vendredi 22 octobre 2021

Croatie : la révolution d’avril 1941 2/5

  

Un soulèvement général

L’assise populaire et le caractère spontané du soulèvement croate trouvent leur confirmation dans une multitude de rébellions locales (5) qui précèdent ou suivent les événements de Zagreb. Ainsi, dès le 3 avril, le capitaine d’aviation Vladimir Kren déserte-t-il et s’envole-t-il pour Graz afin de convaincre les Allemands de ne pas bombarder les villes croates. Trois jours plus tard, le colonel Zdenko Gorjup et d’autres pilotes croates se mutinent sur un aérodrome de Macédoine. Le 7 avril, des patriotes s’emparent de Čakovec où le pharmacien Teodor Košak proclame l’indépendance de la Croatie. Le même jour, des soldats se mutinent à Đakovac puis à Veliki Grđevac et à Bjelovar où les nationalistes (le Dr Julije Makanec, le député Franjo Hegeduš et le sergent Ivan Čvek) prennent le pouvoir (6).

Des accrochages opposent soldats croates et serbes à Đakovo mais aussi à Vaganj où l’officier croate Milan Luetić est tué lors d’un affrontement. Le 10 avril même, le capitaine Želimir Milić et l’équipage d’un torpilleur se révoltent à Šibenik, tandis que la ville est prise en main par le Dr Ante Nikšić. À Crikvenica, le major Petar Milutin Kvaternik s’insurge contre le commandement serbe de la garnison (ce qui lui coûtera la vie), tandis qu’à Split, le capitaine Righi et le lieutenant-colonel Josip Bojić chassent les dernières autorités yougoslaves. En Bosnie et en Herzégovine, le soulèvement s’étend également. À Doboj, des patriotes se battent contre une vingtaine de blindés yougoslaves à Mostar, la population se soulève derrière Stjepan Barbarić et Ahmed Hadžić tandis qu’à Livno, le Frère Srećko Perić prend la tête de l’insurrection. Affirmer, comme on l’a longtemps fait, que tous ces mouvements avaient pour seule origine de sombres complots ourdis par l’étranger est pour le moins simpliste, voire carrément malhonnête. Comme l’écrira plus tard le Dr Georges Desbons :

« Il était naturel qu’en 1941, les Croates refusent de se battre sous l’influence de la Yougoslavie, devenue une formation serbe à l’exclusif profit des Serbes (…) Il était logique, la force militaire yougoslave s’effondrant, que les Croates se saisissent de cette occasion unique de proclamer leur indépendance. La logique cadrait avec l’impératif national » (7).

Beaucoup d’adversaires de l’émancipation nationale croate persistent envers et contre tout à tenir l’État Indépendant Croate pour une simple création artificielle de l’Axe et le 10 avril pour un vulgaire putsch dépourvu de racines populaires. Nous venons de voir que la proclamation de l’indépendance semble pourtant avoir recueilli l’assentiment d’une majorité de la population et bénéficié du soutien actif de très nombreux citoyens qui ne pouvaient tous appartenir aux services secrets allemands et italiens… Il n’est peut-être pas inutile de rappeler en outre que la création d’un État croate n’entrait pas vraiment dans les plans de l’Axe. Dans une concluante étude, publiée il y a un quart de siècle (8), le professeur K. Katalinić a bien montré que le IIIe Reich s’était toujours déclaré favorable au maintien de la Yougoslavie : tant l’envoyé spécial allemand Viktor von Heeren (décoré de l’Ordre de Saint-Sava en 1937) que le secrétaire général aux affaires étrangères Ernst von Weizsäcker ne cachaient pas leur volonté de préserver le Royaume Yougoslave. Au moment de la guerre (qui n’éclate qu’en raison des manigances britanniques à Belgrade et dont l’objectif principal est le contrôle de la Grèce), le Führer lui-même commence par envisager de placer la Croatie sous tutelle hongroise (6 avril 1941), puis il prévoit de confier la Dalmatie, la Bosnie et l’Herzégovine aux Italiens, avant de préciser (dans ses Instructions provisoires du 12 avril 1941) que l’Allemagne ne s’immiscera pas dans les affaires intérieures de la Croatie. Du côté italien, le régime fasciste ne cachait pas son appétence pour la Dalmatie et quant à la cause croate, elle avait définitivement cessé de plaire après la signature (1937), avec Milan Stojadinović, d’un avantageux traité. Dans ces conditions, affirmer que l’État Indépendant Croate fut une « création » de l’Axe est abusif : la révolution d’avril a éclaté parce que la patience du peuple croate était à bout et que l’opportunité de s’affranchir se présentait. Le mouvement était spontané et les occupants, placés devant le fait accompli, n’ont fait que le tolérer.

À suivre

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