• Recension : Pierre Papon, Le sixième continent : géopolitique des océans, Odile Jacob, Paris, 1996, 336 p.
Pour P. Papon, directeur de l’IFREMER (Institut français de la mer) et membre du CNRS, le grand défi qui attend l’Europe est celui de la “marinisation” de l’économie mondiale, conséquence de sa mondialisation. Or la France et l’Europe négligent leur carte marine potentielle. Comme Carl Schmitt, Papon constate que le principal effet de la Seconde Guerre mondiale et de la victoire des États-Unis est justement cette marinisation et cette augmentation des flux de marchandises, permettant des délocalisations à grande échelle. Le Japon, en dépit de sa défaite, est resté branché sur les océans : d’où sa vigueur économique.
La puissance se mesure à la force d’une flotte (militaire et marchande), à la capacité de contrôler la pose des câbles de télécommunications sur le fond des océans, à la capacité de transporter en toute autonomie des hydrocarbures. Mais malgré cette marinisation dominante, nous assistons à une “nationalisation” des eaux recouvrant le plateau continental, car il y a désormais nécessité d’exploiter le pétrole et les autres richesses off-shore. Le débat porte à nouveau sur les notions de mare liberum (Grotius) et de mare clausum (Freitas). Le principe de la “mer ouverte”, défendu par la thalassocratie britannique ne tiendra pas, d’autant plus que les États-Unis ont été les premiers à revendiquer les eaux de leur propre plateau continental. De plus, la mer n’est plus res nullius, à partir du moment où des instances internationales acceptées de tous réglementent son exploitation (pêche, pétrole, nodules polymétalliques).
Français, Papon déplore le trop fort tropisme continental de l’histoire de son pays. Il analyse la thèse de Braudel, qui disait que la France avait renoncé à la mer parce qu’elle devait construire deux flottes, l’une sur l’Atlantique, l’autre sur la Méditerranée. Il rappelle la politique marine de Choiseul sous Louis XVI, qui a permis la victoire contre les Anglais lors de la guerre d’indépendance américaine : nous ajouterions que cette politique océanique est peut-être le motif qui a poussé l’Angleterre à déclencher la révolution et à entretenir la guerre civile en France, comme l’affirme par ailleurs un historien comme Olivier Blanc. Depuis la Révolution, la France a opté pour la guerre et l’expansion continentales, s’abritant derrière des forteresses et des lignes Maginot, à l’exception d’une brève renaissance marine sous le Second Empire (expliquant sans doute la neutralité anglaise).
Pour Papon donc, l’Europe doit retrouver une ambition maritime, en renforçant la force de frappe nucléaire véhiculée par sous-marins, en unifiant ses marines militaires (comme le projet “Euromarfor” entre l’lt., l’Esp. et la Fr.), en acquérant des nones marchandes autonomes ne dépendant d’aucun armateur “international”, en promouvant les recherches océaniques à vocation scientifique ou économique, en organisant la protection de sa pêche, en autonomisant ses constructions navales, en luttant de concert contre les pollutions marines et côtières. Papon souligne l’importance capitale des liaisons fluvio-maritimes Rhin-Main-Danube et Rhin-Rhône. Les pays européens devraient avoir pour tâche, dit-il, de relier efficacement leurs ports à l’hinterland. L’Europe ne contrôle plus que 15% des navires du globe. Elle se replie sur elle-même. Il faut changer de politique. L’ouvrage de Papen est l’équivalent actuel et européen du plaidoyer de Ratzel pour la puissance navale allemande à la fin du XIXe.
► Robert Steuckers, Vouloir n°137/141, 1997.
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