Hitler-Staline: l'entente cordiale
Le 14 juin 1940, jour de l'occupation de Paris par les Allemands, les Soviétiques adressent un ultimatum à la Lituanie, suivi trois jours plus tard par deux notes du même ton envoyées à l'Estonie et à la Lettonie. Le 17, les trois Etats baltes sont occupés par l'Armée Rouge. A la fin de juillet, après des élections truquées sous le contrôle des trois émissaires de Staline (Dekanozov, Vychinsky le procureur des procès de Moscou, Jdanov, futur créateur du Kominform en 1947), des gouvernements fantoches proclament le régime soviétique. Début août, les « anomalies » dont parlait Molotov ont été incorporées à l'URSS. En 9 mois, la première soviétisation envoie 130 000 personnes en déportation. La seconde en 1944-1945 sera pire.
Le 23 août et le 28 septembre 1939, Hitler avait obtenu la neutralité et « l'amitié » de l'URSS. Dans des protocoles secrets, il reconnaît que la Finlande, l'Estonie et la Lettonie, puis la Lituanie, font partie de la « sphère d'intérêts » de Staline. Dès la défaite de la Pologne, l'URSS transforme les pays baltes en protectorats, signant avec eux des pactes d'assistance et se faisant octroyer des garnisons, des aérodromes, des bases navales sur leur territoire. En juin-juillet 1940, quand l'Allemagne est occupée à l'Ouest, elle en fait des satellites en les bolchevisant, avant de les annexer. Hitler est donc directement responsable.
Staline est-il seul responsable?
A l'été 1939, Molotov, commissaire soviétique aux Affaires étrangères, négocie à la fois avec les Franco-Britanniques et avec les Allemands (les premiers recherchent l'alliance des Soviétiques contre l'Allemagne, les seconds leur neutralité pour isoler la Pologne). Simultanément? Pas exactement.
Un peu plus tôt (fin avril 1939), le ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet, très soucieux de surmonter son complexe munichois, accepte que l'URSS englobe les pays baltes dans sa zone de sécurité. Les ambassades de France et d'Angleterre à Moscou poussent dans ce sens, allant jusqu'à suggérer que l'URSS occupe les bouches du Danube (qui sont roumaines) afin de gêner les Allemands.
Le 31 mai, Molotov réclame des bases navales en Finlande et dans les pays baltes. Le 7 juin, l'attaché militaire français à Moscou trouve « fort juste du point de vue historique et stratégique » la revendication de Staline sur les Baltes.
Début juillet, les Britanniques semblent résignés à garantir les Baltes sans leur approbation par un « protocole secret » et grâce à la formule tordue de l'« agression indirecte », qui laisserait en fait les Soviétiques juger tout seuls si leur sécurité est menacée chez les Baltes... Seeds, l'ambassadeur anglais, plaide encore auprès des Russes que l'avis des Baltes serait de « pure forme ». Bonnet pense qu'il faut ménager les « apparences », ne pas heurter les opinions publiques. La négociation peut continuer avec l'URSS. Quant aux Baltes ...
A cette date, Hitler n'est pas encore fixé. Il y a certes des contacts depuis le printemps entre l'Allemagne et l'URSS, mais rien de définitif. C'est à la mi-juillet que Hitler se décide pour la carte soviétique. Il lui faut alors doubler les Franco-Britanniques.
Le 29 juillet, Weizsacker, secrétaire d'Etat allemand aux Affaires étrangères et père de l'actuel président de la RFA, propose à Molotov « d'ajuster notre position afin de respecter les intérêts vitaux soviétiques sur la Baltique ».
Cependant, la négociation militaire anglo-franco-soviétique va bon train : le 15 août, le général Chapochnikov évoque froidement l'occupation des îles et des ports baltes et finlandais sans provoquer de sourcillements franco-britanniques.
Le 17 août, Ribbentrop, ministre allemand des Affaires étrangères, propose une double garantie germano-soviétique sur les Baltes. Mais Molotov veut un partage en « sphères d'intérêts » distinctes, non un condominium, et le 19 il exige que le protocole secret sur les Baltes soit signé en même temps que le pacte de non-agression. Le 23, Ribbentrop estime que les Franco-Britanniques ont « vendu complètement les Baltes aux Soviétiques ». Hitler, pressé d'attaquer la Pologne, accepte « toute offre » soviétique. Le jour même, le traité est signé.
Décision difficile pour le Reich qui reçoit 70 % des exportations des pays baltes, et doit évacuer plus de 60 000 Allemands installés dans la région depuis sept cents ans. C'est « le prix que nous payons pour la neutralité de la Russie» (Goebbels)
L'enterrement des Baltes
Automne 1939 : à propos des bases prises par les Soviétiques, l'ambassadeur français à Moscou, Naggiar, parle de « véritable défaite allemande ». Le 12 octobre, l'attaché militaire français à Riga en Lettonie se félicite que « les pays baltes soient devenus des protectorats russes ». On espère une brouille entre Allemands et Russes. On se satisfait de la « neutralité» russe même après l'attaque contre la Finlande. On censure le mot « invasion soviétique » dans les journaux qui parlent de la Pologne. Presque seul, Blum proteste.
Juin-juillet 1940 : dans son journal Goebbels qualifie Staline de «détrousseur de cadavres ». Quant Staline annexe la Bessarabie et le nord de la Bukovine (jamais russe, non prévue dans le protocole de 1939), il écrit : « Pas du tout agréable pour nous. Ils profitent de la situation et de nos victoires ».
Staline voulait également absorber la Finlande en août 1940, mais la victoire rapide à l'Ouest permet à Hitler de transférer des troupes à l'Est. Projet abandonné. En août 1941 devait venir le tour de la Roumanie, face à laquelle étaient massées des unités offensives soviétiques. Mais il y a eu le 22 juin 1941.
Le 12 juin 1940, Stafford Cripps arrive en ambassade à Moscou. Socialiste anglais, antifasciste viscéral et fils de lord, milliardaire et soviétophile acharné ( " le seul homme de gauche que nous ayons et qui roule sur l'or » disait Churchill "), il estimait que l'Armée Rouge libérait les paysans polonais de leurs propriétaires et avait même proposé en octobre 1939 à VychinsKy de reconnaître l'annexion de la Pologne orientale. Cripps et Labonne, l'ambassadeur français, incitent alors Molotov à annexer les pays baltes, pour compenser les succès allemands. Ils seront entendus.
Dès lors pour les Occidentaux, les Baltes sont enterrés. On comprend la gêne des gouvernements aujourd'hui, quand ils font reparler d'eux.
Annexions
De 1938 à 1940, Hitler a annexé 369.000 km' et 40 rnillions d'habitants, dont une douzaine de millions d'Allemands (d'Autriche, des Sudètes, de Memel, de Dantzig, de Pologne
En un an, du 28 septembre 1939 au 6 aoOt 1940, l'URSS a annexé 471 000 km' avec 22 millions d'habitants, Polonais, Biélorusses, Finlandais, Roumains, Baltes, et quelques milliers de Russes.
L'Angleterre et la France ont déclaré la guerre" pour la Pologne, le 3 septembre 1939, mais elles ne garantissaient son intégrité que contre l'Allemagne: pas ses frontières orientales face à l'URSS. De même pour la Roumanie. Lorsqu'elle est envahie par l'URSS le 17 septembre 1939, la Pologne est priée par ses alliées ne pas déclarer la guerre à son envahisseur.
Les relations des trois alliés avec l'URSS sont maintenues, même après l'agression contre la Finlande le 30 novembre et l'exclusion de l'URSS de la SDN le 14 décembre. Depuis l'occupation de la Bohême-Moravie le 15 mars 1939, Hitler cc n'est plus un gentleman» ; c'est un ennemi. Il est mort depuis et l'Allemagne a tout perdu. Mais Staline a tout gardé; il s'est même encore étendu vers l'ouest en 1945 : c'était un allié.
Thierry Buron Le Choc du Mois - N° 30 - Juin 1990
Le 14 juin 1940, jour de l'occupation de Paris par les Allemands, les Soviétiques adressent un ultimatum à la Lituanie, suivi trois jours plus tard par deux notes du même ton envoyées à l'Estonie et à la Lettonie. Le 17, les trois Etats baltes sont occupés par l'Armée Rouge. A la fin de juillet, après des élections truquées sous le contrôle des trois émissaires de Staline (Dekanozov, Vychinsky le procureur des procès de Moscou, Jdanov, futur créateur du Kominform en 1947), des gouvernements fantoches proclament le régime soviétique. Début août, les « anomalies » dont parlait Molotov ont été incorporées à l'URSS. En 9 mois, la première soviétisation envoie 130 000 personnes en déportation. La seconde en 1944-1945 sera pire.
Le 23 août et le 28 septembre 1939, Hitler avait obtenu la neutralité et « l'amitié » de l'URSS. Dans des protocoles secrets, il reconnaît que la Finlande, l'Estonie et la Lettonie, puis la Lituanie, font partie de la « sphère d'intérêts » de Staline. Dès la défaite de la Pologne, l'URSS transforme les pays baltes en protectorats, signant avec eux des pactes d'assistance et se faisant octroyer des garnisons, des aérodromes, des bases navales sur leur territoire. En juin-juillet 1940, quand l'Allemagne est occupée à l'Ouest, elle en fait des satellites en les bolchevisant, avant de les annexer. Hitler est donc directement responsable.
Staline est-il seul responsable?
A l'été 1939, Molotov, commissaire soviétique aux Affaires étrangères, négocie à la fois avec les Franco-Britanniques et avec les Allemands (les premiers recherchent l'alliance des Soviétiques contre l'Allemagne, les seconds leur neutralité pour isoler la Pologne). Simultanément? Pas exactement.
Un peu plus tôt (fin avril 1939), le ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet, très soucieux de surmonter son complexe munichois, accepte que l'URSS englobe les pays baltes dans sa zone de sécurité. Les ambassades de France et d'Angleterre à Moscou poussent dans ce sens, allant jusqu'à suggérer que l'URSS occupe les bouches du Danube (qui sont roumaines) afin de gêner les Allemands.
Le 31 mai, Molotov réclame des bases navales en Finlande et dans les pays baltes. Le 7 juin, l'attaché militaire français à Moscou trouve « fort juste du point de vue historique et stratégique » la revendication de Staline sur les Baltes.
Début juillet, les Britanniques semblent résignés à garantir les Baltes sans leur approbation par un « protocole secret » et grâce à la formule tordue de l'« agression indirecte », qui laisserait en fait les Soviétiques juger tout seuls si leur sécurité est menacée chez les Baltes... Seeds, l'ambassadeur anglais, plaide encore auprès des Russes que l'avis des Baltes serait de « pure forme ». Bonnet pense qu'il faut ménager les « apparences », ne pas heurter les opinions publiques. La négociation peut continuer avec l'URSS. Quant aux Baltes ...
A cette date, Hitler n'est pas encore fixé. Il y a certes des contacts depuis le printemps entre l'Allemagne et l'URSS, mais rien de définitif. C'est à la mi-juillet que Hitler se décide pour la carte soviétique. Il lui faut alors doubler les Franco-Britanniques.
Le 29 juillet, Weizsacker, secrétaire d'Etat allemand aux Affaires étrangères et père de l'actuel président de la RFA, propose à Molotov « d'ajuster notre position afin de respecter les intérêts vitaux soviétiques sur la Baltique ».
Cependant, la négociation militaire anglo-franco-soviétique va bon train : le 15 août, le général Chapochnikov évoque froidement l'occupation des îles et des ports baltes et finlandais sans provoquer de sourcillements franco-britanniques.
Le 17 août, Ribbentrop, ministre allemand des Affaires étrangères, propose une double garantie germano-soviétique sur les Baltes. Mais Molotov veut un partage en « sphères d'intérêts » distinctes, non un condominium, et le 19 il exige que le protocole secret sur les Baltes soit signé en même temps que le pacte de non-agression. Le 23, Ribbentrop estime que les Franco-Britanniques ont « vendu complètement les Baltes aux Soviétiques ». Hitler, pressé d'attaquer la Pologne, accepte « toute offre » soviétique. Le jour même, le traité est signé.
Décision difficile pour le Reich qui reçoit 70 % des exportations des pays baltes, et doit évacuer plus de 60 000 Allemands installés dans la région depuis sept cents ans. C'est « le prix que nous payons pour la neutralité de la Russie» (Goebbels)
L'enterrement des Baltes
Automne 1939 : à propos des bases prises par les Soviétiques, l'ambassadeur français à Moscou, Naggiar, parle de « véritable défaite allemande ». Le 12 octobre, l'attaché militaire français à Riga en Lettonie se félicite que « les pays baltes soient devenus des protectorats russes ». On espère une brouille entre Allemands et Russes. On se satisfait de la « neutralité» russe même après l'attaque contre la Finlande. On censure le mot « invasion soviétique » dans les journaux qui parlent de la Pologne. Presque seul, Blum proteste.
Juin-juillet 1940 : dans son journal Goebbels qualifie Staline de «détrousseur de cadavres ». Quant Staline annexe la Bessarabie et le nord de la Bukovine (jamais russe, non prévue dans le protocole de 1939), il écrit : « Pas du tout agréable pour nous. Ils profitent de la situation et de nos victoires ».
Staline voulait également absorber la Finlande en août 1940, mais la victoire rapide à l'Ouest permet à Hitler de transférer des troupes à l'Est. Projet abandonné. En août 1941 devait venir le tour de la Roumanie, face à laquelle étaient massées des unités offensives soviétiques. Mais il y a eu le 22 juin 1941.
Le 12 juin 1940, Stafford Cripps arrive en ambassade à Moscou. Socialiste anglais, antifasciste viscéral et fils de lord, milliardaire et soviétophile acharné ( " le seul homme de gauche que nous ayons et qui roule sur l'or » disait Churchill "), il estimait que l'Armée Rouge libérait les paysans polonais de leurs propriétaires et avait même proposé en octobre 1939 à VychinsKy de reconnaître l'annexion de la Pologne orientale. Cripps et Labonne, l'ambassadeur français, incitent alors Molotov à annexer les pays baltes, pour compenser les succès allemands. Ils seront entendus.
Dès lors pour les Occidentaux, les Baltes sont enterrés. On comprend la gêne des gouvernements aujourd'hui, quand ils font reparler d'eux.
Annexions
De 1938 à 1940, Hitler a annexé 369.000 km' et 40 rnillions d'habitants, dont une douzaine de millions d'Allemands (d'Autriche, des Sudètes, de Memel, de Dantzig, de Pologne
En un an, du 28 septembre 1939 au 6 aoOt 1940, l'URSS a annexé 471 000 km' avec 22 millions d'habitants, Polonais, Biélorusses, Finlandais, Roumains, Baltes, et quelques milliers de Russes.
L'Angleterre et la France ont déclaré la guerre" pour la Pologne, le 3 septembre 1939, mais elles ne garantissaient son intégrité que contre l'Allemagne: pas ses frontières orientales face à l'URSS. De même pour la Roumanie. Lorsqu'elle est envahie par l'URSS le 17 septembre 1939, la Pologne est priée par ses alliées ne pas déclarer la guerre à son envahisseur.
Les relations des trois alliés avec l'URSS sont maintenues, même après l'agression contre la Finlande le 30 novembre et l'exclusion de l'URSS de la SDN le 14 décembre. Depuis l'occupation de la Bohême-Moravie le 15 mars 1939, Hitler cc n'est plus un gentleman» ; c'est un ennemi. Il est mort depuis et l'Allemagne a tout perdu. Mais Staline a tout gardé; il s'est même encore étendu vers l'ouest en 1945 : c'était un allié.
Thierry Buron Le Choc du Mois - N° 30 - Juin 1990
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