Colette Beaune, qui termine sa carrière universitaire, nous a offert de magnifiques ouvrages sur le le Moyen-Âge chrétien.
À la fin d'une carrière universitaire, le professeur qui part en retraite est généralement honoré par plusieurs de ses collègues qui travaillent dans la même discipline et la même spécialité. Ces derniers rédigent ce qui est appelé communément un « mélange » de textes traitant de point précis d'histoire. Cette tradition de l'université française honore la recherche et ses exigences. Dans un ouvrage accessible, plus d'une vingtaine d'historiens (maîtres et élèves) ont souhaité rendre hommage à l'historienne Colette Beaune en lui offrant un recueil de communications sur le royaume de France du XIIe au XVe siècle(1). On y retrouve le spécialiste de la fameuse bataille de Marignan, Didier Le Fur, Lydwine Scordia, honorée très récemment du prix Provins pour l’édition du magnifique Livre des Trois âges(2), mais aussi Martin Aurell, grand spécialiste de la littérature arthurienne, ou encore Murielle Ferragu, jeune chercheuse qui vient de terminer un travail sur les funérailles royales dans le royaume de France. L’ouvrage collectif « Une histoire pour un royaume (XIIe-XVe siècle » constitue ainsi une remarquable approche de la réalité et de la diversité des temps médiévaux. Mais dire la richesse de l’époque serait enfoncer une porte déjà ouverte plusieurs fois dans cette chronique littéraire. Souligner l'apport et l'influence de l'œuvre de Colette Beaune dans l'historiographie me semble plus important, afin de montrer pour certains, révéler pour d'autres, la spécificité de son œuvre.
Après avoir passé une thèse « teintée de marxisme comme toute [sa] génération », Colette Beaune se rend assez vite compte de l'impasse intellectuelle dans laquelle elle se trouve. Elle se tourne dès lors, non pas vers l'histoire des faits, mais vers la croyance et les mythes royaux. Elle en tire une autre thèse remarquable, parue en 1985 : Naissance de la nation France. « Contrairement à ce que croyait Georges de Lagarde qui voyait dans la fin du Moyen-Àge la naissance de l'esprit laïc, je pense avoir prouvé que le consensus politique reste fondamentalement aux XIVe et XVe siècles, un phénomène religieux. Le pouvoir royal ne tire pas sa force alors de sa laïcisation mais d'une sur-christianisation voulue et systématiquement conduite. C'est parce que la France est très chrétienne, parce que chaque héritier de France est un candidat potentiel à la sainteté et chaque fille de roi une bienheureuse en puissance que l'amour peut lier ensemble le roi et les sujets comme il lie parallèlement les fidèles à Dieu. »
Le roi, père des pauvres
Un océan sépare ces rois des monarques du XVIIIe siècle. Ainsi, au début du mois de juin 1789 quand le malheureux Louis XVI perd son fils aîné âgé de 7 ans, le lien avec la France est déjà rompu. L'indifférence est quasi-générale. Renan disait : « En coupant la tête à son roi, la France s’est suicidée ». Et il faisait allusion à la fameuse description du royaume d'Ancien-Régime dont le souverain était la tête et les sujets les membres. Mais déjà, bien avant ce funeste 21 janvier 1793, l’affection des sujets pour la famille royale s’était estompée. L œuvre de Colette Beaune s'inscrit en contrepoint de ce sentiment, mais pour la période médiévale. Elle révèle le consensus autour de ce monarque pour lequel chacun prie, tandis que le roi se doit, lui, « d'être le père des pauvres. Les aumônes, les fondations, les dons aux léproseries comme aux hôpitaux mêlent inextricablement souci de l’âme et efficacité politique ». La vision bainvillienne de l'histoire de France occulte cet aspect du pouvoir qui était bien plus qu'une question politique, la pratique d'une spiritualité.
Néanmoins, ce n'est pas pour autant que Colette Beaune verse dans un romantisme de mauvais aloi. Consciencieusement et à l’aide de ses confrères, elle révèle dans ce livre qu’elle préface le processus de désacralisation du pouvoir royal qui s'accélère aux temps de la Guerre de cent ans. Mais voilà que ce conflit accouche d'une sainte. La foi, dit l'historienne, est décisive chez la Pucelle, contrairement à l'interprétation laïque qu en donne le cinéaste Luc Besson. Or Colette Beaune a écrit un Jeanne d'Arc qui, de notre point de vue, est l'ouvrage le plus abouti sur la Pucelle(3). Ce n’est pas tant une histoire de la sainte - elle a été écrite cent fois -, qu'une description de ce que cette jeune femme représentait à son époque et de son époque elle-même. De tous les livres que nous avons pu lire sur la fille de Domrémy, la biographie de Colette Beaune est sans nul doute celle qui décrit le mieux cette spiritualité médiévale si difficile à cerner pour notre temps. Comme elle le montre parfaitement, Jeanne s'identifie au Christ parce qu elle donne sa vie pour l’autre après avoir été jugé par Cauchon, nouveau Caïphe, et livrée par Jean de Luxembourg dans le rôle de Judas. Enfin, « Jeanne comme Jésus ne recherche pas la mort mais tous deux la savent inéluctable. » Elle fut unique, mais en une époque elle-même sans pareille. Cette double considération reste le plus beau témoignage de cette historienne.
1). Ouvrage collectif préfacé par Collette Beaune, Une Histoire pour un royaume
(XII'-XV siècle) Perrin, 588 pages, 35€
2). Voir Monde&vie n°820.
3). Beaune Colette, Jeanne d'Arc Coll. Tempus, Editions Perrin, 540 pages, 11 €
Christophe Mahieu monde&vie 20 septembre 2010 n°832
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