La presse sous surveillance
En décembre dernier, la grèves des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne a perturbé pendant près de trois semaines la distribution des quotidiens. A cette occasion, le public a pu découvrir quelques particularités des pratiques syndicales dans ce secteur d'activité, et plus généralement dans le secteur de l'édition et de la diffusion de la presse: mainmise communiste sur l'outil de travail, possibilité, avec une poignée d'hommes, d'interdire l'information écrite des Français pendant toute une période, violences systématiques à l'égard des non-grévistes, statut en or massif de ces ouvriers du Livre.
Cette situation dure en fait depuis 1945. Mais l'affaiblissement du Parti communiste et l'écroulement des régimes de l'Est, donnent aujourd'hui à certains patrons de presse le courage de révéler ce qui n'était qu'un secret de polichinelle dans le petit monde des professionnels tout en restant un sujet tabou: la situation exceptionnellement atypique régnant dans le secteur de l'édition et de la diffusion de la presse, du fait du syndicat du Livre.
Tout commence en 1945. On connaît la célèbre formule de Jean-Baptiste Doumeng : « Qu'est-ce qui est le plus important ? Avoir quatre ministres au gouvernement, ou tenir les ports, l'EDF, les chemins de fer ? ». C'est un raisonnement de cette nature qui conduit le Parti communiste, cette année-là, à mettre la main sur bon nombre de journaux, en spoliant leurs anciens propriétaires et à s'emparer des Messageries Hachette de diffusion.
A cette époque, l'influence de la presse écrite reste primordiale. La télévision n'existe pas, la radio n'est pas encore le grand média qu'il deviendra par la suite. Qui tient la presse écrite, tient l'information des Français.
Un Yalta de la presse
C'est pourquoi à la Libération, les Messageries Hachette, accusées d'avoir « travaillé avec les nationaux-socialistes », sont réquisitionnées, et les biens du groupe mis sous administration provisoire.
A cette époque, des dizaines de journaux communistes sont créés ou ressuscités. Peu importe qu'ils aient un énorme pourcentage d'invendus: les militants communistes sont persuadés que le Grand Soir est pour bientôt.
En parallèle, les effectifs des Messageries sont démesurément gonflés. Le comité de gestion est aux mains du PC, qui place ses hommes, allant jusqu'à créer artificiellement des services pour placer des militants. En quelques mois, l'entreprise passe de 3 800 à 7 000 personnes. Avec le rapatriement des prisonniers français d'Allemagne, les effectifs gonflent encore, car les Messageries deviennent le point de chute des cadres du PC n'ayant pas de travail, ou destinés à jouer un rôle de permanents.
Mais au fil des mois, les dettes des Messageries s'alourdissent. En particulier à l'égard de la Sécurité sociale. Le Grand Soir se fait attendre, et les patrons de presse tentent de s'organiser à l'extérieur des Messageries. En novembre 1946, une expertise, demandée par le Syndicat de la presse parisienne, révèle les aberrations de gestion des Messageries. On découvre en particulier qu'aucun bilan n'a été établi, que les Messageries ne payent plus les éditeurs, qu'elles font de la « cavalerie », que la dette à l'égard de la Sécurité sociale atteint déjà 44 millions de francs. c'est la fin des Messageries à 100 % communistes.
1 600 agressions en deux ans
Les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), qui bénéficient encore aujourd'hui d'un monopole de fait dans la distribution de la presse, sont nées d'un Yalta entre les éditeurs de journaux, avec comme chef de file le groupe Hachette et le syndicat du Livre CGT, communiste.
Près de 45 ans plus tard, c'est toujours sur ce système que fonctionnent les NMPP.
Deux cents militants - pas plus - contrôlent les trois mille ouvriers du Livre qui travaillent (ou qui sont censés travailler) dans ce secteur. En fait, le syndicat du Livre fait de ce personnel, et du personnel des imprimeries, le noyau dur de son action militante.
Comment le Parti a-t-il réussi à conserver intact ou quasiment intact son pouvoir dans ce secteur ? Par des pratiques systématiques d'intimidation et de violence physique. Et ceci en toute impunité.
En 1975, un conflit oppose Emilien Amaury et l'équipe du Parisien libéré au syndicat du Livre. Le conflit semble d'origine purement professionnelle. Mais il se produit peu après que le chef du département international du Parti communiste d'Union soviétique, Boris Ponomarev, a publié une circulaire en direction des partis frères, leur demandant d'œuvrer à la liquidation des journaux « bourgeois » influents dans la classe ouvrière. Le Parisien libéré correspond bien, à la définition qu'a donné Boris Ponomarev d'un journal « bourgeois » influent dans la classe ouvrière. Il tire à l'époque à plus d'un million d'exemplaires.
Comment expliquer autrement qu'un conflit du travail minime ait pu durer deux ans et demi ?
Pendant trente mois, Le Parisien libéré va subir un assaut en règle du Parti communiste et de la CGT du Livre. 1 600 agressions (passages à tabac, attaques de commissariat de police où sont réfugiés des non-grévistes, enlèvements, tortures, destructions de journaux, destructions de camionnettes) seront commises.
L'attaque de la Bourse par un commando CGT provoque la mort de deux personnes. Dans la nuit du 5 au 6 juin 1975, après une importante manifestation de la CGT du Livre et du Parti communiste contre Le Parisien libéré, et contre Force Ouvrière dont les militants assurent l'édition d'un mini-Parisien libéré, des bombes explosent aux domiciles d'André Bergeron et de Bernard Cabanes. Celui-ci est le rédacteur en chef du Parisien libéré. Bergeron sort indemne de l'attentat. Cabanes meurt. Les tueurs ont confondu Bernard Cabanes, rédacteur en chef de l'AFP, et Bernard Cabanes, rédacteur en chef du Parisien libéré.
Les auteurs de cet attentat ne seront jamais identifiés. Mais plus fort encore, aucune des 1 600 agressions ne donnera lieu à des poursuites. Le conflit du Parisien libéré se termine avec la mort mystérieuse (accidentelle ?) d'Emilien Amaury. Le patron du Parisien est retrouvé, dans la forêt de Chantilly, la poitrine fracassée, le crâne défoncé. Mauvaise chute de cheval ... ? Le drame n'a pas eu de témoins.
Dans les ateliers de tri des NMPP, se syndiquer ailleurs qu'à la CGT du Livre relève de l'héroïsme. De temps à autre, un kamikaze prend sa carte de Force ouvrière, de la CFDT ou de la CFTC, et tente de faire du prosélytisme. Dès qu'il est repéré, il est muté par la direction, voire renvoyé, sur ordre de la CGT, avant ou après tabassage.
La recherche du « non conflit»
Cette puissance du syndicat du Livre lui permet non seulement une emprise sur le personnel, mais aussi un certain pouvoir de contrôle et de censure sur le contenu rédactionnel des journaux diffusés, en particulier sur tout ce qui touche à sa propre activité et aulits de la presse. L'objectif des Nouvelles messageries de presse, comme de beaucoup de patrons de presse, c'est la recherche du zéro conflit, quel que soit le prix social à payer. Pourquoi un comportement aussi laxiste ? Parce que le journal est une denrée particulièrement périssable. Un retard de deux heures pour un quotidien signifie une baisse de 30 à 50 % des ventes, un retard d'une journée pour un hebdomadaire de télévision peut signifier la perte de 90 % de ses lecteurs. Cette extrême sensibilité aux mouvements d 'humeur du syndicat du Livre explique pour partie la connivence qui peut sembler exister et qui existe bien dans les faits entre la direction des NMPP et la CGT du Livre. Connivence qui a fait dire aux juges de référé dans une ordonnance rendue le 16 janvier 1989, que la direction des NMPP faisait preuve de « docilité » à l'égard de la CGT du Livre, et cherchait à « ne pas déplaire » au syndicat communiste.
La flagornerie de La Croix
Cette docilité, c'est, paraît-il, le prix à payer pour une vraie paix sociale.
Le syndicat du Livre bénéficie donc d'un puissant levier pour agir sur les directions des journaux. En décembre 1986, par exemple, la CGT du Livre lance une campagne sur le thème « Imprimons français », campagne contemporaine, curieusement, de celle du PCF sur le même thème, lui qui ne se prive cependant pas pour faire imprimer nombre de ses publications dans une Europe de l'Est encore communiste à l'époque. Cette campagne de la CGT du Livre fut appuyée par des communiqués de presse. Les journaux qui ne passèrent pas le communiqué furent retardés à la vente ou empêchés de parution. Le quotidien La Croix, lui, ne voulut pas courir un tel risque, et poussa même la flagornerie jusqu'à publier le dit communiqué sur trois colonnes avec un gros titre en page « Culture médias ». Même les gros bras du Livre CGT n'en demandaient pas tant!
Pendant le conflit de l'imprimerie Jean Didier, L'Événement du jeudi, l'hebdomadaire de Jean-François Kahn qui y est imprimé, est pris pour cible par les commandos du Livre. 300 000 exemplaires sont détruits le 14 janvier 1988. Coût pour L'Événement du jeudi : deux millions de francs.
Même scénario le 20 juillet 1988 ; mais quand M. Kahn, « esprit libre », « ni de gauche ni de droite », veut expliquer la situation à ses lecteurs, il prend mille précautions oratoires pour ne pas froisser la susceptibilité des ouvriers du Livre. Et voici ce que cela donne : " Des commandos d'individus se prétendant évidemment à tort syndicalistes du Livre - ce qui n'est pas crédible, vu les méthodes fascisantes employées ont attaqué les camions qui transportaient les exemplaires de notre hebdomadaire et ont systématiquement détruit le contenu. " Arrêtons-nous un instant sur ce texte de Jean-François Kahn : aurait-il employé aussi ce langage codé si les commandos étaient venus de la droite ?
Ouvriers millionnaires
Aux NMPP, qui comptent 3 000 ouvriers sur un total de 5 000 salariés, le salaire moyen mensuel était en 1987 de 17 054 F ! La catégorie des cyclistes était particulièrement bien lotie avec un salaire moyen de 20 611 F par mois ! Ceci pour une durée de travail théorique de 35 heures, et une durée réelle souvent plus proche de 24 heures par semaine, et avec 8 à 9 semaines de congés payés. La retraite, sans diminution de rémunération, est prévue, pour le personnel ouvrier, à 56 ans et 2 mois. En fait, la hiérarchie syndicale constitue la véritable hiérarchie dans l'entreprise.
Vivier de militants purs et durs ayant cependant su s'aménager le confort douillet d'une nomenklatura à la française, la section des Messageries du syndicat du Livre reste donc l'un des fleurons du Parti communiste. Avec les dockers, l'EDF et quelques fiefs municipaux.
Anne Derville Le Choc du Mois mai 1990.
Pour en savoir plus:
Le syndicat du Livre ou la mainmise communiste sur la presse, par Francis Bergeron, 1989, Ed. Difralivre, 128 pages,
En décembre dernier, la grèves des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne a perturbé pendant près de trois semaines la distribution des quotidiens. A cette occasion, le public a pu découvrir quelques particularités des pratiques syndicales dans ce secteur d'activité, et plus généralement dans le secteur de l'édition et de la diffusion de la presse: mainmise communiste sur l'outil de travail, possibilité, avec une poignée d'hommes, d'interdire l'information écrite des Français pendant toute une période, violences systématiques à l'égard des non-grévistes, statut en or massif de ces ouvriers du Livre.
Cette situation dure en fait depuis 1945. Mais l'affaiblissement du Parti communiste et l'écroulement des régimes de l'Est, donnent aujourd'hui à certains patrons de presse le courage de révéler ce qui n'était qu'un secret de polichinelle dans le petit monde des professionnels tout en restant un sujet tabou: la situation exceptionnellement atypique régnant dans le secteur de l'édition et de la diffusion de la presse, du fait du syndicat du Livre.
Tout commence en 1945. On connaît la célèbre formule de Jean-Baptiste Doumeng : « Qu'est-ce qui est le plus important ? Avoir quatre ministres au gouvernement, ou tenir les ports, l'EDF, les chemins de fer ? ». C'est un raisonnement de cette nature qui conduit le Parti communiste, cette année-là, à mettre la main sur bon nombre de journaux, en spoliant leurs anciens propriétaires et à s'emparer des Messageries Hachette de diffusion.
A cette époque, l'influence de la presse écrite reste primordiale. La télévision n'existe pas, la radio n'est pas encore le grand média qu'il deviendra par la suite. Qui tient la presse écrite, tient l'information des Français.
Un Yalta de la presse
C'est pourquoi à la Libération, les Messageries Hachette, accusées d'avoir « travaillé avec les nationaux-socialistes », sont réquisitionnées, et les biens du groupe mis sous administration provisoire.
A cette époque, des dizaines de journaux communistes sont créés ou ressuscités. Peu importe qu'ils aient un énorme pourcentage d'invendus: les militants communistes sont persuadés que le Grand Soir est pour bientôt.
En parallèle, les effectifs des Messageries sont démesurément gonflés. Le comité de gestion est aux mains du PC, qui place ses hommes, allant jusqu'à créer artificiellement des services pour placer des militants. En quelques mois, l'entreprise passe de 3 800 à 7 000 personnes. Avec le rapatriement des prisonniers français d'Allemagne, les effectifs gonflent encore, car les Messageries deviennent le point de chute des cadres du PC n'ayant pas de travail, ou destinés à jouer un rôle de permanents.
Mais au fil des mois, les dettes des Messageries s'alourdissent. En particulier à l'égard de la Sécurité sociale. Le Grand Soir se fait attendre, et les patrons de presse tentent de s'organiser à l'extérieur des Messageries. En novembre 1946, une expertise, demandée par le Syndicat de la presse parisienne, révèle les aberrations de gestion des Messageries. On découvre en particulier qu'aucun bilan n'a été établi, que les Messageries ne payent plus les éditeurs, qu'elles font de la « cavalerie », que la dette à l'égard de la Sécurité sociale atteint déjà 44 millions de francs. c'est la fin des Messageries à 100 % communistes.
1 600 agressions en deux ans
Les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), qui bénéficient encore aujourd'hui d'un monopole de fait dans la distribution de la presse, sont nées d'un Yalta entre les éditeurs de journaux, avec comme chef de file le groupe Hachette et le syndicat du Livre CGT, communiste.
Près de 45 ans plus tard, c'est toujours sur ce système que fonctionnent les NMPP.
Deux cents militants - pas plus - contrôlent les trois mille ouvriers du Livre qui travaillent (ou qui sont censés travailler) dans ce secteur. En fait, le syndicat du Livre fait de ce personnel, et du personnel des imprimeries, le noyau dur de son action militante.
Comment le Parti a-t-il réussi à conserver intact ou quasiment intact son pouvoir dans ce secteur ? Par des pratiques systématiques d'intimidation et de violence physique. Et ceci en toute impunité.
En 1975, un conflit oppose Emilien Amaury et l'équipe du Parisien libéré au syndicat du Livre. Le conflit semble d'origine purement professionnelle. Mais il se produit peu après que le chef du département international du Parti communiste d'Union soviétique, Boris Ponomarev, a publié une circulaire en direction des partis frères, leur demandant d'œuvrer à la liquidation des journaux « bourgeois » influents dans la classe ouvrière. Le Parisien libéré correspond bien, à la définition qu'a donné Boris Ponomarev d'un journal « bourgeois » influent dans la classe ouvrière. Il tire à l'époque à plus d'un million d'exemplaires.
Comment expliquer autrement qu'un conflit du travail minime ait pu durer deux ans et demi ?
Pendant trente mois, Le Parisien libéré va subir un assaut en règle du Parti communiste et de la CGT du Livre. 1 600 agressions (passages à tabac, attaques de commissariat de police où sont réfugiés des non-grévistes, enlèvements, tortures, destructions de journaux, destructions de camionnettes) seront commises.
L'attaque de la Bourse par un commando CGT provoque la mort de deux personnes. Dans la nuit du 5 au 6 juin 1975, après une importante manifestation de la CGT du Livre et du Parti communiste contre Le Parisien libéré, et contre Force Ouvrière dont les militants assurent l'édition d'un mini-Parisien libéré, des bombes explosent aux domiciles d'André Bergeron et de Bernard Cabanes. Celui-ci est le rédacteur en chef du Parisien libéré. Bergeron sort indemne de l'attentat. Cabanes meurt. Les tueurs ont confondu Bernard Cabanes, rédacteur en chef de l'AFP, et Bernard Cabanes, rédacteur en chef du Parisien libéré.
Les auteurs de cet attentat ne seront jamais identifiés. Mais plus fort encore, aucune des 1 600 agressions ne donnera lieu à des poursuites. Le conflit du Parisien libéré se termine avec la mort mystérieuse (accidentelle ?) d'Emilien Amaury. Le patron du Parisien est retrouvé, dans la forêt de Chantilly, la poitrine fracassée, le crâne défoncé. Mauvaise chute de cheval ... ? Le drame n'a pas eu de témoins.
Dans les ateliers de tri des NMPP, se syndiquer ailleurs qu'à la CGT du Livre relève de l'héroïsme. De temps à autre, un kamikaze prend sa carte de Force ouvrière, de la CFDT ou de la CFTC, et tente de faire du prosélytisme. Dès qu'il est repéré, il est muté par la direction, voire renvoyé, sur ordre de la CGT, avant ou après tabassage.
La recherche du « non conflit»
Cette puissance du syndicat du Livre lui permet non seulement une emprise sur le personnel, mais aussi un certain pouvoir de contrôle et de censure sur le contenu rédactionnel des journaux diffusés, en particulier sur tout ce qui touche à sa propre activité et aulits de la presse. L'objectif des Nouvelles messageries de presse, comme de beaucoup de patrons de presse, c'est la recherche du zéro conflit, quel que soit le prix social à payer. Pourquoi un comportement aussi laxiste ? Parce que le journal est une denrée particulièrement périssable. Un retard de deux heures pour un quotidien signifie une baisse de 30 à 50 % des ventes, un retard d'une journée pour un hebdomadaire de télévision peut signifier la perte de 90 % de ses lecteurs. Cette extrême sensibilité aux mouvements d 'humeur du syndicat du Livre explique pour partie la connivence qui peut sembler exister et qui existe bien dans les faits entre la direction des NMPP et la CGT du Livre. Connivence qui a fait dire aux juges de référé dans une ordonnance rendue le 16 janvier 1989, que la direction des NMPP faisait preuve de « docilité » à l'égard de la CGT du Livre, et cherchait à « ne pas déplaire » au syndicat communiste.
La flagornerie de La Croix
Cette docilité, c'est, paraît-il, le prix à payer pour une vraie paix sociale.
Le syndicat du Livre bénéficie donc d'un puissant levier pour agir sur les directions des journaux. En décembre 1986, par exemple, la CGT du Livre lance une campagne sur le thème « Imprimons français », campagne contemporaine, curieusement, de celle du PCF sur le même thème, lui qui ne se prive cependant pas pour faire imprimer nombre de ses publications dans une Europe de l'Est encore communiste à l'époque. Cette campagne de la CGT du Livre fut appuyée par des communiqués de presse. Les journaux qui ne passèrent pas le communiqué furent retardés à la vente ou empêchés de parution. Le quotidien La Croix, lui, ne voulut pas courir un tel risque, et poussa même la flagornerie jusqu'à publier le dit communiqué sur trois colonnes avec un gros titre en page « Culture médias ». Même les gros bras du Livre CGT n'en demandaient pas tant!
Pendant le conflit de l'imprimerie Jean Didier, L'Événement du jeudi, l'hebdomadaire de Jean-François Kahn qui y est imprimé, est pris pour cible par les commandos du Livre. 300 000 exemplaires sont détruits le 14 janvier 1988. Coût pour L'Événement du jeudi : deux millions de francs.
Même scénario le 20 juillet 1988 ; mais quand M. Kahn, « esprit libre », « ni de gauche ni de droite », veut expliquer la situation à ses lecteurs, il prend mille précautions oratoires pour ne pas froisser la susceptibilité des ouvriers du Livre. Et voici ce que cela donne : " Des commandos d'individus se prétendant évidemment à tort syndicalistes du Livre - ce qui n'est pas crédible, vu les méthodes fascisantes employées ont attaqué les camions qui transportaient les exemplaires de notre hebdomadaire et ont systématiquement détruit le contenu. " Arrêtons-nous un instant sur ce texte de Jean-François Kahn : aurait-il employé aussi ce langage codé si les commandos étaient venus de la droite ?
Ouvriers millionnaires
Aux NMPP, qui comptent 3 000 ouvriers sur un total de 5 000 salariés, le salaire moyen mensuel était en 1987 de 17 054 F ! La catégorie des cyclistes était particulièrement bien lotie avec un salaire moyen de 20 611 F par mois ! Ceci pour une durée de travail théorique de 35 heures, et une durée réelle souvent plus proche de 24 heures par semaine, et avec 8 à 9 semaines de congés payés. La retraite, sans diminution de rémunération, est prévue, pour le personnel ouvrier, à 56 ans et 2 mois. En fait, la hiérarchie syndicale constitue la véritable hiérarchie dans l'entreprise.
Vivier de militants purs et durs ayant cependant su s'aménager le confort douillet d'une nomenklatura à la française, la section des Messageries du syndicat du Livre reste donc l'un des fleurons du Parti communiste. Avec les dockers, l'EDF et quelques fiefs municipaux.
Anne Derville Le Choc du Mois mai 1990.
Pour en savoir plus:
Le syndicat du Livre ou la mainmise communiste sur la presse, par Francis Bergeron, 1989, Ed. Difralivre, 128 pages,
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire