LENINE, LA CAUSE DU MAL
• Refusant toujours de s'être trompés de bout en bout sur la révolution bolchévique et l'empire soviétique, beaucoup d'ex-Staliniens continuent à prétendre que Lénine a été le prophète d'un humanisme radieux, dont l'œuvre généreuse aurait été occultée et trahie par ses successeurs à la tête du plus redoutable État totalitaire du siècle.
Comme si le fondateur de l'Iskra (l'Etincelle) et de la Pravda (La Vérité ou la Justice, le mot russe est le même) ne portait pas dans son système, comme la nuée porte l'orage, la Tchéka et le Goulag ! Lénine ne serait finalement qu'un doctrinaire du socialisme assez semblable à ces philosophes du Siècle des Lumières, qu'on innocente de la Terreur révolutionnaire ...
Il fallait sans doute un écrivain d'origine russe, Paul Mourousy, savant biographe de plusieurs de ses compatriotes, de Potemkine à Raspoutine en passant par Catherine II ou Alexandre III, pour retracer ce que fut la carrière de ce moderne tyran. Ce livre n'est pas tant une nouvelle histoire de la révolution de 1917 que le portrait psychologique d'un homme singulier, tout au long des diverses étapes de sa marche vers le pouvoir.
Cette fantastique ascension s'explique tout autant par la faiblesse parfois criminelle de ses adversaires que par une fantastique volonté et une confiance sans faille dans ses analyses et ses décisions.
Sa trajectoire ne se comprend que par la rencontre, en un même personnage d'exception, des deux types d'hommes les plus antinomiques : l'intellectuel et l'activiste. Pendant un demi-siècle, cet être à l'aspect insignifiant à la silhouette de «rond-de-cuir», va se livrer à une colossale exégèse des écrits de Karl Marx, tout en créant de toute pièce l'organisation révolutionnaire la plus strictement militarisée qui se puisse imaginer.
Quel homme était-il ? On sait que Viadimir llitch Oulianov est né à Simbirsk en 1870, d'un père haut fonctionnaire de l'Enseignement tsariste. Après avoir choisi le pseudonyme de Lénine, lors d'une déportation en Sibérie sur les bords de l'Iénissei, il rappelera lui-même ses origines :
« Mi-Kalmouk, mi étranger »
« Mon père était certainement un Kalmouk d'Astrakhan et ma mère est née Blank, un nom-d'origine étrangère. J'ai hérité des Kalmouks le courage de n'avoir de respect pour rien, le désir de tout détruire et de vouloir reprendre l'édifice d'un monde nouveau sur les ruines de l'ancien... D'ailleurs, qu'importe si c'est un Russe qui a fabriqué le marteau ou la scie dont vous vous servez ? Qu'importe si c'est un Russe, un Juif, un Letton ou un Nègre qui vous dote d'un Etat socialiste, pourvu qu'il vous le donne ! Il est interdit de reculer. Si vous n'êtes pas des nôtres, tout de suite au mur pour être fusillé. Et si vous êtes avec nous, alors au travail. Sans répit, sans condition, faisons s'écrouler le maudit capitalisme.»
Lénine n'a jamais au grand jamais, été démocrate et prétendra : « II vaut mieux dix personnes intelligentes que cent imbéciles ». Il se veut, bien entendu, fondamentalement anti-occidental et aime à rappeler qu'il est né sur les rives de la Volga dans une Russie déjà eurasienne, sans insister trop sur le fait que cet ouvriériste acharné appartenait à la petite bourgeoisie cultivée et que sa grand-mère, Mme Blank, provenait d'un milieu israélite allemand qui n'avait rien de prolétarien. Il n'aimait pas rappeler sa pieuse jeunesse, lui qui devait poursuivre la religion d'une haine tenace : « C'est de la vodka de basse qualité, la sivoukha, dont le peuple se grise pour oublier ses souffrances ».
Par contre, il fait grand cas de son frère aîné Alexandre, pendu après un complot avorté contre le tsar. Il s'écartera pourtant du nihilisme romantique et terroriste de la génération précédente pour bâtir « scientifiquement » un parti qu'aucun scrupule ne saurait arrêter.
Peu lui importe que les Bolchéviks (c'est à dire, pendant un temps, les « majoritaires ») soient devenu ultra-minoritaires parmi les sociaux-démocrates et tous les autres groupes d'opposition.
Lénine avance comme un somnambule persuadé de détenir la Vérité avec un grand V. En un sens, cet athée est un fantastique croyant. Il ne croit certes pas en Dieu, mais à une cause, celle de la lutte des classes érigée en dogme. Et il ne croit d'ailleurs en lui-même qu'en tant qu'infaillible serviteur de cette cause ; il n'a pas d'appétit de pouvoir personnel et n'en est que plus dangereux. C'est finalement une sorte de Robespierre tartare, totalement insensible, incapable d'un autre élan que celui d'une haine qui va tout emporter. Que pèse le pauvre Nicolas II et ses vélléités naïves et généreuses contre un « tel gourou » de l'agitation et de la propagande ?
Mourousy insite bien sur les étapes de sa formation, à commencer par la prison et l'exil. C'est un nouveau départ après chaque épreuve. Que l'adversité le rende plus dur et plus fort est évident.
Ce livre ne consacre qu'un chapitre à ce qui advient entre la prise du pouvoir et la mort du vieux lutteur en 1924, un 21 janvier (comme Louis XVI), dans son lit et gâteux.
L'écrivain Gorki, qui fut naguère son partisan, écrira : « Lénine est un fourbe au sang-froid qui ne se soucie ni de l'honneur ni de la vie du prolétariat ».
Impitoyable dictateur
On sait comment sera réprimée la révolte des marins rouges de Cronstadt en 1921, au moment où le parti venait d'adopter officiellement l'adjectif de communiste. Mais on ignore que si la police tsariste, l'Okhrana, comptait seulement quinze mille agents après plus de trente ans d'existence, la Tchéka, créée en 1917, en réunira à son origine trente-sept mille qui seront cent quarante mille dès 1921 ! En saluant cette police politique qui deviendra par la suite Guépéou, puis NKVD, puis KGB, Lénine parlera des « braves tchékistes » :
« Croyez-vous que l'on puisse faire une révolution sans fusiller ? » lancera-t-il à ses contradicteurs.
La conclusion du livre de Mourousy est celle d'un réquisitoire sans appel : « Si l'on examine d'un peu plus près les actes et les écrits de Lénine, au cours de ces cinq années où il exerce vraiment le pouvoir, on s'aperçoit ( ... ) que tous les vices et les crimes du régime stalinien proviennent de ses méthodes et de ses défauts. Renforcé à chaque nouveau succès, dans son incommensurable orgueil, ne tenant aucun compte des échecs, qu'il impute à ses collaborateurs mais jamais à lui-même, ne tolérant aucune contradiction, ni chez ses ennemis qu'il envoie à la mort, ni chez ses amis qu'il élimine des postes de commande, il s'est comporté dès le départ en impitoyable dictateur ».
Jean MABIRE National Hebdo du 28 janvier au 3 février 1993
Paul Mourousy : Lénine, la cause du mal, 300 pages, Perrin
• Refusant toujours de s'être trompés de bout en bout sur la révolution bolchévique et l'empire soviétique, beaucoup d'ex-Staliniens continuent à prétendre que Lénine a été le prophète d'un humanisme radieux, dont l'œuvre généreuse aurait été occultée et trahie par ses successeurs à la tête du plus redoutable État totalitaire du siècle.
Comme si le fondateur de l'Iskra (l'Etincelle) et de la Pravda (La Vérité ou la Justice, le mot russe est le même) ne portait pas dans son système, comme la nuée porte l'orage, la Tchéka et le Goulag ! Lénine ne serait finalement qu'un doctrinaire du socialisme assez semblable à ces philosophes du Siècle des Lumières, qu'on innocente de la Terreur révolutionnaire ...
Il fallait sans doute un écrivain d'origine russe, Paul Mourousy, savant biographe de plusieurs de ses compatriotes, de Potemkine à Raspoutine en passant par Catherine II ou Alexandre III, pour retracer ce que fut la carrière de ce moderne tyran. Ce livre n'est pas tant une nouvelle histoire de la révolution de 1917 que le portrait psychologique d'un homme singulier, tout au long des diverses étapes de sa marche vers le pouvoir.
Cette fantastique ascension s'explique tout autant par la faiblesse parfois criminelle de ses adversaires que par une fantastique volonté et une confiance sans faille dans ses analyses et ses décisions.
Sa trajectoire ne se comprend que par la rencontre, en un même personnage d'exception, des deux types d'hommes les plus antinomiques : l'intellectuel et l'activiste. Pendant un demi-siècle, cet être à l'aspect insignifiant à la silhouette de «rond-de-cuir», va se livrer à une colossale exégèse des écrits de Karl Marx, tout en créant de toute pièce l'organisation révolutionnaire la plus strictement militarisée qui se puisse imaginer.
Quel homme était-il ? On sait que Viadimir llitch Oulianov est né à Simbirsk en 1870, d'un père haut fonctionnaire de l'Enseignement tsariste. Après avoir choisi le pseudonyme de Lénine, lors d'une déportation en Sibérie sur les bords de l'Iénissei, il rappelera lui-même ses origines :
« Mi-Kalmouk, mi étranger »
« Mon père était certainement un Kalmouk d'Astrakhan et ma mère est née Blank, un nom-d'origine étrangère. J'ai hérité des Kalmouks le courage de n'avoir de respect pour rien, le désir de tout détruire et de vouloir reprendre l'édifice d'un monde nouveau sur les ruines de l'ancien... D'ailleurs, qu'importe si c'est un Russe qui a fabriqué le marteau ou la scie dont vous vous servez ? Qu'importe si c'est un Russe, un Juif, un Letton ou un Nègre qui vous dote d'un Etat socialiste, pourvu qu'il vous le donne ! Il est interdit de reculer. Si vous n'êtes pas des nôtres, tout de suite au mur pour être fusillé. Et si vous êtes avec nous, alors au travail. Sans répit, sans condition, faisons s'écrouler le maudit capitalisme.»
Lénine n'a jamais au grand jamais, été démocrate et prétendra : « II vaut mieux dix personnes intelligentes que cent imbéciles ». Il se veut, bien entendu, fondamentalement anti-occidental et aime à rappeler qu'il est né sur les rives de la Volga dans une Russie déjà eurasienne, sans insister trop sur le fait que cet ouvriériste acharné appartenait à la petite bourgeoisie cultivée et que sa grand-mère, Mme Blank, provenait d'un milieu israélite allemand qui n'avait rien de prolétarien. Il n'aimait pas rappeler sa pieuse jeunesse, lui qui devait poursuivre la religion d'une haine tenace : « C'est de la vodka de basse qualité, la sivoukha, dont le peuple se grise pour oublier ses souffrances ».
Par contre, il fait grand cas de son frère aîné Alexandre, pendu après un complot avorté contre le tsar. Il s'écartera pourtant du nihilisme romantique et terroriste de la génération précédente pour bâtir « scientifiquement » un parti qu'aucun scrupule ne saurait arrêter.
Peu lui importe que les Bolchéviks (c'est à dire, pendant un temps, les « majoritaires ») soient devenu ultra-minoritaires parmi les sociaux-démocrates et tous les autres groupes d'opposition.
Lénine avance comme un somnambule persuadé de détenir la Vérité avec un grand V. En un sens, cet athée est un fantastique croyant. Il ne croit certes pas en Dieu, mais à une cause, celle de la lutte des classes érigée en dogme. Et il ne croit d'ailleurs en lui-même qu'en tant qu'infaillible serviteur de cette cause ; il n'a pas d'appétit de pouvoir personnel et n'en est que plus dangereux. C'est finalement une sorte de Robespierre tartare, totalement insensible, incapable d'un autre élan que celui d'une haine qui va tout emporter. Que pèse le pauvre Nicolas II et ses vélléités naïves et généreuses contre un « tel gourou » de l'agitation et de la propagande ?
Mourousy insite bien sur les étapes de sa formation, à commencer par la prison et l'exil. C'est un nouveau départ après chaque épreuve. Que l'adversité le rende plus dur et plus fort est évident.
Ce livre ne consacre qu'un chapitre à ce qui advient entre la prise du pouvoir et la mort du vieux lutteur en 1924, un 21 janvier (comme Louis XVI), dans son lit et gâteux.
L'écrivain Gorki, qui fut naguère son partisan, écrira : « Lénine est un fourbe au sang-froid qui ne se soucie ni de l'honneur ni de la vie du prolétariat ».
Impitoyable dictateur
On sait comment sera réprimée la révolte des marins rouges de Cronstadt en 1921, au moment où le parti venait d'adopter officiellement l'adjectif de communiste. Mais on ignore que si la police tsariste, l'Okhrana, comptait seulement quinze mille agents après plus de trente ans d'existence, la Tchéka, créée en 1917, en réunira à son origine trente-sept mille qui seront cent quarante mille dès 1921 ! En saluant cette police politique qui deviendra par la suite Guépéou, puis NKVD, puis KGB, Lénine parlera des « braves tchékistes » :
« Croyez-vous que l'on puisse faire une révolution sans fusiller ? » lancera-t-il à ses contradicteurs.
La conclusion du livre de Mourousy est celle d'un réquisitoire sans appel : « Si l'on examine d'un peu plus près les actes et les écrits de Lénine, au cours de ces cinq années où il exerce vraiment le pouvoir, on s'aperçoit ( ... ) que tous les vices et les crimes du régime stalinien proviennent de ses méthodes et de ses défauts. Renforcé à chaque nouveau succès, dans son incommensurable orgueil, ne tenant aucun compte des échecs, qu'il impute à ses collaborateurs mais jamais à lui-même, ne tolérant aucune contradiction, ni chez ses ennemis qu'il envoie à la mort, ni chez ses amis qu'il élimine des postes de commande, il s'est comporté dès le départ en impitoyable dictateur ».
Jean MABIRE National Hebdo du 28 janvier au 3 février 1993
Paul Mourousy : Lénine, la cause du mal, 300 pages, Perrin
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