mardi 21 juillet 2009

Chronologie sur Staline et l'URSS jusqu'à 1938

1879: naissance de Josip Vissarionovic DJOUGACHVILI en Géorgie; père cordonnier, né serf. Séminaire orthodoxe pour études gratuites. D'abord militant nationaliste géorgien (donc anti-russe!), puis militant marxiste.
1906: il devient «révolutionnaire professionnel» bolchevik, et sera arrêté 5 fois par la police tsariste. Lénine apprécie son intransigeance sans scrupules et son absence de prétentions intellectuelles critiques ; il le surnomme Staline = d'acier.
févr.1917: la Révolution le libère de Sibérie. Revenu à Petrograd, il est rédacteur à la Pravda, organe bolchevik; sa position est favorable à la collaboration avec le Gvt provisoire (comme les mencheviks) jusqu'au retour de Lénine en avril. Dès ce moment, il se soumet aux Thèses d'Avril, et en devient un exécutant énergique.
nov. 1917: Staline a un rôle effacé dans la Révolution d'Octobre, contrairement à Trotski. Puis Lénine le nomme commissaire au Rabkrin , organisme de surveillance de l'administration et des organisations de travailleurs : sentant le danger de la « bureaucratisation délirante » qu'il avait mise en place pour imposer le «communisme de guerre» (1) , Lénine voulait un exécutant énergique pour contrôler... la nouvelle bureaucratie qu'il met en place afin de contrôler la première ! Staline applique brutalement les méthodes énergiques préconisées par Lénine.
1922: dans un pays sorti de la guerre civile mais totalement épuisé, détruit, sous-alimenté, le XIe Congrès du Parti décide la NEP, «nouvelle politique économique » (retour au marché libre pour «laisser souffler» l'économie (2)). Staline est élu Secrétaire général du Parti communiste, poste administratif . Mais Lénine est victime d'une attaque du cerveau (avec hémiplégie) : la fonction de Staline devient alors politique. De plus, il surveille étroitement le grand chef malade, et censure son information. Staline s'allie («1e troïka») avec Zinoviev et Kamenev, tenants de la NEP, contre Trotski, partisan d'une accélération de la Révolution avec collectivisation et planification (3). Staline renforce le caractère hiérarchique du Parti, qui constitue un Appareil soumis au Secrétaire général (4).
janv. 1924: mort de Lénine. Staline organise des funérailles grandioses, augmente le poids du Parti et y fait entrer des ouvriers qui voient leur adhésion comme une promotion sociale. Son mot d'ordre est de consolider « la Révolution dans un seul pays », contre Trotski (qui voudrait, grâce au Komintern (5), une extension internationale de la Révolution, et à l'intérieur une «Révolution permanente» contre la tendance de l'appareil du Parti de se constituer en classe dominante). [Les communistes européens, en grande majorité, soutiennent à fond l'URSS, désormais patrie du prolétariat dirigée par le grand Parti frère dont les directives sont sacrées. L'URSS est considérée par tous les staliniens comme une citadelle assiégée par le capitalisme. Les communistes de tous pays, sous l'autorité de Moscou, feront tout pour l'aider.]
1926: Zinoviev et Kamenev, écartés du pouvoir, et désormais persuadés qu'il faut industrialiser et planifier, se rapprochent de Trotski : c'est la «2ième troïka» ou «opposition de gauche». Staline les fait exclure du Parti, fait déporter Trotski et poursuivre ses partisans (les trotskistes sont souvent des intellectuels). Le Parti, «épuré» de ses intellectuels, devient de plus en plus une caste privilégiée d'origine ouvrière. Jusqu'ici, Staline a soutenu la Nep, les koulaks (paysans indépendants) et toléré les «nepmen », commerçants enrichis par la Nep. Mais, en 1928, la tension entre le pouvoir et les nouveaux privilégiés s'aggrave : réquisitions de récoltes, taxations sévères, à quoi répondent refus de livraisons et trafic parallèle clandestin. La crise est aiguë, l'économie asphyxiée. C'est alors que Staline, adoptant tout à coup les idées de l'opposition de gauche qu'il a éliminée, se lance à fond dans la collectivisation : c'est le grand tournant. Le Parti force les paysans à se réunir en KOLKHOZES (fermes collectives) et SOVKHOZES (fermes d'Etat). Résistance massive des paysans, qui abattent leur bétail etc. Les récalcitrants sont soumis à la «dékoulakisation» (5 à 10 millions de paysans déportés et/ou massacrés de 1929 à 1934 d'apr. J-J Marie). Famine gigantesque.
Simultanément industrialisation forcée, avec PLAN QUINQUENNAL de développement (1928-1933), aux directives utopiques, chaotiques. La mise sur pied d'une vaste industrie lourde (énergie = pétrole + charbon + hydro-électricité, et sidérurgie) au détriment de l'industrie légère ou de consommation, s'accompagne d'une énorme propagande en faveur de la productivité (exaltation du stakhanovisme, du nom de l'ouvrier Stakhanov qui abattait 14 fois plus de charbon que les autres) et d'un renforcement de la bureaucratie (6) (rétablissement du «livret ouvrier» par ex.), tout en dénonçant la bureaucratie. L'OGPU, police politique, joue un rôle décisif non seulement dans la «mise au pas» de la population par la terreur, mais dans l'économie, remplissant les campsgoulag ») d'«ennemis du peuple», «koulaks» ou «saboteurs», qui constituent une main d'oeuvre gratuite, mobile, exploitable : l'OGPU devient le plus grand entrepreneur d'URSS. Le premier grand régime totalitaire (7) est en place.
[1927-1930: Le Parti communiste chinois, assez puissant dans les villes, reçoit de Staline l'ordre de collaborer avec le «Kuo-min-tang» (Guomindang, parti nationaliste). Or une fois désarmé, le PCC est exterminé par le général guomindang Tchang-Kaï-shek - cf La Condition humaine de Malraux. Du coup, après cette défaite, les directives de Moscou aux «partis frères» vont être de refuser toute alliance avec d'autres partis de gauche, de lutter «classe contre classe», c'est-à-dire le parti communiste-prolétarien seul contre tous les autres, et surtout contre les sociaux-démocrates ou «social-traîtres», ou même «social-fascistes». Le résultat de cette politique en Allemagne, de 1930 à 33, sera de laisser le nazisme prendre le pouvoir...]
1934: L'assassinat de Kirov, le plus proche collaborateur de Staline (8), est présenté comme la preuve d'un «Complot» d'intensité croissante qui réunit le Capitalisme moribond et le Trotskisme, et qui agit à tous les niveaux du parti.
[On a distingué dans les textes staliniens des années 1930 deux types de langage :
1) le discours de la «métahistoire», c'est-à-dire détaché du réel, consistant à dire que le socialisme instauré en 1917 conduit progressivement à l'abondance. Exemple-type : la phrase constamment citée de Staline « La vie est devenue meilleure, la vie est devenue plus joyeuse ». Comme la réalité ne correspond pas à ce langage, il faut y ajouter
2) le discours de la «subhistoire», consistant à expliquer, par le complot «hitléro-trotskiste», tous les dysfonctionnements du système. Alors chaque cadre, chaque responsable va craindre d'être désigné comme membre du complot, et ne va espérer s'en tirer que par une totale servilité à l'égard des supérieurs, en accusant lui-même d'autres responsables. N. Werth, Etre communiste.., ch. 5, 6, et Soljenitsyne.]
1936-37 : les grandes purges opérées par le Guépéou (GPU, police politique qui succède à la Tchéka) frappent les cadres administratifs et techniques et, au sommet de la pyramide hiérarchique, tous ceux qui pourraient être les rivaux de Staline. Lors des procès (1936: procès du «contre-terrorisme-trotskiste-zinoviévien» ;
1937: procès du «centre antisoviétique trotskiste» etc), les accusés ont presque toujours reconnu et amplifié leur culpabilité, s'accusant, contre toute vraisemblance, des complots les plus noirs. Les explications données à ce comportement étrange sont diverses : Soljenitsyne dans l'Archipel du Goulag insiste sur la terreur dans les prisons, le chantage sur la famille, l'espoir entretenu mensongèrement d'être gracié si on avoue. N. Werth (Etre communiste..) insiste sur le consensus, dans tout l'appareil et même chez les accusés, sur la subhistoire : « puisque tout va mal malgré les efforts du peuple, c'est qu'il y a un coupable, et c'est peut-être bien moi ! ». L'ensemble des procédés mis au point en URSS dans les années 1930 pour obtenir du prisonnier une soumission totale et des aveux publics "sincères" est appelé "lavage de cerveau" (brainwashing); il comporte la privation de sommeil, les interrogatoires répétitifs (avec une lampe devant les yeux) où, pendant des mois, on exige de façon lancinante de l'accusé qu'il avoue une faute, sans lui dire laquelle. Affaibli, il finit par être persuadé d'être coupable, et quand finalement on précise ce qu'il doit avouer, soulagé de "comprendre" sa faute, il y adhère (9).
Il y a aussi des purges dans les classes populaires, surtout des régions non-russes, selon des critères ethniques : les archives ont révélé récemment que la police politique fixait d'avance des «quota» de condamnés à mort pour chaque district ! La masse des déportations de certaines ethnies (Tchétchènes, Cosaques etc) fait qu'on peut même parler d'entreprise génocidaire.
La purge de l'armée (exécution du maréchal Toukhachevski et de 4 maréchaux sur 5 existants, et, dit-on, de 35000 officiers) résulterait d'une provocation des services secrets hitlériens, qui auraient inventé et transmis à Staline une trahison de l'état-major soviétique.
1938 : fin du 2e Plan quinquennal. L'URSS est profondément bouleversée; le Parti et l'Armée, peuplés de cadres fraîchement promus et tremblants, pratiquent le «culte de la personnalité» à l'égard de Staline.
Une grande partie de l'activité économique est obtenue par le travail forcé, dans cette gigantesque organisation de camps dont Soljenitsyne a diffusé mondialement le nom : le Goulag (de Glavnoie Oupravlenie Lagerei : direction des camps). Dès 1919, ces camps de "travail correctif", dirigés par la police politique, remplacent les prisons et sont implantés surtout dans l'extrême-nord (îles de la mer Blanche) ou en extrême-orient, où les conditions sont particulièrement inhumaines. La mortalité y est effrayante. Nombre de détenus, d'ap. Quid 2003 p. 1263 : en 1930 : 1,5 million; 1933 : 3,5 millions; 1938 : 11,5 millions; 1941 : 13,5 millions.
Les avis des historiens divergèrent longtemps quant à la réussite économique de cette période : certains, même anti-staliniens, étaient impressionnés par les grandes réalisations de l'industrie lourde, centrales hydro-électriques géantes et combinats métallurgiques (10); d'autres voyaient la faiblesse de la consommation et l'inutilité des réalisations mégalomanes faute d'un circuit de distribution. Depuis 1990, devant le délabrement des installations héritées des soviétiques (Tchernobyl et autres centrales nucléaires ; gazoducs sibérien qui ont des pertes d'env. 25%) mais surtout l'effrayante dégradation de l'environnement (disparition de la mer d'Aral, des terres noires d'Ukraine, de la taïga, empoisonnement du lac Baïkal, pollution atmosphérique), on a dû cesser de vanter l'économie «prolétarienne».
[Mais ne vantons pas trop, non plus, le système (néolibéral) qui a pris sa place ! Sous Staline, la population augmentait ! Depuis une vingtaine d'années les Russes livrés à eux-mêmes, invités à prendre des initiatives individuelles mais soumis au chômage, à l'incertitude, à des pénuries parfois aussi graves que sous le stalinisme, voyant la corruption envahir tout, ne savent souvent plus que faire, et ne veulent presque plus avoir d'enfants. Aujourd'hui (2005) nombreux sont ceux qui regrettent l'époque stalinienne.]
A l'extérieur de l'URSS, l'information était rare, et les opinions se partageaient de façon tranchée entre l'horreur du bolchevisme (cf Hergé: Tintin chez les Soviets) et le culte du Père des Peuples ou Grand Frère, Staline (Louis Aragon, les Partis Communistes occidentaux, etc.).
Notes :
(1) Communisme de guerre : système autoritaire que Lénine avait mis en place pendant la guerre civile pour faire marcher l'économie - confiscations, réquisitions de vivres et de chevaux dans les villages, directives aux usines pour une production accélérée. Les paysans préfèrent manger leur bétail que le livrer, le commerce de distribution disparaît : famine

(2) Avec la NEP le commerce et le petit capitalisme peuvent reprendre : celui qui a des marchandises les offre, celui dont l'offre correspond à la demande s'enrichit. La situation s'améliore vite, mais des inégalités se créent. On nomme nepman celui qui s'enrichit.

(3) Si on supprime la concurrence capitaliste, il faut que les entreprises aient un autre moyen de savoir que produire : ce sera la planification , dit Lénine d'abord, puis Trotski. Chaque unité recevra des directives, sur cinq ans, pour développer sa production de façon qu'elle se coordonne avec les autres.

(4) Lénine s'en inquiète. Dans un moment où il n'est pas surveillé par Staline, il dicte le fameux testament de Lénine qui dit : méfiez-vous du camarade Staline, il est trop dur. C'était trop tard...

(5) Komintern (= 3e Internationale communiste) organisation créée en 1918 à Moscou, dont le 1er dirigeant fut Trotski. Son but : étendre la révolution bolchevique au monde entier.

(6) Il est très difficile pour un jeune d'aujourd'hui vivant en démocratie de se rendre compte de l'horreur destructrice d'une bureaucratie sans scrupules dont tout dépend.

(7) Le mot Etat totalitaire a été inventé dans l'Italie fasciste. Il faut bien distinguer le totalitarisme du XXe s. de l'absolutisme et des despotismes qui l'ont précédé. A l'autorité sans limite du Chef (avec "culte de la personnalité"), le totalitarisme ajoute
1) une propagande (meetings monstres, spectacles orchestrés, radio, procès publics des ennemis du peuple, embrigadement de la jeunesse dans des activités collectives) qui s'empare de la totalité des esprits : on ne peut plus penser par soi-même;
2) un système efficace de surveillance-dénonciation, avec une police omniprésente (écoutes téléphoniques, micros cachés, avantages donnés aux délateurs, méthodes pour obtenir des aveux), avec un acharnement contre les intellectuels, les artistes, les esprits entreprenants. Toute critique exprimée conduit à la mort, et les citoyens «normaux» adhèrent entièrement à l'exaltation du régime. Dès les années 1930 certains ont vu que le totalitarisme existe à la fois à l'extrême-gauche lénino-stalinienne et à l'extrême-droite hitléro-fasciste. Alors qu'ici, chacun de nous est tantôt une personne individuelle choisissant ses modèles et capable de refuser certains choix, tantôt un atome de la foule qui se précipite dans la même direction comme la vague, dans la société totalitaire il n'y a plus que la foule.

(8) L'assassinat de Kirov a fait couler beaucoup d'encre. La conviction semble se faire, de plus en plus, que c'est Staline qui l'a fait tuer, car personne n'avait de raison de vouloir la mort de ce collaborateur peu visible, et aucun suspect ne l'a approché. Mais pourquoi Staline a-t-il fait tuer son plus proche collaborateur ? Ce mystère est au coeur du totalitarisme : avait-il besoin d'une mise en scène dramatique pour renforcer son pouvoir ? La dictature semble avoir besoin de la délation, de l'accusation, pour fonctionner, et ses chefs s'entre-déchirent.

(9) Des hommes aussi solides que Kamenev et Zinoviev ont fait, à leur procès, des aveux invraisemblables sur le ton le plus convaincu. Actuellement le terme "lavage de cerveau" s'utilise pour dénoncer les procédés de certaines sectes qui obtiennent une soumission totale de leurs membres. Cette technique est née dans les années 1930 dans un but politique, mais aujourd'hui il serait inutile, pour une dictature totalitaire, d'organiser un procès public avec aveux, car tous les journalistes dénonceraient le lavage de cerveau. Les dictatures actuelles préfèrent les disparitions...

(10) Les immenses lacs de retenue hydro-électrique sur les fleuves russes sont visibles sur les cartes scolaires; les habitants évacués subissaient un déracinement cruel. Le plus grand combinat de l'Oural dépensait 30 % du charbon uniquement pour son transport avant la fonte du minerais ! Mais si, selon la doctrine marxiste, la mission de l'homme est de lutter contre la nature, tout cela est bon !
http://icp.ge.ch/po/cliotexte

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