"La Fraternité fut le sentiment qui présida dans l'origine à la formation des communautés professionnelles." LOUIS BLANC "L'Histoire de la Révolution " La Royauté fut, durant son histoire, la protectrice du monde ouvrier. Elle encouragea la création des Corps de métier par la codification et la transcription des us et coutumes professionnels, dans le grand "Livre des Métiers" que rédigea Etienne Boileau, grand prévôt de Paris, aidé du conseil des anciens, travail malheureusement non terminé car celui-ci mourut la même année que Saint-Louis (1270).
Celui-ci écrivit en préface: «Quand ce fut fait, concueilli et ordoné, nous le feimes lire devant grand plenté (grand nombre) des plus sages, des plus léaux et des plus anciens homes de Paris, et de ceus qui devaient plus savoir de ces choses : lesquels tout ensemble louèrent moult cette œuvre ; il représente enfin une organisation spontanée et autonome». Ce livre magnifique de 121 règlements, est une mine d'or de bon sens, véritable bible des organisations ouvrières autonomes du temps jadis." Quand les maîtres et jurés boulangers, iront par la ville accompagnés d'un sergent du Châtelet, ils s'arrêteront aux fenêtres où est exposé le pain, et si le pain n'est pas suffisant, la fournée peut être enlevée par le maître."Mais le pauvre n'est pas oublié, et : "les pains qu'on trouve trop petits, li juré feront donner par Dieu le pain".(Louis Blanc) La première partie parle des coutumes professionnelles, puis le chapitre suivant traite des redevances de chaque corporation. La corporation sera le nom retenu pour parler des différents groupements de métiers, confréries, charités, maîtrises, ghildes, hanses, collèges, fraternités, jurandes...
ORGANISATION AUTONOME
C'est la troisième partie sur les droits et pouvoirs des juridictions royales et seigneuriales qui ne fut pas terminée. Ces corps parfaitement structurés et organisés possédaient, privilèges et avantages, protégeaient leurs membres et assuraient qualité, formation, soins, repos, entraides et compassion... L'Etre humain trouvait dans son métier l'accomplissement de son destin temporel et spirituel. Comment ne pas voir pour aujourd’hui, une grande leçon face aux égarements de la jeunesse et aux destructions programmées du monde artisanal, commerçant et paysan. C’est souvent à l'ombre des abbayes, évêchés et monastères que se fonda de nombreuses corporations. Un saint patronnait chacune d'entre elles et les membres s'y regardaient en frères (confréries)."Abrités sous la bannière du même saint, priant les uns pour les autres au pied des mêmes autels, le cultivateur, l’homme de métier, l’industriel et le commerçant ne voyaient pas dans leurs voisins des antagonistes, mais des frères et des amis...C'est ainsi que les Confréries développaient la charité chrétienne et, par là, maintenaient à un niveau très élevé la valeur morale et professionnelle de leurs membres ; car on avait à cœur de bien apprendre son métier et de l'exercer en toute conscience et dans toute sa perfection, et c'est pour obtenir ce résultat que travaillait spécialement le second élément de la confrérie." ("Les anciennes corporations"). Cette vie intense et communautaire était jalonnée par le sens des responsabilités, de la compétence et de l'élévation spirituelle. "C'est là, disait Georges Valois, le merveilleux secret de l'ordre social dans les nations de la chrétienté... Les passions temporelles, dont on pourrait craindre les dérèglements, sont utilisées pour le maintien de la paix chrétienne et de la paix civique. En premier lieu, c’est l'instinct de puissance, qui, dans une société non organisée, entraîne l'homme à la guerre perpétuelle, et qui, dans notre monde classique, l’entraîne au travail et devient un merveilleux instrument de progrès social."Les saines institutions canalisent les esprits tumultueux, orgueilleux, anarchiques au profit des métiers devenant ainsi dans l'organisation, des facteurs sains d'évolutions. Cette organisation " procurait à ses membres le moyen de se documenter sur les meilleures méthodes de travail, sur les perfectionnements à réaliser et les inventions capables de transformer la technique du métier ; par conséquent, c’était une lutte contre la routine, c’était l'aide aux chercheurs souvent isolés, et la création d'un utile esprit d'émulation." ("Les anciennes corporations"). Ces multitudes de petites républiques avaient leurs propres lois qui remontaient à la nuit des temps, Mercier relatait l'exemple de la corporation des fumistes ayant jugé et pendu l'un des siens, coupable de vol sans que l'autorité royale n'ait eu son mot à dire...
Au XIVe siècle, les marchands de l’eau dirigent administrativement la ville de Paris. A Troyes pendant Jeanne D’Arc, « bouchers, boulangers, orfèvres pourront faire partie du conseil de ville ; des pâtissiers, meuniers, couturiers, maçons, cordiers, chapeliers, tonneliers et des représentants d’une quinzaine d’autres professions prendront part à des assemblées qui délibèrent sur la dépréciation des monnaies, sur les aides demandées par le roi, sur les impôts nécessaires pour payer les fortifications, même sur les attaques dirigées contre la ville par les gens de guerre ».(E.Coornaert)
CARACTERE POPULAIRE
Toute l'histoire de notre beau pays de France est jalonnée d'exemples sur le caractère éminemment populaire de la Royauté française. Pensons à Saint Louis qui, avant de partir en croisade, s’assura que tout pauvre paysan de France bénéficierait d'une "retraite" pour ses vieux jours. Esprit de charité, compassion, entraide, la société d'alors était empreinte de christianisme. L’Eglise, maison du peuple réglait la vie du travail en sonnant de ses cloches le réveil comme le repos. La protection des pauvres était essentiel et la législation recommandait la probité au mesureur, défendait au tavernier de hausser le prix du vin, comme boisson du menu peuple, étalage des denrées sur les marchés pour constater fraîcheur, qualité et loyauté. Pour la petite bourse des pauvres, surveillance des prix et les marchands ne se serviront qu'après tous les autres habitants... "Les bouchers étaient au pied de la tour Saint-Jacques; la rue de la Mortellerie rassemblait les maçons; la corporation des tisserands donnait son nom à la rue de la Tixeranderie qu'ils habitaient; les changeurs étaient rangés sur le pont au Change, et les teinturiers sur le bord du fleuve... "Chaque corps de métier constituait un petit Etat avec ses lois, ses rites, ses fêtes religieuses et jours chômés, ses bannières, fêtes et processions, sa "sécurité sociale», ses formes de retraites, ses hôpitaux, enfin son organisation propre, autonome et fraternelle. "Les malades, les veuves, les orphelins étaient sous la protection des chefs du métier qui s'en occupaient comme de leur propre famille" ("Les anciennes corporations").
"Et premier, que nous et chacun de nous, confrères et consoeurs, debvons et sommes tenus par nos dicts serments, tenir foiz et loyauté, l'ung envers l'autre désirer le bien l'ung de l'autre, et si aucun de nous savait le domaige de son confrère, lui anuncer féablement que ci son frère, le ayder, conforter et soutenir son droit, si besoin estait. " Voilà ce que disent les statuts des boulangers d'Epinal, dont on retrouve les premières traces en 630 (VIIe siècle). Jamais un ouvrier n'était abandonné. "La communauté ou confrérie était la seconde mère de l'ouvrier. Pauvre, malade, trépassé, jamais elle ne l'abandonnait.", quelle leçon pour le monde dit démocratique d'aujourd'hui... Cela est d'autant plus intéressant que nous vivions alors en Monarchie féodale, nous ne nous embarrassions pas alors de mots vides de sens comme démocratie, droits de l'homme, liberté, égalité, fraternité martelés sur nos monuments comme un affront envers la démophilie et la charité évangélique bien réelle du temps jadis... En France, c’est la liberté qui est ancienne, c’est le despotisme qui est nouveau, disait Madame de Staël. Rappelons que les métiers s'auto-organisaient librement dans des villes libres où l'administration se faisait par des gouverneurs assistés par des bourgeois élus au suffrage de tous. Les corporations étaient parties prenantes dans les conseils des cités féodales. Elles participaient et discutaient de tout, de la répartition des impôts, de l'organisation communale, de la défense et de la sécurité de la ville... Cette organisation décentralisée limitait tout empiètement arbitraire de l'autorité, soit du seigneur soit du roi. "Quelle est la classe du continent, qui oserait prendre aujourd'hui des allures aussi indépendantes en face de la bureaucratie européenne ?" (Le Play)
Frederic PORETTI - Winkler (Les Communautés de Métier, à suivre)
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