Entre 1830 et 1848, Louis-Philippe a pratiqué une politique centriste et libérale : un « juste milieu », pouvant rappeler l’ « en même temps » macronien. Mais ce règne méconnu est aussi marqué par un relatif conservatisme, une quête déçue) de légitimité et un vœu (pieux ?) de réconciliation.
« À toutes les gloires de la France ». C'est ce que proclament les frontons des ailes du Nord et du Midi. Ces mots rappellent que le château de Versailles est devenu en 1837 sur ordre de Louis-Philippe, un « musée de l'Histoire de France ». Vaste déménagement ! Logeant jadis princes et nobles, les ailes accueillent désormais des œuvres d'art. Ainsi, les architectes Nepveu et Fontaine aménagent les lieux pour forger la Galerie des Batailles. Pièce maîtresse du musée, longue de 121 mètres, la Galerie est une frise chronologique des gloires françaises depuis Pharamond (ancêtre de Clovis) jusqu'aux conquêtes algériennes. Toute l'idéologie de la monarchie de Juillet - esprit de synthèse, « juste milieu » - transpire de ces murs. Se côtoient bataille de Poitiers, dimanche de Bouvines, libération d'Orléans et canonnade de Fleuras. On a « installé le présent dans le passé, 1789 vis-à-vis de 1688, l'empereur chez le roi, Napoléon chez Louis XIV » et « donné à ce livre magnifique qu’on appelle l'Histoire de France cette magnifique reliure qu'on appelle Versailles » (Hugo).
Palais-Royal et bonnet rouge
On croise des bustes de Simon de Montfort et de maréchaux d'Empire. Côté Nord, se déploie la Salle des Croisades. Derrière l'évidente inspiration orientaliste, se cache un hommage intéressé aux familles légitimistes, que Louis-Philippe souhaite s'attacher. Une « Vieille France » d'extraction chevaleresque que le roi des Français essaie sans doute de flatter en posant, sur un tableau célèbre, aux côtés d'une statue de Jeanne d'Arc.
Louis-Philippe à Versailles, tout un programme ! C'est l'objet même de l'actuelle exposition tenue au Château, qui permet de mieux comprendre ce que Versailles dit de la monarchie de Juillet. Le régime naît quinze ans après Waterloo. Le feu de la légende napoléonienne couve, et est ranimé par le retour des cendres de l'Empereur, orchestré par Louis-Philippe en 1840. Le roi-bourgeois entend ainsi réconcilier les Français, utiliser l'aura du vainqueur d'Austerlitz et convoquer, sous son patronage de père de la Nation, « toutes les gloires de la France ». De Mérovée à lui-même, en passant par Saint Louis et Bonaparte embrasser tout l'être français en escamotant les blessures de son corps meurtri, telle est l'ambition de Louis-Philippe. C'est ainsi que la visite du Versailles actuel peut sembler hétéroclite. On croit toquer à la porte des Bourbon, et nous voici devant l'immense toile du sacre de l'Empereur, signée David. On penserait toucher du doigt la seule mystique du trône et de l'autel, mais l'on se retrouve entre un portrait de La Fayette et une toile de Valmy, et l'odeur de la poudre nous monte au nez. C'est l'histoire de sa vie que Louis-Philippe met en scène. Elle épouse autant les convulsions du siècle que son nom plonge dans les tréfonds de la France monarchique.
Louis-Philippe d'Orléans naît au Palais-Royal en 1773. Duc de Valois puis duc de Chartres, il est frotté de philosophie libérale par la comtesse de Genlis. Son père Philippe, duc d'Orléans, est acquis aux idées nouvelles. Tous deux s'enthousiasment pour le changement, se rapprochent des Jacobins. Mais c'est au feu que le jeune duc de Chartres va se faire un nom. Général révolutionnaire, il combat à Valmy et Jemappes. Puis la France entre dans la Terreur. Louis-Philippe, fils de régicide, est regardé avec méfiance par les royalistes. Il perd aussi son crédit auprès des acharnés de la Révolution. À la mort du père, il fuit la France et parcourt le monde, de la Suisse aux États-Unis, en passant par les pays nordiques et bien sûr l'Angleterre. C'est au cours de ces exils que Louis-Philippe prend le temps de se marier, à Païenne, avec une princesse des deux Siciles. Le Palazzo d'Orléans, propriété de la famille jusque dans les années 1950 et aujourd'hui siège de la présidence sicilienne, garde la mémoire de ce séjour orléaniste au pays des Sicules. Sous l'Empire, Louis-Philippe demeure un proscrit, et ce n'est qu'avec la Restauration qu'il pourra rentrer à Ithaque ou, plus exactement, au Palais-Royal. Toujours libéral, plus que jamais pragmatique, avec une pointe d'opportunisme, le voilà héraut de l'opposition modérée. C'est presque un coup de chance s'il emporte la mise à l'été 1830, alors que l'émeute gronde dans Paris et que l'on craint le retour des pires heures de la Terreur. Charles X est tombé par la rue, mais c'est par les notables que Louis-Philippe accède au pouvoir. Il donne des garanties. Sa loi fondamentale ? La Charte, consacrant notamment la liberté de la presse. Son drapeau ? Le tricolore. Son titre ? « Roi des Français », expression utilisée naguère, une seule fois, en 1791 par un Louis XVI monarque constitutionnel.
Juste milieu et équilibre européen
Ces dix-huit ans de règne forment une parenthèse bourgeoise et libérale, dans un siècle où la fièvre révolutionnaire monte et redescend. Bourgeois, Louis-Philippe l'est politiquement mais aussi dans sa vie privée. Une toile le dépeint quittant le Château à cheval, entouré de ses fils. Derrière lui se profilent la silhouette de Louis XIV et les trois couleurs. Au pouvoir, Louis-Philippe ne peut que heurter les authentiques conservateurs, royalistes et légitimistes, lesquels fonderont leurs espoirs sur le jeune duc de Bordeaux. Chateaubriand refuse de servir cette « monarchie bâtarde octroyée de je sais qui ». Entouré de libéraux tels Guizot ou Thiers, on comprend bien que son règne diffère de celui de ses cousins. Il lui manque la légitimité du sang, l'onction du sacre et le soutien des campagnes. En 1832, la duchesse de Berry tente de soulever l'Ouest blanc contre l'usurpateur, en vain.
La monarchie de Juillet se définit plutôt comme un point final à l'épisode révolutionnaire. « La dynastie d'Orléans est le dernier résultat de la révolution de 1789 [… ] le changement de dynastie qui vient de se faire […] a pour caractère d'annoncer que cette révolution est finie et consommée irrévocablement » (Journal des débats, 10 août 1830). Il y a du Bonaparte, dans cette volonté de capter l'héritage de 89 tout en décrétant achevé le moment révolutionnaire.
Mais contrairement à l'Empereur, le roi des Français pratique une politique étrangère faite d'équilibre. Là où les bonapartistes souhaitent l'expansion et la rupture des traités, Louis-Philippe rassure Vienne et Londres. Dès 1830, il refuse d'annexer la Belgique fraichement libérée des chaînes hollandaises, car un protectorat français au plat pays aurait suscité l'ire anglaise et menacé la paix. En 1832, quand la même Belgique est à nouveau menacée par les Bataves, l'armée française délivre Anvers pour maintenir la souveraineté belge. Là encore, un maître mot modération, équilibre européen. Bainville compare cette realpolitik à celle menée par Fleury, un siècle plus tôt. Modérée et rondouillarde en Europe, la puissance française s'étend en Algérie. Le duc d'Aumale, fils du roi, s'illustre lors de la prise de la Smalah d'Abdelkader haut fait que commémore une gigantesque toile exposée à Versailles.
Les années passent. Le « roi des Français » compte sur sa double légitimité, révolutionnaire et historique, moderne et classique, libérale et conservatrice, pour enraciner son pouvoir au lieu de cela, c'est une double illégitimité, dynastique et sociale, qui le menace. Un orage gronde dans le pays la question ouvrière, corollaire politique de l'industrialisation du pays et de la paupérisation des classes laborieuses. S'appuyant sur une notabilité distinguée par l'impôt, le roi des Français semble un géant aux pieds d'argile. Selon Bainville, « la monarchie de Juillet portait en elle-même une grande faiblesse. Elle était née sur les barricades. Elle était sortie d'une émeute tournée en révolution. Et cette révolution avait été soustraite à ceux qui l'avaient faite par des hommes politiques qui n'avaient pas paru dans la bagarre […]. Cette combinaison était artificielle. L’émeute avait éclaté à Paris et s'il était entendu, depuis 1789, que Paris donnait le ton à la France, la grande masse du pays était restée étrangère au renversement de Charles X autant qu 'à la fondation du régime nouveau ». Or, affaiblie congénitalement par la question du suffrage et sa chétive assise sociale, la monarchie de Juillet va s'effondrer, après 18 ans de pouvoir, sous la pression des barricades parisiennes : « Pas plus qu'en 1830, le gouvernement n'a prévu l'attaque ni préparé sa défense. Comme Charles X, Louis-Philippe renonce au trône, sans en appeler au pays, dès que Paris s'est prononcé » (Bainville, Histoire de France).
En même temps ?
Dans un récent ouvrage, L'Histoire se répète toujours deux fois (Larousse), Dimitri Casali et Olivier Gracia voient en Macron un nouveau Louis-Philippe. C'est assez vrai dans la mesure où tous deux, s'appuyant sur une bourgeoisie aisée et les milieux d'affaires, se réclament du centre. Contrairement à ce qu'écrivait René Rémond, l’orléanisme n'est pas une droite mais bien un centre, un « juste milieu ». Ancêtre lointain de l’ « en même temps ». Mais comparaison n'est pas raison, et les différences abondent aussi, si l'on examine la profondeur des deux projets. Là où Louis-Philippe, avec ses défauts, tâchait de renouer la chaîne des temps, Macron, lui, se veut l'apôtre d'un « Nouveau Monde » en guerre contre les conservateurs. Le premier fut duc de Chartres et général à Valmy : le second, « Mozart de la finance » et young leader. Deux siècles les séparent.
Un ultime point commun ? Le mince socle populaire et, peut-être, l'odeur de poudre émanant des barricades.
François La Choüe monde&vie 17 janvier 2019 n°965
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