Il y a tout juste cent ans, le gouvernement de Léon Bourgeois de la IIIe République propose aux épargnants français de placer leurs économies dans un emprunt russe. Il remporte un énorme succès populaire. A juste titre, car il est garanti par deux Etats : la Russie et la France. Pourtant les épargnants devront vite déchanter. La révolution bolchevique ne voudra jamais reconnaître cet engagement. Même après la chute du communisme, des négociations interminables n'ont permis qu'un geste symbolique aux derniers détenteurs des titres.
C'est une affaire qui mérite d'être rappelée car elle démontre qu'en toutes circonstances, il ne faut jamais faire confiance à l'Etat!
A priori, il n'y avait aucune raison pour que la République française aide l'Empire des Tsars à satisfaire ses immenses besoins en capitaux d'investissement. Les deux régimes, dans une Europe quasi entièrement monarchique à la fin du XIXe siècle, étaient à l'opposé l'un de l'autre. La France, pour le compte de la Turquie, avait attaqué en 1854-1855 la Russie (guerre de Crimée) et, bien entendu, Moscou était restée neutre lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Mais la grande méfiance réciproque entre Berlin et Paris par la suite pouvait se transformer en crise grave à tout moment. Les Français, face à la très grande supériorité du Reich à tous les points de vue, cherchaient désespérément des Alliés. Sans beaucoup d'espoir, et afin de créer un front éventuel à l'arrière de l'Allemagne, ils se tournèrent vers les Russes, peu enthousiastes. En octobre 1888, la France (président du conseil Charles Floquet) offrit un premier prêt bancaire de 500 millions de francs or aux Russes. Le geste était important, mais pas suffisant.
Un acte patriotique
A la suite de circonstances diverses, dont la lutte commune contre le terrorisme anarchiste, et des erreurs commises par l'empereur Guillaume II, après qu'il eut «démissionné» le chancelier Bismarck, un rapprochement de plus en plus chaleureux débuta. Il prit l'aspect d'une coopération militaire. Là-dessus, il y eut la guerre entre le mikado et le tsar, au cours de laquelle les Français restèrent passifs. Battue par le Japon en 1905, victime de terribles troubles révolutionnaires, la Russie, bien qu'ulcérée,n'avait pas le choix. Elle se tourna vers la IIIe République, afin de relancer son économie durement touchée. Mais une double opposition se dressa: les révolutionnaires russes, et la gauche parisienne.
Les anti-tsaristes russes souhaitaient la ruine du régime, afin de renverser «l'autocrate». Il fallait donc empêcher toute aide étrangère, ou au moins la lier à des conditions politiques humiliantes pour Nicolas II. Le parti socialiste français, et en particulier Jean Jaurès, appuyaient à fond les exigences de l'opposition russe, entendant bloquer l'emprunt sollicité par la Russie sur notre marché financier, et qui s'élevait alors à 1 milliard 250 millions de francs or. En avril 1906, le président du conseil Léon Bourgeois passait outre aux adversaires de l'accord, en donnant son autorisation. Ce qui entraînait automatiquement une double garantie aux épargnants: celle de Paris, et celle de Moscou. L'enthousiasme populaire fut indescriptible. Les souscripteurs se bousculèrent, car ils avaient conscience, à la fois de faire une bonne affaire, et d'accomplir un acte patriotique, protéger la France contre le risque de guerre, en s'assurant un allié reconnaissant à l'Est. ils furent environ 1 500 000 à prendre des actions russes, pour un total de 12 milliards 500 millions de francs or.
La fureur des opposants russes était extrême. Maxime Gorki, célèbre écrivain, s'exprima ainsi : « Voilà donc ce que tu as fait, toi France, mère de la Liberté ! Ta main vénale a fermé à tout un peuple la voie de l'indépendance! » (cité par Nicolas Tandler, in Les secrets de Lénine, p.33, Ed. Dualpha, 2006).
Tout alla bien jusqu'au coup d'Etat de Lénine en novembre 1917. A peine au pouvoir, les bolcheviques annulent, le 3 février 1918, tout remboursement de l' emprunt. Devant la menace, signifiée dès le 23 novembre 1917, le gouvernement de Paris avait garanti le paiement des titres le 19 janvier 1918. Il ne pouvait faire autrement, vu la guerre en cours. Mais, sitôt la paix revenue, les épargnants sont abandonnés. Ce n'est qu'en 1996, quatre- vingt-dix années après 1906, qu'un accord avec la Russie nouvelle accordera un pitoyable dédommagement aux descendants ayant conservé leurs titres familiaux.
Alexandre Martin : National Hebdo février 2006.
C'est une affaire qui mérite d'être rappelée car elle démontre qu'en toutes circonstances, il ne faut jamais faire confiance à l'Etat!
A priori, il n'y avait aucune raison pour que la République française aide l'Empire des Tsars à satisfaire ses immenses besoins en capitaux d'investissement. Les deux régimes, dans une Europe quasi entièrement monarchique à la fin du XIXe siècle, étaient à l'opposé l'un de l'autre. La France, pour le compte de la Turquie, avait attaqué en 1854-1855 la Russie (guerre de Crimée) et, bien entendu, Moscou était restée neutre lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Mais la grande méfiance réciproque entre Berlin et Paris par la suite pouvait se transformer en crise grave à tout moment. Les Français, face à la très grande supériorité du Reich à tous les points de vue, cherchaient désespérément des Alliés. Sans beaucoup d'espoir, et afin de créer un front éventuel à l'arrière de l'Allemagne, ils se tournèrent vers les Russes, peu enthousiastes. En octobre 1888, la France (président du conseil Charles Floquet) offrit un premier prêt bancaire de 500 millions de francs or aux Russes. Le geste était important, mais pas suffisant.
Un acte patriotique
A la suite de circonstances diverses, dont la lutte commune contre le terrorisme anarchiste, et des erreurs commises par l'empereur Guillaume II, après qu'il eut «démissionné» le chancelier Bismarck, un rapprochement de plus en plus chaleureux débuta. Il prit l'aspect d'une coopération militaire. Là-dessus, il y eut la guerre entre le mikado et le tsar, au cours de laquelle les Français restèrent passifs. Battue par le Japon en 1905, victime de terribles troubles révolutionnaires, la Russie, bien qu'ulcérée,n'avait pas le choix. Elle se tourna vers la IIIe République, afin de relancer son économie durement touchée. Mais une double opposition se dressa: les révolutionnaires russes, et la gauche parisienne.
Les anti-tsaristes russes souhaitaient la ruine du régime, afin de renverser «l'autocrate». Il fallait donc empêcher toute aide étrangère, ou au moins la lier à des conditions politiques humiliantes pour Nicolas II. Le parti socialiste français, et en particulier Jean Jaurès, appuyaient à fond les exigences de l'opposition russe, entendant bloquer l'emprunt sollicité par la Russie sur notre marché financier, et qui s'élevait alors à 1 milliard 250 millions de francs or. En avril 1906, le président du conseil Léon Bourgeois passait outre aux adversaires de l'accord, en donnant son autorisation. Ce qui entraînait automatiquement une double garantie aux épargnants: celle de Paris, et celle de Moscou. L'enthousiasme populaire fut indescriptible. Les souscripteurs se bousculèrent, car ils avaient conscience, à la fois de faire une bonne affaire, et d'accomplir un acte patriotique, protéger la France contre le risque de guerre, en s'assurant un allié reconnaissant à l'Est. ils furent environ 1 500 000 à prendre des actions russes, pour un total de 12 milliards 500 millions de francs or.
La fureur des opposants russes était extrême. Maxime Gorki, célèbre écrivain, s'exprima ainsi : « Voilà donc ce que tu as fait, toi France, mère de la Liberté ! Ta main vénale a fermé à tout un peuple la voie de l'indépendance! » (cité par Nicolas Tandler, in Les secrets de Lénine, p.33, Ed. Dualpha, 2006).
Tout alla bien jusqu'au coup d'Etat de Lénine en novembre 1917. A peine au pouvoir, les bolcheviques annulent, le 3 février 1918, tout remboursement de l' emprunt. Devant la menace, signifiée dès le 23 novembre 1917, le gouvernement de Paris avait garanti le paiement des titres le 19 janvier 1918. Il ne pouvait faire autrement, vu la guerre en cours. Mais, sitôt la paix revenue, les épargnants sont abandonnés. Ce n'est qu'en 1996, quatre- vingt-dix années après 1906, qu'un accord avec la Russie nouvelle accordera un pitoyable dédommagement aux descendants ayant conservé leurs titres familiaux.
Alexandre Martin : National Hebdo février 2006.
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