mardi 10 novembre 2020

La Guerre de 1914: entre littérature et images

  


Œuvres d'écrivains ou simples lettres de poilus, les témoignages des soldats qui ont connu la Première Guerre mondiale, encore si proche de nous, sont toujours poignants. Ce conflit héritier de la Révolution a fait basculer le XXe siècle dans le sang.

En 2008, l'historienne Yaël Dagan avait consacré un excellent ouvrage à la Nouvelle Revue française fondée par Gide. La particularité de l'œuvre résidait dans le fait que l'auteur étudiait exclusivement la période de la Grande Guerre et le début des années 1920, comme pour mieux saisir la particularité de l'époque, scellée par l'immense conflit franco-allemand. L’angle, ici, était résolument historique. Avec Écrivains dans la Grande Guerre, France Marie Fremeaux nous offre, elle, une autre et belle variation sur le même thème, mais cette fois dans le monde des Lettres en général.

Professeur de littérature comparée, elle a sélectionné vingt-quatre écrivains de l'époque, des « écrivains-soldats [...] tous ont été enrôlés. Ils sont la mémoire du conflit ». On y retrouve les noms de Bernanos et de Giraudoux, d'Aragon et de Giono, de Barrés et d'Hemingway… Les grincheux ne rencontreront pas forcément « leur » héros, mais qu'importe car le choix, subjectif par définition, n’en reste pas moins judicieux et représentatif des milieux littéraires du temps. Chaque personnage est replacé à un moment particulier du conflit de 1914 : des élans patriotiques et joyeux du début à la dureté guerrière du front, du rôle de l’étranger (la légion étrangère, l'Américain…) aux accents interrogateurs, parfois pacifistes, visant à chercher un sens à la boucherie.

On sait, depuis les travaux de l'historien américain Mossé, ce que la Grande Guerre de 1914 doit à la Révolution de 1789 : le progrès humain d'un monde sans Dieu et déraciné s'est très sûrement terminé dans les tranchées du nord-est de la France, pour « s'épanouir » ensuite dans les totalitarismes du XXe siècle et se vautrer dans un deuxième conflit mondial. De tout ce vaste mouvement révolutionnaire, le monde littéraire tente de comprendre les conséquences. La parole et les mots de ces écrivains sont nés de « circonstances diverses, de violent refus ou bien d'acceptation de la réalité, de doutes exprimés devant l’affirmation qui les efface, de forte incertitude, d'assurance voilée, d'une quête frêle d'explications qui résistent à la corrosion du temps, de volonté, de timidité face au monde et de peur, de lâchetés puis de courage, d'élan, d'audace, de dédain, de défaites très dures à porter ou de victoires qui ne sont pas moins pesantes […] » Et France Marie Fremeaux de continuer à décrire toute la palette des sentiments humains dans ce contexte infernal au sens propre « un voyage aux enfers ».

Paroles de poilus

À la lecture de ce livre, on ne peut s'empêcher de penser à l'inévitable Jean de Viguerie et à ses Deux Patries. À propos du pacifiste Barbusse, Viguerie écrivait : « […] bien peu ont compris comme lui le phénomène de la guerre moderne et la manière dont elle précipite des peuples entiers dans le néant appelé gloire. »

Dans le même registre, mais non dans le même style, les éditions du Soleil publient le deuxième tome de Paroles de Poilus, Mon papa en guerre. Spécialisées dans la bande-dessinée, les éditions du Soleil ont eu l'idée de réunir plusieurs dessinateurs afin d'illustrer des lettres de pères au combat et les réponses de leurs enfants.

L’ensemble forme un tableau de petites touches, des historiettes de trois ou quatre pages maximum mises en regard avec le texte original et des photos d'époque. Les fautes d'orthographes des enfants n'ont pas été corrigées. S'en dégage une forme de naïveté douce et tendre, touchante évidemment au regard de la situation dramatique. Toutes les histoires sont vraies un père pris en otage par les Allemands et qui livre ses dernières volontés à ses enfants : la famille Falcon de Longevialle qui, sur onze fils, en perd cinq un gamin, à la veille de Noël 1918, qui tombe sur une grenade dans une gare et joue avec : sa mère et sa sœur sont tuées sur le coup. La famille devait rejoindre le père qui avait survécu pendant quatre ans dans le nord de la France.

Au delà de ces quelques témoignages poignants, cet album offre l'intérêt d'un double regard : celui de la lecture d'un texte puis de sa mise en image. L'imagination du début se trouve ainsi canalisée par son interprétation artistique. Bouleversant.

France Marie Fremeaux, Ecrivains dans la Grande Guerre, de Guillaume Apollinaire à Stefan Sweig, L'Express, 376 p., 20 €.

Collectif, Paroles de poilus, tome II Mon papa en guerre, Editions du Soleil, 94 pages, 19,99 €.

Christophe Mahieu monde&vie 4 décembre 2012 n°868

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