Quand ils faisaient la guerre ...
Ils, ce sont ceux qui, depuis plusieurs décennies, et sous la plupart des régimes qui se sont succédé, ont tenu le devant de la scène politique ou ont, tout au moins, participé à la vie publique du pays. Tous, à un moment ou à un autre de leur existence, ont été amenés à faire l'expérience de la guerre. Quelle qu'ait été la forme de leur combat, au grand jour ou dans l'ombre, tous ont été profondément marqués et bien souvent meurtris. Dans son ouvrage paru aux éditions Plon, Sophie Huet dresse le portrait de certains d'entre eux. En voici quelques extraits, qui ne manqueront pas d'intéresser nos lecteurs.
Léo absent
Un qui ne figure pas dans la galerie de portraits de Sophie Huet, c'est l'actuel ministre de la Défense, le triste François Léotard. S'il fut un temps novice chez les Bénédictins, une foucade sans lendemain, il n'a jamais porté l'uniforme. Les garçons qui ont accompli leur « service national » dans la coopération sont sûrement bourrés de qualités, mais ils ignorent tout de l'armée et de la vie militaire. Ce qui, de toute évidence, les rend particulièrement aptes à assumer la plus haute fonction de la hiérarchie. Courteline pas mort!
Jean-Marie Le Pen : sa première expérience du maquis
Inutile de rappeler comment, après avoir été en Indochine de 1953 à 1955 comme officier de Légion, il s'engage à nouveau, alors qu'il est député de Paris, pour Suez et, dès son retour, pour l'Algérie. On connaît peut-être moins ses tentatives - un peu naïves, diront certains, mais qui dénotent déjà un exceptionnel caractère de combattant - pour rejoindre les maquis bretons alors qu'à peine âgé de seine ans, il ne lui était pas possible de s'engager officiellement. Son père, un marin pêcheur, était mort deux ans auparavant après que son bateau eut sauté sur une mine allemande.
« En me levant, je m'aperçois que mes vêtements ne sont plus là. C'est ma mère qui pour m'empêcher de partir, les a cachés. J'ai beau supplier, rien n'y fait et, la rage au cœur, je dois laisser mon copain partir seul. Mais, quatre ou cinq jours plus tard, je réussis mon départ avec un autre camarade, un peu plus âgé que moi » (moitié à pied, moitié en stop, ils se dirigent vers la région où le maquis est censé se trouver).
« Pendant la nuit, nous avons entendu des avions volant bas et, dès le matin, des bruits de tir dans la direction où nous allions. Toute la journée nous avons marché "au canon" à travers champs, chemins de terre et talus, guidés par le bruit de la bataille, n'ayant qu'une crainte, arriver trop tard. » (C'est pourtant ce qui arrivera).
« Nous croisons des petits groupes qui essaient de nous dissuader d'aller plus loin. On nous dit que c'est fini, mais nous nous sommes donné trop de mal pour abandonner comme cela, et il faudra que ce soit un officier para, dont je saurai plus tard que c'est Michel de Camaret, qui nous dise :
« C'est fini, la bataille est terminée, on se replie, il faut partir, retourner chez vous très vite, car vous risquez d'être pris ».
(De fait, ils n'y échapperont que de peu).
« Les Allemands sont en alerte générale et sillonnent tous les axes. Plus redoutables encore, les patrouilles de Russes à cheval que l'on appelait les "Géorgiens". Ceux-ci, espèces de harkis de l'armée allemande, étaient d'anciens prisonniers de l'Armée Rouge, aux ordres du général Vlassov, général soviétique pris à Stalingrad, et rallié à l'Allemagne. » (Détail particulièrement intéressant, car, pratiquement, personne n'a jamais parlé d'eux). « Ils étaient chargés en Bretagne de la lutte anti-maquis et jouissaient d'une réputation méritée de férocité ... »
(L'épilogue paraît assez logique).
« J'arrive à la maison, tout fier de moi. Ma mère me demande:
- D'où viens-tu ? J'étais morte d'angoisse.
Et je lui réponds:
- Je reviens du maquis.
« Là, j'ai eu ma première récompense, c'est-à-dire une giroflée magistrale, la dernière de ma vie. Ça a été ma croix de guerre "pour avoir fait l'imbécile". »
On comprend un peu la pauvre femme.
Beucler : prisonnier du Viet-Minh
L'homme qui a révélé le scandale Boudarel. Officier de carrière, il combat en Indochine dès 1949. Fait prisonnier en 1950, il connaît, durant près de quatre ans, l'horreur des camps vietminh.
« Nous étions soumis à des corvées de riz pour ravitailler le camp. Nous marchions pieds nus, car les chaussures nous avaient été enlevées à la première tentative d'évasion. Nous parcourions vingt-cinq à trente kilomètres, les pieds en sang dans les rizières, pataugeant dans la boue des diguettes, butant contre les pierres coupantes, et nous refaisions dans la même journée le trajet de retour avec un sac de riz de vingt kilos sur le dos. En réalité, Il y avait autant de charançons que de riz dans nos fardeaux. Ces insectes nous grimpaient dans le dos, les sangsues grimpaient le long de nos jambes, et, avec la sueur, le tout formait au niveau de la taille une bouillasse infâme ... En plus, nous n'avions droit qu'à un bol de riz par jour, sans graisse, sans sel, sans viande, et, là encore, rempli de charançons car nous n'avions rien pour laver le riz.
« Nous étions condamnés, sous la chaleur, à boire l'eau des rivières et, fatalement, nous attrapions des dysenteries ... Dans ce camp de cent personnes, il en meurt vingt-trois en moins d'un mois ... »
Alain Griotteray et Jean-Baptiste Biaggi : les missions du réseau Orion
Après une grave blessure en 1940 (on lui avait même donné la Légion d'honneur à titre posthume pour la lui enlever quand on s'est aperçu qu'il n'était pas mort ... et finalement la lui rendre quelque temps plus tard) et une très longue convalescence, Jean-Baptiste Biaggi décide de poursuivre le combat dans la Résistance. Il entre dans le réseau Orion dirigé par Alain Griotteray. Ce réseau avait été fondé par Emmanuel d'Astier de La Vigerie qui, dit Griotteray, « effectuait des missions en zone occupée et en zone interdite nord pour le compte du deuxième bureau de l'armée ... de Vichy, en liaison du reste avec les Britanniques. » Incroyable mais sans doute vrai : à cette époque, tout était possible.
Orion fut d'abord le prolongement en France d'une organisation mise sur pied par d'Astier en Afrique du Nord. Son rôle en France fut bientôt précisé : collecter des renseignements militaires et politiques et organiser des passages clandestins en Espagne, vers l'Afrique du Nord. Griotteray parle de Biaggi :
« Le héros couvert de gloire des combats de 1939-1940, Jean-Baptiste Biaggi, nous ouvrait des portes dans cette capitale du roi de Bourges (Vichy) auprès des militaires qui rêvaient d'une revanche de la France. Car, on l'a oublié, en ces temps-la, à Vichy, les militaires étaient anti-allemands ... »
Biaggi est arrêté à Paris par la Gestapo. Avec quarante-cinq de ses codétenus, il réussit à s'évader du train qui les emmène vers les camps de la mort.
« La consigne était de sauter quand le train était à pleine vitesse. Pourquoi ? Parce que les gardiens profitaient des trajets pour dormir alors que, le train étant à l'arrêt, ils reprenaient leurs inspections, de wagon en wagon ... Comme le train roulait vite, j'ai été projeté vers le chemin de halage ... Grâce au Ciel, je m'étais bien emmitouflé, je n'ai pas été blessé. Nous avons été quarante-cinq à sauter du train et, par chance, les Allemands ne s'en sont aperçus qu'à l'arrivée à Bar-le-Duc. »
Biaggi remonte à Paris où il retrouve Griotteray qui lui confie de nouvelles missions de renseignement. Ce sera ensuite la libération de Paris, puis la campagne des Vosges et l'entrée en Allemagne avec une nouvelle blessure à la clé.
P.L National Hebdo du 27 mai au 2 juin 1993
Ils, ce sont ceux qui, depuis plusieurs décennies, et sous la plupart des régimes qui se sont succédé, ont tenu le devant de la scène politique ou ont, tout au moins, participé à la vie publique du pays. Tous, à un moment ou à un autre de leur existence, ont été amenés à faire l'expérience de la guerre. Quelle qu'ait été la forme de leur combat, au grand jour ou dans l'ombre, tous ont été profondément marqués et bien souvent meurtris. Dans son ouvrage paru aux éditions Plon, Sophie Huet dresse le portrait de certains d'entre eux. En voici quelques extraits, qui ne manqueront pas d'intéresser nos lecteurs.
Léo absent
Un qui ne figure pas dans la galerie de portraits de Sophie Huet, c'est l'actuel ministre de la Défense, le triste François Léotard. S'il fut un temps novice chez les Bénédictins, une foucade sans lendemain, il n'a jamais porté l'uniforme. Les garçons qui ont accompli leur « service national » dans la coopération sont sûrement bourrés de qualités, mais ils ignorent tout de l'armée et de la vie militaire. Ce qui, de toute évidence, les rend particulièrement aptes à assumer la plus haute fonction de la hiérarchie. Courteline pas mort!
Jean-Marie Le Pen : sa première expérience du maquis
Inutile de rappeler comment, après avoir été en Indochine de 1953 à 1955 comme officier de Légion, il s'engage à nouveau, alors qu'il est député de Paris, pour Suez et, dès son retour, pour l'Algérie. On connaît peut-être moins ses tentatives - un peu naïves, diront certains, mais qui dénotent déjà un exceptionnel caractère de combattant - pour rejoindre les maquis bretons alors qu'à peine âgé de seine ans, il ne lui était pas possible de s'engager officiellement. Son père, un marin pêcheur, était mort deux ans auparavant après que son bateau eut sauté sur une mine allemande.
« En me levant, je m'aperçois que mes vêtements ne sont plus là. C'est ma mère qui pour m'empêcher de partir, les a cachés. J'ai beau supplier, rien n'y fait et, la rage au cœur, je dois laisser mon copain partir seul. Mais, quatre ou cinq jours plus tard, je réussis mon départ avec un autre camarade, un peu plus âgé que moi » (moitié à pied, moitié en stop, ils se dirigent vers la région où le maquis est censé se trouver).
« Pendant la nuit, nous avons entendu des avions volant bas et, dès le matin, des bruits de tir dans la direction où nous allions. Toute la journée nous avons marché "au canon" à travers champs, chemins de terre et talus, guidés par le bruit de la bataille, n'ayant qu'une crainte, arriver trop tard. » (C'est pourtant ce qui arrivera).
« Nous croisons des petits groupes qui essaient de nous dissuader d'aller plus loin. On nous dit que c'est fini, mais nous nous sommes donné trop de mal pour abandonner comme cela, et il faudra que ce soit un officier para, dont je saurai plus tard que c'est Michel de Camaret, qui nous dise :
« C'est fini, la bataille est terminée, on se replie, il faut partir, retourner chez vous très vite, car vous risquez d'être pris ».
(De fait, ils n'y échapperont que de peu).
« Les Allemands sont en alerte générale et sillonnent tous les axes. Plus redoutables encore, les patrouilles de Russes à cheval que l'on appelait les "Géorgiens". Ceux-ci, espèces de harkis de l'armée allemande, étaient d'anciens prisonniers de l'Armée Rouge, aux ordres du général Vlassov, général soviétique pris à Stalingrad, et rallié à l'Allemagne. » (Détail particulièrement intéressant, car, pratiquement, personne n'a jamais parlé d'eux). « Ils étaient chargés en Bretagne de la lutte anti-maquis et jouissaient d'une réputation méritée de férocité ... »
(L'épilogue paraît assez logique).
« J'arrive à la maison, tout fier de moi. Ma mère me demande:
- D'où viens-tu ? J'étais morte d'angoisse.
Et je lui réponds:
- Je reviens du maquis.
« Là, j'ai eu ma première récompense, c'est-à-dire une giroflée magistrale, la dernière de ma vie. Ça a été ma croix de guerre "pour avoir fait l'imbécile". »
On comprend un peu la pauvre femme.
Beucler : prisonnier du Viet-Minh
L'homme qui a révélé le scandale Boudarel. Officier de carrière, il combat en Indochine dès 1949. Fait prisonnier en 1950, il connaît, durant près de quatre ans, l'horreur des camps vietminh.
« Nous étions soumis à des corvées de riz pour ravitailler le camp. Nous marchions pieds nus, car les chaussures nous avaient été enlevées à la première tentative d'évasion. Nous parcourions vingt-cinq à trente kilomètres, les pieds en sang dans les rizières, pataugeant dans la boue des diguettes, butant contre les pierres coupantes, et nous refaisions dans la même journée le trajet de retour avec un sac de riz de vingt kilos sur le dos. En réalité, Il y avait autant de charançons que de riz dans nos fardeaux. Ces insectes nous grimpaient dans le dos, les sangsues grimpaient le long de nos jambes, et, avec la sueur, le tout formait au niveau de la taille une bouillasse infâme ... En plus, nous n'avions droit qu'à un bol de riz par jour, sans graisse, sans sel, sans viande, et, là encore, rempli de charançons car nous n'avions rien pour laver le riz.
« Nous étions condamnés, sous la chaleur, à boire l'eau des rivières et, fatalement, nous attrapions des dysenteries ... Dans ce camp de cent personnes, il en meurt vingt-trois en moins d'un mois ... »
Alain Griotteray et Jean-Baptiste Biaggi : les missions du réseau Orion
Après une grave blessure en 1940 (on lui avait même donné la Légion d'honneur à titre posthume pour la lui enlever quand on s'est aperçu qu'il n'était pas mort ... et finalement la lui rendre quelque temps plus tard) et une très longue convalescence, Jean-Baptiste Biaggi décide de poursuivre le combat dans la Résistance. Il entre dans le réseau Orion dirigé par Alain Griotteray. Ce réseau avait été fondé par Emmanuel d'Astier de La Vigerie qui, dit Griotteray, « effectuait des missions en zone occupée et en zone interdite nord pour le compte du deuxième bureau de l'armée ... de Vichy, en liaison du reste avec les Britanniques. » Incroyable mais sans doute vrai : à cette époque, tout était possible.
Orion fut d'abord le prolongement en France d'une organisation mise sur pied par d'Astier en Afrique du Nord. Son rôle en France fut bientôt précisé : collecter des renseignements militaires et politiques et organiser des passages clandestins en Espagne, vers l'Afrique du Nord. Griotteray parle de Biaggi :
« Le héros couvert de gloire des combats de 1939-1940, Jean-Baptiste Biaggi, nous ouvrait des portes dans cette capitale du roi de Bourges (Vichy) auprès des militaires qui rêvaient d'une revanche de la France. Car, on l'a oublié, en ces temps-la, à Vichy, les militaires étaient anti-allemands ... »
Biaggi est arrêté à Paris par la Gestapo. Avec quarante-cinq de ses codétenus, il réussit à s'évader du train qui les emmène vers les camps de la mort.
« La consigne était de sauter quand le train était à pleine vitesse. Pourquoi ? Parce que les gardiens profitaient des trajets pour dormir alors que, le train étant à l'arrêt, ils reprenaient leurs inspections, de wagon en wagon ... Comme le train roulait vite, j'ai été projeté vers le chemin de halage ... Grâce au Ciel, je m'étais bien emmitouflé, je n'ai pas été blessé. Nous avons été quarante-cinq à sauter du train et, par chance, les Allemands ne s'en sont aperçus qu'à l'arrivée à Bar-le-Duc. »
Biaggi remonte à Paris où il retrouve Griotteray qui lui confie de nouvelles missions de renseignement. Ce sera ensuite la libération de Paris, puis la campagne des Vosges et l'entrée en Allemagne avec une nouvelle blessure à la clé.
P.L National Hebdo du 27 mai au 2 juin 1993
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