L’École n'enseigne plus l'histoire de leur pays aux jeunes Français. Elle s'occupe de former des citoyens du monde.
Jean-Christophe est à plaindre. Ce professeur d'histoire et géographie en région parisienne aime son métier, est convaincu de l'importance de sa mission et de l'héritage à transmettre aux lycéens qui lui sont confiés. Alors il fait ce qu'il peut, en se battant pied à pied contre l’Éducation nationale, ses programmes ubuesques et ses inspecteurs butés, contre le parti-pris aussi de ne plus enseigner aux jeunes Français l'histoire de leur pays, si passionnante pourtant.
Le bilan qu'il dresse est sévère : « L'histoire de France, dit-il, n’est abordée qu'a la faveur de quelques grands concepts, qui cherchent à démontrer que la construction européenne, le mondialisme et la démocratie sont la base et l'avenir du monde actuel. Aujourd'hui, un élève de Seconde ignore que la France existait avant la Révolution. Après avoir travaillé sur "les Européens dans le peuplement de la terre" puis "l'invention de la citoyenneté dans le monde antique" et "les sociétés et cultures de l'Europe médiévales " - où il n'est pas directement question de la France- il va étudier, en abordant la Renaissance, "une cité précolombienne confrontée à la conquête et à la colonisation européenne " puis la Cité interdite à Pékin, mais il n’entendra à aucun moment parler de François Ier ni des châteaux de la Loire ! Il est donc fondé à croire que la France est née en 1789, ce qui rend d'ailleurs la période révolutionnaire incompréhensible, car comment fait-on une révolution contre ce qui n existe pas ? J'essaie néanmoins de parler de l'histoire de France aux élèves, mais cela m'a été reproché. La chronologie est complètement déstructurée, je me bats pour la restaurer mais cela aussi m a été reproché. Les élèves apprennent les deux guerres mondiales et l'histoire de la Shoah, puis voient la guerre froide, avant de revenir sur les totalitarismes et d'étudier l'Allemagne nazie, comment voulez-vous qu'ils s'y retrouvent. »
Cette analyse en forme de coup de gueule rejoint celle de Laurent Wetzel, ancien maire de Sartrouville et inspecteur de l’Éducation nationale à la retraite, interviewé dans le Figaro-Magazine du 24 août : « Les programmes d'histoire actuels sont trop ambitieux et très émiettés, au collège comme au lycée, estime-t-il. Le programme de cinquième, qui va de Mahomet à Louis XIV en passant par Luther et le Monomotapa cher à La Fontaine - mais en oubliant l'humanisme à côté de la Renaissance - ne peut être traité à raison d'une heure par semaine. Le programme de seconde, qui va de l'installation des Celtes en Europe aux révolutions de 1848, ne peut être traité à raison d'une heure et demie par semaine. Le programme de terminale L-ES, qui va de la vieille ville de Jérusalem à la gouvernance économique mondiale depuis 1944, en passant par le syndicalisme en Allemagne depuis 1875 et les rapports religion-société aux États-Unis depuis les années 1890, ne peut être traité à raison de deux heures par semaine. Les programmes doivent être allégés et recentrés, pour partie sur l'histoire de la France. »
La logique des programmes, c'est celle de la mondialisation
Mais n'est-ce pas là justement ce dont les idéologues de l’Éducation nationale ne veulent pas ? Exit la France, que ce soit des programmes d'histoire ou de ceux de géographie, qui sont peut-être encore pire, accuse Jean-Christophe. « La France n'apparaît plus indépendamment de l'Europe, dit-il. Elle n'est plus traitée comme un pays indépendant. La logique des programmes, c'est celle de la globalisation, de la mondialisation. On nous promet un monde obligatoirement meilleur, un monde de bisounours, un meilleur des mondes. »
Il suffit de consulter les programmes - préparés sous un gouvernement présumé de droite par le socialiste Richard Descoings - pour vérifier le bien-fondé de cette affirmation.
Ainsi, l'un des quatre thèmes principaux abordés dans le programme d'histoire de Terminale porte sur « les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours : l'échelle de l’État nation, l'échelle continentale et l'échelle mondiale. »
De manière encore plus nette, le programme de géographie a trait à la « mondialisation et dynamiques géographiques des territoires ». Ses auteurs indiquent en introduction le « fil conducteur du programme » : « En classe de première, en histoire et en géographie, une approche du processus de mondialisation a déjà été entreprise. Le programme de terminale approfondit cette thématique et l'articule avec d'autres grilles de lecture du monde, le phénomène de mondialisation est ainsi mis en regard avec des logiques plurielles d'organisation de l'espace mondial (géo-économiques, géopolitiques, géo-environnementales et géoculturelles).
Le programme propose des approches territoriales à différentes échelles, de la ville aux grandes aires continentales, pour prendre en compte la complexité et les évolutions d'une planète mondialisée. »
Voilà qui est clair et l'on comprend mieux, dès lors, le peu de place aménagée à la France, que ce soit en histoire ou en géographie. La mission de l'école ne consiste-t’elle pas désormais à former des citoyens du monde ?
Hervé Bizien monde&vie 8 septembre 2012 n°864
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