samedi 22 décembre 2007

Sidi Nicolas Pacha

Saint Nicolas fut et demeure l'un des saints les plus populaires de la chrétienté. La preuve en est que son culte repose principalement sur des légendes. Noël étant passé, parler de lui est-il encore d'actualité ? Oui, car il se trouve que les Turcs se sont mis en tête d'en réclamer les reliques!
Qui était saint Nicolas ? On ne le sait pas vraiment. Évêque de Myre, en Lycie, au IVe siècle, il mourut vers 350. - Son histoire commence vraiment en 1057, lorsque des marchands italiens dérobèrent ses reliques pour les mettre à l'abri des Turcs seldjoukides, et les placer dans une châsse à Bari.
Cependant, la légende a abondamment suppléé le manque de données historiques. Aujourd'hui, saint Nicolas est vénéré comme le patron des marins, des captifs, et surtout des enfants. Cette dernière spécialité est bien entendu liée à la légende principale le concernant, celle des trois petits enfants enfermés dans un saloir et qu'il ressuscita, légende illustrée par une célèbre ballade populaire : "Il était trois petits enfants, qui s'en allaient glaner aux champs ... "

Oui à la légende, non au mensonge
Donc, saint Nicolas était évêque de Myre, en Lycie ... mais où donc se trouve cette ville ? Dans l'actuelle Turquie! Voilà pourquoi le gouvernement turc c'est mis en tête de « récupérer »ses reliques. Comme si un seul Turc se souciait de saint Nicolas, de sa crosse, de sa mitre et d'aucun des trois petits enfants ressuscités. Mais rien n'est inutile pour tâcher de faire croire que la Turquie ... voyons ... mais c'est presque l'Europe !
Presque... Sauf que les fameux Seldjoukides n'arrivèrent en Anatolie qu'au XIe siècle, et que c'est justement la cruauté dont ils firent preuve en Terre sainte envers les pèlerins qui rendit les croisades nécessaires. Alors que les Arabes s'en étaient emparés quatre siècles plus tôt sans que nul n'y trouve à redire, dès lors que le libre accès aux lieux saints était assuré.
Les mêmes Seldjoukides, qui détruisirent des milliers de chefs d'œuvre de l'art byzantin, n'auraient pas manqué de détruire les reliques de saint Nicolas sans même se demander de quoi il s'agissait.
Peut-être les Turcs espèrent-ils stimuler le tourisme dans leur pays en attirant les pèlerins venus admirer les reliques en question ? De toute façon, ce serait peine perdue, car les traditions populaires que saint Nicolas a fait naître sont tout à fait locales, sans aucun rapport avec sa personne et encore moins avec son évêché de Myre. Les Russes, qui en ont fait leur saint patron, ne se sont jamais donné le ridicule d'en réclamer les reliques, ne serait-ce même qu'un tibia.
Il existe à Montserrat, en Catalogne espagnole, une cérémonie de l'enfant évêque dérivée de la légende de saint Nicolas. Mais, là encore, l'origine « turque »de saint Nicolas n'y joue aucun rôle. Enfin, comme on le sait, en Alsace et dans le Nord, comme dans beaucoup de pays germaniques, saint Nicolas joue le rôle du père Noël. En anglais, le père Noël s'appelle d'ailleurs "Santa Claus". Ce n'est pas pour cela que, malgré les efforts des Turcs, il consentira à faire tirer son traîneau par des chameaux plutôt que par des rennes !

L'Europe unie contre les Ottomans
Mais tout est bon pour trafiquer l'histoire. Un diplomate turc n'invoquait-il pas, pour tenter de prouver la communauté de civilisation entre l'Europe et son pays, le siège de Vienne? Cela dénote en tout cas chez lui un bel aplomb, car les boulets qu'on voit encore aujourd'hui encastrés dans les murs de certaines vieilles maisons de Vienne n'ont pas été conservés en souvenir des temps heureux.
Rappelons au passage que l'angélus qui sonne tous les jours aux clochers est fait pour rappeler la défaite des Ottomans devant le Hongrois Jean Hunyadi, à la bataille de Mohacs. Cela montre l'ampleur du soulagement qui se manifesta dans toute l'Europe. Car la Turquie a bien suscité l'union des Européens, en effet : mais c'était chaque fois qu'il fallait la combattre. Ce qui est arrivé souvent, notons-le.
Les débats qui auront lieu en vue de l'admission de la Turquie dans l'Union européenne n'aboutiront pas forcément à une issue tragique (à savoir l'adhésion de ce pays) ; mais, on le voit, ils prendront en tout cas souvent un tour comique. C'est déjà ça.
Pierre de Laubier. Français d'Abord : février 2005

mardi 18 décembre 2007

Alésia retrouvée

L'opinion répandue et même quasi officielle voudrait qu'Alésia se trouve à Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne. Mais des irréductibles chercheurs soutiennent depuis déjà longtemps qu'il n'en est rien. Danielle Porte, disciple enthousiaste d'André Berthier ; fait le point sur la question et démontre dans un livre passionnant que le site d'Alésia se trouve en Franche-Comté.

Ce livre est à recommander à tous ceux qui ne s'intéressent ni à l'archéologie, ni à la guerre des Gaules. Ils se surprendront à se passionner pour une question à première vue secondaire : où Alésia se trouvait-elle ? «Je ne chais pas où ch'est, Alégia !» s'écrie un vieux Gaulois dans Le Bouclier arverne. Mme Porte, elle, croit le savoir, et nous fait partager avec fougue sa conviction.

Les Éduens ou les Séquanes ?

Question secondaire, l'emplacement du site de cette ultime bataille ? Non, car selon qu'on le place en Bourgogne (chez les Éduens) ou en Franche-Comté (chez les Séquanes), tout le sens de la guerre des Gaules en est changé.

Mme Porte n'est pas archéologue mais professeur d'histoire romaine à la Sorbonne. C'est avant tout au texte de La Guerre des Gaules qu'elle fait appel pour connaître le site et le déroulement de la bataille. Mais César n'aurait-il pas arrangé les choses à sa manière ? Non, affirme-t-elle, parce que nombre de ses adversaires politiques (et quelques-uns de ses futurs assassins) ont fait cette guerre avec lui et n'auraient pas manqué de relever à plaisir toute exagération. Ce qui ne fut pas le cas.


Le vrai site d'Alésia, disons-le tout de suite, c'est Chaux-des-Crotenay, en Franche-Comté ! Tout, dans le site identifié non par Mme Porte mais par son prédécesseur André Berthier à qui elle rend un vibrant hommage, correspond point par point à la description et au récit de Jules César.


L'histoire sur le terrain


Mais le plus passionnant (et surprenant) est de voir à quel point l'emplacement de la bataille change le sens même de cette guerre. À Alésia, ce n'est pas Vercingétorix qui est pris au piège, mais César lui-même ! C'est Vercingétorix qui avait longuement médité de le conduire à cet endroit pour l'y affronter et, espérait-il, l'y écraser.


Ce n'est pas le chef gaulois qui est poursuivi par César mais l'inverse. César, harcelé de toutes part et affamé par la politique de la terre brûlée que pratique son adversaire (et on comprend très bien pourquoi), cherche à regagner la Provence. S'il était passé par Alise-Sainte-Reine, jamais il n'aurait assiégé la ville : il aurait suivi le couloir rhodanien pour aller franchir les Alpes comme il en énonçait clairement l'intention.


Impossible à Chaux-des-Crotenay (Jura). César ne peut pas passer, mais Alésia, "très grande ville, libre et inexpugnable, foyer et métropole de toute la Gaule celtique", écrit-il, est imprenable de vive force. Il en fera donc le siège, tout en étant sous la menace de l'armée de secours gauloise. D'où la double enceinte qu'il édifie, l'une offensive, si l'on peut dire, l'autre défensive. Le piège tendu par Vercingétorix se serait refermé si... une partie de l'armée de secours n'avait trahi la cause et décampé sans livrer bataille.


Austerlix le Gaulois


Certes, dût l'orgueil gaulois, ou ce qu'il en reste après tant de siècles, en souffrir, la fin de l'histoire n'en demeure pas moins la même. Toutefois, la figure de Vercingétorix en sort bien changée, en même temps que le déroulement des opérations. On voit tout à coup un chef Gaulois parfaitement maître de la situation agir comme Napoléon avant Austerlitz : très longtemps à l'avance, il choisit le lieu de l'affrontement y conduit invinciblement son adversaire.


Soyons beaux joueurs : César reste César. Ses talents de général ne s'en trouvent pas diminués, bien au contraire : on lui restitue un adversaire à sa mesure. Et, du même coup, le récit de La Guerre des Gaules acquiert un relief et une véracité admirables. Sans cesser d'être l'œuvre littéraire que Cicéron, pourtant opposé à César, admirait, avec d'autant plus d'honnêteté que son propre style était tout différent.


Le livre de Mme Porte ne manque de rien pour passionner le lecteur. Il lui fait redécouvrir un épisode fondateur de l'histoire de France avec une puissance d'évocation rare. Mais elle y ajoute une réjouissante passion dans son acharnement à détruire une thèse officielle qui, devant ses arguments, résiste moins longtemps que les murailles d'Alésia.


On revit cette bataille qui mit aux prises pas moins de 95.000 Gaulois à l'intérieur de l'oppidum, 70.000 légionnaires romains plus la cavalerie, et les 150.000 hommes environ de l'armée de secours.


On s'emporte avec l'auteur quand elle expose tous les trucages qui ont permis aux savants du temps de Napoléon III de faire tenir debout, sur des béquilles branlantes, une construction qui avait pour seul mérite de complaire à l'Empereur (encore que celui-ci se soit montré à la longue quelque peu méfiant). Textes triturés, fouilles truquées pour alimenter en objets de l'époque de Néron (cent cinquante ans après l'affaire !) le musée des antiquités de Saint-Germain-en-Laye. Aussi passionnant que lorsque, dans un roman policier, le flic ripoux est enfin démasqué.


Alesia delenda est


Le plus passionnant est de se retrouver plongé dans cette bataille comme si on y était, car tout y est, même le gué que Vercingétorix franchit pour se rendre à César, et les raisons pour lesquelles l'emplacement du site d'Alésia devait être oublié. Et l'intérêt du lecteur est ravivé par cette rafraîchissante polémique et cette belle ardeur à ébranler et démolir les vérités qu'on aurait cru, en toute naïveté, les mieux établies.


On aurait pu croire un sujet pareil à l'abri de la pensée unique. Le livre de Mme Porte révèle que cette pensée unique voudrait régner même sur le site des batailles de l'an 52 av. J.-C. ! Ce n'est pas la moindre surprise de ce livre.



Danielle Porte, L'Imposture Alésia, éd. Carnot, 2004, 296 p., 20€. André Berthier, Alésia, Nouvelles Éditions latines, 1991, 335 p.


Source : Pierre de Laubier, Français d'Abord : décembre 2004

dimanche 9 décembre 2007

L'Histoire vraie du Maréchal Pétain

Le Maréchal
  • en 1916, a gagné la bataille de Verdun,
  • en 1917, a empéché la décomposition de l'Armée,
  • en 1918, a conduit l'Armée française à la victoire.
Le Maréchal
entre les deux guerres, a été l'homme auquel la République a eu recours pour des missions difficiles :
  • Maroc : 1924 - 1925
  • Ambassade extraordinaire aux Etats-Unis : 1931
  • Ministre de la Guerre (Cabinet d'Union du président Doumergue formé après les incidents de février 1934)
  • Ambassade d'Espagne : 1939.
Le Maréchal
en décembre 1931, a appelé l'attention du gouvernement sur la "flagrante infériorité de la flotte aérienne française" et demandé de "constituer d'urgence une aviation de défense et d'attaque puissante" (article paru dans la "Revue des Deux-Mondes").
Le Maréchal
en décembre 1934, a dénoncé publiquement le péril hitlérien et la faiblesse de l'armée française ( article paru dans la "Revue des Deux-Mondes").
Le Maréchal
en juin 1940 n'a pas réclamé le pouvoir.
Il a accepté dans une conjoncture désespérée, à la demande du président de la République, Albert Lebrun, sur la proposition du président du Conseil, Paul Reynaud, avec l'appui total des présidents des deux Chambres, Edouard Herriot et Jules Jeanneney.
Le 10 juillet 1940, l'accession du Maréchal à la fonction de Chef de l'Etat s'est faite de manière légitime par un vote du Congrès (539 voix pour, 80 voix contre et 17 abstentions).
Le Maréchal, conformément à la mission que lui a donnée le Parlement en 1940, a préparé une nouvelle Constitution.
Celle-ci était prête dès la fin de 1943.
Le Maréchal a refusé de la rendre publique tant que le sol national serait occupé et que l'ennemi retiendrait des prisonniers.
Cette Constitution :
  • confirmait le régime républicain de la France,
  • prévoyait l'extension du suffrage universel aux femme et d'adoption d'un système pluraliste pour l'élection des membres d'un Parlement bicamériste,
  • aménageait des modalités constitutionnelles assurant, dans le même temps, à l'Exécutif les conditions nécessaires à son action au Parlement son droit de contrôle,
  • institutait enfin une décentralisation aministrative par la création de Provinces dotées d'Assemblées délibératives et d'exécutifs.
Le Maréchal s'est attaché, malgré la pression de plus en plus forte d'un ennemi impitoyable - dirimante après l'occupation totale de la France - à préserver notre partimoine en sauvegardant notre appareil économique et en faisant preuve notamment de rigueur financière constante : l'encaisse-or est restée intangible.
Un grand nombre des mesures prises par l'Etat Français a été reconduite par le gouvernement issu de la Libération.
Le Maréchal a défendu l'Empire contre les convoitises allemandes, les coups de force de l'Angleterre, l'impérialisme japonais.
Le Maréchal, par son action, a :
  • obtenu, en 1940, le rapatriement en zone libre du corps d'armée réfugié en Suisse,
  • adouci le sort des prisonniers,
  • permis le retour entre juillet 1940 et mars 1942 de près d'un million d'entre eux,
  • atténué l'ampleur des déportations juives
ainsi que l'ont établi plusieurs ouvrages historiques récents en produisant pour l'Europe tout entière, les statistiques comparatives du nombre de déportés juifs non revenus des camps de la mort, qui démontrent que la présence d'un gouvernement en France, né de l'armistice et non d'une capitulation, a permis d'éviter le pire, en tout cas d'en sauver un plus grand nombre.
Le Maréchal, derrière une phraséologie de circonstances et à travers les difficultés de toutes sortes a été l'adversaire le plus résolu de l'Occupant.
Les clauses de l'Armistice et la politique suivie par le Maréchal ont permis :
  • la conservation et la préparation du tremplin que les Alliés ont pu utiliser lorsqu'ils en devinrent capables, pour la reconquête de l'Europe.
  • la reconstitution en Afrique du Nord, de l'Armée française sous les ordres successifs du général Weygand et du futur maréchal Juin,
  • la participation de cette Armée rénovée, le moment venu, à la libération du territoire et à la Victoire.
    La liberté d'action du Maréchal n'as cessé, au cours des années de s'ameunuiser.
    Le 17 novembre 1942, il a renoncé à l'exercice du Gouvernement.
    Le Maréchal a été empêché par les autorités occupantes de diffuser par les ondes son message à la Nation, l'avisant de sa perte de liberté et l'impossibilité dans laquelle il se trouvait dès lors d'assumer toutes les reponsabilités retenues, l'Afrique du Nord, le Maréchal préfera rester sur place pour éviter une "plonisation" de la France.
    L'attitude de sacrifice du Maréchal consistant, comme il s'y était engagé, à demeurer parmi les Français a évité l'installaion d'un gouvernement nommé par l'ennemi, a favorisé, avec son accord intime, un travail concret de résistance à celui-ci.
    Le Maréchal, emmené de force en captivité le 20 août 1944, fut interné au château de Sigmaringen.
    Lorsqu'il apprit que le Gouvernement provisoire engageait à son encontre un procès par contumace, il demanda au gouvernement du Reich de le laisser rejoindre la France pour défendre son honneur. Dans la confusion entrainée par la débâcle allemande, cédant aux demandes instantes du maréchal Pétain, les autorités allemandes chargées de sa surveillance, le conduisirent en Suisse le 24 avril 1945.
    En dépit des fortes pressions exercées et sur lui-même et sur le gouvernement suisse par le gouvernement français, le Maréchal se présentat volontairement devant la justice de son pays.
Le Maréchal a été condamné à la peine de mort le 15 août 1945, par un tribunal dont la composition ne représentait pas le peuple français dans sa diversité.
La peine ayant été commuée en emprisonnement à vie, le Maréchal a été incarcéré au fort militaire de l'Ile d'Yeu dans des conditions honteuses.
Le Maréchal est mort en captivité, à 95 ans, le 23 juillet 1951.
Son corps est toujours l'objet d'une mesure de rétention à l'ile d'Yeu, malgré la demande en 1966, de 800 000 anciens combattants de la guerre 14-18 qui avaient réclamé qu'en exécution de ses dernières volontés, la dépouille du Maréchal soit transférée à Douaumont aux côtés des soldats qu'il a commandés jusqu'à la victoire.
http://www.admp.org/association.htm

dimanche 2 décembre 2007

Pour en finir avec le Che !

Le petit boucher de la Cabana

Voilà quarante ans qu'on te croyait définitivement disparu, camarade, dans la jungle bolivienne (9 octobre 1967), mais tu ressurgis toujours à date anniversaire quand on ne t'exhibe pas quotidiennement sur les tee-shirts, les caleçons ou les bouteilles de vin argentin. Tel l'assassin en cavale dont on affiche le portrait. Telle la crapule que tu étais, Ernesto Rafael Guevara de la Serna.

Che Guevara, on croyait que tu étais devenu seulement un logo de la marque "Bobo.Inc" mais tu vis toujours nous prévient-on, tu es "une braise qui brûle encore" comme le sous-titre le livre du facteur Besancenot qu'on croyait, progressisme oblige, se chauffer plutôt au "soviet plus l'électricité" (dixit Lénine). Mais se réclamer aujourd'hui d'Ernesto Guevara s'avère plus "sexy", plus "tendance" que d'en appeler à Vladimir Illich Oulianov ou Lev Davidovitch Bronstein (Léon Trotsky) pour redorer le blason ensanglanté du communisme.

"Ernesto "Che" Guevara n'était ni un saint, ni un surhomme, ni un chef infaillible, prend-il tout de même la peine de nous préciser dans son introduction, il était un homme comme les autres, avec ses forces et ses faiblesses, ses lucidités et ses aveuglements, ses erreurs et ses maladresses. Mais il avait cette qualité rare chez les acteurs de la scène politique (sic) : la cohérence entre les paroles et les actes, les idées et les pratiques, la pensée et l'action." Malheureusement le lecteur ne saura pas dans cet ouvrage quelles furent tes "faiblesses", tes "aveuglements", tes "erreurs" et tes "maladresses", toi l'homme exceptionnel, "révolutionnaire marxiste" mais grand "humaniste".

Dis merci à Sartre, c'est lui qui a érigé ton mausolée

Pour cela, il faudra se reporter à un autre livre, qui tombe à point nommé pour répondre à la "guevariamania" de nos contemporains et révèle cette fameuse cohérence entre ta pensée politique et son action de guérillero : La Face cachée du Che, de Jacobo Machover. On le dit « anti-castriste », "gusano", c'est-à-dire « ver de terre » comme on appelle délicatement les exilés cubains dans les milieux de la gauche latino-américaine. Son père fut traducteur de Guevara avant de s'exiler en 1963, non pas à Miami mais à Paris. Le fils est aujourd'hui traducteur, professeur et journaliste - on lui doit notamment un Cuba, totalitarisme tropical- et il s'est justement penché sur tes textes et tes discours, Che, ainsi que sur certains témoignages directs pour éclairer ce côté obscur de ta face d'ange. Un ange aux pieds fourchus si l'on en juge par tes propos, et non un agneau de la révolution sacrifié par la CIA sur l'autel de la révolution comme on t'a repeint au final, en Christ de Mantegna.

« Le mythe du Che, pour la plupart, explique Jacoba Machover, est celui du martyr révolutionnaire. Il représente pourtant le contraire de ce qu'il a été. Il est devenu intemporel, largement détaché des circonstances qui ont produit un personnage n'hésitant pas à sacrifier ceux qui se trouvaient en face de lui ou même à ses côtés. Guevara entendait faire de sa vie et de sa mort un idéal pour la jeunesse et les générations à venir. L'« homme nouveau », ce devait être lui et lui seul. Il y a partiellement réussi, aidé en cela par ceux qui ont décidé d'ériger son itinéraire en modèle à suivre, plutôt que d'analyser ses combats suicidaires, ses contradictions idéologiques ou ses exactions meurtrières. »

Selon Machover ce sont, les braves gens, nos intellectuels "made in URSS" qui ont fabriqué cette espèce de mystification collective moderne, Sartre en premier. Quelques mois après ta mort, Che, ne déclarait-il pas à ton propos dans une revue de La Havane: "je pense que, en effet, cet homme n'a pas été seulement un intellectuel mais l'homme le plus complet de son époque." On s'étonnera moins ensuite que Jean Cau, qui fut un temps le secrétaire de l'"agité du bocal", ait lui aussi succombé à cette mystification. A une époque où on le croyait immunisé contre tout romantisme révolutionnaire, il publia un livre intitulé Une passion pour Che Guevara (Julliard, 1979), Jean Lartéguy aussi s'était laissé prendre à ta légende, dans Les Guérilleros (Roula Solar, 1967), quand, enquêtant sur ta disparition, il te comparait à un "Don Quichotte de la révolution", aventurier idéaliste imperméable au marxisme-léninisme...

Staline II, tu voulais être, mais tu n'as été qu'un « petit » boucher

Et pourtant, c'était passer sous silence ou ignorer tout simplement l'admiration que tu portas très tôt à Staline. A la mort du maréchal rouge, tu écris ainsi à ta chère tante : "Celui qui n'a pas lu les quatorze tomes de Staline ne peut pas se considérer comme tout à fait communiste." Tu signes certaines de tes lettres du doux pseudonyme de "Staline II" et baptise ton premier enfant "Vladimir", en hommage à Lénine. En 1961, tu déclareras d'ailleurs à la presse française (France Observateur) : "Toute révolution comporte inévitablement une part de stalinisme." Nous sommes loin du libertador romantique, Che.

Comme le dénonce, faits à l'appui, Jacoba Machover, tu ne fus pas un poète révolutionnaire et rêveur mais bien un idéologue implacable voulant créer un "homme nouveau", n'en déplaise à Jean Cormier, dont on réédite la monumentale hagiographie à faire passer ton maître Fidel Castro pour un gentil organisateur de camp de vacances sous les palmiers. Sur les 524 pages de ce travail indigne d'un journaliste, alors que 150 sont consacrées à l'expédition de deux ans dans la Sierra Maestra 1957-1959), les cinq mois pendant lesquels tu as commandé la prison de la Cabana après la victoire de la guérilla sont évacués en une seule petite phrase : "Chaque jour il y voit rentrer les hommes de Batista, emprisonnés et mis à la disposition des tribunaux révolutionnaires", écrit-il sans complexe...

Pour lui, La Havane à la chute de Batista, c'était une grande fête, avec rhum et petites pépés sur des airs de mambas. Mais pendant que certains dansaient à la Bodega del medio, d'autres trépassaient à la Cabana. Et pas seulement les séides de Batista. Chrétiens, homosexuels, opposants en tout genre à ton "homme nouveau" sont passés par les armes après un jugement sommaire et "révolutionnaire". On en comptera près de 200 les premiers mois pendant lesquels, "Che", tu officies avec zèle, assistant un cigare aux lèvres aux exécutions. Cela te vaudra d'ailleurs le sympathique sobriquet de "petit boucher de la Cabana".

Tu avais voulu une « lutte à mort », tu as eu la lutte et la mort

Pas un mot non plus sur cette déclaration, pourtant officielle, faite à la tribune des Nations Unies en 1964 : "Nous avons fusillé ; nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu'il le faudra. Notre lutte est une lutte à mort." Aucune ligne non plus sur ton invention, dès 1960, des "camps de travail correctifs", cette première expérience de "Goulag tropical" qui se transformera ensuite en « Unités militaires d'aide à la production ». Tous les « déviationnistes idéologiques » y seront déportés à l'extrême ouest de l'île.

C'est que tu avais une conception « rédemptrice » du travail qui devait s'effectuer selon des « stimulants moraux » et non matériels. Tu avais ton petit livre rouge à toi, le Socialisme et l'Homme à Cuba, rouge comme les dimanches décrétés jours de travail volontaire. Tu avais d'ailleurs prévenu les Cubains dès 1961, alors fraîchement nommé ministre du Travail : "Les travailleurs cubains doivent petit à petit s'habituer à un régime de collectivisme. En aucune manière les travailleurs n'ont le droit de faire grève." Voilà au moins un point sur lequel Besancenot tombera d'accord avec Sarko. On le lui rappellera pendant les défilés de cet hiver.

Quant à la légende du libérateur des peuples colonisés, du théoricien de la "guerre de guérilla" souhaitant, après la prise de Santa Clara - beaucoup plus facile qu'on l'a raconté -, "créer deux, trois, une multitude de Vietnam" dans le tiers monde comme tu le déclarais dans ce fameux message à la Tricontinentale, elle est totalement erronée, au moins au sens militaire, tant tes expéditions furent des échecs fracassants.

Arrivé au Congo en 1965, sans doute poussé par Fidel Castro qui souhaitait se débarrasser d'un si piètre ministre de l'Industrie, en vue d'intégrer l'armée de libération menée par Kabila, c'est, penses-tu, pour y allumer un nouveau foyer de guérilla qui s'étendra sur tout le continent. Durée prévue de l'opération : cinq ans. Tu y resteras en fait seulement sept mois tant le contexte ne correspond ni à ta théorie ni à ta tactique. Comment combattre avec des guerriers africains animistes absorbant des potions contre les balles lorsqu'on est un guérillero cubain marxiste-léniniste ? Ajoutés à cela, les dissensions entre combattants rwandais et congolais, les rivalités ethniques et les problèmes de leadership politique rendent la situation intenable. Mais comment comprendre qu'un tel stratège n'ait pas mieux étudié le contexte local ?

Idem en Bolivie, où tu débarques un an et demi ans plus tard après une escale à la Havane pour préparer l'expédition qui devait servir d'autre foyer révolutionnaire, latino-américain cette fois-ci. C'était pourtant un pays que tu avais visité lors de ton deuxième voyage dans le sous-continent, en 1953. Entre-temps une réforme agraire a été menée ; un militaire gouvernait certes le pays, mais se réclamant d'un parti révolutionnaire lui aussi. Fidèle à ta doctrine, tu crois pouvoir t'appuyer sur les paysans mais ceux-là ne sont plus sensibles à tes arguments - quand tu parviens à communiquer avec ceux des indigènes parlant une autre langue que le guarani et non pas le quechua comme tu t'étais pourtant évertué à l'apprendre avec tes guérilleros avant de partir ! Par ailleurs, le parti communiste local ne voudra pas de toi, te considérant comme un étranger, toi l'Argentin.

Les Andes ne deviendront pas ta "Sierra Maestra de l'Amérique latine" mais ton tombeau Che Guevara. C'est sur ordre du général bolivien Barrientos que tu seras exécuté. Par tes frères d'âme à défaut d'armes en somme. Triste fin pour un stratège humaniste et internationaliste.

Julien Torma, le Choc du Mois n° 16 - Octobre 2007 -

A lire :
Jacobo Machover, La Face cachée du Che, Buchet-Chastel, 208 pages, 14 euros.
Jean Cormier, Che Guevara, éditions du Rocher, 528 pages, 22 euros.
Olivier Besancenot et Michael Lôwy, Che Guevara, une braise qui brûle encore, Mille et Une Nuits, 246 pages, 14 euros.