vendredi 22 octobre 2021

Croatie : la révolution d’avril 1941 1/5

  

Cette année 2011 marque le 70ème anniversaire de la naissance de l’État Indépendant Croate, un épisode majeur de l’histoire de la Croatie au XXe siècle mais aussi un événement qui soulève encore d’âpres controverses. Le 10 avril 1941 fut-il un accident de l’histoire, fut-il au contraire une étape logique et inéluctable de la vie nationale croate ou encore une simple péripétie orchestrée par Hitler et Mussolini pour servir leurs intérêts ? Extrêmement délicat eu égard aux méchantes polémiques que suscitent encore les faits et gestes des Croates durant la Seconde Guerre mondiale, le débat n’est toujours pas clos et il n’est peut-être pas inutile de faire le point.

Le 10 avril 1941

Le jeudi 10 avril 1941, soit 4 jours après le début de l’offensive allemande contre la Yougoslavie, il est aux alentours de 16h10 (1) lorsque l’ancien colonel Slavko Kvaternik s’exprime sur les ondes de Radio Zagreb et proclame, au nom d’Ante Pavelić, le rétablissement de l’indépendance croate. Quelques minutes plus tard, la station diffuse un bref message de Vladko Maček, demandant au peuple croate de reconnaître l’autorité du nouveau pouvoir et de loyalement coopérer avec lui. La ville est d’ores et déjà sous le contrôle des miliciens du Parti Paysan, des militants de l’Oustacha et des volontaires issus de diverses associations patriotiques comme Uzdanica. Témoin « neutre » des événements, le consul américain John James Meily raconte :

« Le mercredi 9 avril, le bruit court que toute la Garde Civique du Parti Paysan est passée du côté frankiste ; les officiels serbes présents à Zagreb et notamment le Vice-Ban s’apprêtent à quitter la ville. Le jour suivant, le 10 avril, la Garde Civique et une partie au moins de la Garde Rurale se déclarent ouvertement favorables aux Frankistes (2) ; vers 10 heures du matin, le Vice-Ban reçoit l’un de nos fonctionnaires en s’écriant ‘C’est la débacle ! La débacle totale !’. À midi, le chef de cabinet du Ban nous informe que la Yougoslavie, c’est fini ; que dans quelques heures, les troupes allemandes vont entrer en ville ; que la Croatie va se déclarer indépendante et que le Parti Paysan s’arrangera avec les Frankistes. C’est quelques minutes avant l’entrée des premiers soldats allemands dans Zagreb que le général Kvaternik, un chef frankiste ou oustachi, proclame à la radio, au nom du Poglavnik Dr Ante Pavelić, l’État Indépendant Croate (…) Vers 16 heures, des milliers de citoyens enthousiastes acclament les premières unités mécanisées allemandes. Dans le même temps, un petit groupe organisé de Frankistes, ou d’oustachis comme ils se nomment eux-mêmes, avec à leur tête le major oustachi Ćudina, des étudiants frankistes et la Garde Civique s’emparent des bâtiments publics, de la gare et de la radio, sans rencontrer de résistance. C’est ainsi que la Croatie se sépare, sans effusion de sang (seul un policier a été tué), de l’État yougoslave » (3).

La proclamation de l’indépendance n’apparaît donc aucunement comme une initiative ou une manœuvre allemande. Les protagonistes de cette journée du 10 avril sont bien tous des Croates, la Wehrmacht n’est pas encore arrivée et seul le Dr Edmund Veesenmayer (1904-1977) représente sur place les autorités du Reich. La révolution qui commence ne pourrait avoir lieu sans un vaste consensus : à cette date, l’Oustacha ne peut, en effet, mobiliser, au mieux, que 4.000 à 5.000 militants assermentés et armés, ce qui serait tout à fait insuffisant en cas de résistance yougoslave. En réalité, le colonel Kvaternik sait pouvoir compter sur la Garde Civique et la Garde Rurale dont les chefs — Zvonko Kovačević, Đuka Kemfelja, Milan Pribanić — disposent de 142.000 hommes bien entraînés. À cette force d’essence politique s’ajoutent encore les effectifs de la police et de la gendarmerie dont les commandants, Josip Vragović et le général Tartalja acceptent eux aussi de cautionner le coup de force. Ces gens n’ont quand même pas tous été soudoyés par la Wilhelmstrasse ! Cette conjonction de forces disparates n’est possible que parce que les chefs du Parti Paysan — V. Maček et A. Košutić — approuvent (4) ou laissent faire et que l’objectif, à savoir l’indépendance nationale, fait clairement l’unanimité. D’ailleurs, si l’on en croit le récit du consul Meily, mais également les témoignages du consul allemand Alfred Freundt et du général Kühn, la population de Zagreb ne cache pas sa joie.

À suivre

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