Perché sur une colline, au pied du mythique mont Ventoux et à peu de distance du monastère du Barroux, le village provençal de Bédoin offre aujourd'hui au promeneur le charme de ses rues pittoresques, montant vers l'église de style jésuite. Comment imaginer qu'une tragédie ait pu ensanglanter un lieu si paisible ? Et pourtant ...
Tout est arrivé à cause d'un arbre. Un végétal, certes, peu ordinaire puisqu'il s'agissait d'un « arbre de la Liberté », symbole adopté comme message d'une nouvelle ère par les partisans de la Révolution française à partir de 1790 (le premier fut planté en mai de cette année-là par le curé d'un village de la Vienne, pour célébrer l'installation des nouvelles autorités municipales). Ce faisant, les révolutionnaires récupéraient au service de leur idéologie un très ancien thème mythique de l'imaginaire européen. L'arbre a en effet été perçu dès la protohistoire comme un réceptacle du sacré, la demeure du divin. Lui qui plonge ses racines dans la terre et dresse ses frondaisons vers le ciel, il est le lien entre les forces souterraines et les forces célestes, il est porteur de l'influx vital, il est arbre de Vie. Sa sève est son sang. En Grèce Dionysos descend aux enfers et en remonte pour apporter ces rameaux verts avec lesquels il est représenté sur les vases de la Grèce archaïque, tandis qu'un rameau sacré - une branche d'olivier - était porté en procession vers le temple d'Apollon lorsque, au mois de mai, les adolescents partaient en forêt recevoir la formation et l'initiation qui feraient d'eux des guerriers. Chez les Celtes, c'est aussi en forêt, et au mois de mai, que l'élite des jeunes gens partait, groupée derrière des chefs, pour devenir des fiana, chargés d'une autorité sacrée faisant d'eux des intermédiaires entre le monde des vivants et celui des morts.
Quant aux Germains, leur arbre sacré, par excellence, était le frêne Yggdrasill, l'Arbre du Monde sous lequel les dieux tenaient conseil. Chez les Saxons, il s'appelait lrminsul et Charlemagne espéra briser la résistance saxonne en le détruisant. Au Moyen Age, Robin, un héros défenseur du peuple, ne s'appelait pas pour rien « des bois ». Et une certaine Jeanne d'Arc se souvenait des joies enfantines autour de « l'arbre aux fées » de Domrémy ...
L'Eglise médiévale se soucia de faire disparaître la vénération, jugée païenne, des arbres sacrés. Mais, rappelle Marie-France Houdart (Arbres de Mai, Maiade éditions, 2008), « issue du monde sémite des déserts du Proche-Orient, où l'arbre rare était facile à abattre, la religion nouvelle se heurtait à forte partie en prétendant convaincre les populations du monde romain, germain, celte ou grec, descendantes de ces peuples longtemps familiers des grandes forêts d'Europe centrale et tempérée, de se détourner de leurs arbres et de leurs bois sacrés ». Eurent peu de résultats les efforts et interdits des saints (Martin Benoît, Eloi) et des synodes et conciles (Arles, Ve s., Agde et Auxerre, VIe s., Tolède, VIIe s., Paderborn et Aix-la- Chapelle, VIIIe s., Szaboles et Londres, XIe et XIIe s., Trèves, XIIIe s.).
On comprend facilement, du coup, cette tradition si enracinée du "Mai" : pour célébrer la venue du printemps c'est à dire le temps du renouveau, de la renaissance cyclique et éternelle de la vie, on plante un arbre enrubanné autour duquel la jeunesse va chanter, danser, rire et festoyer.
C'est cette ancestrale coutume que les révolutionnaires voulurent détourner à leur profit : généralement orné de rubans et de cocardes tricolores, souvent coiffé d'un bonnet phrygien, « l'arbre de la Liberté » avait vocation à témoigner, au centre des villages, des « immortels principes » imposés par les nouveaux maîtres du pouvoir. On estime à environ 60 000 le nombre de ces arbres plantés en 1792.
Las ! Des esprits chagrins y voyaient un symbole de tyrannie plutôt que de liberté ... Ce fut le cas dans le village de Bédoin où une main impie arracha « l'arbre de la Liberté » dans la nuit du 4 mai 1794. La vertu révolutionnaire outragée réagit immédiatement : l'avocat Etienne Maignet, délégué de la Convention, décréta le 17 mai que le village de Bédoin était devenu, de ce fait, « pays ennemi que le fer et la flamme doivent détruire ». Ce n'était pas simple morceau d'éloquence républicaine : le 28 mai, 67 habitants furent les uns fusillés, les autres guillotinés, tandis que 450 maisons étaient brûlées. Louis Gabriel Suchet, chef du 4e bataillon de l'Ardèche, écrivit à Maignet : « Ton génie révolutionnaire surpasse tous nos désirs. »
Pierre VIAL. Rivarol du 30 mai 2008
Tout est arrivé à cause d'un arbre. Un végétal, certes, peu ordinaire puisqu'il s'agissait d'un « arbre de la Liberté », symbole adopté comme message d'une nouvelle ère par les partisans de la Révolution française à partir de 1790 (le premier fut planté en mai de cette année-là par le curé d'un village de la Vienne, pour célébrer l'installation des nouvelles autorités municipales). Ce faisant, les révolutionnaires récupéraient au service de leur idéologie un très ancien thème mythique de l'imaginaire européen. L'arbre a en effet été perçu dès la protohistoire comme un réceptacle du sacré, la demeure du divin. Lui qui plonge ses racines dans la terre et dresse ses frondaisons vers le ciel, il est le lien entre les forces souterraines et les forces célestes, il est porteur de l'influx vital, il est arbre de Vie. Sa sève est son sang. En Grèce Dionysos descend aux enfers et en remonte pour apporter ces rameaux verts avec lesquels il est représenté sur les vases de la Grèce archaïque, tandis qu'un rameau sacré - une branche d'olivier - était porté en procession vers le temple d'Apollon lorsque, au mois de mai, les adolescents partaient en forêt recevoir la formation et l'initiation qui feraient d'eux des guerriers. Chez les Celtes, c'est aussi en forêt, et au mois de mai, que l'élite des jeunes gens partait, groupée derrière des chefs, pour devenir des fiana, chargés d'une autorité sacrée faisant d'eux des intermédiaires entre le monde des vivants et celui des morts.
Quant aux Germains, leur arbre sacré, par excellence, était le frêne Yggdrasill, l'Arbre du Monde sous lequel les dieux tenaient conseil. Chez les Saxons, il s'appelait lrminsul et Charlemagne espéra briser la résistance saxonne en le détruisant. Au Moyen Age, Robin, un héros défenseur du peuple, ne s'appelait pas pour rien « des bois ». Et une certaine Jeanne d'Arc se souvenait des joies enfantines autour de « l'arbre aux fées » de Domrémy ...
L'Eglise médiévale se soucia de faire disparaître la vénération, jugée païenne, des arbres sacrés. Mais, rappelle Marie-France Houdart (Arbres de Mai, Maiade éditions, 2008), « issue du monde sémite des déserts du Proche-Orient, où l'arbre rare était facile à abattre, la religion nouvelle se heurtait à forte partie en prétendant convaincre les populations du monde romain, germain, celte ou grec, descendantes de ces peuples longtemps familiers des grandes forêts d'Europe centrale et tempérée, de se détourner de leurs arbres et de leurs bois sacrés ». Eurent peu de résultats les efforts et interdits des saints (Martin Benoît, Eloi) et des synodes et conciles (Arles, Ve s., Agde et Auxerre, VIe s., Tolède, VIIe s., Paderborn et Aix-la- Chapelle, VIIIe s., Szaboles et Londres, XIe et XIIe s., Trèves, XIIIe s.).
On comprend facilement, du coup, cette tradition si enracinée du "Mai" : pour célébrer la venue du printemps c'est à dire le temps du renouveau, de la renaissance cyclique et éternelle de la vie, on plante un arbre enrubanné autour duquel la jeunesse va chanter, danser, rire et festoyer.
C'est cette ancestrale coutume que les révolutionnaires voulurent détourner à leur profit : généralement orné de rubans et de cocardes tricolores, souvent coiffé d'un bonnet phrygien, « l'arbre de la Liberté » avait vocation à témoigner, au centre des villages, des « immortels principes » imposés par les nouveaux maîtres du pouvoir. On estime à environ 60 000 le nombre de ces arbres plantés en 1792.
Las ! Des esprits chagrins y voyaient un symbole de tyrannie plutôt que de liberté ... Ce fut le cas dans le village de Bédoin où une main impie arracha « l'arbre de la Liberté » dans la nuit du 4 mai 1794. La vertu révolutionnaire outragée réagit immédiatement : l'avocat Etienne Maignet, délégué de la Convention, décréta le 17 mai que le village de Bédoin était devenu, de ce fait, « pays ennemi que le fer et la flamme doivent détruire ». Ce n'était pas simple morceau d'éloquence républicaine : le 28 mai, 67 habitants furent les uns fusillés, les autres guillotinés, tandis que 450 maisons étaient brûlées. Louis Gabriel Suchet, chef du 4e bataillon de l'Ardèche, écrivit à Maignet : « Ton génie révolutionnaire surpasse tous nos désirs. »
Pierre VIAL. Rivarol du 30 mai 2008
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