lundi 18 juin 2007

De Gaulle mon père, roman ou vérités historiques ?

Regard sur l'histoire
De Gaulle mon père, roman ou vérités historiques ?
Entretien avec Henri-Christian Giraud.

Petit fils du général Giraud, historien et journaliste, il a pris l'initiative d'une « Réplique » à paraître aux éditions du Rocher (l'entretien date de 2004).

Nouvelle Revue d'Histoire : Pourquoi cette « réplique » collective à l'amiral De Gaulle que vous publierez en juin aux éditions du Rocher ?

H-CG : Parce qu'on assiste une fois de plus, par le biais, cette fois, du dépositaire officiel du gaullisme à une réédition des « Comtes et légendes du gaullisme » visant à faire du général De Gaulle une sorte de chevalier blanc doublé d'un martyr incompris et persécuté tout au long de sa vie militaire. Je n'ai rien contre les chevaliers ni contre les martyrs mais, si De Gaulle est intéressant et si, personnellement, il m'intéresse depuis si longtemps, c'est justement dans la mesure où il est un machiavélien de haute volée, formidable architecte de sa statue, ce qui n'est pas précisément le propre d'un chevalier ou d'un martyr... Grâce à la libération des archives et au courage de certains chercheurs, on sortait enfin du champ clos de l'histoire officielle, uniformément gaullo-communiste, pour aborder en adulte une histoire autrement complexe. Or, voilà que l'on subit avec, De Gaulle, mon père une entreprise d'infantilisation, tant sur la forme à cause des innombrables erreurs factuelles qu'il contient, que sur le fond à cause de ses travestissements de la vérité historique et de son lot de médisances à l'égard de ceux qui n'ont pas suivi et servi aveuglément le général De Gaulle.

NRH : L'amiral n'est pas historien...

H-CG : Sans doute, mais il parle d'une histoire qu'il prétend connaître parce qu'il en a été le contemporain et, qui plus est, compte tenu de sa situation familiale, le contemporain privilégié. Quand on porte un nom qui appartient à l'histoire, on se doit de la raconter correctement, sinon on risque de se servir de sa notoriété pour abuser les lecteurs non spécialisés.

NRH : Par exemple ?

H-CG : Par exemple, en vrac, il fait de Staline le fils d'un « bottier de luxe », d'Eisenhower, en 1947, le commandant en chef de l'Otan qui ne sera créée que deux ans plus tard et dont il ne prendra la direction qu'en 1951, ou de Gamelin, simple commandant en 1914, le chef d'état-major de Joffre, il confond l'Abwehr et le SIPO/SD, le MI 6 (le service de renseignement britannique) avec le M16 (le fusil d'assaut américain), il avance que la France comptait 400 divisions en 1918 (en réalité 103), qu'elle en a engagé soixante pendant la guerre du Rif (en réalité 6 avec les services), que l'armée américaine ne comptait que 130.000 hommes en 1941 (en réalité 1.500.000), il soutient que le général De Gaulle a appris l'arrestation de Jean Moulin une vingtaine de jours après la conférence d'Anfa (soit en février 1943 alors que le drame de Caluire a eu lieu en juin suivant), que la tradition est de chanter un Magnificat à Notre-Dame en cas de victoire (en réalité un Te Dum), et j'en passe...
Comme on le voit, il s'agit d'erreurs de tous ordres et de tous calibres, mais dont certaines ne laissent pas d'étonner de la part d'un officier général ! Et qui amènent en tout cas à relativiser sérieusement la crédibilité de ses témoignages sur des sujets sensibles.

NRH : En quoi De Gaulle fait-il de son père une victime, un persécuté de sa hiérarchie ?

H-CG : Le 5 janvier 1919, le capitaine De Gaulle est envoyé à un cours de commandement de compagnie à Saint-Maixent... Vous imaginez son humeur ! Son moral est au plus bas et il pense même à quitter l'armée, dit l'amiral. Or on cherche en vain dans les Lettres, Notes et Carnets la plus petite trace de déception. Au contraire ! « Tout va bien ici pour moi : Au point de vue moral, je renais en quelque sorte, me voyant rentré dans l'existence militaire », écrit le capitaine De Gaulle dans une lettre à sa mère datée du 25 janvier 1919. D'ailleurs, on ne voit pas en quoi ce stage destiné à remettre à flot des officiers revenant de captivité, mais tous de l'active, pouvait passer pour un brimade : entre le moment de sa capture en mars 1916 et la fin de la guerre, sont apparus le canon de 37 d'infanterie, le fusil-mitrailleur et le char d'assaut dont l'armée française possédait plus de trois mille exemplaires fin 1918. C'était quand même bien le moins qu'un capitaine apprît à en tirer parti à son niveau hiérarchique bien sûr ! D'ailleurs, preuve qu'il en voit lui même la nécessité, c'est ce qu'il écrit à sa mère pour s'en féliciter : « Ce qui est apparu comme engins nouveaux et leur emploi, tel est l'objet de mes études. Quand elles seront terminées, je me vois parfaitement apte au commandement sans aucune infériorité d'aucune sorte. » Je pourrais multiplier les exemples, mais pour en finir avec ce thème du martyr, notons que De Gaulle est promu lieutenant-colonel en 1933, fait officier de la Légion d'honneur en 1934 et nommé colonel en 1937, à 47 ans, ce qui en fait un des plus jeunes colonels de l'armée française. Comme persécutions, on a vu pire !

NRH : Dans votre préface à cette réplique à l'amiral De Gaulle, vous dites aussi mettre en évidence des manipulations...

H-CG : Non seulement, l'amiral De Gaulle n'hésite pas à faire dire à son père ce que ce dernier n'a matériellement pas pu dire -ce qui serait risible si cela ne tournait à la calomnie dans le cas d'Alexis Léger (alias Saint-John Pers) accusé tout simplement d'« avoir nui à la France »-, mais il lui fait dire le contraire de ce qu'il a dit ou écrit. Ainsi l'amiral attribue l'initiative de la malheureuse guerre franco-française de Syrie aux Anglais qui, précise-t-il, profitant d'une accalmie en Égypte, « décident de régler son affaire à Dentz » et, au contraire, il attribue un rôle de suiveur au chef de la France libre en lui faisant dire notamment (p.243) : « Je ne peux alors évidemment pas les laisser faire seuls, faute de perdre le mandat de la France sur les États du Levant. » Or le général De Gaule s'est exprimé deux fois sans ambiguïté pour revendiquer son initiative dans cette opération. D'abords dans son discours du 2 juin 1945 : « La France, en 1941, fut amenée à faire entrer les troupes de sa fraction libre dans cette Syrie qui était alors sous le régime de Vichy et allait être livrée aux influences allemandes. La France en prit l'initiative, car c'est la France libre qui prit l'initiative d'entrer en Syrie en 1941 en y entraînant l'Angleterre. L'histoire établira la chose sur documents. » puis dans ses Mémoires de Guerre en 1954 : « Convaincu que la temporisation risquait de coûter cher, je crus devoir à mon tour impressionner les Anglais... l'ennemi lui aussi jouait grand jeu. Le Cabinet de Londres jugea que, dans ces conditions, mieux valait se ranger à ma manière de voir. Le retournement fut soudain et complet. » On ne saurait être plus clair. Sur ce sujet précis, l'amiral De Gaule a donc eu l'occasion et d'entendre son père et de le lire. Ses erreurs lui appartiennent, mais ses manipulations nous concernent tous. L'institut Charles De Gaulle serait en droit de lui demander des explications !

NRH : Le général Giraud est particulièrement visé par l'amiral De Gaulle. Pourquoi cette offensive, aujourd'hui, contre votre grand-père ?

H-CG : Cette offensive contre Giraud s'inscrit dans une offensive globale visant tous ceux qui ne se sont pas mis, corps et âmes, au service de l'entreprise gaulliste hors de laquelle l'histoire officielle établit qu'il n'y a pas eu de résistance. La Résistance était gaulliste ou communiste -alliance avec Moscou oblige- où elle n'était pas. Sur le terrain, cet impératif catégorique s'est traduit concrètement. Dans le tome 2 de son Livre du courage et de la peur, Rémy le dit sans fard : « Je donne l'ordre d'abattre sans discussion tous les émissaires de Giraud que mes adjoints pourraient rencontrer dans la métropole. » Je rappelle le contexte : nous sommes au début de 1943, l'Allemand occupe la France et l'armée française commandée par Giraud, qui a obtenu pour elle à Anfa un réarmement à l'américaine, participe avec héroïsme à la bataille de Tunisie au cours de laquelle elle va perdre près de 10.000 hommes, l'équivalent (dixit Juin) de toutes les forces gaullistes réunies ! Parallèlement, l'ORA, l'Organisation de Résistance de l'Armée d'obédience giraudiste connaît un développement rapide en métropole. Or, pendant ce temps-là, à Londres, on raisonne en termes de rivalité, de concurrence ! Fondé sur la condamnation de l'armistice, une condamnation qui ne peut être qu'absolue pour lui permettre une inversion de légitimité à son profit, le gaullisme se comprend dès le début comme une entreprise politique et se déploie donc naturellement selon une logique d'exclusion ou d'élimination de tous ceux en qui il voit des concurrents, quels que soient leurs apports à la Résistance. Je ne sais pas combien de « giraudistes » Rémy (au demeurant résistant exemplaire) et les siens ont réussi à « abattre sans discussion » mais ceux que Londres n'a pas réussi à supprimer physiquement hier, l'amiral s'emploie à les éliminer moralement aujourd'hui : c'est Weygand traité de « capitulard » , Monet, d'« agent américain rétribué à la commande », Muselier, d' « agent anglais », Saint-Exupéry de « propagandiste de Vichy », le colonel Paillole, chef de notre contre-espionnage, de « vichyssois », lui dont les services, en pleine Occupation, ont fait arrêter et fusiller 47 agents allemands ! Pour ce qui concerne Giraud, je pense qu'il s'agit, après avoir avec plus ou moins de succès tenté de l'effacer des livres d'histoire, de dissuader d'évoquer son oeuvre historique que certains historiens recommencent à considérer et, ainsi, d'empêcher que l'on mette en balance les oeuvres concrètes des deux généraux pendant la guerre. En effet, dans l'imaginaire populaire conditionné par soixante ans d'histoire officielle, la libération de la Corse, la campagne d'Italie et la résurrection d'une armée française de 680.000 hommes équipés à l'américaine sont mis au compte de De Gaulle qui n'y est pratiquement pour rien quand il ne s'y est pas opposé. Les lui enlever pour les réattribuer à leur véritable auteur, Giraud, risquerait de susciter des questions dérangeantes pour certains nantis de la Libération.

Propos recueillis par Jean-Claude Valla.

1 commentaire:

P. Chosse a dit…

Bonjour, je conseille à l'auteur de cet article de relire le livre en question, et il constatera que ses propos sont une déformation de ce qu'il contient.
Cordialement