L’Afrique subsaharienne commença à être reconnue par les Européens à partir du XVe siècle. Pour quelle raison ? Dès avant la chute de Constantinople (1453), les voies d’approvisionnement asiatiques étaient devenues incertaines, en raison notamment de la progression des peuples de la steppe en Asie Centrale. L’approvisionnement en produits orientaux devenant aléatoire, il fallut trouver d’autres routes, ce que firent les Portugais en longeant le littoral africain. Ils reconnurent ainsi la route du Cap, envoyèrent des ambassades auprès du Négus d’Ethiopie et remontèrent certains fleuves africains, mais sans jamais songer à coloniser l’Afrique qu’ils ne considéraient que comme une escale sur la route des Indes.
A l’exception d’un noyau de colonisation autour de Luanda, en Angola, et d’un autre dans la baie de Maputo au Mozambique, les Portugais ne voyaient dans leurs établissements d’Afrique que des bases de ravitaillement. Pionniers de la découverte de l’Afrique, les Portugais ne furent pas les initiateurs de sa colonisation.
La seconde phase de l’aventure européenne en Afrique se situe entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIIe siècle, avec l’entrée en jeu des puissances issues de la Réforme, qui vinrent concurrencer les Portugais.
Les Hollandais furent les premiers. En l’espace de soixante-quinze ans, ils évincèrent, en effet, pratiquement les Portugais de la route des Indes, s’installèrent en Insulinde, à Bastia, et, en 1652, créèrent le comptoir du Cap. Là encore il n’y eut pas de colonisation de l’intérieur, les autorités hollandaises interdisant même aux colons débarquant au Cap toute installation dans l’arrière-pays. Pour les Hollandais, cet établissement n’avait qu’un seul intérêt, celui d’être situé à mi-distance de l’Europe et de l’Inde. C’était une étape où l’on ferait escale à l’aller et au retour et où l’on embarquerait des vivres frais pour permettre aux marins d’échapper au scorbut.
Au XIXe siècle, l’Europe ne désirait pas coloniser l’intérieur de l’Afrique. Elle y fut cependant contrainte par les campagnes humanitaires des voyageurs et des missionnaires. Ces derniers voyaient, en effet, dans la colonisation le seul remède aux maux des populations noires.
C’est à cette époque que commença l’acharnement philanthropique. L’Afrique fut alors prise en charge au nom de nos principes de générosité et de nos bons sentiments. Tous parfaitement étrangers au continent noir.
Leur application allait interdire à toutes les "Prusse" potentielles d’unifier sous leur loi des tribus disparates qui avaient vocation à servir les peuples dominants.
La colonisation de l’Afrique noire est donc tardive et se présente de manière très différente de celle de l’Amérique.
Aux Amériques, la présence européenne débute dès le XVIe siècle. L’Afrique est, quant à elle, restée fermée aux Européens jusqu’à la fin du XIXe siècle. Du XVIe au XIXe, les Blancs se contentèrent de longer le littoral et d’y établir des comptoirs mais ne pénétrèrent véritablement dans le coeur du continent qu’à l’extrême fin du XIXe siècle.
Contrairement aux légendes, les Anciens ne connaissaient pas l’Afrique du sud du Sahara. La limite ultime de navigation dans l’Atlantique était l’île de Mogador, au sud du Maroc ; cependant qu’à l’est la limite se situait vers Zanzibar.
Pendant trois mille ans, deux Afriques ont donc vécu en s’ignorant. L’Afrique du Nord, rattachée aux civilisations méditerranéennes et qui sera coupée de l’Occident à la suite des invasions arabes du VIIe siècle ; et l’Afrique sub-saharienne, qui commencera à s’ouvrir au monde méditerranéen avec l’islamisation. Ce furent, en effet, les Arabes qui, à partir des oasis du Touat et de Tafilalet, la découvrirent.
Les Britanniques, de leur côté, créèrent au XVIIIe siècle quelques comptoirs destinés à la traite des Noirs. Les chiffres de cette traite ont longuement été discutés. Les estimations scientifiquement licites varient entre neuf et douze millions d’esclaves transplantés en trois siècles. A l’apogée de la traite, c’est-à-dire au XVIIIe siècle, les Européens sont présents partout mais en très petit nombre sur le littoral de l’Afrique, du Sénégal jusqu’au sud de l’actuel Mozambique. De plus, ils ne pénètrent toujours pas à l’intérieur du continent. Ils sont "accrochés" au littoral et à peine tolérés par les populations locales.
Pourquoi, d’ailleurs, iraient-ils affronter les fièvres, les tribus farouches, la nature inconnue de l’Afrique profonde alors qu’il est si confortable d’attendre dans les comptoirs que leurs fournisseurs noirs viennent y vendre les esclaves ?
De même que la conquête du Mexique a largement été faite par les Indiens au service des Espagnols, la traite atlantique a été réalisée par des Africains ; car ce sont des Africains qui ont vendu d’autres Africains. Les Européens ont en réalité détourné et amplifié à leur profit des pratiques traditionnelles qui existaient depuis des temps immémoriaux.
Au terme du XVIIIe siècle, aucune puissance européenne ne s’est encore aventurée à coloniser l’intérieur des espaces africains, à l’exception d’une modeste avancée française dans la vallée du Sénégal. La situation reste inchangée pendant la première partie du XIXe, sauf en Afrique du Sud où les Boers firent leur "Grand Trek" dans les années 1830-1835, s’enfonçant dans les terres vierges après avoir abandonné celles qu’ils occupaient depuis 1652-1660, pour partir à la conquête de territoires nouveaux où ils pensaient pouvoir vivre libres, loin des Britanniques. Ailleurs, les Européens étaient toujours cantonnés sur le littoral.
par Bernard Lugan (3 mars 1995)
Texte publié dans Le Libre Journal n°61.
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