Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse (Haute-Garonne), fut l’un des rares parmi les dignitaires de l’Eglise catholique française qui osa ouvertement protester contre le nazisme, durant les années sombres de l’Occupation.
Après la rafle du Vel’ d’hiv, les 16 et 17 juillet 1942, les cardinaux et archevêques de la zone nord avaient élevé une protestation : "Profondément émus par ce qu’on nous rapporte des arrestations massives d’Israélites (...) et des durs traitements qui leur ont été infligés (...), nous ne pouvons étouffer le cri de notre conscience..." Cette déclaration paru trop faible à Monseigneur Saliège.
A la nouvelle du transfert des Juifs des camps du sud de la France, en août 1942, vers le camp de Drancy d’où partaient les convois de déportation, il rédigea une lettre pastorale qui fut lue en chaire dans toutes les églises du diocèse le dimanche 23 août 1942. " Mes très chers frères, Il y a une morale chrétienne. Il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer. Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d'une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle. Pourquoi le droit d'asile dans nos églises n'existe-t-il plus? Pourquoi sommes-nous des vaincus?... Les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes. Tout n'est pas permis contre eux... Ils font partie du genre humain; ils sont nos frères comme tant d'autres."
Le crime contre l’humanité est dénoncé en termes si clairs que les autorités réagissent aussitôt. Interdiction est faite à tous les curés, par le préfet de Haute-Garonne, de donner lecture de la lettre épiscopale. Toutefois les autorités n'osèrent pas prendre des sanctions contre le prélat, qui continuera à se battre malgré son grand âge et sa santé chancelante.
Du jour au lendemain, cette lettre devint un véritable manifeste, polycopiée, reproduite à de centaines de milliers d'exemplaires et diffusée par les résistants dans toute la France. De l'avis des historiens, ce fut là un tournant dans le soutien que l'opinion publique et la hiérarchie catholique avait jusqu'alors accordé au régime de Vichy par respect du pouvoir en place. Désormais davantage de Français se montreront prêts à s'opposer aux actions anti-juives du Gouvernement dirigé par le socialiste Pierre Laval qui allaient bien au-delà des demandes des autorités d'occupation.
Lorsque les jeunes gens furent requis pour le Service du travail (ST0) en Allemagne, en septembre 1942, plusieurs évêques protestèrent auprès du gouvernement. Mgr Saliège adressa clandestinement une lettre aux dirigeants scouts. Elle fut rapidement publiée par les journaux suisses et par les Cahiers du Témoignage chrétien. Elle fut d’une audace qui surprend encore aujourd’hui. D’abord, à la différence de la plupart des évêques français, qui font devoir aux jeunes chrétiens de "partir", Mgr Saliège s’interdit d’intervenir dans leur conscience : "Vous partez pour l’Allemagne. Est-ce par contrainte ? Est-ce volontairement ? Je n’ai pas à le savoir. On peut subir une loi sans lui donner une adhésion intérieure." Et il leur rappelle que la cause de la France est juste: "On ne vous le dira jamais assez." Puis, après avoir esquissé l’éloge d’une certaine Allemagne, qui a un "grand peuple", il en vient à dénoncer, sans la moindre précaution, l’erreur nazie : "Le peuple allemand se croit le peuple choisi, la race élue qui a une mission, qu’il tient de son sang, la mission de gouverner le monde. A cette mission, tout est sacrifié : l’individu, la famille. Quiconque ne peut servir cette mission doit disparaître. Il est inutile. Le peuple allemand est le peuple roi, le peuple chef, l’Israël des temps modernes."
L'archevêque donna également instruction aux religieux et religieuses de son diocèse de cacher des Juifs et surtout des enfants. Il désigna son adjoint, l'évêque de Courrèges pour coordonner les efforts de sauvetage faits par le clergé durant toute la guerre.
Le cardinal avait recommandé la loyauté envers le pouvoir français, mais lorsque le bien du pays lui a paru compromis par ce pouvoir, il l’a considéré comme inexistant. Dès lors, il soutint sans réserve les chrétiens engagés dans la résistance contre l’Occupant. L’archevêché, l’Institut catholique de Toulouse connurent alors une grande activité.
Le 9 juin 1944, la police allemande, soutenue par des troupes armées, vient arrêter plusieurs professeurs de l’Institut catholique, dont son recteur, Mgr Bruno de Solages. Vers 9 heures, deux officiers allemands ayant pénétré dans le bureau du cardinal se trouvent en présence d’un grand paralysé qui les attend paisiblement dans son fauteuil. "Qu’allez-vous faire de cet infirme ?", s’indigne sœur Henriette, son infirmière. Interloqués, les officiers repartent, disant en excellent français : "Nous reviendrons" (mais ils n’oseront pas revenir). Le cardinal gronde la sœur : "Je vous défends de dire que je suis malade." Tel fut le cardinal Saliège dans ces années sombres : l’honneur de la conscience chrétienne. L’une des grandes voix qui redonnèrent espoir et dignité à beaucoup de français.
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