lundi 20 juillet 2009

Le 26 mars 1962 à Alger

La résistance du ghetto de Bab-el-Oued

Dans la première quinzaine de mars 1962, les Français d'Algérie ne pouvaient pas y croire. Ils ne voulaient pas y croire. Et le 18 de ce mois-là, ils ont reçu comme une condamnation monstrueuse et imméritée l'insupportable nouvelle : leurs départements français avaient reçu le statut de l'indépendance « en association avec la France » (sic) et au profit du seul FLN. Plus de cent trente ans de labeur acharné pour rien. Plus de huit ans de guerre pour rien. La perspective d'avoir à quitter sa terre natale, sa maison, ses biens, ses tombes, comme un déporté politique ! La détermination de la clique de tueurs à laquelle avait été remise l'Algérie, n'avait jamais varié : pour les Français d'Algérie, c'était « la valise ou cercueil ». Les atrocités commises par cette même clique, au cours des huit ans écoulés, ne laissaient pas d'illusion sur le sort de ceux qui tenteraient de rester.

L'OAS, leur seul bras armé, misérable face aux deux forces hostiles conjuguées, a tenté de passer à l'action. Dans le quartier populaire de Bab-el-Oued, quelques militaires des forces de l'ordre dont la présence devenait provocante dans ce contexte, ont été attaqués. Immédiatement, un véritable dispositif militaire a été mis en place, ceinturant totalement ce quartier situé au nord de la casbah. Les habitants ont été soumis dès le 23 avril à un blocus rigoureux, plus d'alimentation, plus de lait, plus de secours extérieur, plus d'hospitalisation, plus de funérailles, les sorties dans la rue tolérées quelques heures par jour. En prime, les blindés de la Gendarmerie mobile tiraient sur les façades des immeubles à la mitrailleuse lourde dont les balles ne s'arrêtaient évidemment ni aux portes ni aux fenêtres. Des avions T6 mitraillaient les terrasses qui auraient pu servir de refuge.

Devant cette tragédie, le reste du Grand Alger, ému et même angoissé, sentait la nécessité d'une action solidaire. Mais laquelle ? Le 26 mars au matin, suivant la croyance habituelle, un tract de l'OAS, signé du colonel Vaudrey, appelait enfin les Algérois à une action en faveur de Bab-el-Oued. Après avoir décrit ce qui s'était perpétré contre l'Algérie française et évoqué les souffrances du quartier meurtri, le tract lançait l'invitation suivante : « Il faut aller plus loin en une manifestation de masse, pacifique et unanime. Tous les habitants de Maison-Carrée, d'Hussein-Dey, d'El Biar rejoindront ce lundi, à partir de 15 heures, ceux du centre pour gagner ensemble et en cortège, drapeaux en tête, sans aucune arme, sans cri, par les grandes artères, le périmètre de bouclage de Bab-el-Oued. » Cet appel pathétique répondait aux aspirations profondes de l'immense majorité des Algérois. Ils décidèrent donc de s'y rendre.

Cette interprétation correspond aussi à ce qu'écrit Monneret. Elle fait l'objet de contestations apparemment fondées, tant sur le fait que le tract ait été rédigé par Vaudrey, qui sur le fait que sa diffusion ait été assurée par l'OAS. Des éléments sérieux donnent à penser qu'il pourrait s'agir d'une provocation renforçant le machiavélisme du guet-apens.

En lançant cette manifestation et cette marche, à l'évidence l'OAS prenait un risque. Mais quelle guerre n'a pas les siens, a fortiori quand elle est dans une phase aussi désespérée ? ... La manifestation ainsi appelée revenait à élargir l'épreuve de force enclenchée à Bab-el-Oued. On peut penser, en effet, que l'objectif allait bien au-delà de la tentative de lever le bouclage du quartier souffrant. Il s'agissait en réalité d'une ultime tentative auprès de l'armée française. Celle-ci, parfaitement au courant de la teneur des accords d'Evian, de la vanité complète des prétendues clauses de garantie, du désespoir des Européens, des juifs et de la multitude des indigènes qui nous avaient été fidèles, allait-elle obéir au pouvoir gaulliste ? Allait-elle se déshonorer en écrasant les dernières résistances de ces Français d'Algérie ? Ou bien, comme quelques officiers et quelques soldats l'avaient fait en avril 1961, allait-elle entrer en dissidence, dire « non ! halte-là ! cette solution est inadmissible » ? A 15 heures, le carnage de la rue d'Isly allait lever l'ambiguïté et mettre fin à tout espoir. Une partie au moins de cette armée avait choisi le déshonneur et se ferait la complice du FLN.
GEORGES DILLINGER Présent 2009

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