Grands oubliés de la mémoire nationale, les combattants de 1940 ont payé un lourd tribut pour défendre la patrie, dans le Nord, les Alpes ou à Narvik. Aucun sacrifice n’est vain.
« Qu'est-ce que vous nagez bien, chef ! ». Le désastre de 40 est si grand que l'on est parfois tenté de plonger dans le burlesque. La campagne de France, surtout pour les générations qui ne l'ont pas vécue dans leur chair, se résume souvent à la 7e compagnie des bidasses potaches face à une Wehrmacht rutilante. La vérité historique est ailleurs.
Vers l'abîme
« Un armistice de vingt ans », avait prédit Foch en 1919. De la paix de Versailles, trop dure et trop douce, aux annexions hitlériennes, en passant par le réarmement illicite des armées allemandes, les événements s'enchaînent rapidement. Jusqu'où faut-il remonter pour trouver les causes de la défaite ? À qui ou à quoi faut-il l'attribuer ? À un prétendu complot « synarchique » de l'extrême-droite, comme le racontent des historiens communistes ? Bien plutôt à la naïveté générale et à la volonté d'apaisement, leitmotiv incapacitant. Dopée dès le milieu des années 30, la puissance allemande est à nouveau menaçante. Munich n'est qu'illusion, et les applaudissements de la foule envers Daladier un clap de fin. Le 31 août 939, une semaine après la signature du pacte germano-soviétique, le Reich envahit la Pologne.
C'est résignée que laFrance entre en guerre. Dans l’étrange défaite, Marc Bloch fustige une tendance « à fournir le moins d'efforts possibles, durant le moins de temps possible, pour le plus d'argent possible ». En 38, deux grandes grèves ont affaibli nos capacités d'armement. En outre, la nation n'est pas aussi rassemblée qu'elle le devrait. Il existe un parti de l'étranger : le PCF solidaire du pacte Molotov-Ribbentrop, et contempteur de « la Pologne fasciste » attaquée par l'Allemagne nazie. Opposé à la guerre, le PC est dissous en septembre 39. En octobre, Thorez déserte, est déchu et condamné à six ans de prison. Pis, des sabotages coûtent la vie à des soldats français.
Ajoutez à cela qu'en pleine « drôle de guerre », la France change de gouvernement (Paul Reynaud, 21 mars 1940). Il faut dire que le général Gamelin croit pouvoir attendre 1941 avant de lancer une grande offensive. De fait, la doctrine française est en retard d'une guerre. Même de Gaulle, pourtant visionnaire quant à l'emploi des blindés, n'a pas songé aies combiner avec l'aviation. Guderian a un coup d'avance. Et si la ligne Maginot est un ouvrage défensif remarquable - les Allemands le constateront -, elle mobilise beaucoup d'hommes et, surtout, ne couvre pas la frontière belge. Du reste, pouvait-on encore croire qu'existât « un ciel sans menace » (Marc Bloch) ? Cela dit, il ne faut pas exagérer la minutie du plan allemand.
Dans un ouvrage paru en 2003, Karl-Heinz Frieser étrille « le mythe de la guerre-éclair », estimant qu'avant d'être une théorie bien rodée, la Blitzkrieg fut aussi un étonnement pour Berlin, qui ne pensait pas voir Guderian percer aussi vite et fort dans les Ardennes.
La France se bat
Neutres, la Belgique et les Pays-Bas sont attaqués le 10 mai par le groupe d'armées B de la Wehrmacht (600 000 hommes). Fortuitement, le même jour, Churchill entre au 10 Downing street. Conformément au plan Dyle-Breda, la 7e armée française 150 000 hommes) s’enfonce dans le plat pays, accompagnée de la British Expeditionary Force. Les Alliés remontent haut, vers Anvers et Breda (Pays-Bas). Il s'agit pourtant là d'une diversion, le gros de l'attaque se déployant dans les Ardennes belges (groupe A). Les panzers de Guderian réussissent l'exploit de traverser à grande vitesse le massif ardennais, fonçant vers le verrou stratégique et symbolique de Sedan, atteint dès le 13 mai. Etiré en raison de l'enfoncement des troupes alliées au cœur du plat pays, le front se disloque lorsque les Allemands atteignent Abbeville. Un million de soldats alliés, avec leur matériel, sont encerclés dans la poche de Dunkerque. Du 26 mai au 4 juin, l'opération Dynamo mobilise des efforts gigantesques, y compris des navires civils, afin de rembarquer les Britanniques. Hélas, le puissant film de Nolan néglige les sacrifices français, pourtant essentiels au sauvetage. Jusqu'au départ du dernier navire, 35 000 de nos soldats se battent pied à pied face à un ennemi plus nombreux et maître du ciel.
La progression allemande ne se fait pas sans obstacles. La bataille de Moncornet (17 mai), où les blindés du colonel de Gaulle bloquent les Allemands l'espace de quelques heures, est entrée dans la légende. Moins connue, la bataille de Stonne offre les faits d'armes les plus impressionnants du front. Le 16 mai, un seul char français met en déroute treize blindés allemands. En moins de dix jours, ce village ardennais change 17 fois de mains. Nos chars B1 Bis ont hautement tenu tête aux panzers, donnant de sérieuses sueurs froides à Guderian. Mais Stonne est un point parmi d'autres sur la carte. Une bonne partie du pays est déjà effondrée, six à huit millions de civils errent sur les chemins, hantés par les « trompettes de Jéricho » des Stukas. La France a mal, « par ses routes trop pleines, par ses enfants jetés sous les aigles de sang, par ses soldats tirant dans les déroutes vaines, et par le ciel de juin sous le soleil brûlant ».
Le 19 mai, alors que Weygand remplace Gamelin à la tête de l'état-major, le gouvernement Reynaud au complet se rend à Notre-Dame implorer la miséricorde divine. Trois semaines plus tard, l'exécutif quitte Paris pour Tours, puis Bordeaux. À Londres, promettant de combattre en France, Churchill lance « We shall never surrender ! ». L Angleterre tiendra héroïquement mais n'engagera plus la RAF dans notre ciel. La bataille de France cède la place à celle d'Angleterre.
On connaît par cœur l'enchaînement des journées de juin, les appels de Pétain puis de Gaulle, la naissance de Vichy, l'Armistice. Derrière les hommes et les destins, c'est aussi l'éternelle question de la légitimité du pouvoir qui se joue. La trahison, aussi : le 17 juin, les communistes demandent au vainqueur la reparution de L'Humanité, précisant avoir « appliqué la ligne du PC sous Daladier Reynaud et le juif Mandel ». Une semaine plus tard, Hitler visite la capitale asservie.
Au total, 1 800 000 de nos hommes sont faits prisonniers. Nombre d'entre eux ne rentreront qu'en 1945, dans un pays transformé par l'occupation, fraîchement libéré, et dont le héros n'est pas le vaincu de 40 mais le maquisard de 44. À caricaturer les reculades, on oublierait que nos soldats se sont battus comme des lions. En témoignent, du reste, les chiffres de nos pertes : 100 000 morts en moins de deux mois. Leurs noms peuplent les marbres de nos villages, oubliés.
On oublierait, aussi, les autres fronts et nos victoires. Narvik par exemple, port du cercle polaire que Norvégiens, Britanniques, Français et Polonais ont réussi à prendre, fin mai, au nez et à la barbe d'Allemands décidés à s'accaparer la route du fer suédois. Las, ce coup de maître, réalisé loin des bases alliées, est sans lendemain. On rembarque le 8 juin. La veille de la capitulation norvégienne, les Allemands sont à Rouen.
Un front supplémentaire nait après la déclaration de guerre italienne (10 juin). De son expérience en vallée de la Vésubie, Michel Mohrt, 26 ans, tirera un roman (La campagne d'Italie). Dans les Alpes, la France résiste. Lors de la bataille de Menton, à l'avant-poste de Pont-Saint-Louis, 9 soldats français tiennent tête à 3000 ennemis. Leur casemate ne se rendra que trois jours après l'armistice franco-italien.
Le printemps refleurira
Dans Pilote de guerre, Saint-Exupéry volant dans le ciel d'Arras, songe à la vieille formule : « En France, quand tout semble perdu, un miracle sauve la France ». Et de méditer : « J'ai compris pourquoi. Il est arrivé parfois qu'un désastre ayant détraqué la belle machine administrative, et celle-ci s'étant avérée irréparable, on lui a substitué, faute de mieux, de simples hommes. Et les hommes ont tout sauvé ».
Ces hommes ont du panache. C'est le capitaine Charles N'Tchoréré, tenant héroïquement la position d'Airanes (Somme), début juin. Sa compagnie du 53e régiment d'infanterie coloniale ne se rend qu'à court de cartouches. Lorsque les Allemands décident de séparer Noirs et Blancs, N'Tchoréré refuse, voulant être traité en officier français et non en homme de couleur. Il écope d'une balle dans la nuque. Panache aussi, Philippe de Hautecloque capturé, délivré, prisonnier et encore évadé, reprenant le combat puis quittant la Métropole pour l'Angleterre, tandis que les Allemands fusillent son cheval, à Saint-Cyr, pour « faits de résistance » !
Les militaires de carrière ne sont pas les seuls à continuer la lutte. Le maurrassien breton Gilbert Renault a entendu de Gaulle et gagne les côtes britanniques : il deviendra le colonel Rémy, plus fameux espion de la France fibre. Quant au jeune Daniel Cordier, camelot du roi à Bordeaux, il s'attend à trouver dans le combat clandestin, des hommes comme Maurras. Désireux de rejoindre l'Algérie, il échoue finalement en Angleterre et s'engage dans les FFL. Il secondera Jean Moulin.
Et puis il y a l'Armée de Vichy. Ainsi du général Frère, gouverneur militaire de Lyon et président du tribunal militaire qui condamne de Gaulle. Cet officier s'engagera en résistance, créant l'ORA (Organisation de la résistance de l'Armée). Il mourra en déportation. Tous les continuateurs de la lutte, loin s'en faut, ne sont pas gaullistes : ainsi du mythique Saint-Ex' qui, en passant par l'Algérie, s'envole vers New-York.
En ces heures où se décident les destins, un lieutenant de vaisseau de 39 ans s'interroge sur son devoir Honoré d'Estienne d'Orves, en escale à Alexandrie, apprend la chute de la Métropole. Il se débrouillera pour poursuivre le combat. Le soleil se couche sur la terre des pharaons, et cet officier légitimiste ne sait pas encore qu'il sera le premier martyr de la France libre.
photo (1) La bataille de Montcornet voit les chars du colonel de Gaulle mener une contre-attaque efficace qui n'a pas pu être poursuivie... faute de soutien logistique. (Ici. le 46e bataillon de chars de combat en manœuvre). (2) L'armée française s'est glorieusement battue dans les premières semaines de la guerre comme en témoignent des figures comme le commandant Honoré d’Estienne d'Orves ou les 100 000 morts au combat en moins de deux mois.
François La Choüe Monde&Vie 20 juin 2020
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