Par Rémi Hugues
Dans le cadre du centenaire du dénouement de la Grande Guerre, Rémi Hugues a rédigé pour les lecteurs de Lafautearousseau une suite dʼarticles très documentés qui seront publiés au fil des journées en cours. Ils pourront être objets de débats. Au reste, la guerre n'est plus exclue des perspectives mondiales d'aujourd'hui ...
L'Union Sacrée : un ralliement ?
« Les dernières espérances que l’on pouvait concevoir en faveur d’une solution pacifique se sont évanouies l’une après l’autre. L’Allemagne aura laissé les puissances épuiser tous les moyens de conciliation, en dissimulant ses préparatifs de guerre derrière le paravent des négociations diplomatiques. »
Dans son éditorial du 1er août 1918, Charles Maurras accuse l’Allemagne d’être responsable du déclenchement des hostilités et nie toute implication de lʼAction Française dans l’assassinat du leader socialiste Jean Jaurès par Raoul Villain, à qui il était arrivé de fréquenter les réunions du cercle royaliste.
Face à l’Allemagne, réconciliation nationale
Avec l’attentat mortel perpétré contre Jaurès, c’est tout espoir de paix qui meurt. Le camp pacifiste français a perdu son champion. LʼAction Française s’attendait à cette guerre. C’est sans hésiter une seconde que Maurras et les siens rejoignirent le camp de ceux qui prennent « la décision spontanée d’oublier toutes les divisions et toutes les querelles au bénéfice d’une cause qui, très soudainement, apparaît comme la plus haute de toutes : la défense de la patrie »[1].
Soit lʼUnion Sacrée – expression utilisée par le président Poincaré (photo) dans son message au Parlement où il proclame que la nation « sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant lʼennemi lʼUnion Sacrée »[2]. Les Français, à lʼété 1914, ces « représentants éminents et peut-être seuls de la race chevaleresque »[3] selon les mots de Charles Péguy, ne forment plus quʼun seul corps, dont les parties sont unanimement prêtes, la « fleur-au-fusil », à bouter le « Hun », ou le « Teuton », hors de la mère-patrie.
Le président de la Chambre des députés, Paul Deschanel loue, le 4 août, lʼunisson trouvé au sein de la nation républicaine : « Y a-t-il encore des adversaires ? Non, il nʼy a plus que des Français. »[4] Les réfractaires sont à cet égard peu nombreux : seulement 1,5 % des conscrits. L’état-major s’attendait à dix fois plus.
L’unité est là. Du député S.F.I.O. du Nord, Jules Guesde, du socialiste Gustave Hervé, qui dirige un journal, La Guerre sociale, à la ligne résolument antinationaliste et pacifiste dont la une du 1er août 1914 est : « Ils ont assassiné Jaurès ! Ils n’assassineront pas la France », jusqu’à Maurice Barrès, qui début 1914 avait succédé à Paul Déroulède en tant que président de la Ligue des Patriotes, et Maurice Pujo de lʼAction Française (photo), toutes les couches de la population, toutes les sensibilités politiques, répondent à lʼappel de la « République française » qui appelle ses fils à la destruction de lʼennemi, à la violence, à les buter tous... quand sa Loi proscrit tout usage de la coercition, puisqu’elle revendique la jouissance du monopole exclusif de ladite coercition, comme lʼavait posé le sociologue allemand Max Weber quand il sʼétait, au moment dʼailleurs de la Première guerre mondiale, ingénié à définir l’État, quand son compatriote Friedrich Nietzsche dépeignait ce concept majeur du politique dans Ainsi parlait Zarathoustra en monstre froid qui ment froidement, avec pour mensonge qui rampe de sa bouche : « moi l’Etat, je suis le peuple » .
Le 7 août à la Sorbonne Maurice Pujo participe à la fondation d’un Comité de secours national présidé par le doyen de la faculté des sciences, avec notamment Ernest Lavisse, le représentant de l’archevêque de Paris Mgr Odelin, le leader de la C.G.T. Léon Jouhaux et le secrétaire général de la S.F.I.O. Louis Dubreuilh. « De parti à parti on ne sait quelles politesses se faire : on présente les adversaires de la veille les uns aux autres et on se serre la main »[5], note Jacques Bainville.
Le 26 août un gouvernement dʼUnion Sacrée est formé, qui penche plutôt à gauche. La droite est sous-représentée car, sous la pression des radicaux, la proposition du président Raymond Poincaré de faire entrer MM. Albert de Mun et Denys Cochin est rejetée. En dépit de cela, lʼAction Française reste loyale au régime honni, à la République, à la « gueuse ». Maurras juge que, puisque lʼennemi est aux portes, « une seule chose importe, la victoire. »[6]
Ralliement et donc trahison ? Pour Maurras la vraie trahison serait la désertion. Voici comment, confronté à ce dilemme cornélien, il justifie son choix : « Nous ne vaincrons pas par les dissensions intestines, en nous faisant les complices du désordre, de lʼincohérence, de la scandaleuse instabilité gouvernementale qui était lʼessence du régime ; cela peut et doit être surmonté vu la présence de lʼennemi. »[7]
Cette décision aurait pu décevoir lecteurs et militants de lʼAction Française – rappelons que la IIIème République est née de la défaite militaire de Sedan –, qui désormais soutenait les mesures liberticides du pouvoir républicain, par exemple en sʼen prenant à la Ligue des Droits de lʼHomme qui battait campagne contre la censure de la presse. Mais peu considérèrent que lʼAction Française était devenue un opposant « trop modéré ».[8]
Lʼélan patriotique était tel, comme l’a montré lʼhistorien Jean-Jacques Becker dans ses travaux, que chacun ou presque à lʼintérieur du mouvement royaliste accepta ce changement de cap, nouvelles circonstances obligent, et sʼengagea pour la France, avec comme armes la plume pour lʼintelligentsia, minoritaire, et le fusil pour la base, majoritaire.
Parmi les premiers, Léon Daudet, qui est très actif dans le soutien à lʼeffort de guerre, pointe du doigt les entreprises allemandes implantées sur le sol français quʼil accuse dʼêtre une cinquième colonne. En particulier, les laboratoires et les magasins Maggi, qui commercialise les célèbres bouillons Kub, sont violemment attaqués. Daudet sʼacharne aussi à débusquer les traîtres supposés, comme lʼami du radical Joseph Caillaux, le banquier juif Émile Uhlman.
Des organisations annexes, de surcroît, sont créées par lʼAction Française. Dʼabord, en juin 1917, la Ligue de Guerre dʼAppui, puis, quelques mois plus tard, la Ligue de Défense Anti-Allemande, qui publie un organe appelé On les aura, dont la durée de vie fut brève. Raymond Poincaré peut se féliciter de cette fidélité à toute épreuve. En 1917, il dit à propos des militants royalistes quʼils « ont oublié leur haine de la République et des républicains, et ils ne pensent plus quʼà la France. »[9] (A suivre)
[1] Jean-Baptiste Duroselle, La Grande Guerre des Français, Paris, Perrin, 2002, p. 48.
[2] Cité par ibid., p. 49.
[3] Cité par ibid., p. 48.
[4] Cité par ibid., p. 49.
[5] Cité par ibid., p. 56.
[6] Cité par Eugen Weber, LʼAction Française, Paris, Stock, 1964, p. 113.
[7] Idem.
[8] Idem.
[9] Idem.
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