Surhommes et sous-hommes, Valeur et destin de l’homme. Avec cet “anti-essai” tel qu’il le définit, l’essayiste ardéchois Julien Rochedy signe un ouvrage nécessaire. Je commencerais donc par le contredire : ce livre est à mettre dans toutes les mains. Du moins, dans celles de qui veut encore comprendre “Que voulons-nous encore pour l’homme ? qu’est-ce que la civilisation occidentale veut-elle encore accomplir et à quoi veut-elle demain ressembler ?”
Fort de ses capacités pédagogiques et de ses solides lectures – de Platon à Peter Sloterdijk, en passant par les grands classiques de la littérature -, il nous livre un texte tout à fait accessible, qui remet les pendules à l’heure sur de nombreux concepts dévoyés, qui en éclaire d’autres, met un nom sur les choses et en fait comprendre le fonctionnement. Et par les temps qui courent, savoir formuler est déjà un premier pas vers la possibilité d’une réaction que l’auteur appelle de ses vœux.
Aux antipodes du radotage fumeux d’intellectuels parisiens, ce livre éclaire. Il vulgarise des notions parfois brumeuses et répond d’une façon limpide aux interrogations que nous pouvons nous poser : Qu’est-ce que le destin ? Pourquoi vouloir un destin ? Qu’est-ce qu’une valeur, pourquoi la culture ? Sans éviter celles devenues plus dérangeantes : Qu’est-ce qui est est supérieur et qu’est-ce qui est inférieur ? En quoi notre civilisation occupe t’elle une place particulière ?
Il ouvre par une sorte de généalogie du désastre. Qu’est-ce que la décadence ? Pourquoi notre civilisation décline ? Et de décrire longuement la grande sensiblerie qui afflige notre société quand “Tous les hommes accomplissant de grandes œuvres savent d’instinct qu’il leur faut prioritairement rabaisser la sensibilité dans la hiérarchie de leur être” (“et l’art dans tout ça ?” Rochedy évidemment, anticipe l’objection). Grande sensiblerie et victoire de la bêtise, voilà la marque du temps. Preuve que l’intelligence ne suffit pas. (Il n’y a qu’à voir nos universitaires pour s’en assurer !)
“la volonté – et mieux : la capacité de la volonté – reste le symptôme indiscutable des natures supérieures“. La médiocrité, elle, est un “déficit de connaissances qui se satisfait de lui-même ; le non-désir d’apprendre, d’hériter et de transmettre. C’est l’absence d’exigence..”
“Pour que la bêtise prenne le pouvoir ou tout simplement se multiplie là où elle devrait normalement périr ou être écrasée sous des talons d’acier, il faut que l’intelligence ait perdu sa volonté, son énergie, son caractère. Pire, la bêtise peut se développer quand l’intelligence elle-même, dégénérée par quelque coupable sensiblerie, décide de se mettre à son service en prenant pitié d’elle.”
Et de nous expliquer pourquoi les individus supérieurs développent un goût prononcé pour la culpabilité. Mais pas que. Selon l’auteur, il y aurait des causes tangibles, physiques, biologiques, qui induisent cette fatigue existentielle, cette bêtise, en un mot cette décadence qui nous frappe de plein fouet, et la nature – ou son éloignement ? – n’y est pas pour rien. Le constat établi est, hélas !, incontestable. Ses réflexions sont étayées de moultes études scientifiques, de la biologie à la psychologie évolutionniste en passant par la thermodynamique.
Rochedy propose ensuite un idéal aristocratique, où l’Occident – “notre thèse et notre antithèse” – est en bonne place. (À ce titre, vous pouvez écouter son podcast sur le sujet.) Et cela serait du déjà vu et du déjà lu… s’il n’expliquait pas pourquoi il faut le vouloir. Pourquoi cela est nécessaire… en un mot, vital. L’ordre, et sa conséquence : l’harmonie, étant des buts ultimes délaissés par nous autres malheureux post-modernes.
“un supérieur se demande s’il a le droit au bonheur ; l’inférieur de réclame comme un dû. De la même manière, le supérieur ne veut pas des droits, il veut des devoirs qui lui procurent des droits. À l’opposé, l’inférieur veut plus tendanciellement des droits pour échapper aux devoirs…”
L’humanisme est aussi remis à sa place. Ou plutôt son sens véritable lui est rendu :
“Rien n’est moins humaniste que d’aimer l’homme naturel et pire, d’aimer “tous les hommes” au seul prétexte qu’ils appartiennent au genre homo. Humanisme vient d’humanitas dont le sens désigne, depuis l’Antiquité, un processus éducatif en vue d’un idéal. Ce n’est jamais l’homme nu et grossier que les humanistes ont aimé, mais ce que le matériel humain pouvait éventuellement devenir. C’est son potentiel durement sélectionné et éduqué qui fut essentiellement valorisé par eux.”
Mais l’important, ce que nous devons saisir, c’est pourquoi l’homme doit être éduqué. Ce qui coulait encore de source il y a peu, mais qui est devenu complètement incompréhensible à nos contemporains… Rochedy, épaulé des penseurs qui y ont réfléchi avant lui, convainc.
Et de retourner sur cette hantise : pourquoi la civilisation occidentale est-elle si encline à vouloir se suicider ? D’où viennent les délires idéologiques nocifs qui nous assaillent ? Pourquoi ce besoin de destruction ? Un thème, la provenance du nihilisme, qui a longuement été étudié, Rochedy en fait la synthèse.
Pour ensuite aborder et analyser plusieurs scenarii sur l’avenir de notre continent face à l’Islam conquérant, à la chute du QI de ses habitants, face à un capitalisme en constante évolution et à l’expansion de l’Intelligence Artificielle et du transhumanisme… qui, telle qu’elle est conçue à l’heure actuelle reste “le rêve d’un sous-homme augmenté“, “l’aboutissement médiocre de l’idéal moderne du bonheur, un idéal d’esclaves enrichis et parvenus“. C’est dit.
La dernière partie, intitulée Biocivilisation, qu’il conceptualise comme le stade écologique de la civilisation occidentale – une sorte d’archéofuturisme mêlant “le meilleur de l’archaïsme et le meilleur du progrès” – sera la plus sujette à caution et risque de ne pas mettre tout le monde d’accord (raison de plus pour la lire). Sans divulguer la thèse de l’auteur – ce qui serait le comble de l’impolitesse – Julien Rochedy prétend que la civilisation occidentale se peut et se doit de sauver la planète. Plutôt à contre-courant par les temps qui courent. Sandrine Rousseau et ses ami-e-s y apprendront qu’ils sont des suprémacistes blancs, puisqu’ils “renouvellent nos discours imperio-universalistes, autrement dit qui viennent essentiellement de nous et devant s’appliquer à tout le monde, pour notre bien, celui des autres, celui de tous” !
En voilà de la petite touche d’humour finale, pour vous convaincre que si les sujets évoqués sont importants, la lecture est plaisante.
Julien Rochedy sera-t’il parvenu à élaborer une alternative à la catastrophe ? À vous de juger (à commander ici).
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