Dix ans après la mort volontaire de Dominique Venner à la cathédrale Notre-Dame, sa veuve, Clotilde, prend la parole dans un livre-témoignage piloté par Antoine Dresse. « On le disait froid, mais c’était un volcan sous la glace. » Au fil des pages, Clotilde Venner éclaire les contours de ce personnage secret que la pudeur retenait toujours au seuil de l’aveu.
Elle revient sur leur relation, scellée par une évidente complicité, où le dissident et l’écrivain ne s’éclipsent jamais tout à fait derrière le mari. Une confession poignante où semble battre le cœur rebelle du samouraï. De la tenue ! jusque dans l’intimité du foyer. Et les idées, toujours, au bout du fusil.
Ainsi est présenté par l’éditeur, La Nouvelle Librairie, cet ouvrage (à commander ici), que l’on pourrait qualifier d’essentiel pour s’introduire dans une lecture, ou une relecture de l’œuvre de Dominique Venner. Car cet entretien confine à l’intime, loin des interprétations, loin de certaines images que l’on se fait ou que l’on a pu se faire de Dominique Venner. C’est à un travail mémoriel particulièrement difficile émotionnellement que s’est livrée Clotilde Venner, et nous avons tenu à l’interroger sur ça justement.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Clotilde Venner : j’ai été l’épouse de Dominique Venner et j’ai vécu avec lui pendant 12 ans, les douze dernières années de sa vie. Avant de le rencontrer, j’avais fait des études de philosophie, et j’avais travaillé pendant deux ans avec Guillaume Faye pour qui j’organisais les tournées dans toute la France à l’époque de la Colonisation de l’Europe et de l’Archéofuturisme.
Je vendais des livres, je travaillais pour la Librairie nationale, de Gilles Soulas. Et c’est lors d’une vente de livres que j’ai rencontré Dominique Venner. C’est Anne Brassié qui nous a présentés. J’ai commencé à organiser des conférences pour lui. Au départ nos relations étaient professionnelles puis ont pris un ton plus privé au fil du temps. Il était séparé de sa femme depuis 6 mois.
À cette époque, après l’arrêt de la revue Enquêtes sur l’histoire, il relançait la Nouvelle revue d’Histoire (NRH), et j’ai travaillé avec lui comme journaliste. J’y signais sous le pseudonyme de Pauline Lecomte.
Breizh-info.com : Il y avait une grande différence d’âge entre vous non ?
Clotilde Venner : Oui, tout à fait. Quand je l’ai connu, j’avais 30 ans et lui 66. Mais pour que vos lecteurs sachent, c’est sa femme qui est partie, quand je l’ai rencontré, il était célibataire. De par son passé politique, mes études de philosophie, nous avons accroché tout de suite intellectuellement. Et cela malgré la grande différence d’âge.
Ce qui nous a vraiment liés est cette complicité intellectuelle, très précieuse. Il était un être puissant, mais aussi un être fragile, comme tous les écrivains, les artistes. Si on n’est pas soutenu par sa femme, par sa compagne, c’est cruel. Il me remerciait souvent d’être là, de le soutenir. Il disait que ce soutien était très important pour lui. Il apparait souvent comme un auteur prussien, dur, mais c’était aussi un être sensible, torturé. C’était un peu les montagnes russes parfois avec lui. Tantôt désespéré de ne pas parvenir à faire ce qu’il voulait, tantôt exalté. S’il n’y a pas quelqu’un pour soutenir ce moral, cette souffrance parfois, c’est difficile.
Breizh-info.com : il n’y a donc pas que cette image d’un homme assez dur, que l’on peut avoir de Dominique Venner ?
Clotilde Venner : Non. C’est vrai que souvent on a eu cette image d’un Samouraï, d’un Jünker prussien alors que c’était un homme extrêmement sensible. On ne se donne pas la mort de cette manière si on n’est pas un grand romantique. Il était à vif, écorché vif. Mais il s’autodisciplinait pour masquer cela. Je lui disais parfois que cette autodiscipline, cette rigidité, était excessive. En public, il apparaissait souvent très froid. Alors que c’était le contraire de quelqu’un de froid. Mais c’était par auto-discipline héritée de son idéal aristocratique. On ne montrait pas ses émotions.
Le modèle de Dominique Venner était Jünger. Donc l’aristocratie européenne, anglaise, allemande, never complain, never explain…Dominique était un Romain. Et à Rome, la gravitas, la dignitas, c’est de ne pas embrasser sa femme dans la rue, de ne pas sourire. Trop sourire, trop détendu, c’est une forme de relâchement.
Il appartenait à cette vieille Europe. Il faut voir La Grande Illusion, avec Eric von Stroheim et Pierre Frenet qui incarnent des aristocrates allemands et français. C’était l’éducation que l’on donnait avant dans les vieilles familles européennes. Et Dominique appartenait à ce monde. Certaines personnes aujourd’hui ne le comprennent pas, car il était un peu d’un autre temps, d’une vieille Europe.
Breizh-info.com : N’est-ce pas un travail émotionnellement compliqué que de répondre dans un livre à un entretien sur son mari décédé ? Car là on touche à l’intime.
Clotilde Venner : Depuis 10 ans, quand je parle de lui, je dois quand même parfois prendre sur moi, car ça ravive une souffrance. Celle d’avoir perdu l’homme que j’aimais, que j’admirais. C’est en même temps un devoir de parler de lui. Tellement de choses contraires ont été dites sur lui que je me suis dit qu’il fallait parler. Et je suis contente de l’avoir fait avec Antoine Dresse, qui a la chaine vidéo Ego Non, qui est un jeune homme brillant et cultivé et charmant. Notre travail a été agréable intellectuellement.
Mais vous voyez, même là, quand je vous en parle, il y a toujours de la souffrance. Cela suscite mélancolie et tristesse. Quand on vit avec quelqu’un on ne se rend pas compte souvent de tout ce qu’il était ou représentait. Après sa mort, on se rend encore plus compte du bonheur que c’était de vivre à ses côtés.
Quand je relis ses livres, je me dis que j’ai eu beaucoup de chance de vivre avec un grand esprit comme Dominique Venner.
Breizh-info.com : Vous dédiez votre livre à votre mari, Dominique Venner, mais aussi à Mano Dayak. Qui était-il et pourquoi cette dédicace ?
Clotilde Venner : Avant mon histoire avec Dominique, j’avais déjà été marquée par la vie. À 17 ans, j’ai rencontré Mano Dayak au Niger, ce dernier dirigeait l’agence Temet Voyages qui organisait le Paris-Dakar. Nous avons eu une relation amoureuse et je suis tombée enceinte. J’ai eu un fils. Mano Dayak était alors un homme connu, qui faisait la Une des journaux. Un homme qui recevait des acteurs, des personnes connues (Higelin, Brasseur…) chez lui. Il était ami avec Thierry Sabine.
Alors que mon fils a eu trois ans, j’avais entamé des études de philosophie à La Sorbonne. Il y a eu les premiers massacres de Touaregs. Mano Dayak, à qui certains reprochaient d’être un « touareg de salon parisien » a tout quitté, pour aller prendre la tête de la rébellion. Pendant trois ans, il a vécu dans le maquis parmi ses hommes. Il y a eu ensuite un projet d’accord de paix. Il a pris un avion pour participer à ces négociations, et l’avion a explosé en vol (il avait déjà été victime de plusieurs tentatives d’assassinat. C’était le 15 décembre 1995. Il a été enterré dans le désert du Ténéré. Et aujourd’hui l’aéroport d’Agadez porte son nom.
Souvent, j’ai entendu des gens expliquer ne pas comprendre mon parcours, pourquoi avoir eu une relation avec un Touareg, puis ensuite avec Dominique Venner.. Mais pour moi il n’y a pas de contradiction. Les deux hommes que j’ai aimés étaient des guerriers qui sont morts au service de leur peuple. Jean Mabire, après sa mort, a écrit un magnifique article sur lui d’ailleurs, car il l’avait rencontré, via son fils Halvard qui était un ami de Mano.
Oui, le père de mon fils n’est pas un Européen, c’est un Touareg. Qui avait étudié en France, mais qui était reparti dans son pays pour y créer une agence de voyages et qui est mort pour son peuple. Aujourd’hui, au Niger, c’est une icône de l’identité touareg.
J’ai voulu lui rendre hommage, car Dominique a évoqué mon histoire dans la dernière page d’Histoire et Traditions des Européens. Mais aussi pour montrer que Dominique Venner n’était pas le racialiste qu’on imagine. C’était un différentialiste. Il disait « Je me bats pour que chaque peuple puisse défendre son identité ». Il souhaitait que les Tibétains vivent comme des Tibétains, les Européens comme les Européens, les Bretons comme les Bretons… selon leurs traditions.
Breizh-info.com : Quelles sont les principales œuvres de D. Venner qui vous ont particulièrement marquée ?
Clotilde Venner : Quand je l’ai rencontré, il écrivait Histoire et Traditions des Européens. Je l’ai lu sous toutes les formes, plusieurs fois. C’est un livre essentiel. Mais si je m’adresse aux jeunes lecteurs, je leur conseillerais en premier le Samouraï d’Occident, son testament. Dans le Samouraï, il y a une dimension de sagesse, de pratique. Puis il faut approfondir cela. Puis passer à Histoire et Traditions des Européens., qui est plus détaillé. C’est le versant éthique et spirituel.
Plus historique et politique, je conseille Le Siècle de 14, un chef-d’œuvre. Nous avions aussi écrit ensemble Le Choc de l’Histoire, livre d’entretien, qui est accessible et permet de rentrer dans son œuvre.
Enfin, Le Cœur rebelle, lecture plutôt pour jeunes gens, pour jeunes hommes, car c’est assez masculin. Magnifique témoignage sur son engagement politique, sur sa guerre d’Algérie…
Pour les Carnets rebelles (trois tomes disponibles actuellement chez la Nouvelle Librairie), ce n’est pas forcément la première lecture qu’il faut faire. Si on aime son œuvre, une fois qu’on a tout lu, c’est intéressant de se plonger dedans et de comprendre la genèse d’une oeuvre. C’est une mine de réflexions, de références, de lectures. On y découvre notamment beaucoup d’auteurs qui méritent d’être lus encore aujourd’hui.
Breizh-info.com : Que répondez-vous à ceux qui disent que Dominique Venner n’était pas un vrai historien, que ça se ressent dans certains de ses livres ?
Clotilde Venner : Il a quand même reçu le prix de l’Académie française pour son Histoire de l’Armée rouge. Il a dirigé la Nouvelle Revue d’Histoire. Nous avons interrogé les plus grands historiens. Il avait des relations amicales avec le grand spécialiste de l’Antiquité Lucien Jerphagnon, et de grands historiens appréciaient le travail de Dominique.
Je peux comprendre toutefois certains reproches. Dominique Venner n’était pas un historien s’attachant à des détails insignifiants. Pour lui l’Histoire n’était pas une lettre morte : elle devait permettre de penser le Présent. Il s’opposait à l’idée que l’étude de l’Histoire est neutre. Il voulait que chaque historien assume son parti pris. Tout regard est politique. Tout regard est biaisé.
Il y avait une dimension aussi philosophique dans sa relation à l’Histoire. Non, ce n’était pas un historien universitaire qui décrivait des faits sans aucune réflexion. C’était un penseur de l’Histoire. Il était libre par rapport à l’université, et par rapport à toutes les conventions stérilisantes.
Breizh-info.com : Cette liberté de ton et d’esprit, on la retrouve d’ailleurs chez un autre personnage avec qui vous avez partagé du temps, Guillaume Faye. Est-ce que les deux personnages ne sont pas finalement les deux faces d’un même Gémeau, ou tout du moins complémentaires ?
Clotilde Venner : Oui. Ils étaient libres et affranchis de l’université. Dominique leur reprochait (aux universitaires) de stériliser tout, de s’enfermer dans des détails microscopiques et de ne pas penser. Guillaume Faye était plus conceptuel, plus philosophique, c’était un créateur génial. Il écrivait ses livres très vite, mais je pense que s’il avait mis plus de rigueur dans sa rédaction, ils auraient pu être encore bien meilleurs.
Guillaume Faye était un orateur fabuleux. Il savait chauffer une salle de manière incroyable. Et il avait ce talent d’inventer des concepts. Dominique Venner, c’était différent. Ils n’ont pas le même profil intellectuel. Humainement, ils n’étaient pas forcément compatibles (rires). Je précise n’avoir jamais eu aucun lien sentimental avec Guillaume (rires). Je travaillais pour lui, mais il était vite ingérable. Génial, mais ingérable.
Dominique Venner et Guillame Faye étaient deux planètes différentes. Mais ils ont énormément apporté à la mouvance identitaire.
Breizh-info.com : Vous écrivez n’avoir jamais connu d’homme plus volontaire que lui. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Clotilde Venner : Je n’ai jamais vu quelqu’un autant travailler. Il sacrifiait tout à l’œuvre. Il était hanté par elle. Même épuisé, malade, il travaillait jusqu’à 3 h du matin, relisait 10 fois ses textes… c’était un perfectionniste comme je n’ai jamais vu. J’avais l’impression d’être une fainéante à côté de lui alors que j’avais 36 ans de moins… je me disais « Mais ce n’est pas possible de déployer une telle énergie, une telle passion créatrice ». J’étais impressionnée. Il est mort à 78 ans, mais encore à 77 ans, il travaillait dix heures par jour…
Breizh-info.com : n’était-ce pas irritant pour une femme partageant sa vie d’ailleurs ?
Clotilde Venner : Ce n’était pas toujours facile. Mais je l’avais accepté et j’étais très autonome. Et je sentais qu’il avait une mission à accomplir, en ce sens je respectais cela. Ce que j’acceptais de Dominique Venner, je ne l’aurai pas accepté d’un autre homme, c’est évident. J’admirais autant l’homme que l’oeuvre.
Breizh-info.com : Quel héritage a-t-il laissé, selon vous, à sa famille de sang (ses enfants, vous..) d’une part, à sa famille politique d’autre part, et plus globalement, à sa famille civilisationnelle.
Clotilde Venner : Ce qui m’a marqué, c’est d’assister à la genèse d’une oeuvre. C’est de voir un grand écrivain en train de créer. Les êtres que j’admire le plus sont les artistes. Savoir consacrer sa vie à une oeuvre me fascine. Dominique m’a énormément apporté intellectuellement, il a joué un rôle de Pygmalion, m’a appris à écrire. Il m’a fait prendre goût à son esthétique. Ce furent douze années d’un dialogue ininterrompu, et j’ai compris le vide que cela laissait après sa mort. Je me suis sentie bien seule après. C’était une richesse incroyable de vivre avec lui, j’ai vécu ça comme un privilège.
Concernant la communauté, Dominique m’a raconté qu’à la suite d’une conférence devant des jeunes d’Europe Jeunesse ces derniers se plaignaient. Il me dit ensuite « Mais qu’est ce qu’ils auraient dit à notre époque, nous n’avions rien à nous mettre sous la dent concernant la lecture ? Le seul livre que je lisais à la prison de la Santé à l’époque, c’était Que Faire ? De Lénine. Nous n’avions rien ». Aujourd’hui, Guillaume Faye, Dominique Venner sont des trésors de lecture pour la jeune génération. Ils ne sont pas orphelins. Dominique Venner fut un extraordinaire passeur (il l’est toujours). Il faut se nourrir de ses écrits. Ils sont indispensables pour survivre dans notre époque crépusculaire. Dominique avait l’espoir d’un renouveau, mais il ne peut y en avoir que s’il y a des êtres qui se forment et transmettent.
Il a légué par ses écrits une vision du monde belle, des pistes à explorer pour les jeunes penseurs. Mais aussi simplement il nous dit ce que c’est que de vivre en Européen. On a tout dans ses livres. Il a apporté, comme Plutarque, une forme de modèle de vie, de magnifiques portraits, des modèles de comportements, des morales de vie. Dominique Venner donne du sens à l’Histoire et à ses figures.
Breizh-info.com : Vous dites par ailleurs qu’il ne faut pas faire de Dominique Venner une icône de musée, parfois presque religieux. Pourquoi ?
Clotilde Venner : Je ne veux pas qu’on ait de mon mari une image figée, une espèce de statue marmoréenne (de marbre). Il faut lire et se nourrir de ses livres avec un esprit critique, y compris à ne pas être d’accord avec. Ce n’est pas lui rendre hommage que de vouloir le statufier. Le meilleur hommage à lui rendre, c’est de lire ses livres, pour essayer de mieux vivre, et de mieux combattre ce qui nous nie.
Quand je lis des témoignages sur mon mari parfois, je me dis que ça ne correspond pas à l’homme que j’ai connu. Ce n’est pas surprenant car c’était un homme très secret. C’était donc important de dévoiler un peu de son intimité dans ce livre.
À la rencontre d’un cœur rebelle. Entretiens sur Dominique Venner à commander chez La Nouvelle Librairie
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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