mercredi 24 mars 2021

Les Allemands, leur histoire et leurs névroses 2/2

 Le conflit des générations

La VB est également le produit d'un conflit de générations, écrit Armin Mohler. Les pè­res, revenus des campagnes de Hitler, infati­gables reconstructeurs de leur pays ravagé, se heurtent aux fils, dorlotés par les bien­faits du miracle économique. Ces enfants de l'abondance s'engouent pour une philosophie néo-marxiste qui se mue rapidement en sec­tarisme irréaliste, car la RFA est, avec la Suède, un des États sociaux les plus perfec­tionnés que l'histoire ait généré. La dimen­sion de “lutte des classes” perd sa raison d'être dans une société où la classe ouvrière est pourvue de droits dûment consignés et pratiqués et reçoit des salaires plus que cor­rects.

La démonisation du passé, démarche artificielle et sans objet concret, prend la place des luttes objectives dans le mental messianique des plus jeunes générations is­sues du miracle économique. La psychose concentrationnaire, cultivée par une intelli­gentsia culpabilisante et parasitaire, se met à hanter l'opinion publique ouest-allemande et atteint son sommet lors des projections répétées du feuilleton américain Holocauste.

L'Allemand, l'humanité germanique, sont po­sées comme responsables d'une horreur iné­galée et inégalable dans l'histoire. Les réali­sateurs d'Holocauste bénéficient de relais au sein même de la société allemande : ceux que Mohler, narquois, nomme les “supervi­seurs” de pensée. Parmi eux, des anciens na­zis, particulièrement fanatiques et activistes sous Hitler, recyclés dans l'anti-nazisme hol­lywoodesque. Ce sont ces hommes-là, dit Mohler, qui, fidèles à leur vocation d'inquisi­teurs, se montrent les plus zélés défenseurs des niaiseries de la VB. En 1979, avec la projection d'Holocauste, la VB atteint son point culminant ; entre 1980 et 1982, elle connaît un reflux ; en 1984, elle revient à la charge avec les festivités organisées pour le quarantième anniversaire du débarquement des troupes des thalassocraties en Norman­die. En 1985, c'est le psycho-drame de Bit-burg ; en 1986, c'est le vaudeville hystérique et maniaque autour de l'élection de Waldheim.

Un libéralisme absolu et irréel

La VB est mise, dit-on, au service de la cause libérale et démocratique. Elle est né­cessaire, ajoute-t-on, pour que l'Allemagne adhère enfin pleinement aux idéaux éclairés de l'Occident. Pour éliminer les scories du­ne pensée et d'une praxis politiques alleman­des, basées sur l'idée de communauté popu­laire, il faut défendre et illustrer un libéra­lisme absolu, un libéralisme de zélotes affai­rés. Pour Mohler, un tel libéralisme pur et absolu n'est ni réel ni réalisable ; en Occi­dent, c'est-à-dire en France et dans les pays anglo-saxons, le libéralisme est viable parce qu'il n'est pas pris à la lettre ni conçu de manière absolue.

Pour les Français et les Anglo-Saxons, le libéralisme est un article d'exportation, un label d'humanisme, un vo­cable de pure propagande, écrit Mohler, qui cache une praxis qui, elle, n'a rien de libé­ral. La tentative ouest-allemande d'acclima­ter en Europe Centrale un libéralisme absolu par le truchement d'une “loi fondamentale” (Grundgesetz) sera perçue avec amusement par les Occidentaux qui verront, dans cette pratique, une manie supplémentaire du per­fectionnisrne germanique. Pour les alliés, tant que l'ours germanique est absorbé par la tâche irréalisable de fabriquer un libéra­lisme pur, il est facilement manipulable, donc inoffensif.

L'angoisse devant la “décision”

Malgré le culte des vocables “Liberté” et “Égalité”, commun à tout l'Occident, Fran­çais et Anglo-Saxons ont toujours su, dans l'orbite du politique, les utiliser de manière strictement “instrumentale”, en laissant, à l'homme politique, l'occasion de trancher, de décider. Car sans la “décision”, aucune structure étatique, aucune instance politique n'est viable. Certes, la “décision” comporte des risques mais ceux-ci sont inévitables. La tentative d'exclure tous risques potentiels, en pré-programmant tout agir jusque dans les moindres détails, recèle un danger : celui d'aborder un réel qui finit toujours par pro­duire le contraire de nos espérances et de nos calculs et de nous retrouver, ipso facto, désarmés devant ses ruses. La décision de l'homme politique répond à une situation concrète qui exige une réponse prompte. Dans l'Allemagne soumise aux principes de la VB, tout acteur politique vit dans l'an­goisse de devenir un “criminel” s'il agit, dé­cide, tranche.

L'angoisse que suscite la “décision” politique est un produit direct de la VB. Face à cha­que situation qui appelle une solution, on se demande ce qu'aurait bien pu faire Hitler et… on se décide pour le contraire. Le fan­tôme de Hitler, instrumentalisé par la VB, exclut toute responsabilité personnelle, avec l'intention d'extirper le mal de la planète. Depuis 200 ans, il existe, en Allemagne, comme ailleurs en Europe et aux États-Unis, une caste de personnages qui se donnent pour profession de fabriquer des opinions. Nous pourrions l'appeler le “quatrième pou­voir”.

Cette caste est douée d'extraordinai­res facultés d'adaptation ; elle épouse tou­jours, avec une formidable fébrilité, les ma­nies et obsessions des partis au pouvoir. En 1945, de thuriféraire du nazisme, elle passe, par une mue-éclair, au super-démocratisme. Un nouveau clergé voit ainsi le jour, qui soumet, sous sa férule morale, les trois pou­voirs habituels des démocraties libérales. Ce “quatrième pouvoir”, cléricalisme laïc, impo­se une sphère d'opinions anti-politiques jus­qu'à la moëlle, évite les thèmes controver­sés mais non résolus et laisse à l'étranger le soin de “décider” pour les Allemands à la place des Allemands.

Le “Quatrième Pouvoir”

[Pour Armin Mohler, l'effervescence de 1968 a davantage bouleversé l'intelligence allemande que la défaite de 1945. En 1945, les fondements de la culture allemande n'avaient pas été ébranlés. Après 1968, un nouveau clergé d'intellectuels se charge d'éradiquer tous les fondements de la pensée allemande, pour ne laisser que des ruines. Le tout, au nom d'un anti-fascisme sans objet]

Pour Mohler, l'avènement de ce “quatrième pouvoir”, souhaité par les États-Unis, ne da­te pas vraiment de 1945, quand les Alle­mands, déshérités par la guerre, ne pen­saient qu'à la reconstruction, mais de 1968, quand, par le truchement de la révolte étu­diante, s'est opéré une césure profonde au sein de l'intelligence allemande. En 1945, le culte national-socialiste du “Führer” fit pla­ce à un certain scepticisme mais les valeurs traditionnelles allemandes, celles véhiculées par Gœthe, l'idéalisme philosophique, la fa­mille, le bien public, etc., demeuraient pré­sentes dans tous les esprits. La nation avait subi un traumatisme profond mais n'était pas intellectuellement désorientée.

Le pseu­do-anti-fascisme, qui fait rage depuis une vingtaine d'années, lui, cherche à laminer tous les points d'orientations et à criminali­ser toutes les valeurs, sous prétexte que, d'une façon ou d'une autre, elles auraient secrété le nazisme. L'anti-fascisme ainsi conçu perd sa raison d'être puisqu'il ne pro­tège plus les esprits contre une praxis poli­tique qu'il juge perverse (et c'est son droit), mais s'attaque au noyau identitaire le plus profond et le plus légitime de la nation.

Horreurs hitlériennes et génocide irlandais

Cette volonté de promouvoir un libéralisme pur, expurgé de toute faculté de décision, et cette entreprise de destruction arasante de tout noyau identitaire allemand, forment la toile de fond d'un “messianisme culpabilisa­teur”, déconnecté du réel historique et poli­tique. Le libéralisme pur et l'arasement an­ti-culturel sont censés interdire toute réap­parition de l'inégalable “horreur hitlérienne” et faire accroire au public allemand qu'il a été le responsable imprescriptible de crimes contre l'humanité. En guise de cure contre la névrose que cette pratique suscite, Mohler suggère d'étudier l'histoire irlandaise, avec ses 8 siècles d'horreurs, de massa­cres, d'esclavage, d'arbitraire et de pillages, perpétrés par les Anglais. Une politique de génocide à l'encontre de l'Irlande a été, à intervalles réguliers, dûment programmée dans certaines officines londoniennes.

Conclusions

Conclusion de l'essai de Mohler, prélude à un livre à paraître : la VB doit disparaître du mental ouest-allemand contemporain. Pour­quoi ?

  • 1) Parce qu'elle n'est plus qu'un instrument pour faire de la politique, pour se propulser aux bonnes places avec l'appui des média et qu'ainsi, dépourvue de désintéressement, elle perd toute justification morale.
  • 2) Parce qu'elle rend aveugle à la complexité du réel.
  • 3) Parce qu'elle nous interdit d'utiliser l'ex­périence historique pour corriger les effets négatifs des théories absolues, énoncées de nos jours. Si l'histoire est criminelle, on ne peut, logiquement, utiliser des exemples his­toriques pour dénoncer telle ou telle praxis contemporaine ou pour avertir du danger de telle ou telle idéologie.
  • 4) Parce que l'alibi “Hitler” n'a été que trop utilisé. Hitler est devenu la figure la plus connue de tout le globe : ni Staline ni Mao ni Gandhi ne pourraient se vanter de le dé­passer en popularité (même si cette popula­rité est négative). Hitler, écrit Mohler, meut davantage l'âme des Allemands aujourd'hui que du temps où il était au pouvoir, pour la simple raison que les figures symboliques né­gatives sont plus efficaces que les positives. Hitler est devenu synonyme de “criminel”, ce qui implique qu'un crime concret d'au­jourd'hui est d'emblée minimisé au regard des crimes réels ou imaginaires attribués à Hitler.
  • 5) Parce que la VB crée ce qu'elle a combattu au départ : la désignation d'un peuple comme bouc émissaire. Si pour les Na­zis, c'était les juifs, pour les protagonistes de la VB, ce sont les Allemands.

Une mise au point que Mohler, citoyen hel­vétique, se devait de faire, par sympathie pour les Allemands, au milieu desquels il vit à Munich. Sa démonstration nous permet de percevoir les mécanismes d'aliénation qu'a imposé une certaine intelligentsia depuis 1945, pour occulter l'histoire de toute l'Eu­rope et, par là, juguler son élan vers l'indé­pendance, vers les décisions qui lui permet­traient de retrouver un destin.

Bernard WILLMS (Hrsg.), Handbuch zur Deutschen Nation, Band 2 : Nationale Verant­wortung und liberale Gesellschaft, Hohenrain Verlag, Tübingen, 1986, 685 p.

La contribution d'Armin Mohler s'intitule « Im Dickicht der Vergangenheitsbewältigung : Analyse eines deutschen Sonderweges » et s'étend de la page 35 à la page 107 du vo­lume édité par le Professeur Willms. Dans nos livraisons ultérieures, nous reviendrons sur les contributions des autres auteurs de cet ouvrage collectif.

Willy Pieters, Vouloir n°40/42, 1987.

Note

(I) Le querelle des historiens a préoccupé toute l'Allemagne de l'Ouest l'an passé. Elle a commencé lorsque l'historien Ernst Nolte, célèbre spécialiste des fascis­mes, publia le texte de l'une de ses conférences dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il appelait ses confrè­res à analyser l'histoire allemande de 1933 à 1945 avec davantage d'objectivité et à dépassionner le débat, comme cela se fait à l'étranger. Rien de plus normal. Mais le philosophe Habermas, à la lecture de cet article de Nolte, entra dans une fureur inouïe et, dans le journal Die Zeit (Hamburg), attaqua sauvagement, avec une méchanceté verbale délirante, l'historien ainsi que quelques-uns de ses collègues, dont Klaus Hildebrand, qui avait commis le « crime » de recenser positivement un article de Nolte, Michael Stürmer et Andreas Hillgruber, mondialement célèbre pour avoir étudié les archives de la diplomatie allemande sous le IIIe Reich. La réaction passionnelle de Habermas est infantile dans le sens où aucune sympa­thie nazie ou néo-nazie n’entache la réputation des his­toriens internationalement connus qu'il injurie copieu­sement et dans le sens où il ne possède aucune compéten­ce d'historien pour juger leurs œuvres. Habermas a travesti des citations, utilisé un vocabulaire de basse polé­mique et obtenu ainsi l'effet contraire de ce qu'il es­comptait. Dans un prochain numéro d'Orientations, nous publierons, sur cette question et cette polémique, une étude du journaliste Hans-Christof Kraus, collabo­rateur des revues Criticón et Phönix.

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/68

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