Il était naturel, qu'une fois lancés, les deux mouvements dussent se pénétrer et se soutenir l'un par l'autre. Ils se sont entraidés. L'origine de chacun d'eux reste indépendante. Amouretti ne connut Barrès que longtemps après moi. À la première visite que je fis à Barrès en 1888, l'auteur de Sous l'œil des Barbares me parla des bonnes feuilles d'Un homme libre qu'il était en train de revoir, et du chapitre consacré à ses racines lorraines, premier germe de cette « Vallée de la Moselle » qui devait faire l'ornement des Déracinés.
Nous venions de Mistral et de ne nos braves comtes ; il dérivait de Gellée, de Callot et de ses bons ducs, comme, en Bretagne, Le Goffic s'inspirait de la duchesse Anne, des celtisants et de Renan. Je ne vois aucun avantage à diminuer par la chronique des suggestions mutuelles la spontanéité profonde et convergente d'un élan général de fédération qui vaut par la mise en ordre et la synthèse utile, mais qui vaut aussi comme expression directe de la nature et de l'histoire du pays. Il est insupportable d'en voir suspecter l'origine, la vérité et la franchise. Le retour aux provinces est venu des provinces, le réveil de la conscience nationale est venu de la conscience de la nation.
Ces deux points de vue sont inséparables. Comme le dit un grand vers de Mistral : « il est bon d'être le nombre, il est beau de s'appeler les enfants de la France. » Ceux qui l'oublieraient auraient tort à leur point de vue même ; ils auraient tort pour leur province et pour leur cité. L'Unité française a pu gêner parfois ; elle aura surtout protégé. Sans elle, on aurait succombé d'abord aux querelles intestines, puis aux jalousies du dehors. Ce qui fut fait pour l'unité française a fini par servir toutes les parties de la France. Je n'oublie pas les coups de canif pratiqués par le pouvoir royal dans la lettre des Pactes et des Traités d'union, mais au lieu d'agiter un peu vainement si cela fut juste ou juridique ou politique, on devrait jeter un coup d'œil hors de France pour comparer à l'histoire de nos provinces le régime imposé aux éléments analogues d'autres États !
Si l'on épluche quelques fautes, d'ailleurs rares, imputées aux « rois de Paris », il faut se rappeler le martyrologe des catholiques d'Angleterre ou le statut de l'Irlande, tel qu'il subsiste de nos jours. Citera-t-on le Canada ? Mais le Canada a commencé par être très rudement mené, et il a dû prendre les armes ; c'est les armes à la main qu'il dicta le respect de son autonomie en retour de quoi il accorda à l'Angleterre l'estime, le « loyalisme », presque l'amour. Or, c'est pleinement de l'amour, et tout de suite, que nos pères Provençaux ou Bretons ont donné, plusieurs siècles, aux rois de Paris.
Comme ils n'étaient pas plus mal doués que leurs descendants, ils devaient avoir leurs raisons.
Leurs raisons, c'étaient les nôtres ; c'est qu'il est beau et bon d'être de la France. La destruction de cette unité matérielle et morale serait un immense malheur atteignant tout le monde, ceux qui s'en doutent et, plus encore, ceux qui ne s'en doutent pas. Le dernier de nos frères en pâtirait autant que l'auteur de Colette Baudoche, si magnifiquement averti de tous les maux privés qui peuvent découler, après trente ans et plus, d'une catastrophe publique telle que la chute de Metz. Les enfants qui vont à l'école, l'épicier, le porteur, le cocher, le mineur enfoncé toute la journée sous la terre souffriraient les plus dures répercussions du partage ou de la diminution de la France. Autre chose est la condition des participants d'une France indépendante et la qualité de sujets d'un Pays d'Empire quelconque ! Il ne faudrait pas trop compter qu'on « neutralisera » des positions comme Toulon, Marseille, Bordeaux ou Brest dans l'Europe de lord Beasconsfield, de Cavour et de Bismarck ou que les droits et les biens des personnes y seraient sacrés.
J'essaie de faire peur aux anti-patriotes. Mais à l'abominable tableau de ce qui se passerait si l'armature française venait à crouler, il conviendrait d'opposer l'image de ce que donnerait aux Français d'abord, au monde ensuite, la reconstitution de notre puissance. Des destinées incomparables nous sont promises de ce côté. On ne le dit jamais, on ne le sait pas assez. Il est des chances éternelles en faveur d'une nation maîtresse d'un territoire comme le nôtre, héritière d'un tel passé. Je ne crois pas aux grands empires modernes. L'Allemagne peut et doit se briser. L'empire anglais en court le risque. L'unité de l'Islam est possible ? Peut-être. Mais l'empire ottoman se défait. La Suède et la Norvège se sont séparées. Le mouvement de décomposition n'aurait qu'à se continuer un peu du côté des Amériques, et voici que notre pays, d'étendue moyenne, fermement uni sous son Roi, assez décentralisé pour n'être pas troublé de secousses intérieures, reprendrait son antique magistrature en Europe. Nous serions les plus forts, les plus libres, les plus cultivés, les plus généreux, les plus sains.
Nous serions… Mais nous sommes en République démocratique et centralisée !
Charles Maurras (texte écrit en 1912 et primitivement intitulé La Monarchie fédérative)
http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2011/06/05/grands-testes-33-monarchie-federal.html
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