En guerre depuis juillet 1870 contre la Prusse, le Second Empire tombe à la défaite de Sedan, le 2 septembre 1870 et Napoléon III se voit contraint de s’exiler en Grande-Bretagne. En effet, à peine deux jours plus tard, la République est proclamée à Paris, après que celle-ci ait été proclamée à Lyon et Marseille. Mais la guerre continue, et les Prussiens atteignent, victoires après victoires, les bords de la Seine. Le siège de la capitale débute le 19 septembre.
La Prusse entendant traiter avec un gouvernement légitime, des élections législatives sont organisées en février 1871 et, à la surprise générale, aboutissent à la victoire des monarchistes (près de 400 sièges, plus de 58 % des voix) : si les grandes villes accordent leurs voix aux républicains, les campagnes sont restées attachées aux valeurs traditionnelles. Le blanquiste Gaston Crémieux s’exclame : « Majorité rurale, honte de la France ! »
La paix est signée par le nouveau gouvernement royaliste (1er mars), qui appelle Adolphe Thiers au pouvoir en tant que président, en attendant un accord pour une Restauration monarchique. Les Parisiens ultra-républicains, ayant subi le dur siège des Prussiens, sont scandalisés par le résultat des urnes et par cette « lâche » capitulation.
I. La révolution parisienne
Le 1er mars, en échange de la conservation du territoire de Belfort, qui s’est vaillamment défendu, Adolphe Thiers accepte que les Prussiens défilent sur les Champs Elysées, événement vécu comme une humiliation par les Parisiens. La nouvelle Assemblée prend d’autres mesures impopulaires : suppression du moratoire des effets de commerce, des loyers et des dettes, qui acculent à la ruine plusieurs milliers d’artisans ou d’ouvriers. Ultime humiliation : l’Assemblée décide de s’installer à Versailles, symbole de l’Ancien Régime, se méfiant d’une capitale instable (« chef-lieu de la révolte organisée » dit un orateur).
Dès la mi-mars, l’agitation se fait croissante et commence à se structurer. La Garde nationale (180 000 hommes), recrutée lors du siège, a gardé ses fusils et canons, et est plus importante en effectifs que les troupes officielles commandées par le général Aurelle de Paladines. Cette Garde nationale s’organise et forme un Comité central. Au programme, la défense de la République : « La République est le seul gouvernement possible. Elle ne peut être mise en discussion […]. La République française d’abord, puis la République universelle […] ».
Adolphe Thiers voit le danger venir (un peu tard) et, le 18 mars, demande à 4000 hommes de récupérer les canons placés pour l’essentiel sur la butte Montmartre, alors non surveillée. Mais l’opération prend du retard, et les Parisiens sont alertés. C’est un échec. Les généraux Lecomte et Thomas sont faits prisonniers puis massacrés dans un local par la foule parisienne. A la suite de ce double assassinat, Thiers déclare la guerre à Paris : « On ne traite pas avec des assassins ». Le 18 mars, le Comité central s’installe à l’Hôtel de Ville et y dresse le drapeau rouge.
Dans la capitale, le 21 mars, une manifestation de soutien aux Versaillais est écrasée dans le sang par les révolutionnaires. Le 23 mars, l’Assemblée versaillaise vote à 433 voix contre 29 la création en province de bataillons de volontaires pour marcher sur Paris.
Les révolutionnaires organisent des élections le 26 mars pour s’asseoir sur une certaine légitimité : si les révolutionnaires l’emportent avec 66 sièges sur 85, l’abstention est supérieure à 50 %, ce qui s’explique par le fait que près de 100.000 Parisiens aient quitté la capitale depuis le début des événements. Les élus les plus modérés démissionnent rapidement. Le 28 mars, la Commune de Paris est proclamée place de l’Hôtel de Ville. Le 16 avril se tiennent des élections complémentaires (70 % d’abstentions) et douze élus rejoignent le Conseil.
Quelques personnalités cherchent à trouver un compromis entre Versailles et la Commune (Gambetta, Clémenceau, Victor Hugo,…) mais ils se heurtent aux deux partis.
Quant à Adolphe Thiers, il préfère attendre avant de prendre d’assaut la capitale. Il a retenu la leçon des révolutions de 1830 et de 1848 et sait qu’il ne faut pas épuiser la troupe dans des escarmouches et guet-apens. Comme Morny l’avait fait pour Louis-Napoléon Bonaparte après le 2 décembre 1851, il préfère laisser se développer l’insurrection pour mieux l’écraser ensuite.
La mise en place d’un gouvernement parisien
Le Conseil de la Commune se comporte en un gouvernement ayant rompu avec le gouvernement légal de Versailles, se dotant par exemple d’une commission des relations extérieures. Il est composé de membres de tendances idéologiques diverses : un certain nombre d’internationalistes (17), une douzaine de socialistes proches des internationalistes, 9 blanquistes sans Blanqui (arrêté le 17 mars et prisonnier à Cahors) et une majorité de républicains de gauche. Il s’y trouve le peintre Gustave Courbet, le romancier Jules Vallès et le chansonnier Jean-Baptiste Clément. Dans ce Conseil, des fanatiques comme Raoul Rigault, chef de la police, qui se refuse de prononcer le mot “saint” et que l’on dit capable de citer le jour et l’heure de n’importe quelle réplique de Robespierre ou de Saint-Just. Un certain Allix entre d’office au Conseil pour son projet (pris au sérieux) de communiquer avec la province par le biais des escargots, auxquels il confère des dons télépathiques (il ne sera pas exécuté mais finira ses jours dans un asile psychiatrique).
Quelques mesures fortement symboliques sont prises : rétablissement du calendrier républicain, adoption du drapeau rouge, destruction de la colonne Vendôme (qualifiée de “monument de barbarie”) entamée le jour du 50e anniversaire de la mort de Napoléon Ier (5 mai 1871).
La Commune et les francs-maçons
Les francs-maçons s’impliquent largement dans la défense de la Commune de Paris. Le 26 avril, le Grand Orient de France envoie une délégation pour adhérer à la révolution. Le 29, ils plantent une bannière de paix puis clament que si Versailles refuse cette paix ils prendraient parti pour la Commune, les armes à la main. Louise Michel parle dans ses Mémoires de 6000 francs-maçons défilant à Paris, représentant plusieurs milliers de loges !
Le 5 mai, les différentes loges se mettent d’accord sur une déclaration commune : « Les francs-maçons sont des hommes de paix, de concorde, de fraternité, d’étude, de travail ; ils ont toujours lutté contre la tyrannie, le despotisme, l’hypocrisie, l’ignorance. […] Attendus que les efforts des francs-maçons ont été trois fois repoussés par ceux-là mêmes qui ont la prétention de représenter l’ordre, et que leur longue patience est épuisée, tous les francs-maçons et compagnons doivent prendre l’arme vengeresse et crier : « Frères debout ! Que les traîtres et les hypocrites soient châtiés. » […] Frères en maçonnerie et frères compagnons, nous n’avons plus à prendre d’autre résolution que celle de combattre et de couvrir de notre égide sacrée le côté du droit.
Sauvons Paris ! Sauvons la France ! Sauvons l’humanité ! […] Vive la République ! Vivent les Communes de France fédérées avec celle de Paris ! »
II. L’idéologie communarde : socialisme, anticléricalisme et décentralisation
Quelques réalisations sociales
Le 19 avril, la Commune annonce son programme dans sa Déclaration au peuple français : « C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles et des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage. » Le Comité central adopte plusieurs mesures sociales dont la réduction de la journée de travail à 10 heures, la fin du travail de nuit dans les boulangeries, le rétablissement du moratoire des loyers et des effets de commerce, l’abolition des amendes patronales et des retenues sur salaire. La Commune procède à une réquisition des ateliers abandonnés par leurs patrons (assimilés à des déserteurs). Un cahier des charges avec indication de salaire minimum est institué. L’union libre est reconnue pour les hommes et les femmes.
L’anticléricalisme communard
Pour les Communards, l’Église apparaît à tous points de vue dans le camp de la contre-révolution versaillaise. Cette haine anticléricale se manifeste par des humiliations à l’égard des membres du clergé revêtant plusieurs formes : parodies de culte ou vases sacrés utilisés comme des gobelets. Certains crimes sont imputés à l’Église comme ces ossements découverts à l’église Saint-Laurent que l’on interprète arbitrairement comme des restes de femmes violées puis assassinées par des prêtres. A partir du 24 mai, un certain nombre de clercs passent par les armes, à commencer par Mgr Daboy, archevêque de Paris et l’abbé Deguerry, ancien confesseur de l’impératrice Eugénie. Le décret du 2 avril 1871 de la Commune supprime le budget des Cultes et sépare l’Église de l’État. L’enseignement confessionnel est interdit, les signes religieux chrétiens sont retirés des salles de classe et les biens du clergé sont confisqués.
La France des Communes
Si le Conseil compte une majorité de jacobins, les girondins et les internationalistes semblent être les plus influents. La Déclaration au peuple français proclame : « Nos ennemis se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de vouloir imposer sa volonté ou sa suprématie au reste de la nation, et de prétendre à une dictature qui serait un véritable attentat contre l’indépendance et la souveraineté des autres communes. Ils se trompent ou trompent le pays quand ils accusent Paris de poursuivre la destruction de l’unité française, constituée par la Révolution, aux acclamations de nos pères, accourus à la fête de la Fédération de tous les points de la vieille France. L’unité, telle qu’elle nous a été imposée jusqu’à ce jour par l’empire, la monarchie et le parlementarisme, n’est que la centralisation despotique, inintelligente, arbitraire ou onéreuse. »
Événement moins connu, des Communes naissent à Lyon (22 au 25 mars puis 30 avril et 1er mai) et à Marseille (du 22 mars au 4 avril), rapidement étouffées par Versailles. La Commune de Marseille écrit le 30 mars : « Nous voulons la décentralisation administrative, avec l’autonomie de la Commune, en confiant au conseil municipal élu de chaque grande cité les attributions administratives et municipales. » La Commune de Marseille est matée le 5 avril par le général Espivent, chargé de l’opération. Celui-ci écrit au ministre de la Guerre : « J’ai fait mon entrée triomphale dans la ville de Marseille avec mes troupes ; j’ai été beaucoup acclamé. […] Les délégués du comité révolutionnaire ont quitté la ville individuellement hier matin. » A Saint-Étienne, une Commune est également proclamée le 24 mars. Le préfet Lespée s’exclame que « la canaille ne lui fait pas peur » : l’ordre est ramené le 28 mars mais le préfet est capturé par le girondin Vitoire et mis à mort.
Autres villes qui connaissent des troubles : Bordeaux, Montpellier, Cette, Béziers, Clermont, Lunel, Marseillan, Marsillargues, Montbazin, Gigan, Maraussan, Abeilhan, Villeneuve-lès-Béziers, Thibery.
III. La Semaine sanglante (21-27 mai)
Le 21 mai dans la soirée, les troupes versaillaises commandées par Mac-Mahon pénètrent par surprise dans Paris par la porte de Saint-Cloud et le Point-du-Jour. Le Nord et l’Est de la capitale sont tenus par les Prussiens qui assistent en spectateurs aux événements. A l’Ouest, les fédérés sont repoussés mais des barricades se hissent. Dans la soirée du 22, les troupes gouvernementales ont atteint la gare Saint-Lazare et Montparnasse. Le 23, Montmartre que les insurgés croyaient citadelle imprenable est reprise. Le 24, les troupes gouvernementales s’emparent du Panthéon. Le 25, l’ensemble de la rive gauche est contrôlée. Les derniers combats se jouent le 27 mai entre les tombes au cimetière du Père-Lachaise.
Pendant l’avancée versaillaise, les Communards incendient en représailles le palais des Tuileries (« repaire des rois »), le ministère des Finances, la Cour des Comptes et le Conseil d’État (nuit du 23 au 24 mai). Le 24, ce sont au tour de l’Hôtel de Ville, du Palais-Royal et du Palais de Justice de s’embraser. La cathédrale Notre-Dame de Paris est sauvée par l’intervention d’élèves infirmiers de l’Hôtel-Dieu. Le Louvre et ses collections sont sauvés in extremis par l’action des troupes du gouvernement (le feu allait se propager aux bâtiments). Mais il n’y a pas que des bâtiments qui ont disparu : les registres de l’état civil des Parisiens depuis le XVIe siècle, les archives hospitalières, 120 000 ouvrages de la bibliothèque de la Ville, 70 000 autres à la bibliothèque du palais, une centaine de tapisseries aux Gobelins.
La répression est impitoyable. Toute trace de poudre sur les mains vaut l’exécution. Le nombre de morts n’est pas connu mais les historiens s’accordent sur le chiffre de 20 000 communards tués durant la Semaine sanglante, contre un millier de morts pour les troupes versaillaises. 38 000 personnes sont arrêtées et jugées, 10 000 d’entre elles sont condamnées (93 à la peine de mort, dont 23 seulement sont effectivement exécutées ; 3500 à la déportation simple, 1200 à la déportation dans une enceinte fortifiée ; le reste est condamné à diverses peines de prison).
Sources :
MICHEL, Louise. La Commune, Histoire et souvenirs. La Découverte, 1999.
ROUGERIE, Jacques. Paris insurgé, la Commune de 1871. Gallimard, 1995.
WINOCK, Michel. La fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968. Points, 1999.
https://www.fdesouche.com/2011/05/22/desouche-histoire-la-commune-de-paris-18-mars-27-mai-1871/
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