jeudi 12 novembre 2020

L'histoire des premiers hommes modernes en Eurasie remise en cause

  


À partir de l'ADN d'un fémur fossile vieux de 45 000 ans, une équipe de généticiens placée sous la direction de Svante Pääbo, de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionnaire de Leipzig, et comprenant notamment Qiaomei Fu, Janet Kelso et David Reich, est parvenue à déchiffrer le plus ancien génome d'Homo sapiens connu à ce jour. Le fémur en question a été découvert par hasard au bord de la rivière Irtych, près du village sibérien d'Ust'-lshim, dans la région d'Omsk, par un sculpteur d’ivoire qui recherchait des défenses de mammouth. Cette trouvaille pourrait avoir des conséquences considérables pour l'étude des premiers peuplements de l'Europe. Elle « suggère que l'histoire des premiers hommes modernes en Eurasie est plus complexe qu'on ne le pensait », a d'ailleurs déclaré Jean-Jacques Hublin, lui aussi professeur à l'Institut Max Planck de Leipzig. Selon la théorie classique, les premiers hommes modernes sont en effet arrivés d'Afrique il y a tout au plus 40 000 ans. Or, le fémur de l'homme d'Ust'-lshim est plus ancien. Pour expliquer cette divergence, les chercheurs sont donc d'obligés d'imaginer une vague de peuplement antérieure à celle dont sont issus les Européens du paléolithique supérieur du type CroMagnon, vague dont on ne sait quasiment rien, car il est pour l'instant impossible de l'associer à un type particulier d'industrie lithique.

Les chercheurs ont aussi comparé les gènes de l'ADN du fémur sibérien à ceux de plus de 900 individus appartenant à 53 populations actuelles, ce qui leur a permis de constater que l'homme d'Ust'-lshim (dont on sait, grâce à l'analyse isotopique, qu’il se nourrissait d'animaux herbivores, de poissons d'eau douce et de plantes terrestres), était plus proche des Européens d'aujourd'hui que des Africains, sans qu’il soit pour autant possible de le rattacher aux Asiatiques d'aujourd'hui ou aux Européens de la préhistoire moins anciens que lui. Il appartiendrait donc à une population disparue sans descendants après avoir exploré une bonne partie de l'Eurasie. Son ADN contenait par ailleurs environ 2 % de gènes néandertaliens, ce qui est également le cas des Européens d'aujourd'hui. Mais les segments d'ADN néandertalien présents chez lui étaient moins nombreux et plus longs que dans les populations actuelles, ce qui montre qu’il a vécu assez peu de temps après la rencontre entre Néandertaliens et Homo sapiens. Cette rencontre, qu'on estimait pouvoir s'être produite entre 37 000 et 86 000 ans, serait donc en fait intervenue entre 50 000 et 60 000 ans.

Source : Nature, 23 octobre 2014.

éléments N°154 janvier-mars 2015

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