Il y a quatre-vingts ans, le 10 juillet 1940, la Chambre des députés du Front populaire et le Sénat à majorité radicale-socialiste accordaient, suite à la Débâcle, à l’armistice de juin 1940 et à l’occupation d’une grande partie du territoire métropolitain, des pouvoirs exceptionnels au Maréchal Pétain qui devenait le nouveau chef de l’État. En janvier 1941, son gouvernement désigne cent quatre-vingt-douze membres du Conseil national. Cette instance consultative s’organise en plusieurs commissions dont une sur les provinces et une autre dédiée à la rédaction d’une nouvelle constitution. Parmi les différentes moutures, regardons la plus connue, soit le projet constitutionnel du 30 janvier 1944 (1). Ce document se divise en sept titres et en quarante-et-un articles, ce qui en fait l’une des plus courtes constitutions envisagées de l’histoire politique de la France contemporaine.
L’esquisse de constitution de janvier 1944 présente de notables innovations. Son préambule, « Titre préliminaire – Principes fondamentaux », comprend douze articles qui en forment le socle intangible, rappelant en moins détaillé, d’une part, la Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen de la Constitution du 5 fructidor An III (du 22 août 1795) qui ouvre le Directoire et, d’autre part, le titre premier, « De l’exercice des droits », de la Constitution du 22 frimaire An VIII (du 13 décembre 1799), soit le Consulat. Ces principes fondamentaux insistent sur « les devoirs et droits respectifs de la puissance publique et des citoyens (art. 1er 2e alinéa) ». L’article 4 proclame qu’« acquise par le travail et maintenue par l’épargne familiale, la propriété est un droit inviolable, justifié par la fonction sociale qu’elle confère à son détenteur ». Deux autres articles essentiels ont une finalité organiciste et corporatiste. L’article 5 énonce que « l’État reconnaît les droits des communautés spirituelles, familiales, professionnelles et territoriales au sein desquelles l’homme prend le sens de sa responsabilité sociale et trouve appui pour la défense de ses libertés »; l’article 8 affirme que « l’organisation des professions, sous le contrôle de l’État, arbitre et garant de l’intérêt général, a pour objet de rendre employeurs et salariés solidaires de leur entreprise, de mettre fin à l’antagonisme des classes et de supprimer la condition prolétarienne. Par une représentation assurée à tous les échelons du travail, les professions organisées participent à l’action économique et sociale de l’État ». Les articles 6 et 21 portent sur le suffrage et fixent les conditions d’éligibilité à vingt-cinq ans, la majorité légale étant maintenue à vingt-et-un ans. Outre la reconnaissance du droit de vote accordé aux Françaises nées « de père français » s’applique le vote familial. « Sauf dans les élections de caractère professionnel, un suffrage supplémentaire est attribué aux chefs de familles nombreuses en raison de leurs responsabilités et de leurs charges (art. 6). » L’article 21 « institue le vote familial sur la base suivante : le père ou, éventuellement, la mère, chef de famille de trois enfants et plus, a droit à un double suffrage ». On peut regretter l’usage d’un double suffrage et non pas un suffrage attribué pour chaque enfant mineur. Le droit du sang aurait dû constituer un article à part entière afin de préserver le caractère français du corps électoral. L’article 12 contrecarre la disposition habituelle des pouvoirs et contre-pouvoirs mentionnée par Montesquieu. Le projet ne se réfère pas à des pouvoirs, mais des fonctions. L’État se compose donc de trois fonctions, les fonctions gouvernementale, législative et juridictionnelle, ce qui exprime une entière organicité.
Une intelligente tripartition fonctionnelle
L’article 13 explique que « la fonction gouvernementale est exercée par le chef de l’État, les ministres et secrétaires d’État ». Quand on se penche sur ce projet de constitution, on observe qu’il prolonge en réalité les lois constitutionnelles de 1875, fondatrices de la IIIe République, dans un sens nettement conservateur. Les rédacteurs s’opposent à la pratique constitutionnelle de facto de mise à l’écart – relative – du président de la République au profit d’un « président du Conseil » entériné par l’usage. Sans aller jusqu’à un régime semi-présidentialiste (et non semi-présidentiel !) propre à la Ve République, ce texte veut cependant redonner un certain éclat à la présidence de la République prévue pour le maréchal Pétain. Ont-ils en tête la « constitution » Rivet ? Sur proposition du député Jean Rivet, la loi constitutionnelle du 31 août 1871 accorde au chef du pouvoir exécutif de la République française, Adolphe Thiers, le titre de « président de la République », restreint ses prérogatives et attribue à l’Assemblée nationale le pouvoir constituant. Par ailleurs, élu pour toute la durée de la législature, le président de la République, responsable devant elle, est entendu par les députés quand il le souhaite. Il nomme et révoque les ministres qui sont aussi responsables devant les députés.
Le projet du 30 janvier 1944 appelle le chef de l’État français de « président de la République ». Élu pour un mandat renouvelable de dix ans, l’article 10 assure qu’« il personnifie la Nation et a la charge de ses destinées.
Arbitre des intérêts supérieurs du pays, il assure le fonctionnement des institutions en maintenant – s’il est nécessaire, par l’exercice du droit de dissolution – le circuit continu de confiance entre le Gouvernement et la Nation ». Il nomme et révoque le Premier ministre, les ministres et les secrétaires d’État (art. 15). Présidant le Conseil des ministres, le chef de l’État détient les attributions classiques d’un dirigeant exécutif. Toutefois, sa liberté de manœuvre reste limitée par le contreseing de tous ses actes par un ou des ministres, à l’exception toutefois de la nomination et de la révocation du Premier ministre et des membres du gouvernement (art. 16 8e alinéa).
La relation au sein de l’exécutif s’articule autour d’une dyarchie inégalitaire. Ainsi le premier alinéa de l’article 18 stipule que « le Premier ministre, les ministres et secrétaires d’État sont responsables devant le chef de l’État, individuellement dans le cadre de leurs attributions propres, collectivement pour la politique générale du Cabinet ». Le gouvernement tant collectivement qu’individuellement est aussi responsable devant la Chambre des députés puisque l’alinéa 3 de l’article 25 mentionne la possibilité d’adopter une motion de défiance (ou de confiance) à l’égard du Cabinet ou d’un seul titulaire de ministère. Le président de la République conserve son droit de dissolution la Chambre des députés. Grande nouveauté par rapport à la IIIe République, l’article 17 prévoit trois circonstances d’application :
– la première s’inscrit dans le conservatisme orléaniste de 1875 puisque « le président de la République peut prononcer la dissolution de la Chambre des députés avec l’avis conforme du Sénat à la suite de l’envoi d’un message motivé »;
– le deuxième appartient à un « parlementarisme rationalisé » balbutiant, car le chef de l’État « peut, sur la demande du Premier ministre, et en cas de désaccord entre les deux assemblées ou entre le gouvernement et l’une des assemblées, ou en cas de vote d’une motion de défiance à l’égard du cabinet ou d’un ministre, prononcer la dissolution sans avis du Sénat »,
– la troisième représente pour les rédacteurs une évidence tant qu’ils ont souffert de l’instabilité ministérielle des années 1920 et 1930 quand « la dissolution intervient de plein droit au cas où la Chambre des députés émet des votes de défiance contre trois cabinets successifs ».
En cas de vacance de la charge suprême, il revient au Conseil des ministres d’en exercer l’intérim (art. 31 2e alinéa 3e paragraphe) jusqu’à l’élection d’un nouveau président.
Une structure bicamérale originale
La fonction législative correspond aux deux « Assemblées législatives (art. 20) », soit le Sénat et la Chambre des députés. Le Sénat ne représente pas que les collectivités territoriales. Il s’ouvre « aux représentants élus des institutions professionnelles et corporatives et aux élites du pays (art. 20) ». Cette formulation fait penser au projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat du 27 avril 1969. « Les sénateurs représentant les collectivités territoriales sont élus au suffrage indirect. Les sénateurs représentant les activités économiques, sociales et culturelles et les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont désignés par des organismes représentatifs, dans les conditions et suivant les règles fixées par la loi (art. 24 4e alinéa) (2). » Dans l’article 22 de la Constitution envisagée en 1944, les trois cents sénateurs se répartissent en quatre collèges différents :
– « deux cent cinquante membres, élus par des collèges départementaux comprenant les conseillers départementaux et des délégués des conseils municipaux »,
– « trente membres, désignés par le Chef de l’État parmi les représentants élus des institutions professionnelles et corporatives »,
– « vingt membres, désignés par le chef de l’État parmi les élites du pays »,
– et « les anciens présidents de la République à l’expiration de leur mandat ».
Si les deux dernières catégories bénéficient d’un mandat à vie, les deux premières sont élues pour neuf ans et renouvelées par tiers tous les trois ans. Que faut-il par ailleurs comprendre par « élites » ? On peut inclure dans cette acception les écrivains, les artistes (peintres, sculpteurs, chanteurs, architectes) et les savants. Lors de la première Cohabitation (1986 – 1988), le gouvernement RPR – UDF remplace la Haute-Autorité de l’Audiovisuel par la CNCL (Commission nationale de la communication et des libertés) qui existe de 1986 à 1989 avant que ne sévisse le CSA (ou future Censure sociétaliste de l’audiovisuel). Parmi les treize membres de la CNCL, outre six personnalités nommées respectivement en double par les présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale, le Conseil d’État, la Cour de Cassation, la Cour des Comptes et l’Académie Française élisent en leur sein un membre. Les dix membres cooptent ensuite ses trois derniers membres qui proviennent de la presse écrite, de l’audiovisuel et des télécommunications.
La Chambre des députés compte cinq cents membres élus pour six ans au suffrage majoritaire à un seul tour. Chaque département doit avoir au moins deux députés (art. 23 1er alinéa). Est-ce un scrutin majoritaire uninominal ? Le texte reste obscur. Quant à la durée de la législature, serait-ce un rappel implicite au Corps législatif de la constitution bonapartiste – impériale du 14 janvier 1852 et à son article 38 ? Peut-être…
La guerre ne peut pas être déclarée par le chef de l’État « sans l’adhésion préalable et formelle des deux chambres (art. 16 7e alinéa) ». Il s’agit de ne plus répéter l’erreur tragique du 3 septembre 1939 quand la guerre contre l’Allemagne fut déclenchée à l’occasion d’un vote banal sur une loi de finances. « Les traités de paix, de commerce, ceux qui engagent les finances de l’État et ceux qui sont relatifs à l’état des personnes et au droit de propriété des Français à l’étranger ne deviennent définitifs qu’après avoir été votés par les deux chambres (art. 16 3e alinéa). » Les deux assemblées jouent là encore un rôle parlementaire classique.
Quand elles se réunissent, leur séance commune est assurée par le bureau du Sénat. L’initiative de cette réunion revient soit au président de la République, soit à la demande des deux tiers de chaque assemblée. Elles forment l’Assemblée nationale. Elle révise la Constitution ou bien peut mettre en accusation le chef de l’État, le Premier ministre ou des membres du gouvernement. Elle « n’est, en aucun cas, maîtresse de son ordre du jour. Ses décisions sont prises à la majorité des deux tiers du nombre légal de ses membres (art. 30 3e alinéa 3e paragraphe) ».
Le titre III concerne le Congrès national qui dépend là encore du bureau du Sénat. Le Congrès national réunit l’Assemblée nationale et l’ensemble des conseillers provinciaux (art. 31). Meilleure que l’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 ou de l’article 29 de la Constitution du 27 octobre 1946 (le président de la République est élu par le Parlement ou par la réunion de la Chambre des députés et du Conseil de la République), cette procédure reste néanmoins bien en-deçà de l’article 6 initial de la Constitution du 4 octobre 1958 qui définissait l’élection du chef de l’État « par un collège électoral comprenant les membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des territoires d’outre-mer, ainsi que les représentants élus des conseils municipaux ». En revanche, pour empêcher une interminable élection, le projet impose qu’« aux deux premiers tours, l’élection requiert la majorité absolue du nombre légal des membres du Congrès. Au troisième tour, la majorité relative suffit (art. 31 3e alinéa) ». Une fois élu, le président de la République « prête serment de fidélité à la Constitution (art. 14) » devant ce Congrès national.
Une nouveauté d’ordre judiciaire
La grande nouveauté constitutionnelle se trouve au titre IV consacré à « La fonction juridictionnelle », avec la création d’une Cour suprême de justice. Le projet lui confère « la sauvegarde de la Constitution et l’exercice de la justice politique (art. 33) ». Il s’agit ici d’un cumul des attributions, dans le cadre de la Ve République des vingt premières années, de la Haute-Cour de justice et du Conseil constitutionnel. Cette instance statue « sur les recours pour inconstitutionnalité de la loi (art. 34 1er alinéa) », juge le chef de l’État et les membres du gouvernement mis en accusation par l’Assemblée nationale (ou, pour les ministres, par le président de la République), vérifie les « opérations électorales tendant à la désignation des sénateurs et des députés et se prononce sur les demandes de levées de l’immunité et sur les demandes de déchéance les concernant (art. 34 5e alinéa) » et « juge toute personne mise en accusation par le chef de l’État pour attentat contre la sûreté de l’État (art. 34 4e alinéa) ».
L’article 35 traite de sa composition. Il faut en distingue deux catégories. Chaque année, le Sénat désigne six conseillers en service extraordinaire qui siègent uniquement en cas de mise en accusation de l’exécutif ou d’attentat contre la sûreté de l’État. L’exercice des autres compétences de la Cour revient à quinze conseillers en service ordinaire inamovibles, âgés au moins de 50 ans et qui restent en fonction jusqu’à 75 ans. Le deuxième alinéa de l’article 35 précise un mode de recrutement qu’il faudrait plus que jamais s’inspirer. « Parmi les quinze conseillers en service ordinaire, douze sont ainsi recrutés : trois conseillers d’État, trois conseillers à la Cour de Cassation, trois professeurs des facultés de droit de l’État, trois bâtonniers ou anciens bâtonniers de l’ordre des avocats auprès d’une cour d’appel ou membres de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, choisis par la Cour suprême elle-même sur des listes de présentation établies par les Corps ou Ordres ci-dessus et comportant trois noms pour chaque siège à pourvoir. Trois sièges sont, en outre, réservés à des personnalités n’appartenant pas aux corps ou ordres mentionnés, mais présentés obligatoirement par ces corps ou ordres a raison, sur chaque liste, de deux noms pour toute vacance dans ces trois sièges. » Ces quinze conseillers « ordinaires » élisent parmi eux le président et le vice-président de la Cour suprême de justice. Il va de soi qu’ils ne peuvent exercer aucune profession, ni être député ou sénateur (art. 36 1er alinéa). Leur « traitement est égal à celui des ministres (idem) ».
La Cour suprême de justice nomme annuellement son parquet avec un procureur général et deux avocats généraux. Ce parquet s’efface au profit de trois personnes choisies par l’Assemblée nationale qui les charge de porter la mise en accusation de l’exécutif. Les rédacteurs de ce projet ont-ils envisagé que cette juridiction pourrait imposer plus facilement encore que l’actuel et funeste Conseil constitutionnel un immonde « gouvernement des juges » ? Pas forcément puisque le titre premier, son préambule sert de clé de voûte à l’ensemble du texte. Les déviations opérées par l’actuel Conseil constitutionnel qui se réfère aux préambules successifs de la Constitution du 4 octobre 1958 et, surtout, de la Constitution du 27 octobre 1946 ne pourraient pas dès lors interférer dans la bonne marche gouvernementale.
Malgré la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 qui postule que la nouvelle constitution sera ratifié « par la Nation », le référendum est absent du projet. On peut imaginer que les rédacteurs restaient des républicains hostiles à tout vote plébiscitaire confondu avec la consultation référendaire…
De l’administration de l’Empire et des territoires
En matière d’administration territoriale, le titre VI mentionne « Le gouvernement de l’Empire ». Par « Empire », il faut comprendre « les territoires d’outre-mer sur lesquels, à des titres divers, l’État français exerce sa souveraineté ou étend sa protection (art. 41) ». Le président de la République peut s’appuyer sur un Conseil d’Empire « appelé à donner son avis sur les questions intéressant le domaine français d’outre-mer (art. 42) ». La référence à l’empire colonial sera reprise par la IVe République sous le terme de l’« Union française », puis par la Ve République avec la « Communauté ». Mais cette partie-là du projet reste vague. Son titre V se rapporte aux « Conseils municipaux, départementaux et provinciaux ». Là encore, avec seulement trois articles, le projet reste succinct. Outre un régime spécial pour Paris, Lyon et Marseille (rien de nouveau sous le Soleil !), le conseil départemental est élu pour six ans dans le cadre cantonal. Chaque conseil provincial doit avoir un nombre égal au nombre de sénateurs et de députés de la province (art. 40 3e alinéa), d’où l’incompatibilité de ce mandat avec les mandats de sénateur et de député d’autant que les conseillers provinciaux sont de droit les électeurs du président de la République. Le conseil provincial comprend deux sortes de membres. « Pour deux tiers, de membres élus par les conseils départementaux; pour un tiers, de membres nommés par le gouvernement sur la proposition du gouverneur, parmi les représentants élus des organisations professionnelles et corporatives et parmi les élites de la province (art. 40 1er alinéa). » Le suffrage universel, souvent chaotique, surtout à l’heure des médiats centraux d’occupation mentale, est ainsi encadré, organisé et orienté vers le bien commun (et non pas vers des intérêts particuliers ou catégoriels).
Le projet de loi organique portant création de provinces dans la France métropolitaine (3) éclaire mieux cet aspect méconnu qui suggère une déconcentration effective. Son article 3 fait de la province constituée de plusieurs départements un « échelon de gouvernement […] dotée […] de la personnalité morale et de l’autonomie financière ». Chaque province dépend d’un gouverneur « nommé par le chef de l’État par décret contresigné du Premier ministre. Il le représente et est responsable devant lui et devant le Premier ministre (art. 6) ». Il peut disposer, le cas échéant, d’un lieutenant-gouverneur « dont l’autorité s’étend sur un ou plusieurs départements de la province, et à qui il délègue tout ou partie de ses pouvoirs (art. 10) ». Il semble en outre logique que les préfets des départements et les sous-préfets des arrondissements relèvent de son autorité directe comme aujourd’hui le préfet de région, par ailleurs préfet du département le plus peuplé, exerce maintenant une tutelle sur ses homologues des autres départements de la même région.
Le gouverneur de province se voit aussi assisté d’un secrétaire général de province, d’un intendant des affaires économiques, d’un intendant de police et d’un conseiller administratif, tous nommés et révoqués par décret ministériel. Existe enfin un « comité de gouvernement » qu’il préside une fois par mois. Outre son président, on y trouve le secrétaire général de province, les préfets des départements de la province, et d’autres hauts-fonctionnaires (4).
Sur le gouvernement provincial
Le titre III de ce projet de loi organique définit le Conseil provincial. Il est élu par les conseils départementaux de la province pour un mandat de six ans « renouvelable par moitié tous les trois ans (art. 18 1er alinéa) » par un scrutin de liste (art. 16 2e alinéa) qu’on suppose majoritaire plurinominal à un seul tour. Si le conseiller provincial a le droit de cumuler un mandat de conseiller départemental ou de conseiller municipal, l’article 19 précise que « le mandat de conseiller provincial est gratuit, sous réserve de l’allocation d’indemnités pour frais de déplacement et de séjour ».
« Convoqué par le gouverneur en session ordinaire deux fois par an (art. 25 1er alinéa) », le conseil provincial « délibère sur les affaires de la province et formulent sur chacune d’elles un avis motivé (art. 20) ». Il vote aussi les dépenses de l’administration provinciale. En cas de désaccord entre le gouverneur et le conseil provincial, il revient au Premier ministre d’arbitrer après avis du Conseil d’État. Formant le « bureau du Conseil provincial (art. 28 1er alinéa) », le président de chaque conseil provincial, les deux vice-présidents et les deux secrétaires sont élus pour un an et rééligibles (art. 28 2e alinéa). Ce texte témoigne d’une perception technocratique et administrative qui rebute les tenants de la Contre-Révolution. Arnaud Teyssier souligne l’existence de « deux conceptions de la Région : l’une contre-révolutionnaire et décentralisatrice, l’autre républicaine – autoritaire et centralisatrice (5) ». Or ce projet d’organisation des provinces françaises ne s’inscrit pas dans une orientation contre-révolutionnaire. Bien au contraire… Il n’a aucun rapport avec la décentralisation à la sauce Mitterrand – Defferre telle que la France connaît depuis 1983. C’est une déconcentration régionalisée des services de l’État pas très éloignée de ce qu’a envisagé en 1969 Charles De Gaulle. Dans De Gaulle, 1969, Arnaud Teyssier avance que « De Gaulle, lui, voulait des régions puissantes, contrôlées par l’État mais dans le cadre d’un dialogue permanent avec la société – société dont les élus n’auraient été que des protagonistes parmi d’autres (6) ».
Comme l’écrit Jacques Godechot, le projet de constitution présenté en janvier 1944 « qui ne vit pas le jour, est cependant intéressant, car plusieurs de ses articles passeront dans les constitutions et lois ultérieures (7) ». On peut encore une fois regretter son caractère sommaire, mais il est possible que ce texte ne soit qu’une ébauche. À l’aune de la très riche histoire constitutionnelle française, ce texte constitutionnel, en particulier ses « Principes fondamentaux », en fait l’une de ses meilleures constitutions envisageables. Bien de ses dispositions pourraient s’amalgamer avec des articles de la constitution originale de 1958 (pensons à l’article 16 d’inspiration schmittienne) ainsi que des pans entiers de la révision rejetée en 1969. Cette nouvelle constitution pour le XXIe siècle avec un mandat de chef de l’État d’une durée d’au moins dix ou quinze ans offrirait une réelle stabilité à la nouvelle République sociale européenne de France.
Georges Feltin-Tracol
Notes
1 : Ce projet de constitution se trouve facilement sur Internet. On le trouve aussi dans Les constitutions de la France depuis 1789 (présentation de Jacques Godechot, GF – Flammarion, 1979) ou en pièce justificative dans Jacques de Launay, Le dossier de Vichy, lettre – préface de Georges Scapini, Éditions Edito-Services SA, coll. « Histoire secrète de notre temps », 1974.
2 : Les constitutions de la France depuis 1789, op. cit., p. 468.
3 : Jacques de Launay, op. cit., pp. 87 – 92.
4 : Le Conseil national propose, le 20 mai 1941, un redécoupage territorial en vingt provinces : Flandre – Artois – Picardie (Lille), Normandie (Rouen), Champagne – Lorraine (Nancy), Alsace (Strasbourg), Val-de-Loire – Maine – Anjou (Tours), Bourgogne (Dijon), Vendée – Poitou – Charente (Poitiers), Berry – Bourbonnais – Nivernais (Bourges), Limousin (Limoges), Auvergne (Clermont-Ferrand), Savoie – Dauphiné (Chambéry), Guyenne – Périgord (Bordeaux), Béarn – Gascogne – Pays Basque (Pau), Languedoc (Toulouse), Bas-Languedoc – Roussillon (Montpellier), Provence – Corse (Marseille), « Gouvernement de Paris » (soit le département de la Seine avec des portions prises à la Seine-et-Oise et à la Seine-et-Marne), Île-de-France (Versailles), Bretagne avec la Loire-Inférieure (Rennes) et Rhône-et-Loire (Lyon).
5 : Arnaud Teyssier, De Gaulle, 1969. L’autre révolution, Perrin, 2019, p. 116.
6 : Idem, p. 151.
7 : Jacques Godechot, Les constitutions…, op. cit., p. 342.
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