexandre Dumas dans son roman Les trois mousquetaires, assistait à la conversation et prit la parole :
- Pourvu que
j'aie l'aveu de Votre Majesté, je ne me mettrais pas en peine et
j'irais à Rome pour m'en faire absoudre où je suis sûr d'être bien reçu.
Si l'on en croit le marquis de Montglat qui rapporte cette conversation, le roi ne répondit pas.
Une occasion manquée
Certes, Louis XIII
aimait à se plaindre en privé de Richelieu et le brocardait souvent.
Peut-être pensait-il gommer ainsi son image de souverain sous
domination. Mais on a du mal à croire qu'il ait réellement envisagé de
laisser assassiner son ministre.
Confortés par
l'attitude ambiguë du roi, qu'ils prirent pour un accord tacite, les
conjurés résolurent de mettre leur projet à exécution à Lyon où la Cour
s'arrêta le 17 février 1642.
Cinq-Mars se trouvait
avec le roi dans ses appartements tandis que ses compagnons, MM. de
Troisville, des Essarts, de Tiladet et La Salle, occupaient
l'antichambre. Mais Richelieu se présenta accompagné de son capitaine
des gardes contrairement à l'usage.
Manqua-t-il de
détermination devant la présence du capitaine, fut-il dissuadé par le
roi ou simplement intimidé par la robe de l'impérieux cardinal ?
Toujours est-il que le jeune conspirateur se retira des appartements
royaux sans avoir exécuté son forfait et renvoya ses compagnons.
Gaston d'Orléans,
convié par Cinq-Mars à participer à l'événement, ne s'était pas
présenté. Sans doute cette absence avait-elle émoussé l'assurance du
favori. Cette occasion manquée ne devait plus se représenter et, le 23
février, le cortège reprit sa route.
Du bouillon pour Son Éminence
Arrivé à Narbonne,
Richelieu, qui était alors âgé de 57 ans, tomba soudain gravement
malade et fut contraint de laisser le roi et son favori poursuivre leur
voyage vers Perpignan.
Par lettre, Louis XIII assurait toujours à son ministre le même attachement : «Quelque
faux bruit qu'on fasse courir, je vous aime plus que jamais. Il y a
trop longtemps que nous sommes ensemble pour être jamais séparés».
Pourtant le Cardinal
vivait les pires angoisses. Son maître allait-il l'abandonner ? Bien
des raisons le portaient à le croire. Après un épisode douloureux, tant
sur le plan physique que moral, le Cardinal se décida à repartir pour
la capitale, anticipant le retour du roi lui aussi tombé malade.
Alors qu'il se trouvait à Arles, Richelieu reçut, le 11 juin 1642, un message de la plus haute importance : «Faites-moi porter un bouillon, je suis tout troublé !» s'exclama-t-il. Il y avait de quoi ! C'était une copie du traité félon. Enfin la preuve salvatrice était entre ses mains !
«Ô Dieu ! Il faut que tu aies bien soin de ce royaume et de ma personne ! Lisez cela et faites en des copies !» dit-il à Charpentier, son secrétaire.
On ne sait, au
juste, qui informa le Cardinal. Il semble bien cependant que ce fut
Anne d'Autriche qui porta ce coup mortel à la conjuration. On peut
tenter de comprendre son geste. L'état de santé du roi (bien qu'âgé
seulement de 41 ans) et l'âge du petit dauphin, Louis-Dieudonné, né le 5
septembre 1638, permettaient de penser que l'on s'acheminait avec une
quasi-certitude vers une période de régence.
D'autre part,
l'éloignement de duc de Bouillon parti pour l'Italie, les
tergiversations des conjurés et les avertissements de Fontrailles,
convaincu que le roi et son favori Cinq-Mars n'étaient plus en bons
termes, auguraient mal de la conspiration.
Même si Louis XIII
assurait épisodiquement son devoir conjugal, ses relations avec son
épouse étaient mauvaises. Il savait, comme l'affaire des Lettres espagnoles
l'avait prouvé (août 1637), qu'elle était capable d'intelligence avec
l'ennemi et il la menaçait régulièrement de la séparer de ses enfants.
Qu'aurait alors pesé
une princesse espagnole sans la garde de l'héritier du trône de France ?
En trahissant les conjurés, la reine donnait des gages à son époux
ainsi qu'à son ministre. Du même coup, elle écartait presque sûrement
son beau-frère Gaston de la régence.
Si telle fut sa
pensée, l'avenir lui donna raison. On sait que peu de temps après avoir
été informé du traité, Louis XIII écrivit une lettre à son épouse pour
lui témoigner son affection et l'assurer qu'elle ne serait pas séparée
de ses enfants.
L'arrestation des conjurés
Le 12 juin, Monsieur le Jeune (M. de Chavigny) arriva à Narbonne porteur d'un message de Richelieu pour M. de Noyers : Le sujet du voyage de M. de Chavigny vous étonnera. Dieu assiste le roi par des découvertes merveilleuses.
Les deux secrétaires
d'État se présentèrent devant Louis XIII en conversation avec
Cinq-Mars. Tout en tirant le roi par la basque suivant son habitude, M.
de Chavigny écarta Cinq-Mars d'un ton autoritaire: Monsieur le Grand, j'ai quelque chose à dire au Roi.
Les trois hommes se retirèrent pour un long entretien au cours duquel
Louis XIII se laissa convaincre de signer l'arrestation de MM. de
Cinq-Mars, de Thou et Bouillon.
On imagine l'incrédulité du souverain qui demandera plus tard si l'on n'avait pas mis un nom pour un autre
en voyant celui de son favori. Richelieu ne possédait en effet qu'une
copie du traité et avait anticipé la réticence du roi. Il avait prévenu
M. de Chavigny : Il vous dira d'abord que c'est une fausseté, mais
proposez-lui d'arrêter M. le Grand et qu'après il sera facile de le
délivrer si la chose est fausse, mais que, si une fois l'ennemi entre en
Champagne, il ne sera pas si aisé d'y remédier.
Le jour même,
François de Thou fut arrêté. Le lendemain, après avoir cherché à fuir,
ce fut le tour de Cinq-Mars. Il semble que, pris de remords, le roi
avait tenté de prévenir secrètement son favori qu'on en voulait à sa personne. N'avait-il pas lui-même prêté une oreille plus que complaisante à ses propos contre Richelieu ?
Malgré ses doutes, le
roi ne pouvait se défaire de son amitié pour son favori. On devait
entendre Cinq-Mars murmurer en entrant dans la forteresse de
Montpellier où il fut d'abord incarcéré : Ah ! faut-il mourir à vingt-deux ans ! Faut-il conspirer contre sa patrie d'aussi bonne heure !
Toujours le 12 juin,
le roi dépêcha à Casal, en Italie, M. de Castellan pour procéder à
l'arrestation du duc de Bouillon. Ce fut l'occasion d'un épisode peu
glorieux pour ce militaire : cherchant à fuir, on le retrouva caché
dans une grange à foin ! Le duc fut finalement incarcéré dans la
forteresse de Pierre-Scize à Lyon.
Le marquis de
Fontrailles avait, quant à lui, senti le vent tourner bien avant la
découverte du complot et s'était réfugié à l'étranger. Il avait pris
soin d'avertir Gaston mais aussi son ami Cinq-Mars qui ne voulut rien
entendre : Pour vous qui ne croyez pas au danger, vous serez encore
d'assez belle taille quand on vous aura ôté la tête de dessus les
épaules ! Moi, en vérité, je suis trop petit pour cela, lui aurait dit le bossu. Cinq-Mars était amoureux de Marie de Gonzague et manifestait l'imprudence de la jeunesse.
Les aveux de Monsieur
Ne s'en tenant pas à
ces arrestations, le Cardinal jugea impératif d'interroger Monsieur qui
ne manquerait pas d'être rapidement informé de la tournure des
événements. Il lui fallait l'empêcher de s'enfuir à l'étranger suivant
son habitude.
À l'instigation de
Richelieu, le roi usa d'un stratagème et écrivit, le 13 juin, une
première lettre à son frère pour l'inviter à prendre le commandement
des armées de Champagne. Sensible à cette marque de confiance, Gaston
se laissa prendre au piège et resta dans le royaume.
Par une seconde lettre du même jour, le roi informa son frère de l'arrestation de Cinq-Mars en raison de ses insolences extraordinaires. Gaston écrivit à Richelieu une lettre qui se passe de commentaires : Mon
cousin, le Roi mon Seigneur m'a fait l'honneur de m'écrire quel a été
enfin l'effet de la conduite de ce méconnaissant Monsieur le Grand.
C'est l'homme du monde le plus coupable de vous avoir déplu après tant
d'obligations. Les grâces qu'il recevait de Sa Majesté m'ont toujours
fait garder de lui et de tous ses artifices. Aussi est-ce pour vous, mon
cousin, que je conserve mon estime et mon amitié tout entières.
Le 28 juin, Louis
XIII et Richelieu devaient se retrouver à Tarascon pour une première
entrevue après plusieurs mois de séparation. Ce fut sans doute un
spectacle peu banal que de voir les deux plus hauts personnages de
l'état faire leurs retrouvailles, aussi malades l'un que l'autre et
allongés dans deux lits aménagés pour la circonstance. Seuls MM. de
Chavigny et de Noyers, fidèles à Richelieu, assistèrent à l'entretien.
Naturellement, le Cardinal avait compris que le roi avait trahi sa
confiance durant les derniers mois. Il parla fermement et sans doute
avec aigreur.
À un contre trois, le
roi capitula et donna tout pouvoir à son ministre pour régler le
procès des conjurés et les affaires militaires du Roussillon. Il était
indispensable pour Richelieu que Gaston avouât ses fautes. Il dépêcha
M. de Chavigny à Moulins pour révéler à Monsieur que tout avait été découvert:
– La faute de
Votre Altesse est si grande que son Eminence ne peut répondre de rien.
Votre vie même est menacée car vous avez commis un attentat que la
clémence humaine ne peut absoudre.
Le fils d'Henri IV prit peur et perdit toute dignité :
– Chavigny, il
faut me tirer de la peine où je suis ! Vous l'avez déjà fait deux fois
auprès de Son Eminence. Je vous prie que ce sera la dernière fois que
je vous donnerai de pareils emplois.
– Le seul moyen de vous sauver c'est de faire un aveu sincère de la faute que vous avez commise.
Gaston appela au
secours en envoyant des lettres à Richelieu et à son frère. Il leur
envoya même son confident, l'abbé de La Rivière, pour plaider sa cause.
Sans succès comme on l'imagine. Le roi lui fit savoir que Pour mon
frère, s'il me découvre tout ce qu'il a fait sans réserve, il recevra
les effets de ma bonté, comme il en a reçu plusieurs fois par le passé.
Le 7 juillet, Gaston, le frère cadet du roi, avoua par lettre à Richelieu une extrême douleur pour avoir pris des liaisons et correspondances avec ses ennemis… à son frère, il révéla toutes choses dont il était coupable
tout en accusant Cinq-Mars de l'avoir trompé. Il plaida cependant la
cause de François de Thou, mais se garda de parler de la reine.
Sur ces entrefaites, Richelieu et le roi devaient recevoir des révélations terrifiantes. Les personnes compromises dans le complot ne furent pas avares de révélations plus ou moins spontanées.
Richelieu apprit ainsi la tentative d'attentat contre sa personne à Lyon : Ce
misérable esprit avait porté Monsieur à consentir ce misérable
dessein, et à lui faire promettre qu'il l'autorisait par sa présence.
De son côté, Louis
XIII était soumis à une pression psychologique organisée discrètement
par le Cardinal et destinée à perdre définitivement le favori. On lui
rapporta, en particulier, le fameux Il traîne !que répondit Cinq-Mars à une personne qui demandait des nouvelles de la santé du roi lors du siège de Perpignan. Le méchant ! Il eut voulu que je fusse mort !
Le procès des conjurés
En raison de la
présence du duc de Bouillon à Pierre-Scize et de Gaston réfugié chez sa
soeur Chrétienne, à Annecy, Richelieu choisit Lyon pour le déroulement
du procès.
Il s'y rendit par
bateau, sur le Rhône, menant sous bonne garde François de Thou. Après
une tentative d'évasion manquée, Cinq-Mars fut transféré en carrosse,
entouré de six cents gardes, de Montpellier à Pierre-Scize.
Les premiers interrogatoires de Cinq-Mars et de Thou furent vains, les accusés s'obstinant à nier.
L'original du traité
ayant disparu, il était indispensable qu'une copie fût authentifiée. En
attendant l'arrivée du ministre, la commission extraordinaire chargée
du procès et présidée par le chancelier Séguier, rencontra Gaston, le frère du roi, à Villefranche-sur-Saône le 29 août.
Mazarin avait obtenu
du roi la clémence pour Gaston et la restitution de son apanage en
contrepartie de la reconnaissance du traité.
Monsieur
refusa catégoriquement d'être confronté à Cinq-Mars, mais révéla, en
vingt articles, tout ce qu'il savait et authentifia le traité. Il
précisa également qu'il avait été sollicité «par Monsieur le Grand de faire un parti pour perdre Monsieur le Cardinal». Si Monsieur ne manquait pas de courage au combat, il montrait une fois de plus sa pitoyable lâcheté dans les affaires politiques.
Il était courant,
voire politiquement nécessaire, de pardonner aux princes de sang, mais
l'attitude de Gaston envers les autres conjurés dut heurter bien des
consciences : «… et parce que Monsieur était malheureusement mêlé
dans l'affaire qui les fit périr, jusque-là même que l'on a cru que la
seule déposition qu'il fit à Monsieur le Chancelier fut ce qui les
chargea le plus, et ce qui fut cause de leur mort. L'accommodement de
Monsieur se fit, et il revint à Paris et vint descendre chez moi, il y
fut aussi gai que si MM. De Cinq-Mars et de Thou ne fussent pas
demeurés par les chemins. J'avoue que je ne le pus voir sans penser à
eux, et que dans ma joie je sentis que la sienne me donnait du chagrin».
Ce témoignage est d'autant plus accablant qu'il est extrait des Mémoires de la duchesse Anne de Montpensier, la propre fille de Gaston ! (la Grande Mademoiselle avait quinze ans à l'époque des faits).
Le duc de Bouillon ne
fut pas plus courageux et oublia sa parole. Confronté à Cinq-Mars, il
déclara ne rien savoir du traité et expliqua qu'il n'aurait livré Sedan
«qu'en cas de la mort du roi». Tout le reste n'aurait été que
de la responsabilité de Cinq-Mars. Pour sauver sa tête, le duc accepta
de céder la place de Sedan dont son père avait hérité de sa première
épouse, Charlotte de La Marck.
Le coup de grâce fut donné par le roi lui-même dès le 6 août. Il écrivit au chancelier : «…
car cet imposteur et calomniateur, le plus grand qui fut jamais, n'a
rien oublié de ce qu'il a pu pour échauffer contre mon cousin le
cardinal de Richelieu. Mais quand il a passé, jusqu'à cette extrémité de
me proposer de me défaire de mon dit cousin et de s'offrir à le faire,
j'ai eu en horreur ses mauvaises pensées et les ai détestées, en sorte
que n'ayant trouvé son compte avec moi dans l'approbation de ses
méchants desseins, il se serait lié au roi d'Espagne contre ma personne
et mon État par désespoir de ne pouvoir emporter ce qu'il désirait».
Cet écrit avait été
arraché par de Chavigny et de Noyers. Mais qu'avait donc à cacher le
scrupuleux Louis XIII pour se comporter d'une telle façon ? Le sort de
Cinq-Mars était désormais joué, mais les charges manquaient contre
François de Thou. Richelieu poursuivait ce dernier d'une haine que les
historiens ont du mal à comprendre. Faisant preuve d'un acharnement
indigne d'un ministre qui faisait trembler l'Europe, il usa d'un
méprisable artifice.
Le 10 septembre, par
l'intermédiaire de Laubardemont, homme de Richelieu et membre de la
commission, le Cardinal fit croire à Cinq-Mars que de Thou avait avoué
sa totale implication. S'il voulait éviter la torture et sauver sa
tête, il n'avait qu'à signer un document confirmant les dires de son
ami. C'était évidemment un mensonge et Henri tomba dans le piège.
Le 12 septembre, au
petit matin, le procès débuta. Confronté à de Thou et à sa propre
accusation, Cinq-Mars pris la défense de son ami en expliquant que ce
dernier avait tout tenté pour le dissuader de poursuivre son projet
lorsqu'il avait appris l'existence du traité. Mais il était trop tard.
Henri de Cinq-Mars fut condamné à la peine capitale à l'unanimité et
François de Thou par douze voix contre deux. Le Cardinal venait à peine
de quitter Lyon quand il reçut la nouvelle à Lentilly : «Monsieur de Thou, Monsieur de Thou, Monsieur de Thou ! Ah ! Monsieur le Chancelier m'a délivré d'un pesant fardeau !».
Dans le même temps, une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, Richelieu apprenait que Perpignan avait capitulé le 9 septembre.
Un carrosse pour le Ciel
Le
jour même, en fin d'après-midi, les condamnés furent menés du Palais
vers le lieu du supplice, place des Terreaux. Contrairement à l'usage,
ce ne fut pas en charrette mais en carrosse !
Cinq-Mars en fit la remarque selon un témoignage anonyme conservé aux archives de Lyon :
«… Monsieur
Thomé, prêvost de Lyon, avec les archers de robe courte, & le
chevalier du guet avec sa compagnie, eurent ordre de les mener au
supplice. Sur les degrés du Palais, Monsieur de Cinq-Mars luy dit :
Quoy, Monsieur, on nous mesne en carosse ? Va-t-on comme cela en Paradis
? Je m'attendois bien d'être lié et traîné sur un tombereau : ces
Messieurs nous traittent avec grande civilité de ne point nous lier
& de nous mener en carosse. Comme il y entroit il dit a deux soldats
: Voyés, mes amis, on nous mesne au ciel en carosse.
Monsieur de
Cinq-Mars étoit vêtu d'un bel habit de drap d'Holande fort brun,
couvert de dentelles d'or larges de deux doigts, un chapeau noir… »
L'échafaud aussi
était inhabituel. Au lieu du traditionnel billot, un poteau dépassait
de trois pieds les planches de l'estrade. Les condamnés devaient s'y
agripper, agenouillés sur un petit banc. Ce dispositif insolite avait
été requis par un bourreau d'occasion, un portefaix remplaçant
l'exécuteur officiel qui avait la jambe cassée. Le même témoin raconte :
«…
L'exécuteur suivait [le carrosse] à pieds, qui était un portefaix
(qu'ils appellent a Lyon un gagne-deniers), homme âgé, fort mal fait,
vêtu comme un manoeuvrier qui sert les maçons, qui jamais n'avait fait
aucune exécution, sinon de donner la gesne, duquel il fallut se servir,
parce qu'il n'y avait point d'autre exécuteur, celui de Lyon se
trouvant avoir la jambe rompue…»
Le carrosse arriva
sur la place où une foule considérable s'était déplacée pour assister à
l'exécution. On fit descendre Cinq-Mars le premier. Trois coups de
trompette imposèrent le silence et lecture fut donnée de l'arrêté
d'exécution. La porte du carrosse fut refermée sur François de Thou.
Cinq-Mars monta dignement sur l'estrade. Il subit les préparatifs, récita le Salve Regina
avec son confesseur et refusa d'avoir les yeux bandés. À genoux, il
agrippa le poteau et apostropha le bourreau qui tardait à faire son
oeuvre : «Eh bien, que fais-tu, qu'attends-tu ? » La hache ne
trancha pas la tête d'un coup. L'exécuteur fit le tour de sa victime, la
saisit par les cheveux et termina son office.
La tête roula au pied
de l'estrade où elle fut renvoyée par un témoin. Cet incident macabre
devait être assez fréquent et semble avoir été l'objet d'un souci pour
les condamnés comme en témoignent les recommandations du duc Henri de
Montmorency à son bourreau (Toulouse, le 30 octobre 1632).
Le corps du supplicié
fut dépouillé, traîné dans un coin de l'estrade et recouvert d'un
drap. À son tour, de Thou monta rapidement sur l'échafaud et embrassa
son bourreau. Impressionné par le sang de son compagnon, il accepta
d'avoir les yeux bandés. C'est en récitant l'In manus tuas que
le malheureux reçut un premier coup de hache qui s'abattit sur son
crâne. Le bourreau se montra encore plus maladroit que pour Cinq-Mars
et, sous les huées de la foule, il dut porter quatre coups
supplémentaires pour en terminer.
Sinistre écho de
l'Histoire, cette exécution répondait à celle du comte de Chalais, à
Nantes en 1626, pour laquelle le bourreau, lui aussi d'occasion, s'y
reprit plusieurs dizaines de fois pour accomplir son oeuvre !
Épilogue
La nouvelle de la
mort de Cinq-Mars fit le tour du royaume et souleva beaucoup d'émotion.
L'impopularité du ministre atteignit des sommets.
Pourtant, le cardinal
n'en avait pas terminé avec ses ennemis. Il exigea le renvoi des
capitaines compromis (la présence de ces hommes d'armes près du roi
l'inquiétait, peut-être pas sans raison). Louis XIII se montra
extrêmement réticent, notamment pour M. de Troisville auquel il
manifestait confiance et sympathie. Il finit cependant par céder.
La mère d'Henri de
Cinq-Mars, la maréchale d'Effiat, fut exilée en Touraine. Son frère fut
privé de ses bénéfices d'abbé et le château de famille rasé «à hauteur d'infamie».
Quant à Marie de Gonzague, Richelieu lui fit perfidement savoir,
lorsqu'elle réclama les souvenirs et les lettres contenus dans la
cassette de son amoureux, «qu'il s'était trouvé dans ladite cassette
tant de lettres de femmes et de cheveux différents qu'il fallait
qu'elle envoyât une moustache (une mèche) des siens et de son écriture
pour pouvoir discerner ce qui était d'elle».
Marie se consola en
épousant Ladislas IV, devenant ainsi reine de Pologne. Suivant une
stratégie habituelle pour dénouer les crises, Richelieu proposa sa
démission que le roi refusa. Le ministre se montra exigeant sur
l'attitude à laquelle devait se conformer désormais le monarque.
Le roi devait notamment n'avoir «d'autre favori que le bien de ses affaires qui, seul, lui doit occuper l'esprit» et s'en remettre aux décisions de son seul Conseil dont il devait conserver le secret le plus strict.
Richelieu se montra même menaçant, écrivant que «Sa
Majesté saura, s'il lui plaît, qu'on a appris beaucoup de choses de M.
le Grand dont jusqu'ici on n'a pas voulu lui donner connaissance». Il faisait allusion à des déclarations de Cinq-Mars qui n'auraient pas été consignées par le chancelier Séguier.
Incontestablement,
l'inébranlable confiance entre le roi et son ministre était brisée.
Toute leur correspondance, dans laquelle les traditionnelles marques
d'affection sont absentes, en témoigne. Il est un point pourtant sur
lequel les deux hommes étaient en accord : la poursuite de la guerre
ou, du moins, le refus d'abandonner à l'ennemi les villes et
territoires acquis en échange d'un traité de paix.
Le Cardinal agissait
comme si la mort ne devait pas survenir. Elle devait pourtant
l'emporter le 4 décembre, moins de trois mois après l'exécution de son
ancien protégé.
La nouvelle se
répandit dans toute l'Europe et inspira au pape Urbain VIII ces
curieuses paroles dans la bouche du chef de l'Église : «S'il y a un Dieu, il va payer ! Mais, vraiment, s'il n'y a pas de Dieu, le fameux homme !» Le roi devait le suivre dans la tombe cinq mois plus tard, le 14 mai 1643.
La conspiration de
Cinq-Mars avait détruit le formidable tandem politique qui avait
surmonté les pires difficultés pour renaître chaque fois plus puissant.
Ce tandem était le résultat de la rencontre entre le génie politique
du cardinal et la volonté inflexible d'un roi stoïcien toujours prêt à
sacrifier ses intérêts personnels à la charge de son État.
Les complots
permanents, les cabales, les vicissitudes de la guerre et l'épuisement
dû à la maladie avaient fini par avoir raison de leur complicité. Même
si, dans les derniers instants du ministre, un sursaut d'affection les
réunit à nouveau.
Mais la principale
conséquence de cette conspiration était enregistrée au Parlement dès le
mois de décembre : une déclaration privant Gaston de ses droits à la
régence.
Le 20 avril, sur son
lit de mort, au château de Saint-Germain-en Laye, Louis XIII désigna
Anne d'Autriche comme régente. Une régence cependant sous l'étroit
contrôle d'un Conseil souverain composé de la reine, Gaston, Condé,
Mazarin, Séguier, Bouthillier (le père) et Chavigny (le fils).
Cette disposition
testamentaire ne survécut que quatre jours à la mort du roi ! Monsieur
dut se contenter de la lieutenance générale du royaume. Si Louis XIII
avait retrouvé un frère grâce à l'entremise de Mazarin, il n'avait pas
pardonné au conspirateur qui était entré «dans toutes les affaires
parce qu'il n'avait pas la force de résister à ceux qui l'y
entraînaient… et parce qu'il n'avait pas le courage de les soutenir» ! (Richelieu).
La conspiration inspira à Alfred de Vigny un roman, Cinq-Mars, dans lequel les faits historiques sont passablement déformés. Charles Gounod, le 5 avril 1877, a créé un opéra du même nom.
http://www.herodote.net/
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