samedi 14 août 2010

De Gaulle en négatif, ou l’anti-gaullisme en 30 leçons

Nous venons de vivre, depuis des semaines, une interminable série de commémorations et de célébrations, liées au général-résistant, libérateur et sauveur, et à son fameux “appel” de 1940. Le phénomène est en soi intéressant pour la science de l'histoire, montrant la transformation rétrospective d'un non-événement notoire en mythologie nationale, consacrée et fondatrice. Le vecteur principal du processus, outre certaines associations spécialisées, et bien entendu des partis politiques, est comme toujours l'Éducation Nationale, la jeunesse étant par nature malléable et peu critique… en tout cas sans connaissance approfondie des choses et “innocente”. Quant aux masses populaires, soumises aux lois d'airain de la télévision …
Question tout de même : est-il encore possible, est-il permis, est-il convenable de dire sur le général De Gaulle un certain nombre de vérités, simplement et sans fard, en quelque sorte en négatif (mais le contraire serait tout aussi possible), bref d'appliquer à son aventure historique et à son personnage un esprit résolument critique, objectivement et sine ira et studio. En principe, non - ce n'est presque plus possible. Essayons quand-même, en toute indépendance d'esprit. À nos risques et périls.
1) Point d'ancrage fondamental du mythe gaullien, le discours du général du 18 juin 1940 à la BBC (renforcé ou confondu avec certaines affiches, publiées par la suite) fut un non-événement par excellence, à peine entendu et peu apprécié à l'époque. L'importance que l'on veut bien lui attribuer est purement rétrospective.
2) De Gaulle (DG) avait brillamment prévu (pas tout seul…) la guerre blindée, mais totalement sous-estimé le rôle de l'aviation ; dans une République défaillante, il ne fut guère entendu, malgré ses publications souvent originales et lucides.
3) Appel, mais trop tard, comme simple colonel à commander une division cuirassée mal assemblée, DG n'a jamais dirigé une vraie bataille de blindés, comme celle de Gembloux et Hannut par exemple où nos chars Somua et B1 bis obtinrent un certain succès. Ses tentatives (sur ordre) de contre-offensives à Montcornet, Crécy et Abbeville furent un échec total, contrairement à certaines affirmations comme celle, fantaisiste, de Philippe De Gaulle.
4) L'explication du désastre, hâtivement formulée par DG dans son “appel”, est très insuffisante et d'une médiocrité accablante, notamment avec son insistance sur la « force mécanique ayant submergé nos armées ». C'est l'intelligence, l'audace, le savoir-faire et la force de choc des troupes allemandes qui ont enfoncé et disloqué notre objectif défensif, nullement “submergé” ; c'est l'infanterie d'assaut allemande qui a franchi la Meuse en 2-3 jours, avant toute « force mécanique ».
5) Il existe d'autres explications ad hoc, nettement plus sérieuses et mieux fondées, comme l'excellent et perspicace ouvrage de Marc Bloch L'étrange défaite, réalisé dans la même année. Cet historien juif constate, entre autres, que l'armée allemande lui semblait nettement « plus démocratique » que la nôtre… Détail intéressant.
6) DG explique mal, ou pas du tout, pourquoi l'intervention de nos quatre divisions blindées - relativement semblables par principe aux allemandes - n'a produit aucun résultat. Il omet de mentionner l'absence quasi-totale de DCA et d'armes antichars dans nos armées, outre de nombreuses autres anomalies difficiles à comprendre.
7) Suggérant avec grandiloquence « l'Empire derrière nous », DG oublie le fait essentiel que nos territoires coloniaux n'avaient aucune autonomie, ni ressources, ni troupes en réserve, contrairement au Commonwealth anglais.
8) Emporté vers Londres dans un avion anglais, DG n'y avait strictement rien à offrir pour la poursuite de la lutte, hormis « le don de sa personne » avec un demi-bataillon de légionnaires, rescapé de Narvik, et quelques soldats évacués de Dunkerque, sans armes et démoralisés.
9) Contrairement au discours gaulliste, la défaite n'était pas un fait “allégué” (« … par un gouvernement de rencontre »), mais une cruelle réalité, aux conséquences inévitables. En ce sens, le discours du Maréchal Pétain du 17 juin apparaît infiniment plus logique, crédible et humain que celui de DG et mieux apprécié.
10) À Londres (et à la fin à Alger), DG n'a jamais déclenché, ni organisé, ni commandé, ni unifié la Résistance qui, progressivement et sur le tard, était issue d'origines multiples ; il aura tout au plus tenté de la “coiffer”, en son nom. Il y a organisé, autour de sa personne, une officine baptisée « France libre », fonctionnant en circuit fermé, sans prise réelle sur les événements militaires, ou politiques.
11) Au sens strict du terme, DG n'avait rien à commander à Londres, hormis sa petite “cour”. Loin de lutter « contre l'Allemagne nazie », il y passa son temps à s'acharner contre “Vichy” (soit l'immense majorité du peuple français), et contre ses alliés anglo-saxons, auxquels il devait tout. Aucun groupe de résistants, en territoire français, ne pouvait subsister ni agir sans les parachutages, les armes (très médiocres “STEN”), les postes-radio et les avions “lysander” anglais.
12) Par sa détestable prétention d'incarner, à lui tout seul, « la France », DG a rapidement créé une sorte de manichéisme qui déboucha sur une guerre civile larvée, dressant des « bons Français » contre les “mauvais”, sur les champs de bataille (Syrie, Dakar) comme en France occupée, même encore après la libération-épuration. Un manichéisme qui horripilait tous ses alliés, et empêchait nombre de Français parmi les meilleurs de rejoindre la « France libre », comme l'aviateur-écrivain Saint-Exupéry ou le philosophe Raymond Aron (qui était pourtant à Londres), tous patriotes sincères, mais « politiquement incorrects ». La grande philosophe israélite Simone Weil (ne pas confondre avec “Veil”, surtout), elle aussi à Londres, fut écartée de l'aréopage gaullien… trop incommode.
13) DG ne fut, tout au long de la guerre, consulté sur aucune des grandes affaires, conférences ou batailles, entre les “grands”. Ayant appris Bir-Hakeim par la presse ou la radio anglaise, il a pu tout au plus hâter de quelques jours la libération de Paris et celle de Strasbourg.
14) Le souci obsessionnel de la « grandeur française » à restaurer se résumait enfin chez DG à racoler les indigènes comme soldats bon marché outre-mer, et à assumer la souveraineté française dans quelques « miettes d'empire », comme St. Pierre-et-Miquelon, puis à morigéner “Vichy” ou critiquer ses alliés.
15) DG n'a jamais “libéré” quoi que ce soit, la présence française lors du Débarquement en Normandie se limitant à un , demi-bataillon de commandos de marine (à Ouistreham) et à quelques SAS en Bretagne, avec la 2e DB du général Leclerc débarquée 5 semaines plus tard. À cette occasion, la tâche principale des gaullistes consista à faire arracher les portraits de Pétain en zone “libérée”, et à écarter la monnaie provisoire prévue par l'administration américaine “AMGOT”.
16) Certains discours de “libérateur” de DG, constamment re-cités et quasiment consacrés, certes circonstanciés, apparaissent rétrospectivement aberrants voire scandaleux, en particulier celui du débarquement du 6 juin : « la bataille suprême est engagée… c'est la France qui mène comme toujours la bataille » ; ou celui du Paris libéré, où DG omet tout simplement de mentionner l'action (déterminante) des Alliés, même pas remerciés…
17) Parmi les trois “grands” généraux de la France dite libre, deux furent d'abord “vichystes”, soit Juin et De Lattre de Tassigny. Si les Forces Françaises libres, sous leur commandement (avec Leclerc) se sont souvent battues bravement et efficacement, ce fut toujours au sein des armées alliées et sans initiative propre, dépendant de celles-ci jusqu'au moindre « bouton de guêtres ». Encore au dernier moment de la guerre, le franchissement du Rhin par la 1ère armée française a failli capoter, les alliés n'ayant pu ou voulu fournir les moyens de franchissement nécessaires.
18) Maigre triomphe gaullien, la France fut admise (de mauvais gré… ) à « la table des vainqueurs », et obtint, grâce à l'intervention de Churchill, une zone d'occupation en Allemagne, prélevée laborieusement sur la zone américaine (d'où l'évacuation avec fracas de Stuttgart, capitale du Württemberg que l'on aurait bien voulue garder au profit des Américains).
19) Le très curieux « pacte d'alliance » entre DG et Staline, réalisé à la fin de 1944, n'a pas permis de sauver la liberté de la Pologne, malgré quelques efforts sincères de DG, convié à Moscou. Ce fut pourtant le motif essentiel de l'entrée en guerre, par la France, en 1939 !
20) L'euphorie d'une victoire peu convaincante et de la “grandeur” restaurée (en terminologie gaullienne… ) n'a pas empêché la France de sombrer rapidement dans une sorte de dépression, aggravée par la misère générale et par les abominables excès de l'Épuration ; excès dus aux communistes et à la fureur résistancialiste. Les “résistants” s'étant subitement multipliés par 100 au moment de la libération ! Il s'ensuivit tueries en tout genre, carnages, règlements de compte, massacre de prisonniers allemands et camps de concentration (clandestins), sans parler des exécutions officielles (les historiens préfèrent se limiter aux dernières, dans leurs chiffres sans doute édulcorés).
21) Parmi les quatre « grandes batailles de la résistance » - relevant en principe du gouvernement provisoire gaulliste trois furent perdues dans des conditions tragiques, soit les Glières, le Vercors et le Mont-Mouchet. Celle de St. Marcel/Bretagne, un demi-succès grâce à la proximité des forces alliées débarquées. Avec une mauvaise foi ou une lâcheté scandaleuse, DG avait refusé d'assumer ses responsabilités après la catastrophe du Vercors, un membre du gouvernement provisoire à Alger (Ferdinand Grenier, honnête homme d'évidence) lui ayant demandé officiellement une explication. Grenier fut forcé d'écrire une lettre d'excuse et fut expulsé du gouvernement quelques mois plus tard. Le dernier message-SOS du Vercors en détresse se terminait par « salauds, je répète des salauds… ». En réalité le “salaud” en question ne maîtrisait rien.
22) Tout au long de la guerre DG fit preuve d'une étrange insensibilité humaine, que ce soit face à la détresse des populations en juin 1940 (« cette guerre a très mal commencé, il fallait donc qu'elle continuât… ») ; face aux troupes françaises se battant en Syrie contre d'autres Français ; face à la Normandie complètement détruite ; face aux bombardements alliés dévastateurs. Quelques jours avant la fin de la guerre il préconisa encore une offensive - pour la frime et inutile contre la poche atlantique de Royan, entraînant la destruction de la ville (par un bombardement américain raté) et des centaines de morts. Il agit de même, 17 ans plus tard à l'égard des malheureux pieds-noirs d'Algérie et les harkis.
23) Malgré sa lucidité parfois étonnante et sa connaissance du monde, DG fit preuve d'un incroyable aveuglement en 1945 au sujet des colonies, n'ayant pas compris que la situation morale et psychologique avait complètement changé en ce domaine. D'où sa tapageuse maladresse de plonger aussitôt dans la reconquête de l'Indochine, par la faute d'un gaulliste enragé, l'amiral d'Argenlieu, et d'ignorer superbement les très meurtriers « événements de Sétif » dans l'est-algérien. Bref, deux nouvelles guerres en vue, le conflit mondial à peine terminé…
24) La guerre d'Algérie permit à DG, par un coup d'État déguisé et habilement manigancé, de revenir « aux affaires », avec son mérite de créer enfin une constitution viable, certes taillée sur mesure. Malheureusement son autorité authentique devait servir, par la suite, à liquider l'Algérie dans les pires conditions, malgré une victoire durement gagnée sur le terrain par nos troupes, ceci en totale contradiction avec ses promesses, malhonnêtes ou imprudentes. Si Pétain, à l'époque, après une terrible défaite assumée, fut constamment maudit et honni par DG, lui-même a cédé sans vergogne aux pressions du FLN, avec une victoire sous la main - comprenne qui pourra…
25) Si l'effroyable drame des pieds-noirs et des harkis n'était (peut-être) pas voulu par DG, il était néanmoins causé et aggravé par la camarilla gaullienne des créatures serviles, dans l'entourage du général, notamment Messmer, Louis Joxe, Pasqua et tant d'autres - dignes représentants du régime par lui instauré. Ceux qui ne l'ont pas supporté eurent leur carrière brisée, ou se sont retrouvés en prison, comme le Colonel Hélie de Saint-Marc, ou dans le meilleur des cas limogés ou écartés, comme les généraux Massu et Bigeard.
26) Une fois, et de nouveau « aux affaires » et toujours épris de son fantasme de “grandeur”, DG se mit à lancer des programmes de prestige, souvent coûteux et fort peu rentables, tels que le paquebot “France” et l'avion Concorde. Mieux eût valu doter la France d'un réseau solide de PME, comme le fit l'Allemagne.
27) Idée défendable à l'époque, la Force de frappe nucléaire - belle performance au plan technique - eut pour corollaire un effrayant appauvrissement des forces conventionnelles… Vers 1975 l'infanterie française n'avait pas de fusil moderne, honte et scandale ! Très incomplète et bancale, notre force de frappe restait toujours dépendante du réseau de renseignement et de pré-alerte de l'OTAN, sans parler de l'absence totale d'une composante de protection civile.
28) Si DG a pu relancer, avec bonheur, un début crédible de rapprochement franco-allemand, sa position restait constamment ambiguë au niveau de l'Europe, tantôt en train de freiner des quatre fers, tantôt en précipitant les choses.
29) Avec son affaire du « Québec libre », DG voulut apparemment tenter un coup à la manière de Hitler avec les Sudètes en 1938. Hélas, contrairement à Hitler qui avait eu ses Sudètes (sans effusion de sang), DG n'obtint qu'une tempête dans un verre d'eau diplomatique…
30) Malgré une stabilisation louable de la France, le régime gaulliste a accumulé nombre de retards graves : réforme des grandes écoles, du service national, des universités, du système pénitencier, formation professionnelle, commerce extérieur. On peut admettre, avec Raymond Aron, que le Général « n'avait pas mérité de disparaître sous le coup d'une pseudo-révolution manigancée par un Cohn-Bendit et ses douteux compagnons ». Mais « sic transit gloria mundi… ».
Henri HARTMANN. Rivarol du 23 juillet 2010

2 commentaires:

miomio a dit…

j' ai trouver vos écrits très BIEN .
car a 12 ans j'ai pleuré car il a sauvé la France et oui .
maintenant j'ai lu votre article et je suis abasourdi . de plus j'ai lu un petit livre couleur Rouge sur DG
dans l'est de la France j'ai été consterné par se qui s'est dit .
je l'est rendu a cette dame qui haïssait DG . je voudrai retrouver ce livre ??

Anonyme a dit…

J'ai lu ce soir vos écrits, après avoir regardé les commémorations à Colombey les deux Eglises et j'avoue que je ne comprend pas du tout pourquoi nous célébrons un homme qui a beaucoup de négatif dans sa vie ou qui s'atribue des faits. Vos écrits sont clairs et précis. Est-ce que les gaulistes connaissent vraiment De Gaulle ? Pour moi ce n'est pas une fierté d'être gauliste bien au contraire