dimanche 8 novembre 2020

Le Palais-Royal, sulfureux écrin de la Révolution

  


Le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille donna lieu à des scènes sanglantes, au massacre d'invalides, du gouverneur de la prison et du prévôt des marchands. Mais c'est au Palais-Royal que la Révolution avait fait ses premiers pas.

Pour ceux d'entre eux, au moins, qui s'occupaient de politique intérieure, les nouvellistes parisiens avaient depuis longtemps pris l'habitude, lorsque furent convoqués les Etats-généraux, de se réunir au Palais-Royal, sous un grand marronnier appelé « l'arbre de Cracovie », à cause, explique Frantz Funck-Brentano(1) de l'analogie entre le nom de cette ville polonaise et l'expression « conter des craques ». À la veille de la Révolution, les lieux appartenaient à Philippe d'Orléans, cousin du roi et Grand-Maître du Grand-Orient de France, acquis aux idées nouvelles tant par ambition que par légèreté.

Première fortune du royaume, et plus dépensier encore que riche, il songea à lotir ses jardins pour les ouvrir au commerce, contre l'avis de Louis XVI.

La mauvaise humeur de celui-ci n'empêcha pas le prince de gagner, en avril 1788, un procès que lui intentaient ses locataires, mécontents de l'augmentation du prix des loyers.

Mais nécessité fait loi, et le duc avait besoin d'argent.

Lieu parfaitement malfamé

Le Palais-Royal devint vite l'endroit à la mode par excellence, au demeurant parfaitement mal famé. Abri privilégié des galanteries poussées, ses bosquets abritèrent des amours impudiques, comme ceux du forgeron Constant et de la prostituée Louise Maurice, dont les ébats de plein air passionnaient un public fidèle. Et Léon Daudet n'exagère pas lorsqu'il écrit du futur Philippe-Egalité que « par ses boutiques du Palais-Royal, où s'installèrent, avec son agrément, le jeu et la prostitution, s'ajoutant à ses immenses revenus, ce prince devint patron de bordel, comme on dit en argot "tôlier" ».(2) « Rendez-vous des frelons politiques et littéraires »(3) les jardins du duc d'Orléans attirent alors tous les désœuvrés qui traînent dans Paris en mal d'aventure, de bonne fortune ou d'une popularité éphémère. Ils s'y croisent dans un bourdonnement incessant, répercutant les fausses nouvelles, s'excitant mutuellement aux harangues incendiaires d'orateurs surgis des clubs environnants, multitude instable et divagante, en mal de sensations, offerte aux activistes de tout poil. Dix mille personnes se pressent là nuit et jour, applaudissant aux appels à l'émeute et au meurtre auxquels se livrent les émules des Desmoulins et des Marat, d'autant plus certains de l'impunité que la police, par privilège du duc, est ici interdite d'accès.

À considérer le Palais-Royal à cette époque, on voit s'assembler les mécanismes de la Terreur. La foule, qui bientôt dictera sa loi aux successives assemblées nationales, est déjà là et semble apprendre son rôle futur dans ce théâtre protégé. Elle garantit aux acteurs l'anonymat et l'irresponsabilité, conditions indispensables au déclenchement du mouvement insurrectionnel.

« La nation sera purgée »

À l'abri du nombre et l'excitation aidant, tout est autorisé. Appelant à la guerre civile contre les privilégiés, Desmoulins énonce ce que Taine a appelé « le programme de la Terreur » : « Jamais plus riche proie n’aura été offerte aux vainqueurs. Quarante mille palais, hôtels, châteaux, les deux cinquièmes des biens de la France, seront le prix de la valeur. Ceux qui se prétendent conquérants - les nobles - seront conquis à leur tour. La nation sera purgée. »

Les noms suivent, précision oblige. Tel orateur de rencontre propose par exemple de brûler le Conseiller d'Eprémesnil, sa femme et ses enfants, avec sa maison : motion approuvée à l'unanimité. Peu de temps auparavant pourtant, la popularité de ce parlementaire, qui avait demandé la convocation des États généraux, était au zénith.

La menace n'est pas vaine. Les têtes de Launay et de Flesselles en témoigneront le 14 juillet au bout des piques de l'émeute. La surenchère et le sentiment de l’impunité laissent s'exprimer les plus bas instincts. Des mots, en effet, on passe très vite aux actes. Ainsi s'en prend-on à un ecclésiastique, lancé de main en main et foulé aux pieds; à des hussards, injuriés et lapidés à un indicateur de police, jeté dans un bassin, traqué, forcé, énucléé, battu pendant cinq heures avant de parvenir à fuir. Leur appartenance à un ordre, à un état, à un corps désigne les « ennemis ». En principe, il s'agit de les châtier en réalité, c'est la divergence d'opinion qui n'est pas admise. On intimide l'opposant pour le réduire au silence. Un abbé, une femme qui disent du mal de Necker sont fouettés. Mieux un homme qui n'approuve pas les appels au meurtre lancés par les orateurs est humilié, fessé, à demi noyé dans une fontaine et livré à la populace, qui le roule dans la boue. Autour de lui, dix mille bourreaux. Gageons que la prochaine fois, il passera son chemin sans mot dire.

« La foule, commente Taine, exerce toutes les fonctions de la puissance souveraine, avec celles de législateur celles déjuge, avec celles de juge celles de bourreau. » Nous sommes en juin 1789. On terrorise déjà. Comment s'étonner alors que cet écrin de pierre posé au centre de Paris accouche des premières grandes « journées » insurrectionnelles ?

1). Frantz Funck-Brentano. L'Ancien Régime.

2). Léon Daudet. Deux idoles sanguinaires.

3). Hyppolite Taine. Les origines de la Révolution française.

Eric Letty monde&vie 7 juillet 2012 n°862

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