Il semble que Mohammed lui-même, dont on dit qu'il a été marié à une riche veuve juive Khadidja par le prêtre Waraqa, ait effectué un passage par un christianisme judaïsant que l'on rattache à ceux que le Coran nomme « Nazaréens ». L'Arabie est largement christianisée à son époque, mais la plupart de ces chrétiens ne sont pas des chrétiens judaïsants comme Mohammed; ils croient en la Trinité. Le coup de génie politique que l'on déchiffre dans le Coran est d'assimiler les chrétiens trinitaires aux idolâtres, comme étant ceux « qui font de Dieu le troisième de trois », « ceux qui associent au Dieu unique ». Les chrétiens arabes qui ne se rallient pas seront tous exterminés, grâce à ce beau raisonnement.
Bat Ye'or, dans ce classique qu'est Les chrétiens d'Orient entre Jihad et dhimmitude, retrace les premières conquêtes, extérieures à l'Arabie, en Syrie, puis en Egypte. Les témoignages d'époque sont accablants. Il y a les villes, défendues par leurs murailles, dans lesquelles il n'est pas forcément facile d'entrer; avec ces villes, les chefs musulmans signent des traités, qui sont des traités de dhimmitude : moyennant un tribut payé régulièrement et l'acceptation d'un statut social inférieur, ces chrétiens citadins se voient laisser la vie sauve. Ils ont l'impression d'échapper au fisc byzantin pour contracter de nouvelles obligations, qu'ils acceptent, parce que les envahisseurs paraissent peu nombreux et inorganisés : le civilisé a toujours un petit complexe de supériorité sur le barbare. Ces vieilles terres de civilisation se sont données souvent, mais les habitants, dans les premiers temps au moins, imaginaient en finir rapidement avec les envahisseurs.
Pourtant ces envahisseurs sont cruels. Dans les campagnes, il n'y a nul traité. Là règne immédiatement la loi de la guerre, c'est-à-dire les razzias, les massacres et la réduction de populations entières en esclavage. La chronique de l'évêque Michel nous a conservé ses impressions au moment de la conquête de Damas : « Omar envoya Khaled avec une armée dans la région d'Alep et d'Antioche. Ils y firent périr beaucoup de monde. Personne ne leur échappait. Quoi qu'on puisse dire des maux que la Syrie eut à subir, on ne pourrait les raconter à cause de leur multiplicité. Les Taiyayê (Arabes) étaient la grande verge de la colère de Dieu ».
On ne compte pas les villes détruites, celles qui tentèrent de résister : Alep, Antioche, Ctésiphon, Pergame, Sardes, Nicée furent entièrement détruites et leurs habitants massacrés. En Afrique du nord, les villes de Tripoli et de Carthage furent elles aussi détruites et leurs habitants passés au fil de l'épée. Il fallut plus d'un siècle aux Arabes pour venir à bout de la résistance berbère. Mais qu'importe le temps aux nouveaux conquérants ! La guerre aux chrétiens est une obligation religieuse (le Djihad).
Très vite d'ailleurs le Djihad se fit aussi par mer. Chypres est attaqué dès 649, la Crète en 674. Les troupes musulmanes passent en Europe, ravagent les côtes de Provence. Au VIIIe et IXe siècle, la Sicile et l'Italie font les frais de cette frénésie de guerre. Rome est assiégé en 846. En Sicile Syracuse tomba en 878 après un siège de neuf mois. « Des milliers de ses habitants furent tués et on y fit un butin comme on n’en avait jamais fait dans aucune autre ville. Quelques rares hommes purent s'échapper » explique fièrement Ibn Al Hâtir dans ses Chroniques.
J'emprunterai à Bat Ye'or une première conclusion : « Le massacre, l'incendie, le pillage, la destruction, la réclamation du tribut, l'esclavage étaient des procédés pratiqués par toutes les armées dans la période considérée. Seule la démesure, la pérennité et la systématisation des destructions codifiées par la théologie distinguent le Djihad des autres guerres de conquête ».
Lectures
Bat Ye'or, Les chrétiens d'Orient entre jihad et dhimmitude, éd. Jean-Cyrille Godefroy, 532 pp. 28 euros
Jean-Pierre Valognes, Vie et mort des chrétiens d'Orient des origines à nos jours, éd. Fayard, 978 pp. (épuisé)
Alain Hasso monde&vie 18 mars 2015 n°905
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