RIVAROL : Christophe Dolbeau, vous êtes professeur d'anglais mais aussi passionné par l'histoire de l'ex-Yougoslavie à laquelle vous avez consacré des livres (Croatie, sentinelle de l'Occident, éd, Arctic 2006 ) et de nombreuses études, tout récemment encore dans notre revue Ecrits de Paris où vous avez publié un long article sur le «démocide» commis par les titistes à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale (n° de mai d'EdP, dossier sur « les maudits »). Même si dans votre livre Les Parias (éd, Irminsul 2001), vous aviez évoqué de grandes figures de la Phalange comme Onésimo Redondo et Ernesto Giménez Caballero, comment en êtes-vous venu à écrire sur la Guerre d'Espagne et surtout sur ce qu'on n'a jamais dit à ce sujet (1)?
Christophe Dolbeau : Il y a une quarantaine d'années, j'ai commencé à m'intéresser aux problèmes yougoslaves et plus précisément à la question croate car il me semblait que la Croatie était victime d'une énorme tromperie. Aujourd'hui, ma démarche est un peu la même et si j'ai entrepris de consacrer un ouvrage à la Guerre d'Espagne, c'est qu'il m'est apparu indispensable de répondre aux mensonges auxquels le public français est systématiquement soumis depuis plus de 70 ans. Ces mensonges, on ne se lassera jamais de le répéter, furent conçus par le Komintern, popularisés par le Front Populaire et repris après-guerre par tout ce que l'Intelliguentsia comptait de philocommunistes, de soi-disant progressistes, de chrétiens insanes et d'idiots utiles. Ces derniers souvent recrutés dans les rangs de la fausse droite, il faut bien le dire. Trente-cinq ans après la disparition de Francisco Franco, la désinformation continue de plus belle, on nous sert encore et toujours les mêmes fables et ceci est proprement intolérable. Il faut absolument dénoncer la fraude et en démonter les rouages.
R.: Comment expliquez-vous justement que tant d'intellectuels, d'écrivains comme Kessel, Malraux, Hemingway, sans parler de l'une des sœurs Mitford, aient adhéré à l'idéologie révolutionnaire espagnole et que, plus de septante ans après la fin du conflit, soient encore si nombreux, pour reprendre votre expression, « les dupes et les niais qui tiennent encore la Ile République espagnole pour un paisible État de Droit » ?
C. D. : La mode des années 1930 était au communisme et de nombreux intellectuels succombèrent à ses chimères au point d'en cautionner parfois les crimes les plus abjects. Raymond Aron n'a pas eu tort de parler du marxisme comme de l' « opium des intellectuels ». Victimes d'hallucinations, ils n'ont pas su ou pas voulu voir ce qu'était réellement le Frente Popular et rares furent ceux qui eurent le courage, comme la philosophe Simone Weil, d'en reconnaître les crapuleries. À noter aussi que des gens comme Kœstler, Hemingway, Orwell ou Malraux se sont tout de même bien gardés de rejoindre physiquement les Brigades Internationales… Leurs divagations n'ont jamais été remises en cause, elles sévissent encore et contribuent, hélas, à perpétuer le mythe.
R. : Pouvez-vous nous rappeler brièvement les origines de ce conflit ?
C. D. : La IIe République, ce sont cinq ans de gabegie. Des réformes avortées, un putsch militaire, une insurrection marxiste, le tout ponctué d'incendies d'églises, d'attentats, de meurtres, de grèves et de saisies abusives. Comme l'a dit le général Franco, l'Espagne était entrée dans les transes de l'agonie. En juillet 1936, il fallait réagir car c'était désormais une question de vie ou de mort. Quant au casus belli, la goutte qui fit déborder le vase, ce fut l'assassinat de sang froid (13 juillet 1936), par des policiers socialistes, de José Calvo Sotelo, le jeune leader de la droite parlementaire.
R. : Vous consacrez des pages terribles aux «tchékas» rouges, à Madrid et à Barcelone mais surtout en province et soulignez la férocité dont elles firent preuve, parfois sous la direction d'agents russes comme un certain Sonine, Comment fonctionnaient-elles ?
C. D. : Les «tchékas» étaient en quelque sorte des commissariats privés ; elles faisaient office à la fois de cantonnements, de centres d'interrogatoire, de geôles et de cours martiales. Elles étaient gérées par des polices parallèles dont les membres provenaient des partis et syndicats de gauche. Il y avait donc des «tchékas» socialistes, anarchistes, communistes, trotskystes, radicales, etc., indépendantes les unes des autres et souvent rivales dans le crime. Tolérées voire encouragées par l'État et dirigées par des truands, des psychopathes ou des fanatiques, ces bandes ont rapidement instauré un climat de terreur dans la plupart des grandes villes d'Espagne. Enlèvements, vols, tortures, viols et meurtres, telles étaient leurs méthodes. Le tout, bien sûr, au nom de l'«antifascisme». À partir de mai 1937, les communistes ont repris en main ces officines et y ont introduit les techniques du NKVD ; sont alors apparus dans leur sillage divers agents soviétiques comme Sonine, Grigoulevitch, Koltsov, Eitington, Gerö, Hertz ou Vidali.
R. : Vous nous apprenez que, tombées sous la coupe soviétique après l'élimination sanglante des anarchistes, ces «tchékas» recoururent à des moyens d'intimidation et de tortures extraordinairement modernes, utilisant par exemple les couleurs et les bruits violents pour tétaniser les prisonniers. Pouvez-vous nous en dire plus ? Et cela ne préfigure-t-il pas les moyens utilisés à Guantanamo ou à Abou-Ghraïb par exemple par les Américains pour faire avouer n'importe quoi aux détenus islamistes-?
C. D. : Le grand architecte des «tchékas», à Barcelone en particulier, fut Alfonso Laurencie, un étrange personnage, né en France mais d'ascendance austro-slovène. À la fois peintre et chef d'orchestre, ce Laurencie était probablement familier du suprématisme, du constructivisme, de la synesthésie, de l'art cinétique et de la Gestalt-psychologie. Il recourait, en effet, aux couleurs et aux sons afin de perturber l'équilibre mental des prisonniers et d'affaiblir leurs défenses psychologiques. À la peur, aux coups, à la sous-alimentation s'ajoutèrent dès lors les illusions cognitives, les images résiduelles et la désorientation spatio-temporelle.
Très modernes pour l'époque, ces méthodes se sont ensuite répandues dans le monde entier : Chinois et Nord-Coréens les ont utilisées, le Viêt-Minh les a pratiquées, puis la CIA a mis au point, à partir des années 1950, des techniques de privation sensorielle et de « fabrication du consentement » (manufacturing consent). L'Allemagne Fédérale et Israël passent également pour y avoir eu recours. En un sens, je crois que les techniques de Laurencie étaient plus sophistiquées que les moyens, somme toute assez classiques et rudimentaires, que mettent en œuvre les geôliers de Guantanamo et d'Abou Ghraïb.
R. : On a l'impression en vous lisant que les Rouges ne voulaient pas simplement s'emparer du pouvoir mais aussi édifier une humanité et un monde nouveaux sur les décombres de l'Espagne séculaire. Cette impression est-elle exacte ?
C. D.: Oui, indéniablement. Il ne s'agissait pas simplement de défendre la République et encore moins « la Liberté » mais bel et bien d'instaurer un régime bolcheviste, d'éliminer tous les vestiges de l'ancienne société et de transformer l'Espagne de fond en comble. Largo Caballero avait d'ailleurs annoncé que pour mettre fin à la lutte des classes, il fallait que l'une d'elles disparût… Et quant à l'Église Catholique, l'objectif avoué des chefs du Front Populaire était de l'éradiquer définitivement.
R. : On connaît bien la Légion Condor mais beaucoup moins la Bandera irlandaise ou la Bandera Juana de Arco. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C. D. : La Bandera irlandaise était une petite unité de 600 volontaires qui s'est battue aux côtés des nationaux sur le front de Madrid. Constituée en novembre 1936 par le général O'Duffy, ancien chef d'état-major de l'IRA et bras droit de Michael Collins, cette unité regroupait essentiellement des catholiques qui venaient défendre Dieu et la Foi. Du côté français, une Bandera Jeanne d'Arc vit également le jour, en mai 1937, à l'initiative du capitaine (et ancien Camelot du Roi) Henri Bonneville de Marsangy. Plus politique et moins confessionnelle que son homologue irlandaise, cette formation attira surtout des militants d'Action Française ainsi que d'anciens Croix-de-Feu. Proportionnellement à leurs effectifs, ces deux banderas payèrent un lourd tribut à la lutte contre les Rouges.
R. : Dans un article publié le 19 mars, RIVAROL montrait que le monde littéraire et universitaire espagnol n'avait pas été unanime derrière les Rouges, une bonne partie choisissant au contraire le camp nationaliste, ce que certains payèrent très cher. Pouvez-vous en donner des exemples et rétablir la vérité sur la mort de Garcia Lorca ?
C. D. : En fait, les principaux fondateurs de la République - Ortega-y Gasset, Marañon et Perez de Ayala - prirent parti contre le Front Populaire et rallièrent le camp national, rapidement suivis par divers penseurs libéraux comme Azorin, Pio Baroja ou Garcia Morente. À droite, l'essayiste Ramiro de Maeztu, le dramaturge Muñoz Seca et le poète Hino-josa furent assassinés par les Rouges dès le début du conflit. Outre une kyrielle de jeunes auteurs phalangistes (dont Ridruejo, Agustin de Foxa, Sanchez Mazas, Manuel Machado), un grand nombre d'écrivains confirmés, d'universitaires et d'artistes apportèrent leur soutien à la rébellion. Parmi ceux-ci, Miguel de Unamuno, Eugenio d'Ors, Ricardo León, Josep Pla, Eduardo Marquina, Emilio Carrere ou Concha Espina, mais aussi les peintres Dali, Zuloaga et Ponce de León, ou encore les musiciens Manuel de Falla et Andrés Segovia. La fameuse « légende noire » du franquisme est donc une escroquerie de plus !
En matière d'intox, la mort de Garcia Lorca est encore plus emblématique. Victime de jalousies locales, de rancunes familiales et d'«homophobie» beaucoup plus que d'une quelconque vindicte politique, le poète fut bien assassiné par de prétendus «nationaux» mais certainement pas par des phalangistes et aucunement sur l'ordre ou avec l'assentiment du général Franco. Les phalangistes, dont certains étaient ses amis, ont au contraire tout tenté pour le sauver et quant à Franco, il n'avait alors aucune autorité sur la ville de Grenade !
R. : Avec le recul, peut-on dire que là où la révolution a échoué en 1939 grâce aux forces réunies par le generalisimo Franco, le libéralisme a réussi, comme on peut le déduire de la «movida» et des lois prises après la mort du Caudillo, ainsi que de l'hommage, que vous déplorez, rendu par le roi Juan Carlos aux « bourreaux de son pays » ?
C. D. : Le libéralisme et la «movida» ont entraîné la réapparition en Espagne de maux - partitocratie et séparatisme notamment - qui ont toujours eu pour le pays des conséquences funestes. Joint à une décadence accélérée des mœurs, à une immigration massive, au reniement des valeurs traditionnelles de l'Hispanité et au revanchisme hargneux de la gauche, ce changement est certainement dommageable. Reste, au-delà de ces problèmes et de ces inquiétudes, que l'Espagne d'aujourd'hui demeure tout de même un pays viable, ce que n'était pas l'Espagne de 1936. Aussi fâcheux soient-ils, les errements du régime actuel sont en effet sans commune mesure avec les aberrations et les crimes de la révolution de 1936. Fort heureusement pour les Espagnols, le juge Garzôn n'est pas Garcia Oliver et M. Zapatero n'est pas Largo Caballero !
Propos recueillis par Jacques LANGLOIS. RIVAROL 18 juin 2010
(1) Ch. Dolbeau : Ce qu'on ne vous a jamais dit sur LA GUERRE D'ESPAGNE. 214 pages, 20 € ou 23 € franco. Atelier Fol'fer Éditions, BP 20047, F-28260 Anet. Tél. : 06-74-68-24-40.
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