André Posokhow
Le piège tendu à son alliée par le Royaume-Uni.
Les clans en faveur de la guerre.
Bien avant le début de la guerre il existait en France comme Angleterre un groupe de pression des partisans d’une entrée en conflit des deux démocraties contre l’Allemagne pour faire barrage à Hitler.
En Angleterre le clan des « bellicistes » avait évidemment à sa tête Winston Churchill, alors politicien au rancart. Il était assisté d’Anthony Eden, Duff Cooper et d’un curieux personnage qui s’avèrera malveillant et malfaisant pour notre pays, Edward Spears.
En France ce groupe était mené par Paul Raynaud, probablement l’homme politique français le plus compétent en matière économique et financière et qui appuya les thèses gaulliennes en faveur d’une force blindée. Il regroupait également Georges Mandel et Léon Blum, celui-ci oublieux de ses plaidoiries en faveur du désarmement inconditionnel.
Raynaud était très proche des Anglais et de Churchill, au point d’être désigné par ses adversaires comme l’homme des Anglais. Les contacts entre les deux hommes et les deux groupes furent fréquents pendant les années qui précédèrent le conflit et contribuèrent à pousser les deux pays à la guerre.
Où l’on parle d’un accord franco-anglais pour ne pas signer un traité de paix séparé
Dès septembre 1939 les deux alliés concertèrent leur stratégie commune au sein d’un Conseil suprême interallié. Il fut décidé le principe d’une stratégie défensive en attendant la mise à niveau des deux armées et surtout de l’armée britannique, ridiculement faible.
Très vite les Britanniques saisirent le manque d’enthousiasme des Français pour cette guerre qui apparaissait étrangère aux intérêts nationaux vitaux de la France. C’est pour cette raison qu’ils avaient posé à plusieurs reprises la question d’un accord pour empêcher que l’un des deux pays ne signe une paix séparée. C’étaient eux les demandeurs.
Lors d’un Conseil suprême le premier ministre britannique, Chamberlain revint à la charge. En concertation avec le général Gamelin, le président du conseil français, Daladier montra son intérêt mais sous deux conditions :
- définir et préciser les buts de guerre ;
- fixer les contributions réciproques des partenaires à la lutte commune et notamment celle de l’Angleterre, dérisoire à cette date.
Le Britanniques, peu soucieux de donner des garanties formelles sur ces points n’insistèrent pas. En cette occasion Daladier avait fait œuvre d’homme d’Etat ; il venait également de signer l’acte de décès de son ministère.
Paul Raynaud président du conseil.
Daladier fut affaibli au cours de l’hiver 1940 par de vives critiques parlementaires sur sa conduite de la guerre jugée insuffisamment énergique, ce qui montrait d’ailleurs une incompréhension de la prudente stratégie alliée.
Il le fut également par la coalition des clans franco-britanniques qui poussaient à une guerre plus active, au cours des rencontres qui eurent lieu à Paris en février et mars.
En mars 1940 Edouard Daladier fut poussé vers la sortie et donna sa démission.
Le 22 mars Paul Raynaud devint président du conseil mais avec une seule voix de majorité conférant ainsi une grande fragilité à son ministère par ailleurs politiquement hétérogène.
L’accord du 28 mars 1940.
Excessivement proche de l’Angleterre, Raynaud prit le contre-pied de Daladier et lui donna satisfaction tout de suite.
Lors du premier conseil interallié auquel il participa à Londres, le 28 mars, un communiqué franco-anglais fut publié par lequel les deux gouvernements s’engageaient à ne pas conclure de paix séparée ni d’armistice. Destiné au public, il fut adopté en fin de séance du conseil dont l’ordre du jour était dédié aux opérations militaires. C’était un point tout à fait secondaire.
Rédigé entre compères, il ne semblait exprimer qu’une loyauté commune naturelle, Il allait cependant jouer un rôle crucial au cœur de la débâcle alliée.
Une forme et une validité juridique hautement contestables.
Raynaud a agi de façon solitaire, contre l’avis de son ministre de la guerre : Daladier, et sans prendre l’avis des chefs des trois armées, notamment Gamelin.
Cette déclaration semble n’avoir pas été signée contrairement à ce que l’on peut lire partout. Raynaud a confirmé ce point fondamental dans une déposition à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale près la guerre.
Raynaud a soutenu que le Comité de guerre, qui n’a pas d’existence constitutionnelle, avait approuvé le texte, mais personne ne s’en souvenait et il n’y eut aucun procès-verbal.
Le texte n’a été soumis ni au Parlement ni au Conseil des Ministres.
Beaucoup plus grave, cet accord qui relevait d’un traité n’avait pas été soumis à la ratification du Président de la République, comme l’exigeait la Constitution de la IIIème République.
Au plan juridique cette déclaration qui n’était en réalité qu’un simple communiqué de presse n’était donc pas un traité international, ce qu’elle aurait dû être étant donné l’importance considérable de son contenu, et n’avait pas de valeur en droit français comme international.
Sur le fond, un soi-disant accord complétement léonin.
Cet accord conclu par des comparses, l’a été au seul avantage des Britanniques et contraignait beaucoup plus la France que le Royaume uni puisque celui-ci ne risquait d’être assailli qu’après la France.
Contrairement à ce qu’avait demandé Edouard Daladier en décembre 39, l’absence des objectifs de guerre des alliés et surtout des obligations et des contributions de chaque partie constituait une pure duperie au détriment de notre pays.
Autant cet accord était légitime concernant une signature univoque d’un traité de paix, autant l’interdiction de signer un armistice en cas de défaite condamnait la France qui était en première ligne, à ne pouvoir recourir qu’à la capitulation ou l’écrasement.
C’est, semble-t-il ce que désirait Paul Raynaud qui essaya de faire en sorte que la signature d’un armistice lui fût interdite, et ce qu’il confirmera devant la commission d’enquête : « ce qui m’intéressait personnellement c’était de couper les ponts pour le cas où les choses tourneraient mal, et pour empêcher que la France ne fit une paix séparée…. »
Ainsi l’intérêt personnel a prévalu sur le sang des soldats français à qui l’on faisait poursuivre un combat sans espoir et sur la priorité qu’un chef de gouvernement aurait dû accorder au destin de son pays. Comme l’a dit Jacques Benoist-Méchin, ces propos ont fourni trop d’arguments à ceux qui ont insinué qu’il n’a fait que s’acquitter d’une dette personnelle.
Cet accord qui liait la France à l’Angleterre a pesé d’un poids très lourd sur le sort de la France en juin 1940.
En France cet accord passa inaperçu. Il n’en fut «évidemment pas de même en Grande Bretagne où on parla d’engagement solennel.
De fin mai 1940 à fin juin, les Britanniques répondirent négativement, avec des variantes selon les rencontres, à toute demande concernant un armistice de la part des Français. Ils ne répondirent positivement qu’à la fin du mois de de juin sous condition du transfert de notre flotte dans leurs ports.
Bien entendu Churchill s’engouffra cyniquement dans la brèche. Le 16 juin il affirma que « notre accord interdisant une négociation séparée, soit pour un armistice, soit pour la paix, a été passé avec la République française et non pas avec une administration française ou un homme d’Etat français en particulier. Il met donc en cause l’honneur de la France ». An nom de quoi cet homme pouvait-il invoquer l’honneur de la France sur la base d’une telle forgerie alors que son pays avait abandonné son allié en pleine bataille ?
Il faut rappeler que la Grande-Bretagne, responsable de la catastrophe par sa garantie inconditionnelle à la Pologne, était dans un grand état d’impréparation pour mener une guerre contre l’Allemagne. Sa contribution à l’effort commun fut dérisoire.
Au cas où un Anglais ferait valoir que ce qui compte dans un accord c’est la parole donnée plus que la lettre, le mot de la fin reviendrait au Président de la République Albert Lebrun qui déposa au procès du Maréchal Pétain en 1945 : « A partir du moment où l’un des deux pays signataires d’une convention comme celle du 28 mars retient une partie de ses forces pour sa défense propre au lieu de la risquer au combat commun comme le fit l’Empire britannique, il peut toujours dans sa forme, s’armer d’un papier pour nous rappeler les obligations qui y sont inscrites. Il n’a plus l’obligation morale nécessaire pour dire : je ne puis vous délier de vos obligations ».
Conclusion.
L’accord du 28 mars a constitué un levier remarquablement efficace entre les mains de Paul Raynaud et de Churchill pour contraindre la France à repousser la fin de son calvaire le plus tard possible au profit de la Grande-Bretagne.
Fruit de la soumission diplomatique du régime de la IIIème République à la politique extérieure du Royaume uni ce communiqué fut un piège dans lequel une nation jalouse de sa souveraineté comme la France n’aurait pas dû tomber.
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