Le conflit des générations
La VB est également le produit d'un conflit de générations, écrit Armin Mohler. Les pères, revenus des campagnes de Hitler, infatigables reconstructeurs de leur pays ravagé, se heurtent aux fils, dorlotés par les bienfaits du miracle économique. Ces enfants de l'abondance s'engouent pour une philosophie néo-marxiste qui se mue rapidement en sectarisme irréaliste, car la RFA est, avec la Suède, un des États sociaux les plus perfectionnés que l'histoire ait généré. La dimension de “lutte des classes” perd sa raison d'être dans une société où la classe ouvrière est pourvue de droits dûment consignés et pratiqués et reçoit des salaires plus que corrects.
La démonisation du passé, démarche artificielle et sans objet concret, prend la place des luttes objectives dans le mental messianique des plus jeunes générations issues du miracle économique. La psychose concentrationnaire, cultivée par une intelligentsia culpabilisante et parasitaire, se met à hanter l'opinion publique ouest-allemande et atteint son sommet lors des projections répétées du feuilleton américain Holocauste.
L'Allemand, l'humanité germanique, sont posées comme responsables d'une horreur inégalée et inégalable dans l'histoire. Les réalisateurs d'Holocauste bénéficient de relais au sein même de la société allemande : ceux que Mohler, narquois, nomme les “superviseurs” de pensée. Parmi eux, des anciens nazis, particulièrement fanatiques et activistes sous Hitler, recyclés dans l'anti-nazisme hollywoodesque. Ce sont ces hommes-là, dit Mohler, qui, fidèles à leur vocation d'inquisiteurs, se montrent les plus zélés défenseurs des niaiseries de la VB. En 1979, avec la projection d'Holocauste, la VB atteint son point culminant ; entre 1980 et 1982, elle connaît un reflux ; en 1984, elle revient à la charge avec les festivités organisées pour le quarantième anniversaire du débarquement des troupes des thalassocraties en Normandie. En 1985, c'est le psycho-drame de Bit-burg ; en 1986, c'est le vaudeville hystérique et maniaque autour de l'élection de Waldheim.
Un libéralisme absolu et irréel
La VB est mise, dit-on, au service de la cause libérale et démocratique. Elle est nécessaire, ajoute-t-on, pour que l'Allemagne adhère enfin pleinement aux idéaux éclairés de l'Occident. Pour éliminer les scories dune pensée et d'une praxis politiques allemandes, basées sur l'idée de communauté populaire, il faut défendre et illustrer un libéralisme absolu, un libéralisme de zélotes affairés. Pour Mohler, un tel libéralisme pur et absolu n'est ni réel ni réalisable ; en Occident, c'est-à-dire en France et dans les pays anglo-saxons, le libéralisme est viable parce qu'il n'est pas pris à la lettre ni conçu de manière absolue.
Pour les Français et les Anglo-Saxons, le libéralisme est un article d'exportation, un label d'humanisme, un vocable de pure propagande, écrit Mohler, qui cache une praxis qui, elle, n'a rien de libéral. La tentative ouest-allemande d'acclimater en Europe Centrale un libéralisme absolu par le truchement d'une “loi fondamentale” (Grundgesetz) sera perçue avec amusement par les Occidentaux qui verront, dans cette pratique, une manie supplémentaire du perfectionnisrne germanique. Pour les alliés, tant que l'ours germanique est absorbé par la tâche irréalisable de fabriquer un libéralisme pur, il est facilement manipulable, donc inoffensif.
L'angoisse devant la “décision”
Malgré le culte des vocables “Liberté” et “Égalité”, commun à tout l'Occident, Français et Anglo-Saxons ont toujours su, dans l'orbite du politique, les utiliser de manière strictement “instrumentale”, en laissant, à l'homme politique, l'occasion de trancher, de décider. Car sans la “décision”, aucune structure étatique, aucune instance politique n'est viable. Certes, la “décision” comporte des risques mais ceux-ci sont inévitables. La tentative d'exclure tous risques potentiels, en pré-programmant tout agir jusque dans les moindres détails, recèle un danger : celui d'aborder un réel qui finit toujours par produire le contraire de nos espérances et de nos calculs et de nous retrouver, ipso facto, désarmés devant ses ruses. La décision de l'homme politique répond à une situation concrète qui exige une réponse prompte. Dans l'Allemagne soumise aux principes de la VB, tout acteur politique vit dans l'angoisse de devenir un “criminel” s'il agit, décide, tranche.
L'angoisse que suscite la “décision” politique est un produit direct de la VB. Face à chaque situation qui appelle une solution, on se demande ce qu'aurait bien pu faire Hitler et… on se décide pour le contraire. Le fantôme de Hitler, instrumentalisé par la VB, exclut toute responsabilité personnelle, avec l'intention d'extirper le mal de la planète. Depuis 200 ans, il existe, en Allemagne, comme ailleurs en Europe et aux États-Unis, une caste de personnages qui se donnent pour profession de fabriquer des opinions. Nous pourrions l'appeler le “quatrième pouvoir”.
Cette caste est douée d'extraordinaires facultés d'adaptation ; elle épouse toujours, avec une formidable fébrilité, les manies et obsessions des partis au pouvoir. En 1945, de thuriféraire du nazisme, elle passe, par une mue-éclair, au super-démocratisme. Un nouveau clergé voit ainsi le jour, qui soumet, sous sa férule morale, les trois pouvoirs habituels des démocraties libérales. Ce “quatrième pouvoir”, cléricalisme laïc, impose une sphère d'opinions anti-politiques jusqu'à la moëlle, évite les thèmes controversés mais non résolus et laisse à l'étranger le soin de “décider” pour les Allemands à la place des Allemands.
Le “Quatrième Pouvoir”
[Pour Armin Mohler, l'effervescence de 1968 a davantage bouleversé l'intelligence allemande que la défaite de 1945. En 1945, les fondements de la culture allemande n'avaient pas été ébranlés. Après 1968, un nouveau clergé d'intellectuels se charge d'éradiquer tous les fondements de la pensée allemande, pour ne laisser que des ruines. Le tout, au nom d'un anti-fascisme sans objet]
Pour Mohler, l'avènement de ce “quatrième pouvoir”, souhaité par les États-Unis, ne date pas vraiment de 1945, quand les Allemands, déshérités par la guerre, ne pensaient qu'à la reconstruction, mais de 1968, quand, par le truchement de la révolte étudiante, s'est opéré une césure profonde au sein de l'intelligence allemande. En 1945, le culte national-socialiste du “Führer” fit place à un certain scepticisme mais les valeurs traditionnelles allemandes, celles véhiculées par Gœthe, l'idéalisme philosophique, la famille, le bien public, etc., demeuraient présentes dans tous les esprits. La nation avait subi un traumatisme profond mais n'était pas intellectuellement désorientée.
Le pseudo-anti-fascisme, qui fait rage depuis une vingtaine d'années, lui, cherche à laminer tous les points d'orientations et à criminaliser toutes les valeurs, sous prétexte que, d'une façon ou d'une autre, elles auraient secrété le nazisme. L'anti-fascisme ainsi conçu perd sa raison d'être puisqu'il ne protège plus les esprits contre une praxis politique qu'il juge perverse (et c'est son droit), mais s'attaque au noyau identitaire le plus profond et le plus légitime de la nation.
Horreurs hitlériennes et génocide irlandais
Cette volonté de promouvoir un libéralisme pur, expurgé de toute faculté de décision, et cette entreprise de destruction arasante de tout noyau identitaire allemand, forment la toile de fond d'un “messianisme culpabilisateur”, déconnecté du réel historique et politique. Le libéralisme pur et l'arasement anti-culturel sont censés interdire toute réapparition de l'inégalable “horreur hitlérienne” et faire accroire au public allemand qu'il a été le responsable imprescriptible de crimes contre l'humanité. En guise de cure contre la névrose que cette pratique suscite, Mohler suggère d'étudier l'histoire irlandaise, avec ses 8 siècles d'horreurs, de massacres, d'esclavage, d'arbitraire et de pillages, perpétrés par les Anglais. Une politique de génocide à l'encontre de l'Irlande a été, à intervalles réguliers, dûment programmée dans certaines officines londoniennes.
Conclusions
Conclusion de l'essai de Mohler, prélude à un livre à paraître : la VB doit disparaître du mental ouest-allemand contemporain. Pourquoi ?
- 1) Parce qu'elle n'est plus qu'un instrument pour faire de la politique, pour se propulser aux bonnes places avec l'appui des média et qu'ainsi, dépourvue de désintéressement, elle perd toute justification morale.
- 2) Parce qu'elle rend aveugle à la complexité du réel.
- 3) Parce qu'elle nous interdit d'utiliser l'expérience historique pour corriger les effets négatifs des théories absolues, énoncées de nos jours. Si l'histoire est criminelle, on ne peut, logiquement, utiliser des exemples historiques pour dénoncer telle ou telle praxis contemporaine ou pour avertir du danger de telle ou telle idéologie.
- 4) Parce que l'alibi “Hitler” n'a été que trop utilisé. Hitler est devenu la figure la plus connue de tout le globe : ni Staline ni Mao ni Gandhi ne pourraient se vanter de le dépasser en popularité (même si cette popularité est négative). Hitler, écrit Mohler, meut davantage l'âme des Allemands aujourd'hui que du temps où il était au pouvoir, pour la simple raison que les figures symboliques négatives sont plus efficaces que les positives. Hitler est devenu synonyme de “criminel”, ce qui implique qu'un crime concret d'aujourd'hui est d'emblée minimisé au regard des crimes réels ou imaginaires attribués à Hitler.
- 5) Parce que la VB crée ce qu'elle a combattu au départ : la désignation d'un peuple comme bouc émissaire. Si pour les Nazis, c'était les juifs, pour les protagonistes de la VB, ce sont les Allemands.
Une mise au point que Mohler, citoyen helvétique, se devait de faire, par sympathie pour les Allemands, au milieu desquels il vit à Munich. Sa démonstration nous permet de percevoir les mécanismes d'aliénation qu'a imposé une certaine intelligentsia depuis 1945, pour occulter l'histoire de toute l'Europe et, par là, juguler son élan vers l'indépendance, vers les décisions qui lui permettraient de retrouver un destin.
♦ Bernard WILLMS (Hrsg.), Handbuch zur Deutschen Nation, Band 2 : Nationale Verantwortung und liberale Gesellschaft, Hohenrain Verlag, Tübingen, 1986, 685 p.
La contribution d'Armin Mohler s'intitule « Im Dickicht der Vergangenheitsbewältigung : Analyse eines deutschen Sonderweges » et s'étend de la page 35 à la page 107 du volume édité par le Professeur Willms. Dans nos livraisons ultérieures, nous reviendrons sur les contributions des autres auteurs de cet ouvrage collectif.
► Willy Pieters, Vouloir n°40/42, 1987.
Note
(I) Le querelle des historiens a préoccupé toute l'Allemagne de l'Ouest l'an passé. Elle a commencé lorsque l'historien Ernst Nolte, célèbre spécialiste des fascismes, publia le texte de l'une de ses conférences dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il appelait ses confrères à analyser l'histoire allemande de 1933 à 1945 avec davantage d'objectivité et à dépassionner le débat, comme cela se fait à l'étranger. Rien de plus normal. Mais le philosophe Habermas, à la lecture de cet article de Nolte, entra dans une fureur inouïe et, dans le journal Die Zeit (Hamburg), attaqua sauvagement, avec une méchanceté verbale délirante, l'historien ainsi que quelques-uns de ses collègues, dont Klaus Hildebrand, qui avait commis le « crime » de recenser positivement un article de Nolte, Michael Stürmer et Andreas Hillgruber, mondialement célèbre pour avoir étudié les archives de la diplomatie allemande sous le IIIe Reich. La réaction passionnelle de Habermas est infantile dans le sens où aucune sympathie nazie ou néo-nazie n’entache la réputation des historiens internationalement connus qu'il injurie copieusement et dans le sens où il ne possède aucune compétence d'historien pour juger leurs œuvres. Habermas a travesti des citations, utilisé un vocabulaire de basse polémique et obtenu ainsi l'effet contraire de ce qu'il escomptait. Dans un prochain numéro d'Orientations, nous publierons, sur cette question et cette polémique, une étude du journaliste Hans-Christof Kraus, collaborateur des revues Criticón et Phönix.
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