« C’est très bien que les Anglais fassent leur chemin de leur côté. Parce qu’une bonne partie des difficultés de la construction de l’Europe, depuis 40 ans, est liée à la présence de nos amis britanniques, qui n’ont jamais voulu jouer le jeu ».
Dominique Strauss-Kahn
« De mon vivant, tous nos problèmes sont venus du continent européen et toutes les solutions ont été apportées par les nations anglophones (…) Si la Grande-Bretagne se laisse entraîner dans la création d’un super État européen, son orientation atlantique disparaîtra, peut-être irréparablement (…) Dans ce XXIe siècle, le pouvoir dominant est l’Amérique, le langage global est l’anglais, le modèle économique est le capitalisme anglo-saxon (…) Il faut s’opposer à la France, à l’origine de toutes les tentatives pour réduire l’influence américaine en Europe. »
Lady Thatcher, Conférence à la Hoover Institution de l’Université de Stanford – Juillet 2000
L’Angleterre est le cheval de Troie de l’Amérique face à toute velléité de puissance européenne continentale. André Siegfried disait que l’Angleterre est une île entourée d’eau de toutes parts. L’Angleterre est certes favorable à l’indépendance des nations, à certaines coopérations européennes car elles correspondent à ses intérêts profonds, mais elle est fondamentalement hostile à l’Europe Puissance des Nations qui risque de se rapprocher de la Russie, et donc de défier la puissance américaine qui parle sa langue de l’autre côté du « pond ».
Les États-Unis, seconde patrie du Royaume-Uni : les relations privilégiées anglo-américaines (« Special relationship »)
La prépondérance anglaise naît en 1713, en Europe, au traité d’Utrecht, face à Louis XIV, et s’affirme au XIXe siècle face aux continentaux, en attendant d’être relayée, à partir de 1919, par la prépondérance américaine.
Patrick J. Buchanan remarque que l’Angleterre est devenue pro-américaine, à partir de 1895, lors d’une crise politique au Venezuela. Lors de la guerre hispano-américaine, le 13 août 1898, la flotte britannique a aidé les troupes américaines à s’emparer de Manille. Par la suite, l’Angleterre a systématiquement considéré les États-Unis comme une nation alliée, et jamais plus comme l’adversaire de la guerre d’indépendance des États-Unis.
Les Anglais considèrent que la Manche est plus large que l’Atlantique et que la fameuse formule de Churchill sur la solidarité atlantique l’emportera toujours sur l’appartenance à l’Europe. « Je ne veux pas que l’Europe s’érige en rivale de l’Amérique » a pu déclarer Tony Blair. Il considère également que « si le destin du Royaume-Uni est en Europe », sa relation privilégiée avec l’Amérique est tout aussi incontournable. Il n’est donc pas possible d’avoir une politique extérieure commune européenne digne de ce nom avec la Grande-Bretagne dont toute la diplomatie vise à aligner l’Europe sur les États-Unis, en qualité de valet.
On connaît la boutade de Bernard Shaw : « L’Angleterre et l’Amérique sont deux pays séparés par la même langue ». Aujourd’hui, certains se demandent si les Britanniques ne seraient pas bien inspirés de coudre une 53° étoile au drapeau américain pour y ajouter l’Angleterre et de donner à leur Premier ministre le titre de « sémillant ambassadeur » des États-Unis. Londres rêve d’être l’Athènes de la nouvelle Rome et de tenir lieu stratégiquement, géographiquement de porte-avion, d’avant-poste des États-Unis face à l’Europe, comme ce fut déjà le cas, en juin 1944, en Normandie.
Selon Valéry Giscard d’Estaing « les Britanniques ont toujours eu une hésitation à l’égard de l’Europe parce qu’ils ont le désir de garder des liens étroits avec les États-Unis, peuplés à l’origine de Britanniques ». « Quand on dit ce qui est, remarquait de Gaulle un jour, on fait scandale. Si on dit que l’Angleterre est une île, personne n’en revient. Si on dit que l’OTAN a un commandant américain, tout le monde est choqué ».
En janvier 1963, le Président Kennedy donna instruction à son secrétaire d’État Dean Rusk, d’intervenir auprès de toutes les ambassades européennes, afin de les informer que le refus de la France et de l’Allemagne d’intégrer l’Angleterre dans la CEE constituait un moyen détourné du général de Gaulle pour « casser l’OTAN » et « éliminer la présence américaine en Europe ».
L’intimité du Royaume-Uni avec les États-Unis est une évidence que la France a pu encore constater à ses dépens en 2022, lors de la rupture de l’accord avec l’Australie pour la construction de sous-marins et la création simultanée de l’alliance anglo-saxonne AUKUS.
L’arrivée dans l’UE et l’OTAN des pays baltes et plus particulièrement de la Pologne qui, ennemi héréditaire de la Russie depuis des siècles, pourrait bien être aussi le 54° État américain après la Grande-Bretagne, ne peut que renforcer l’Angleterre dans son rôle de cheval de Troie des États-Unis, même après son départ de l’UE.
Le discours de Winston Churchill à Zurich, le 19 septembre 1946
C’est le 19 septembre 1946 à Zurich que Winston Churchill a prononcé son discours célèbre sur l’avenir de l’Europe. Il a notamment déclaré que « le premier pas vers une nouvelle formation de la famille européenne doit consister à faire de la France et de l’Allemagne des partenaires. Seul, ce moyen peut permettre à la France de reprendre la conduite de l’Europe. On ne peut pas s’imaginer une renaissance de la France sans une France intellectuellement grande et sans une Allemagne intellectuellement grande ».
Quant à mon pays, le Royaume-Uni, « nous autres Britanniques, nous avons le Commonwealth » a-t-il ajouté en précisant que « la Grande Bretagne, le Commonwealth, la puissante Amérique doivent être les amis et les protecteurs de la nouvelle Europe, défendre son droit à la vie et à la prospérité ».
Les partisans de l’intégration européenne citent souvent la première partie du discours de Churchill, lorsqu’il parle d’ériger » quelque chose comme les États-Unis d’Europe », mais ils préfèrent ignorer la deuxième partie dans laquelle il est clair que le Royaume-Uni n’en serait pas membre, mais plutôt un protecteur avec le Commonwealth et les États-Unis.
L’Angleterre a toujours été opposée à l’idée européenne de puissance continentale
Historiquement, l’Angleterre a toujours combattu la Russie lorsqu’elle s’approchait des détroits des mers chaudes et menaçait son Empire, que ce soit en Afghanistan pour l’Océan indien ou pour le contrôle du détroit du Bosphore vers la Méditerranée. La guerre de Crimée (1853-1856) était la guerre de l’Angleterre contre la Russie pour éviter l’effondrement complet de l’Empire ottoman dont la Russie aurait tiré profit ; la France de Napoléon III s’est fourvoyée dans une guerre qui n’était pas la sienne.
Il importe de se souvenir également du refus anglais de participer à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1950, du mépris affiché envers la Conférence de Messine en 1955, de la fondation d’une zone de libre-échange concurrente du Marché Commun. En 1957, un froid calcul coût -avantages avait conduit les Anglais à demeurer à l’écart du Traité de Rome, leurs tentatives pour le torpiller ayant échoué. En ce sens l’Angleterre ne faisait que suivre la réplique cinglante de Winston Churchill à de Gaulle : « Chaque fois qu’il nous faudra choisir entre le continent et le grand Large, nous serons toujours pour le grand Large ».
Constatant la puissance du Marché commun, Londres se ravisa bientôt. Harold Mac Millan avait pu dire à de Gaulle en 1959 : « Le Marché commun, c’est pour nous le retour du blocus continental. Nous nous y opposerons par tous les moyens, y compris la guerre ». Après deux vétos du général de Gaulle en 1963 et en 1967, le conservateur Edward Heath, malgré l’hostilité de certains de ses compatriotes, obtint en 1973 de Georges Pompidou l’adhésion à la CEE.
Le Royaume-Uni a toujours suivi une politique du beurre et de l’argent du beurre à l’égard de la construction européenne. « J’y suis, sans y être » a semblé, de 1949 à 2019, constituer la devise cachée des gouvernements britanniques à l’égard de la construction européenne. De plus, l’Angleterre a toujours défendu l’élargissement de l’UE au détriment de son approfondissement, afin de la diluer davantage dans l’espace et de l’affaiblir. (À suivre)
Marc Rousset – Auteur de « Notre Faux Ami l’Amérique/Pour une Alliance avec la Russie » -Préface de Piotr Tolstoï – 370p – Librinova – 2024
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