Une épidémie de coronavirus ayant entraîné plus de 300 morts en Chine et se propageant au-delà de ses frontières, ébranle les bourses mondiales et des experts s’interrogent sur le risque de déclenchement d’une nouvelle crise économique planétaire. Pourquoi le monde tremble-t-il? C’est que les traces d’un immense cataclysme survenu en 1347 continuent d’imprégner notre inconscient collectif. L’occident fut alors frappé par une gigantesque épidémie qui provoqua la mort d’au moins un tiers de la population de l’Europe. Le désastre intervenait après deux siècles d’essor économique et de progrès technologique se traduisant par une forte expansion démographique. L’humanité a vécu alors l’une des périodes les plus tragiques et les plus obscures de son histoire. Ci-dessous quelques extraits de textes consacrés à cette tragédie, non pour annoncer qu’elle va se reproduire, bien entendu, mais pour souligner la fragilité de la condition humaine. Et pour notre culture générale!
« Disparue d’Occident après le VIe siècle, la peste (du latin pestis, « fléau ») ressurgit durant l’année 1347. Elle aurait pris naissance en Asie centrale, dans le territoire qui entoure le lac Balkhach. Au début du XIVème siècle, la population, encore nomade, commence à se sédentariser et croît rapidement avec le développement économique. L’épidémie qui éclate en 1338 se transforme en catastrophe. La peste va suivre les routes du grand commerce, vers les comptoirs génois de Crimée. En 1347, celui de Caffa est assiégé par les Tartares (Mongols) dont l’armée, atteinte par la peste, est décimée. Ils imaginent alors de réduire les Génois par la maladie en faisant catapulter dans la place des cadavres de pestiférés. La maladie pénètre dans la ville. Et les galères génoises emportent dans leurs flancs les germes mortels. En juillet 1347, à la première escale des galères, Constantinople est touchée. En septembre, elles abordent à Messine, en Sicile, d’où elles sont rejetées. Même scénario à Gênes puis, en novembre, à Marseille. Mais trop tard : les trois villes deviennent trois nouveaux foyers d’où la peste se répand rapidement suivant les axes de communication. L’année 1348 est la plus terrible. À l’Est, la peste atteint le plateau d’Anatolie. Plus loin, l’Inde est touchée. En Arabie, La Mecque est dévastée, contaminée par les pèlerins venus d’Égypte. La « Peste noire » ou « Grande Peste » gagne l’ensemble de l’Europe occidentale de 1348 à 1357. En 1348, elle touche une grande partie de la France, l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne de l’Ouest et la Péninsule ibérique ; en 1349, l’Allemagne et la Scandinavie, ainsi que les Pays- Bas ; en 1352, la Russie. Seules quelques régions situées à l’écart des routes, comme les zones montagneuses, ont pu être épargnées. L’épidémie associe forme bubonique (qui survient après la piqûre d’une puce infectée) et forme pulmonaire (contagieuse d’homme à homme, active en hiver). La mort survient, généralement, dans les trois jours. Face à ce fléau, la médecine médiévale est impuissante. On estime que l’Europe perdit alors plus du tiers de sa population. »
[«La Peste noire arrive», dans Jacques Marseille, L’Histoire, n° 239, janvier 2000, p. 45]
« Certaines régions voient disparaître jusqu’aux deux tiers de leur population. À Givry, en Bourgogne, dans un des plus anciens registres paroissiaux que l’on possède, le curé, qui notait 28 à 29 inhumations par an en moyenne, enregistra 649 décès en 1348, dont la moitié en septembre. À Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse la plus importante de Paris, on enregistra 3116 morts entre le 25 avril 1349 et le 20 juin 1350. La ville de Perpignan perd sans doute 50 % de sa population en quelques mois : les taux de mortalité varient entre 50 et 60 % pour les notaires et hommes de loi, entre 60 et 65 % pour les prêtres de la paroisse Saint-Jean, entre 35 et 75 % pour les divers ordres du clergé régulier et, sur huit médecins, deux seulement survivront à l’épidémie; mais il est vrai que ce sont là des catégories particulièrement exposées. L’Angleterre a perdu, semble-t-il, 70 % de sa population, qui passe d’environ 7 millions à 2 millions d’habitants en 1400. Il ne s’agit que d’estimations. Faute de sources assez précises, personne ne connaît exactement le nombre de victimes. Froissart, contemporain de l’épidémie, qui évoque le fléau dans ses chroniques, évalue pour sa part les victimes au tiers de la population : « En ce temps, une maladie, que l’on nommait épidémie, courait, dont bien la tierce partie du monde mourut ». Cependant, les estimations actuelles établissent le taux de mortalité dans une fourchette allant de la moitié aux deux tiers de la population de la Chrétienté.»
[«La plus grande épidémie de l’histoire», L’Histoire, n° 310, juin 2006, p. 45-46.]
L’écrivain italien Boccace a vu l’épidémie à Florence« La peste affolait les gens. On fuyait la maladie et tout ce qui les entourait. Certains habitants vivaient à l’écart de la communauté, adoptant une vie sobre. D’autres, au contraire, se mettaient à boire, chantaient, s’accordaient tous les plaisirs et riaient des plus tristes évènements. D’autres, enfin, pensaient que le meilleur remède était la fuite. Quel que soit leur comportement, beaucoup étaient atteints où qu’ils se trouvent. Avant de tomber malade, ils avaient eux-mêmes donné l’exemple à ceux qui demeuraient bien portants ; ils étaient donc abandonnés à leur tour. Les gens avaient si peur que le frère abandonnait le frère, l’oncle le neveu, souvent même la femme le mari. Les parents évitaient de rencontrer leurs enfants et de les aider. »
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